Le Moniteur – Panorama de droit de la construction – Cour de cassation – Second semestre 2021 — Karila

Le Moniteur – Panorama de droit de la construction – Cour de cassation – Second semestre 2021

Marches privés : six mois de droit de la construction

Sélection des décisions les plus instructives rendues par la Cour de Cassation au second semestre 2021. 

Par Laurent Karila
Avocat associé – Karila, Société d’avocats
Chargé d’enseignement à l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonne

Le trouble anormal du voisinage justifie-t-il la démolition de l’extension construite en limite de propriété ? Le maître d’ouvrage qui a expressément réceptionné les travaux peut-il invoquer une réception tacite à l’égard d’un constructeur qu’il n’avait pas convoqué ? Le sous-traitant qui n’a pas reçu de caution peut-il suspendre ses travaux ? La Cour de cassation a répondu à toutes ces questions, et à bien d’autres, durant le second semestre 2021.

L’OUVRAGE ET LA RECEPTION

Ouvrage

Des travaux de terrassement et d’aménagement du terrain préalables à l’édification d’un ouvrage immobilier constituent-ils un ouvrage au sens de l’article 1792 du Code civil ? La Cour de cassation répond par la négative. Elle énonce, dans un arrêt publié, que le glissement de terrain survenu avant l’élévation de l’immeuble ne peut engager la responsabilité décennale de l’entreprise chargée du terrassement dès lors que les travaux n’avaient pas incorporé « des matériaux dans le sol au moyen de travaux de construction » et que « les dommages se sont produits avant la réalisation de tout ouvrage » (Cass. 3e  civ., 10 novembre 2021, n° 20-20294, publié au Bulletin)

Réception tacite

Il est de jurisprudence désormais constante, en application de l’article 1792-6 du Code civil, que la prise de possession de l’ouvrage et le paiement des travaux font présumer la volonté non équivoque du maître d’ouvrage de le recevoir avec ou sans réserves. Le maître d’ouvrage, qui avait certes pris possession des ouvrages (panneaux photovoltaïques) et commencé leur exploitation (la vente de leur production électrique), n’est pas fondé à soutenir l’existence d’une réception tacite, dès lors qu’il s’était suffisamment plaint de désordres les affectant (infiltrations persistantes sur les panneaux), qu’il avait été jusqu’à provoquer trois expertises amiables, avait refusé de payer les sommes restant dues et enfin de signer l’attestation de bonne fin des travaux (Cass. 3e civ., 16 septembre 2021, n° 20-12372)

Le maître d’ouvrage qui a expressément réceptionné l’ouvrage ne peut ensuite invoquer l’existence d’une réception tacite à l’égard d’un constructeur qu’il n’avait pas convoqué, une telle demande ne visant qu’à contourner le respect du principe du contradictoire des opérations de réception. L’assureur de responsabilité décennale du constructeur était ainsi recevable et bien fondé à soutenir l’inopposabilité à son assuré d’un procès-verbal de réception qui n’était pas contradictoire à son égard et à refuser sa garantie, ladite responsabilité décennale n’étant pas engagée (Cass. 3e civ., 20 octobre 2021, n° 20-20428, Bull.).

GARANTIES LEGALES

Gravité décennale

La maison qu’il est impossible de chauffer sans exposer des surcoûts en raison de l’absence et/ou l’insuffisance d’isolation et de la pose en vrac ou mal ventilée de la laine de verre est rendue impropre à sa destination. Le défaut de performance énergétique caractérise ici un dommage de nature décennale (Cass.  3e   civ., 30 septembre 2021, n° 20-17311)

Imputabilité

La présomption de responsabilité des constructeurs ne s’applique de plein droit à l’entreprise auteure des travaux de reprise qu’à la condition que les dommages soient imputables à ces travaux et qu’ils compromettent la solidité de l’immeuble ou le rendent impropre à sa destination. De ce fait, lorsque le maître d’ouvrage ne rapporte pas la preuve que les travaux de reprise avaient généré de nouveaux désordres ou fait réapparaître les désordres préalablement observés, la garantie décennale des constructeurs ayant effectué ces travaux n’est pas engagée (Cass. 3e civ., 16 septembre 2021, n° 19-24382).

