Le Moniteur – Panorama de droit de la construction – Cour de cassation – Second semestre 2022 — Karila

Le Moniteur – Panorama de droit de la construction – Cour de cassation – Second semestre 2022

Sélection des décisions les plus instructives rendues par la Cour de Cassation au second semestre 2022. 

Par Laurent Karila
Avocat associé – Karila, Société d’avocats
Chargé d’enseignement à l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonne

Des désordres résultant de panneaux photovoltaïques en toiture relèvent-ils de la décennale ? Comment qualifier un dommage futur ? Sur quel fondement l’usufruitier d’un bâtiment sur lequel il a fait réaliser des travaux peut-il agir ? Comment se prescrit l’action en garantie entre constructeurs ? La Cour de cassation a répondu à toutes ces questions, et à bien d’autres, durant le second semestre 2022.

LES GARANTIES LEGALES DES CONSTRUCTEURS

Ouvrage et éléments d’équipement

 Pour retenir la responsabilité décennale d’un constructeur, il faut constater l’existence d’un ouvrage immobilier avant d’analyser la gravité du dommage qui l’affecte. Dès lors que des panneaux photovoltaïques, qualifiés d’éléments d’équipement, participent de la réalisation de l’ouvrage de couverture dans son ensemble, en ce qu’ils assurent une fonction de clos, de couvert et d’étanchéité du bâtiment, leur risque avéré d’incendie rend l’ouvrage impropre à sa destination au sens de l’article 1792 du Code civil. Peu importe qu’ils aient vocation à produire de l’électricité, cette fonction n’étant pas assimilable à l’exercice d’une activité professionnelle exclusive au sens de l’article 1792-7 du code (Cass. 3e civ., 21 septembre 2022, n° 21-20433, publié au Bulletin).

Les désordres, quel que soit leur degré de gravité, affectant un carrelage et des cloisons adjoints à l’existant, relèvent de la responsabilité contractuelle de droit commun du constructeur et pas de la garantie décennale, en ce qu’ils constituent des éléments non destinés à fonctionner (Cass. 3e civ., 13 juillet 2022, n° 19-20231, Bull).

Bénéficiaire

Même s’il est à l’initiative des travaux, l’usufruitier d’un ouvrage immobilier n’a pas qualité pour agir sur le fondement de la garantie décennale. Mais il peut agir, sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun, en réparation des dommages que lui cause la mauvaise exécution des contrats qu’il a conclus pour la construction de la charpente et du revêtement d’un bâtiment commercial (Cass. 3e civ., 16 novembre 2022, n° 21-23505, Bull.)

L’acquéreur d’une serre destinée à la production de roses et équipée d’une pompe à chaleur, auquel a été transmise l’action en garantie décennale, est en droit d’obtenir la réparation intégrale du préjudice causé par les dysfonctionnements de la pompe à chaleur qui caractérisent une impropriété de la serre. Peu importe que le matériel d’exploitation ait été acquis pour environ 5 000 € et que la réparation des dommages soit évaluée à plus de 90 000 € (Cass. 3e civ., 7 septembre 2022, n° 21-16746).

Réception

La volonté non équivoque de recevoir l’ouvrage (sommier destiné à supporter une presse à vulcaniser), condition de la réception tacite, n’est pas caractérisée en cas de contestation des travaux et de l’absence de paiement du solde (Cass. 3e civ., 16 novembre 2022, n° 21-21577).

Dommages futurs

Le constructeur qui a réalisé en Polynésie des travaux de modification de la couverture d’une maison, dont l’expert judiciaire relève qu’ils ont été effectués sans respecter les règles édictées par l’avis technique du procédé de couverture, et qu’il est certain que les défauts d’étanchéité avec dégâts des eaux dans les pièces habitables apparaîtront dans le délai décennal lors de pluies intenses avec bourrasques de vent, engage sa responsabilité décennale pour ces dommages futurs (Cass. 3e civ., 21 septembre 2022, n° 21-15455).

La Cour rappelle aussi que pour être qualifié de « futurs », les dommages doivent survenir pendant le délai décennal, la circonstance que l’action judiciaire ait été engagée avant l’expiration dudit délai n’étant pas suffisante. Le maître d’ouvrage qui invoque la présence de champignons lignivores et le sous-dimensionnement de la charpente, pour conclure à l’impossibilité d’utiliser le plancher avec une charge utile de 250 kg/m2, est mal fondé dès lors que cette impossibilité n’était qu’un risque théorique et qu’il n’était justifié d’aucun désordre alors que les travaux sur la charpente avaient été réalisés quinze ans aupa­ravant. La preuve d’une impropriété à destination n’était donc pas rapportée (Cass. 3e civ., 30 novembre 2022, n° 21-23097).

Immixtion fautive et acceptation des risques

Est censurée la cour d’appel qui, pour limiter la condamnation de l’architecte, retient que la SCI maître d’ouvrage a une compétence professionnelle certaine en matière de construction car son objet social est d’acquérir et de construire tous biens immobiliers, puis de les gérer. Ces motifs sont impropres à établir la qualité de professionnel de la construction, laquelle suppose des connaissances et des compétences techniques spécifiques (Cass. 3e civ., 13 juillet 2022, n° 21-16407, Bull.).

