Le Moniteur – Panorama de droit de la construction – Cours d’appel – Premier semestre 2013 — Karila

Le Moniteur – Panorama de droit de la construction – Cours d’appel – Premier semestre 2013

Dans la présente chronique parue le 19 juillet 2013, Laurent Karila dresse un panorama des arrêts marquants des Cours d’appel du premier semestre 2013.


Des poussières d’amiante rendent-elles l’immeuble impropre àsa destination ? La carence de l’entrepreneur à régulariser la situation des sous-traitants justifie-t-elle la résiliation de son contrat ? Autant de questions auxquelles les cours d’appel ont répondu début 2013. Panorama des décisions les plus pertinentes.

LES FONDAMENTAUX DES GARANTIES LEGALES

Un ouvrage, sinon rien

N’ont pas été retenus comme constituant un ouvrage : des « reprises de fortune » partielles aux dires de l’expert judiciaire, réalisées à des dates différentes et sur des emplacements distincts d’une terrasse et qui n’ont pas porté sur la réfection du complexe d’étanchéité de cette terrasse dans son ensemble (Versailles, 18 mars 2013, n° 11/02645) ; des pompes à chaleur (Aix, 7 mars 2013, RG n° 2013/113 – 12/01606 ; Paris, 17 janvier 2013, RG n° 11/11873 ; mais en sens inverse : Riom, 11 février 2013, RG n° 11/11873) ; ou encore les plafonds, les cloisons et doublages constitués de plaques de BA13 fixées sur des rails métalliques, eux-mêmes vissés en sous-face des éléments de charpente (Reims, 19 février 2013, RG n° 11/01396). Le carrelage qui ne fait pas corps avec la dalle de structure, mais est collé sur une chape qui elle-même repose sur un complexe d’isolant phonique, n’est pas considéré comme un ouvrage. Il s’agit d’un élément d’équipement dissociable soumis à la garantie biennale de bon fonctionnement (Lyon, 5 mars 2013, RG n° 11/03412 ; Reims, 19 février 2013, RG n° 11/01396).

Constituent en revanche un ouvrage les opérations de déconstruction de la toiture et de réhabilitation d’un bâtiment, comportant une phase de désamiantage (Rennes, 21 février 2013, RG n° 10/04291).

Une réception, quelle que soit sa forme

Le paiement du solde de l’ensemble des travaux (Metz, 17 janvier 2013, RG n°10/01185) et l’établissement d’un procès-verbal de réception, même s’il n’a pas été précédé d’une visite réalisée de façon contradictoire avec tous les intervenants concernés, permettent de caractériser une réception tacite à la date de la visite des locaux (Paris, 15 mai 2013, RG n° 90/16662).

Même en l’absence de procès-verbal de réception et de prise de possession, le paiement intégral du coût des travaux par le maître d’ouvrage peut suffire à établir sa volonté non équivoque de les recevoir et d’en prendre possession, peu important la date de fin de chantier (Montpellier, 14 février 2013, RG n° 12/2957). En sens inverse, le refus de paiement du solde des travaux et de la prise de possession de la salle de bains interdit
de retenir la réception tacite (Douai, 6 février 2013, RG n° 11/08720).

La prise de possession précipitée accompagnée du règlement des travaux ne permet toutefois pas toujours de caractériser une volonté non équivoque de réceptionner sans réserve les travaux (Douai, 24 janvier 2013, RG n° 11/07663).

Si la réception judiciaire ne requiert pas, pour être prononcée, que l’ouvrage soit achevé, l’immeuble doit néanmoins être en état d’être habité ou utilisé. Ce n’est pas le cas lorsque le chantier a été abandonné, ni la dalle du rez-de-chaussée ni l’ouverture entre les deux immeubles n’ayant été réalisées et l’escalier accédant à la cave n’ayant été ni fourni ni posé. La demande de réception judiciaire du maître d’ouvrage a donc été rejetée, comme la garantie de l’assureur décennal de l’entreprise défaillante (Douai, 27 février 2013, RG n° 11/08504).

Un dommage d’une certaine gravité Les vices affectant les portes palières des ascenseurs d’un immeuble de grande hauteur sont constitutifs d’une impropriété à la destination. Ils empêchent en effet les usagers d’accéder aux étages et portent atteinte à leur sécurité en rendant difficile l’évacuation de l’immeuble en cas de sinistre (Versailles, 18 avril 2013, RG n° 11/08077).

La cour de Riom conclut à une impropriété à la destination du fait de la conjugaison d’une surchauffe de la pompe à chaleur, d’irrégularités de température intérieure, de surconsommations d’énergie et de gênes sonores engendrant des troubles de voisinage (Riom, 11 février 2013, RG n° 11/02503).

La seule présence de poussières ou de résidus d’amiante suite à une opération de désamiantage constitue un danger pour les personnes travaillant dans cette atmosphère et, donc, une atteinte à la destination de l’immeuble, dès lors que l’opération a justifié des mises en demeures de l’inspection du travail et de la caisse régionale d’assurance maladie (Rennes, 21 février 2013, RG n° 10/04291).

Si la cour de Besançon retient que ne sont pas de nature décennale, des infiltrations d’eau dans un parking ne dépassant pas « ce qui est admissible » pour des locaux de ce type sans exigence d’étanchéité absolue, leur destination étant de permettre le rangement de véhicules (Besançon, 23 janvier 2013, JD 2013-004292), tel n’est pas l’avis de la cour de Versailles. Elle conclut en pareil cas à l’impropriété à la destination (Versailles, 11 mars 2013, RG n°10/08147), comme le fait aussi la cour de Paris en raison de l’importance des boursouflures et craquelures sur le revêtement du parking qui ne permettent pas la circulation sans risque pour les piétons (Paris, 6 février 2013, RG n° 10/12941).