RESPONSABILITE TOUS AZIMUTS

Dol

La SCI maître d’ouvrage (dont les associés étaient des professionnels du bâtiment), chargée de l’entretien d’une maison qu’elle avait fait construire sans faire respecter les documents techniques unifiés applicables et qu’elle avait vendue sans informer l’acquéreur, alors qu’elle ne pouvait ignorer les infiltrations qui affectaient tant ce bien que d’autres qu’elle avait fait construire en même temps, ne commet cependant pas de dol susceptible d’engager sa responsabilité au-delà de l’expiration de la forclusion décennale. La Cour de cassation rappelle en effet que le dol n’est caractérisé que lorsque, de propos délibéré même sans intention de nuire, le maître d’ouvrage viole par dissimulation ou par fraude ses obligations contractuelles (Cass. 3e  civ., 8 juillet 2021, n° 19-23879).

Prescription des actions en responsabilité

On sait qu’en vertu de l’article 1792-4-3 du Code civil, les actions en responsabilité dirigées contre les constructeurs et leurs sous-traitants, en dehors de celles régies par les articles 1792-3, 1792-4-1 et 1792-4-2 (garantie biennale de bon fonctionnement), se prescrivent par dix ans à compter de la réception des travaux. Et qu’en ce qui concerne les actions personnelles ou mobilières, l’article 2224 du Code civil édicte une prescription quinquennale de droit commun « à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ». La Cour suprême a donc cassé un arrêt d’une cour d’appel pour avoir retenu, afin de déclarer recevable l’action du maître d’ouvrage à l’encontre de l’entrepreneur principal et d’un sous-traitant, la prescription décennale de l’article 1792-4-3 du Code civil nonobstant l’absence de réception. Les juges d’appel avaient curieusement estimé que cette absence de réception laissait néanmoins « subsister la responsabilité contractuelle de l’entrepreneur, et délictuelle du sous-traitant » (Cass. 3e  civ., 16 septembre 2021, n° 20-12372, précité).

Troubles anormaux de voisinage

L’extension d’une maison construite en limite de propriété, dans une zone de faible densité urbaine, sur une longueur de 17 m et une hauteur de 4 m, qui vient jeter de l’ombre sur la piscine du voisin et limiter sa vue à un mur de parpaings alors qu’il avait une vue dégagée sur les collines, cause un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage. Nul besoin de rechercher si une faute a été commise : ce trouble anormal peut justifier la démolition de la construction litigieuse (Cass. 3e  civ., 20 octobre 2021, nos 19-23233, 19-26155, 19-26156).

LA SOUS TRAITANCE

Abandon de chantier.

Si le sous-traitant n’use pas de la faculté de résiliation unilatérale qui lui est ouverte par l’article 3 de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance lorsqu’il n’a pas été accepté et que ses conditions de paiement n’ont pas été agréées par le maître d’ouvrage d’une part, et n’invoque pas la nullité du sous-traité sur le fondement de l’article 14 à raison de l’absence de délivrance d’une caution à son avantage d’autre part, le contrat doit recevoir application. Le sous-traitant n’est pas fondé à abandonner le chantier au motif de l’absence d’un cautionnement valable garantissant l’exécution de la fin du chantier. Ainsi la cour d’appel, qui a jugé abusive la résiliation du contrat de sous-traitance par l’entrepreneur principal au motif que la suspension des travaux par le sous-traitant, faute de cautionnement valable, ne constituerait pas un abandon de chantier, a violé les articles 3 et 14 de la loi sur la sous-traitance (Cass. 3e  civ., 10 novembre 2021, n° 20-19372, Bull.)

Responsabilité du maître d’ouvrage.

