Le Moniteur – Panorama de droit de la construction – Cour de cassation – Premier semestre 2016 — Karila

Le Moniteur – Panorama de droit de la construction – Cour de cassation – Premier semestre 2016

COURDE CASSATION – premier SEMESTRE 2016

Marches privés : six mois de droit de la construction

Par Laurent Karila

Avocat associé – Karila, Société d’avocats

Chargé d’enseignement à l’Université de Paris I-Panthéon-Sorbonne


L’OUVRAGE ET LA RECEPTION

Ouvrage ou élément d’équipement

La notion d’ouvrage conditionne l’application du régime légal de responsabilité des constructeurs. En l’absence de définition textuelle, elle fait l’objet d’une appréciation souveraine des juges au travers des critères de clos et couvert, d’incorporation, d’immobilisation et d’ampleur des travaux. Ce premier semestre, la troisième chambre civile a eu l’occasion d’énoncer qu’une pompe à chaleur ne constituait pas un ouvrage (Cass., 3e civ., 7 avril 2016, n° 15-15441 ; Cass., 3e civ., 4 mai 2016, n° 15-15379). Elle a aussi rappelé que « l’élément d’équipement dissociable non destiné à fonctionner », qu’il s’agisse d’un carrelage (Cass., 3e civ., 4 février 2016, n° 14-26842) ou du revêtement végétal d’une étanchéité (Cass., 3e civ., 18 février 2016, n° 15-10750, Bull.) n’était pas couvert par la garantie biennale de bon fonctionnement. La réparation du désordre l’affectant ne peut n’être être fondée que sur la responsabilité contractuelle de droit commun des constructeurs sauf à ce qu’il rende l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination.

Réception tacite

L’achèvement des travaux, le paiement de la facture de nettoyage du chantier, la non-occupation résultant d’une cause étrangère à l’état du bâtiment et l’absence de réclamation au cours des neuf années suivantes, caractérisent l’existence d’une volonté non équivoque de recevoir l’ouvrage. Les juges admettent donc la réception tacite (Cass. 3e civ., 10 mars 2016, n° 15-14149).

Une telle réception a en revanche été écartée, malgré le paiement presque total et une prise de possession de l’ouvrage, en raison des griefs formulés par le maître d’ouvrage relatifs à de graves malfaçons, de l’antériorité du paiement à la prise de possession et de certaines situations de travaux demeurées impayées (Cass., 3e civ., 7 janvier 2016, n° 14-25837). Pas de réception tacite non plus malgré l’acquittement du solde des travaux et la prise de possession, lorsque le maître de l’ouvrage a émis des protestations continues pendant huit ans sur la qualité des travaux (Cass., 3e civ., 24 mars 2016, n° 15-14830, Bull.). La Cour a aussi précisé que le fait qu’une entreprise succède à une autre ne suffit pas à caractériser l’existence d’une réception tacite (Cass., 3e civ., 19 mai 2016, n° 15-17129, Bull.).

Réception judiciaire

Le juge peut prononcer la réception judiciaire même si les désordres se sont aggravés après la prise de possession et si l’ouvrage s’est ensuite révélé inhabitable (Cass., 3e civ., 24 mars 2016, n° 14-29759). Il en va de même malgré la contestation du maître d’ouvrage de la qualité des travaux et son refus de signer tout procès-verbal de réception et de payer le solde des travaux (Cass., 3 civ., 21 janvier 2016, n° 14-23393).


LES GARANTIES LEGALES

Gravité décennale

L’implantation de l’immeuble 77 centimètres plus bas que les prévisions des plans et du permis de construire constituait un manquement grave du constructeur à ses obligations contractuelles entraînant un risque, même faible, d’inondation du sous-sol. De plus, si l’exécution conforme du contrat demeurait possible, elle ne pouvait se réaliser que par la démolition et la reconstruction de l’ouvrage. La Cour en déduit l’impropriété de l’ouvrage à sa destination déclenchant la garantie décennale (Cass., 3e civ., 4 mai 2016, n°15-15899) . Il a été jugé, en revanche, qu’une non-conformité au permis de construire concernant la hauteur du sol du rez-de-chaussée ne rendait pas l’ouvrage impropre à sa destination dès lors que « la preuve n’était pas rapportée que la villa ait été inondée » (Cass., 3e civ., 24 mars 2016, n° 15-12924).