MARCHES ET RESPONSABILITES

 Contrat de louage d’ouvrage

Dès lors que le contrat (portant, en l’espèce, sur la fourniture et la pose d’un parquet) n’a pas pour objet la vente d’un bien meuble corporel et qu’il ne porte pas sur la fourniture d’un bien meuble à fabriquer ou à produire, mais constitue un contrat de louage d’ouvrage, la garantie légale de conformité des articles L. 217-1 et suivants du Code de la consommation ne s’applique pas dans les relations entre le maître d’ouvrage et l’entrepreneur (Cass. 3e civ., 12 octobre 2022, n° 20-17335, Bull.).

CMI

Tous les travaux prévus par le contrat de construction de maison individuelle doivent être chiffrés, même si le maître d’ouvrage s’en réserve l’exécution et même s’ils ne sont pas indispensables à l’implantation de la maison ou à son utilisation. Cela permet au maître d’ouvrage de demander, à titre de réparation, que le coût des travaux prévus au contrat non chiffrés et le coût supplémentaire de ceux chiffrés de manière non réaliste soient mis à la charge du constructeur (Cass. 3e civ., 12 octobre 2022, n° 21-12507, Bull.).

Réparation

S’il y a une disproportion manifeste entre le coût de la démolition pour l’entreprise et son intérêt pour le maître d’ouvrage, la demande d’exécution en nature doit être rejetée, et la violation du cahier des charges du lotissement doit être sanctionnée par l’allocation de dommages-intérêts (Cass. 3e civ., 13 juillet 2022, n° 21-16407, précité).

Prescription

Dès lors qu’un constructeur ne peut agir en garantie avant d’être lui-même assigné aux fins de paiement ou d’exécution de l’obligation en nature, seule son assignation, accompagnée d’une demande de reconnaissance d’un droit, ne serait-ce que par provision, peut faire courir la prescription de l’action du constructeur tendant à être garanti de condamnations en nature ou par équivalent ou à obtenir le remboursement de sommes mises à sa charge en vertu de condamnations ultérieures ; en sorte que l’assignation en référé aux fins de désignation d’un expert judiciaire ne suffit pas à interrompre la prescription (Cass. 3e civ. 14 décembre 2022, n° 21-21305, Bull). Cette décision constitue un revirement de jurisprudence. De manière plus banale, la Cour a rappelé que le délai de prescription de la responsabilité civile contractuelle ne s’interrompt pas par une mise en demeure (Cass. 3e civ., 30 novembre 2022, n° 21-19309).

ASSURANCES

Garantie subséquente

Il résulte de l’article L. 124-5, alinéa 4, du Code des assurances que lorsque l’assuré a eu connaissance du dommage (infiltration en toiture) postérieurement à la date de résiliation ou d’expiration de la garantie d’un premier contrat, en base réclamation, la souscription de la même garantie, en base réclamation, auprès d’un second assureur met irrévocablement fin à la période de garantie subséquente attachée au contrat initial (Cass. 3e civ., 12 octobre 2022, n° 21-21427, Bull.).

Dommages ouvrage

L’application des sanctions de l’assureur dommages ouvrage (DO) visées à l’article L. 242-1 du Code des assurances en cas de non-respect des délais de la procédure amiable, est exclusive de toute condamnation à réparer les préjudices immatériels (perte locative, pertes d’exploitation…) que le maître d’ouvrage aurait subis en raison du retard pris dans le processus d’indemnisation (Cass. 3e civ., 21 septembre 2022, n° 21-18960).

Pour espérer faire application de la police DO avant la réception de l’ouvrage, le maître d’ouvrage ou son mandataire doit adresser une mise en demeure à l’entrepreneur avant la résiliation de son contrat. Celui qui, plusieurs mois avant la mise en liquidation judiciaire de l’entrepreneur, lui notifie, sans mise en demeure préalable, la résiliation du contrat de louage d’ouvrage, ne satisfait pas les conditions d’application de la garantie DO (Cass. 3e civ., 7 septembre 2022, n° 21-21382, Bull.).

Prescription biennale

Les causes d’interruption de l’article L. 114-2 du Code des assurances ne sont applicables qu’entre l’assureur et l’assuré ; elles ne profitent pas au maître d’ouvrage qui exerce son action directe contre l’assureur du responsable (Cass. 3e civ., 16 novembre 2022, n° 20-20606).

Preuve du contrat d’assurance

Il résulte de l’article L. 112-3 du Code des assurances que l’assureur peut opposer à l’assuré les clauses des conditions générales du contrat qui ont été portées à sa connaissance au moment de son adhésion à celui-ci ou, tout au moins, antérieurement à la réalisation du sinistre. Dès lors que l’assuré avait signé la dernière page des conditions particulières qui portait mention de ce qu’il reconnaissait avoir reçu le même jour les conditions générales du contrat, celles-ci lui étaient opposables, peu important que la mention « certifié exact » n’ait pas précédé la signature de l’assuré (Cass. 2e civ., 7 juillet 2022, n° 21-10049).

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