A défaut de veiller à l’efficacité des mesures que l’entrepreneur principal met en œuvre pour fournir une caution au sous-traitant, le maître d’ouvrage commet une faute et devra indemniser le sous-traitant. Ainsi, s’il s’est contenté de mandater son maître d’œuvre pour mettre, sans effet, l’entrepreneur en demeure d’exécuter ses obligations et n’a pris, pendant près de deux ans, aucune mesure pour contraindre ce dernier à respecter ses obligations, le maître d’ouvrage engage sa responsabilité délictuelle à l’égard du sous-traitant en application de l’article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 et de l’article 1382, devenu 1240 du Code civil (Cass. 3e civ., 17 novembre 2021, n° 20-20731).

Paiement direct.

Le paiement direct du sous-traitant d’un marché public de travaux n’a pas pour effet de décharger l’entrepreneur principal de son obligation contractuelle au paiement des travaux réalisés, à moins qu’ait été mise en place une délégation de paiement qualifiée de parfaite, par laquelle le soustraitant aurait expressément dégagé l’entreprise principale de toute responsabilité en cas de retard ou de défaut de mandatement ou de paiement par le maître d’ouvrage (Cass. 3e  civ., 17 novembre 2021, n° 20-16513 – jurisprudence constante depuis un arrêt du 10 mai 1991, n° 89-16430, Bull.).

ASSURANCES

In solidum

Lorsque deux constructeurs sont condamnés in solidum, l’assureur de responsabilité de l’un d’entre eux ne peut, à l’égard du maître d’ouvrage victime, cantonner – sauf limitation prévue au contrat – sa garantie à hauteur de la quote-part de responsabilité attribuée à son assuré et doit le couvrir intégralement. A charge pour lui de se retourner ensuite contre les coauteurs du dommage… (Cass. 3e civ., 16 septembre 2021, n° 20-15518)

Attestation d’assurance

L’assuré ne peut tirer avantage de l’imprécision de l’attestation qui lui a été remise pour demander la condamnation de son assureur au-delà des termes de son contrat d’assurance de responsabilité civile. Ainsi, il ne peut soutenir avoir été trompé par le contenu de l’attestation délivrée créant une apparence de garantie de ses fautes professionnelles, dès lors qu’il était le signataire du contrat d’assurance et que « dans les rapports entre l’assureur et l’assuré, l’attestation d’assurance ne peut prévaloir sur les dispositions contractuelles de la police d’assurance ». L’assureur était donc recevable à opposer à son assuré la clause d’exclusion des dommages affectant les travaux de celui-ci avant réception (Cass. 3e  civ., 20 octobre 2020, n° 20-18533).

Exclusion

La clause de la police qui place hors du champ de la garantie les dommages résultant d’un manquement aux obligations de faire, de ne pas faire ou de délivrance ne fait que déterminer l’étendue de la garantie, même si elle se présente sous l’indication erronée de clause d’exclusion, énonce la Cour. Cette stipulation n’est donc pas soumise à la condition d’être « formelle et limitée » au sens de l’article L. 113-1 du Code des assurances pour être valide (Cass. 3e civ., 10 novembre 2021, n° 19-25436). Il incombe au tiers lésé de démontrer que la garantie de l’assureur du sous-traitant est mobilisable pour le sinistre survenu, ce qu’il ne fait pas en produisant une attestation couvrant la responsabilité décennale de l’assuré, alors qu’est en cause sa responsabilité civile contractuelle (Cass. 2e civ., 14 octobre 2021, n° 19-25723). Par ailleurs, lorsque le bénéfice du contrat qui a été souscrit auprès d’un assureur de responsabilité est invoqué, non par l’assuré, mais par le tiers victime du dommage, il incombe à cet assureur de démontrer, en versant le contrat aux débats, quelle est l’étendue de sa garantie pour le sinistre objet du litige (Cass. 2e civ., 14 octobre 2021, n° 20-14684).

La clause d’un contrat d’assurance qui prévoit que n’entre ni dans son objet ni dans sa nature l’assurance des dommages ou responsabilités ayant pour origine un défaut d’entretien ou de réparation incombant à l’assuré et connu de lui, privant ainsi cet assuré du bénéfice de la garantie en considération de circonstances particulières de réalisation du risque, est qualifiée par la Cour de clause d’exclusion de garantie (Cass. 2e  civ., 14 octobre 2021, n° 20-14094, Bull.).