Fabricants

La Cour rappelle le principe selon lequel « le vendeur de matériaux », qui n’est pas assimilé à un fabricant, n’est pas soumis à la garantie décennale » (Cass., 3e civ., 4 février 2016, n° 14-28052). Elle énonce par ailleurs que ne relève pas de l’article 1792-4 du Code civil[i] , des panneaux indifférenciés et produits en grande quantité non fabriqués spécifiquement pour le chantier, les désordres étant la conséquence de la pose, qui n’était pas conforme à un nouvel avis technique (Cass., 3e civ., 7 janv. 2016, n° 14-17033, Bull.).

Action directe

L’action directe du maître d’ouvrage victime contre l’assureur de responsabilité du constructeur se prescrit par le même délai que son action contre le responsable. L’expiration du délai de la prescription biennale visée à l’article L. 114-1 du Code des assurances applicable à l’action de l’entreprise contre son assureur est donc sans effet sur la recevabilité de l’action directe du maître d’ouvrage contre ledit assureur (Cass., 3 civ., 4 février 2016, n° 13-17786).

Causes exonératoires

La Cour de cassation refuse d’exonérer les constructeurs de leur responsabilité au titre des dommages affectant la couverture et le bardage d’un bâtiment à raison du process industriel dans l’ouvrage qui provoquait des émanations gazeuses de dioxyde de soufre pour former de l’acide sulfurique, lequel corrodait les éléments. Les constructeurs avaient en effet une parfaite connaissance de ce phénomène qui suffisait à expliquer la corrosion, ou du moins leur appartenait de se documenter sur la question (Cass., 3e civ., 13 juillet 2016, n° 15-19616).

Un arrêt rappelle que l’architecte, investi d’une mission complète de maîtrise d’œuvre, est tenu envers le maître d’ouvrage d’une présomption de responsabilité dont il ne peut s’exonérer qu’en prouvant une cause étrangère. Celle-ci ne peut provenir de l’action de son sous-traitant (Cass., 3e civ., 4 février 2016, n° 14-28052 précité).


RESPONSABILITES TOUS AZIMUTS

Responsabilité du maître d’œuvre

La lecture des arrêts de la Cour de cassation permet d’apprécier la variété des occasions d’engager la responsabilité des architectes. Ceux-ci sont en effet tenus «… de satisfaire à leurs obligations de conseil […] en mettant en garde les maîtres de l‘ouvrage sur les conditions d’exécution de l’immeuble et sur les conséquences, pour le drainage des eaux, de l’exécution des seules prestations envisagées » (Cass., 3e civ., 10 mars 2016, n° 14-10761). Ils doivent aussi se préoccuper du mode d’exploitation de l’ouvrage situé dans un parc des expositions et en particulier des contraintes de sol, quand bien même le maître de l’ouvrage ne les aurait pas informés de son souhait de faire circuler des charges lourdes, « compte tenu notamment de la surface importante de ce hall d’exposition, de la taille et du nombre des portes permettant à des poids lourds d’y accéder […] (Cass. 3e civ., 2 juin 2016, n° 15-16981, Bull.). En revanche, la Cour a pu dire que « l’obligation de surveillance de l’exécution des travaux n’impliquait pas une présence ou un contrôle permanent sur le chantier » (Cass. 3e civ., 4 mai 2016, n° 15-14671, Cass., 3e civ, 24 mars 2016, n° 15-12924).

Responsabilité du fabricant

Le délai de prescription de l’action contractuelle directe du maître de l’ouvrage contre le fabricant, fondée sur le manquement au devoir d’information et de conseil, court à compter de la livraison des matériaux à l’entrepreneur (Cass. 3e civ., 7 janv. 2016, n° 14-17033 précité.).

Réparation

L’intervention de salariés des sociétés GRTgazet GrDF pour la réparation de dommages causés à une canalisation par un constructeur constitue un préjudice indemnisable que lesdites sociétés sont en droit d’invoquer dans le cadre d’une action délictuelle. Peu importe que ces sociétés ne démontrent pas avoir exposé un coût supplémentaire par rapport à celui qu’elles auraient dû assumer en toute hypothèse, s’agissant de salariés non recrutés spécialement pour faire face à ce sinistre ; et que les pièces produites ne permettent pas par ailleurs d’isoler le coût d’heures supplémentaires éventuelles en lien avec le sinistre (Cass., 3° civ., 10 mars 2016, n° 15-10897, Bull.).