Lorsque l’assureur dénie sa garantie en invoquant une clause des conditions particulières du contrat d’assurance qui exclut de la garantie souscrite l’activité accomplie par le constructeur, il lui incombe de rapporter la preuve que cette clause a été portée à la connaissance de l’assuré et qu’il l’a acceptée. S’il souhaite ainsi établir la connaissance et l’acceptation par l’assuré d’une clause limitative de garantie figurant dans des conditions particulières non signées, ledit assureur ne peut pas invoquer le bénéfice de conditions particulières signées postérieurement et qui contenaient la même clause (Cass. 2e civ., 17 novembre 2021, n° 20-16771, Bull.)

Dommages ouvrage

L’assureur dommages ouvrage (DO) est tenu de répondre dans le délai de soixante jours prévu à l’article L. 242-1 du Code des assurances à toute déclaration de sinistre, y compris lorsqu’il estime que les désordres sont identiques à ceux dénoncés par une précédente déclaration de sinistre. A défaut, il ne peut plus opposer la prescription biennale, visée par l’article L. 114-1 du même code, qui serait acquise à la date de la seconde déclaration (Cass. 3e civ., 30 septembre 2021, n° 20-18883, Bull.).

Le syndic qui déclare un désordre à l’assureur DO, puis laisse sans réponse pendant deux ans l’offre d’indemnité formulée par celui-ci, ne veille pas à interrompre, au bénéfice de son client syndicat des copropriétaires, la prescription biennale du droit des assurances. Il commet ainsi une faute engageant sa responsabilité en raison de la perte de chance de bénéficier de l’indemnité d’assurance DO (Cass. 3e civ., 9 septembre 2021, n° 20-12554).

Dès lors que la vente du bien immobilier a été résolue sur le fondement de la garantie des vices cachés, avec effet rétroactif, l’acquéreur a perdu sa qualité de propriétaire. Il n’est donc plus recevable à agir sur le fondement de la garantie décennale et n’est pas plus fondé à engager la responsabilité du gérant de la SCI venderesse au motif d’un défaut de souscription d’assurance DO (Cass. 3e civ., 8 juillet 2021, n° 20-15669, Bull.).

Un arrêt vient rappeler qu’en application de l’article 334 du Code de procédure civile, l’appel en garantie de l’assureur DO formé contre un constructeur n’est pas subordonné à ce qu’il ait déjà indemnisé le maître d’ouvrage, puisqu’il n’exerce pas alors un recours subrogatoire mais forme une demande de garantie. La même décision souligne que, pour espérer bénéficier de la sanction de l’assureur DO qui ne prend pas position dans le délai de soixante jours à compter de la déclaration du sinistre, consistant dans le jeu automatique de la garantie (article L. 242-1 du Code des assurances), encore faut-il que le désordre sur lequel le maître d’ouvrage souhaite voir porter la sanction ait bien été déclaré à l’assureur (Cass. 3e civ., 8 décembre 2021, n° 20-18540, Bull.).

Faute dolosive

De deux arrêts remarqués du 10 novembre dernier, on retient que « la faute dolosive, autonome de la faute intentionnelle, justifiant l’exclusion de la garantie de l’assureur dès lors qu’elle fait perdre à l’opération d’assurance son caractère aléatoire, suppose un acte délibéré de l’assuré qui ne pouvait ignorer qu’il conduirait à la réalisation inéluctable du sinistre » (Cass. 2e civ., 10 novembre 2021, n° 19-12659 et n° 19-12660)

Assurance de responsabilité décennale

Les dommages qui relèvent d’une garantie légale ne peuvent donner lieu, contre les personnes tenues à cette garantie, à une action en réparation sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun. Un maître d’ouvrage n’est donc pas en droit d’engager une action en indemnisation sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun après avoir constaté que les dommages apparus après la réception rendaient l’ouvrage impropre à sa destination (Cass. 3e civ., 8 juillet 2021, n° 19-15165).

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