La carence répétée du maître de l’ouvrage dans l’administration de la preuve du coût des travaux de reprise lui incombant entraîne le rejet de la demande en paiement y afférente, sans que cela caractérise un déni de justice (Cass., 3e civ., 2 juin 2016, n° 15-18836, Bull.).

Diagnostiqueurs

Une série d’arrêts a été rendu ce semestre sur la responsabilité du diagnostiqueur immobilier. Le premier concerne le cas du diagnostiqueur qui intervient en prévision de la mise en copropriété d’un immeuble construit depuis plus de quinze ans (art. L. 111-6-2 du Code de la construction), elle n’a pas pris la même position dans le cadre d’un diagnostic réalisé en prévision d’une vente (L. 271-4 du Code de la construction et de l’habitation). Celui-ci n’est pas tenu d’indemniser le propriétaire du coût des travaux de reprise du vice non révélé mais du seul « surcoût des travaux rendus nécessaires par l’aggravation des désordres entre la date du diagnostic et celle de la réalisation des travaux de reprise ». En effet, « même si un diagnostic […] avait révélé le véritable état des sous-sols, l’erreur de diagnostic n’était pas à l’origine des désordres et les travaux de reprise de l’exécution des travaux du fait du retard et de la désorganisation du chantier imputables au maître d’ouvrage (Cass., 3e civ., 10 mars 2016, n° 15-13942).

Retenue de garantie

La retenue de garantie a pour seul objet de couvrir les réserves à la réception et pas les désordres dénoncés pendant la garantie de parfait achèvement (Cass., 3e civ., 7 avril 2016, n° 15-12573). Le montant de la garantie à première demande, susceptible d’être substituée à la retenue légale de garantie à l’occasion d’un marché public en application des articles 101 et 102 du Code des marchés publics, n’est pas limité aux sommes effectivement versées à l’entrepreneur mais à 5 % du montant du marché (Cass., 3e civ., 4 février 2016, n° 14-29837).


ASSURANCES

RC décennale

« Viole les articles L. 241-1, L. 243-8 et A. 243-1 du code des assurances une cour d’appel qui décide qu’un désordre n’est pas pris en charge par l’assureur, alors qu’elle avait constaté que ce désordre rendait l’ouvrage impropre à sa destination et alors que la clause limitant la garantie aux seuls dommages affectant la structure de l’ouvrage faisait échec aux règles d’ordre public relatives à l’étendue de l’assurance responsabilité obligatoire en matière de construction et devait, par suite, être réputée non écrite.» (Cass., 3e civ., 4 février 2016, n° 14-29790, Bull.).

Activités déclarées

L’activité déclarée lors de la souscription de la police portant sur la réalisation de plans d’exécution, à l’exclusion de toute « mission de conception, direction et surveillance des travaux et sans préconisation de matériels, réalisation des notes de calcul », l’assuré n’est pas couvert pour les risques liés aux études d’exécution qu’il réaliserait (Cass., 3eciv., 18 février 2016, n° 15-10049).

L’activité déclarée de « contractant général » emporte application du contrat d’assurance même si l’entreprise n’a pas assumé la réalisation de l’ensemble des travaux, dès lors que cette activité incluait la maîtrise d’œuvre des opérations et que cette mission était en relation avec les travaux à l’origine des désordres (Cass., 3e civ., 18 février 2016, n° 14-29268).

Dommages ouvrage

La responsabilité du notaire a été écartée dès lors qu’il ressortait des actes de vente que le vendeur avait déclaré qu’il ne souscrirait aucuneassurancedommage ouvrage (DO) ; que les acquéreursetle vendeur avaient reconnu que cette situation n’était pas conforme à la loi ; que le notaire avait informé les acquéreurs des risques que pouvait présenter pour eux l’acquisition d’un immeuble imparfaitement assuré ; et que les les acquéreurs avaient déclaré persister dans leur intention d’acquérir (Cass., 3e civ., 16 juin 2016, n° 14-27222).

Pour la première fois à notre connaissance, la Cour de cassation retient que, sauf clause contraire, l’acquéreur de l’immeuble a seul qualité à agir en paiement des indemnités d’assurance contre l’assureur garantissant les dommages à l’ouvrage, même si la déclaration de sinistre a été effectuée avant la vente (Cass., 3e civ., 15 septembre 2016, n° 15-21630, Bull.). Elle énonçait auparavant que l’indemnité ne pouvait revenir qu’au propriétaire au jour du sinistre. Voici de quoi simplifier les choses et les rendre cohérentes avec l’obligation de l’acquéreur de l’immeuble d’allouer l’indemnité d’assurance à la réparation ; principe confirmé par la Cour suprême qui énonce que l’assuré doit démontrer qu’il a réalisé les travaux de reprise et en établir le coût, l’assureur étant en droit d’obtenir la restitution de ce qu’il a versé au-delà de ce que l’assuré avait payé (Cass., 3e civ., 4 mai 2016, n° 14-19804, Bull.)

Le maître d’ouvrage assuré selon une police DO n’est pas tenu de déclarer le sinistre avant l’expiration du délai décennal puisqu’il dispose d’un délai de deux ans à compter de la connaissance qu’il a des désordres survenus dans les dix ans qui ont suivi la réception des travaux (Cass., 3e civ., 19 mai 2016, n° 15-16688).

Prescription biennale

Pour être opposable à l’assuré, la prescription biennale du Code des assurances doit être définie et ses modes d’interruption rappelés au contrat d’assurance. Or, le contrat ne rappelait pas que pour être interruptive de prescription, la lettre recommandée devait concerner le règlement de l’indemnité ; cela rend l’acquisition de du délai de prescription inopposable à l’assuré (Cass. 2e civ., 7 avril 2016, n° 15-14154).

Exclusion

Dans une police « responsabilité civile avant achèvement », l’exclusion générale visant « les dommages subis par les ouvrages ou travaux effectués par l’assuré et ses sous-traitants » est formelle et limitée au sens de l’article L. 113-1 du Code des assurances – et donc applicable (Cass., 2e civ., 19 mai 2016, n° 15-18545). En revanche, la clause qui prévoit que la garantie ne couvre pas les dommages matériels ou immatériels à la construction constitue une condition de garantie et non une clause d’exclusion ; elle n’est donc pas soumise aux conditions de l’article L. 113-1 précité exigeant que les clauses d’exclusion soient formelles et limitées (Cass., 3e civ., 7 avr. 2016, n° 15-13393).

Règle proportionnelle

Dans l’hypothèse d’une absence totale de déclaration du chantier, la Cour applique la sanction de la réduction proportionnelle de l’indemnité d’assurance (Cass., 3e civ., 21 janvier 2016, n° 14-23495) ; alors que si la police fait de la déclaration une condition de la garantie, seule la non-garantie est applicable (Cass., 3 civ., 7 janvier 2016, n° 14-18561, Bull.)


PROCEDURE

Clause de conciliation

La clause du contrat de maîtrise d’œuvre stipulant que «… pour tous les litiges pouvant survenir dans l’application du contrat, les parties s’engagent à solliciter l’avis d’un arbitre choisi d’un commun accord avant tout recours à une autre juridiction », constituait une « clause instituant une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge, même non assortie de précisions sur ses modalités de mise en œuvre » dont le défaut de mise en œuvre constitue une fin de non-recevoir(Cass., 3e civ., 19 mai 2016, n° 15-14464, Bull.). 

Compétence

Dès lors que l’article 2239 du Code civil énonce « la prescription est suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d’instruction présentée avant tout procès » et que le délai biennal du Code des assurances est bien un délai de prescription, la cour d’appel a jugé à bon droit que la mesure d’instruction ordonnée avait suspendu la prescription de l’action de l’assuré contre l’assureur. L’exception de prescription devait être rejetée (Cass., 2e civ., 19 mai 2016, n° 15-19792, Bull.).

L’assureur qui n’a pas été partie à l’instance dans laquelle le principe de la responsabilité de son assuré a été retenue, ne saurait, dans le cadre de l’instance d’appel en garantie initiée par son assuré sur la base de cette condamnation, discuter à nouveau le principe et l’étendue de la responsabilité ; il ne peut contester que l’application du contrat d’assurance (Cass., 3 civ., 18 février 2016, n° 14-29200).



[i] L’article 1792-4 du Code civil est relatif aux « éléments pouvant entraîner la responsabilité solidaire » du fabricant (Epers).


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