La cour d’Aix retient que le défaut d’isolation phonique ne rend pas forcément l’immeuble impropre à sa destination (Aix, 14 mars 2013, RG n°2013/135). Et la cour de Versailles, que le déficit contractuel de performance d’isolation acoustique par rapport à l’engagement d’amélioration pris par la SCI maître d’ouvrage vendeur n’engage pas la responsabilité décennale de ce dernier, dès lors que les prescriptions réglementaires ont été respectées grâce à la tolérance de 3 décibels (Versailles, 21 janvier 2013, RG n° 11/03108). La cour de Bordeaux en revanche retient que la destination de l’ouvrage doit s’apprécier au regard des normes de confort et de performance qui s’imposent à la date du marché, pour conclure à l’application de la garantie décennale de l’entrepreneur qui a réalisé la baie vitrée du séjour, du fait de son défaut d’isolation technique et de sa non-conformité aux normes techniques en vigueur à la date de son contrat (Bordeaux, 22 janvier 2013, RG n° 11/03752)

L’erreur d’implantation d’un bâtiment au regard des règles d’urbanisme qui entraîne sa démolition partielle le rend impropre à sa destination (Caen, 15 janvier 2013, RG n° 11/00621). Enfin, la non-conformité de la localisation des disjoncteurs dans des logements destinés prioritairement à des personnes à mobilité réduite et la non-conformité des pentes de la voirie d’accès et  des dévers de cheminement entraînent une impropriété à destination (Rennes, 14 janvier 2013, RG n° 09/05515).

Un dommage non apparent, et imputable aux constructeurs

Ont été considérées comme non apparentes des infiltrations en parking (Versailles, 11 mars 2013, RG n° 10/08147 précité) ou des non-conformités à diverses réglementations complexes et fluctuantes en matière sanitaire et d’accessibilité aux personnes à mobilité réduite (Rennes, 14 février 2013, RG n° 09/05515). Même lorsqu’une différence de niveau entre une véranda et un salon et l’absence d’un joint de dilatation sont apparents à la réception et ont fait l’objet de réserves, ils relèvent toutefois de la garantie décennale lorsque l’évolution défavorable des désordres n’était pas envisageable lors de la réception (Orléans, 7 janvier 2013, RG n° 10/01109).

Ne sont pas imputables aux constructeurs les désordres de décollement des habillages inox des portes palières des ascenseurs dus à une forte humidité liée à l’arrêt du chauffage et de la ventilation dans l’immeuble, après sa construction, la cause des désordres étant alors liée à l’entretien de l’immeuble (Versailles, 18 avril 2013, RG n° 11/08077).

La garantie biennale de bon fonctionnellement (GBF)

La GBF ne s’applique qu’aux éléments d’équipements installés dans le cadre de la construction d’un bâtiment et non pas à ceux posés sur des ouvrages existants, comme ce fut le cas à propos d’une pompe à chaleur installée dans un bâtiment préexistant (Aix, 7 mars 2013, n° 2013/113 – 12/01606) ; de volets roulants (Douai, 21 mars 2013, n° 165/2013 – 12/03783) ; et d’un portail coulissant (Rennes, 28 février 2013, n° 10/00556), seule la responsabilité contractuelle étant alors applicable.

La GBF ne dure que deux ans. Le maître d’ouvrage ne dispose ensuite que de la garantie décennale dans l’hypothèse où le dommage affectant l’élément d’équipement dissociable rendrait l’immeuble dans son ensemble impropre à sa destination. La responsabilité contractuelle de droit commun est inapplicable (Reims, 19 février 2013, RG n° 11/01396).


D’AUTRES REGIMES DE RESPONSABILITE

La garantie des vices cachés

On ne peut retenir la garantie des vices cachés dès lors que l’origine du sinistre est indéterminée. Si l’expert a considéré que la cause la plus probable de l’incendie était la carte électronique de la VMC, cette hypothèse n’a pas pu être vérifiée matériellement en raison de la destruction totale du caisson (Rennes, 22 mai 2013, RG n°11/07701).

La clause de l’acte de vente exonérant le vendeur de toute responsabilité même au titre des vices cachés ne cède que devant l’établissement de sa mauvaise foi ; ce qui ne put être fait en l’espèce dès lors que la connaissance préalable des désordres par le vendeur n’était pas démontrée, pas plus que la motivation de la pose des enduits qui n’étaient pas destinés à dissimuler les vices mais à protéger les colombages (Grenoble, 15 janvier 2013, JD 2013-000487).

Les troubles anormaux de voisinage

La responsabilité de l’entrepreneur en raison de l’atteinte à l’isolation du voisin du dessus l’exposant à des poussières, des courants d’air et une surconsommation de fuel, n’étant pas retenue, seule la responsabilité du maître d’ouvrage pour troubles anormaux de voisinage a pu s’appliquer (Colmar, 18 mars 2013, RG n°13/0213, 12/02095). La même cour énonce que le préjudice de vues n’impose pas la démolition de la construction mais la suppression de ces vues, le caractère inesthétique d’une construction ne suffisant pas par ailleurs à démontrer un trouble anormal de voisinage (Colmar, 6 mars 2013, RG n° 143/2013 – 11/05847).

La responsabilité objective du syndicat

Le syndicat des copropriétaires est responsable des dommages causés aux copropriétaires par le vice de construction (Aix, 28 février 2013, RG n°11/12960) ou le défaut d’entretien des parties communes (Versailles, 18 mars 2013, RG n°11/02645), par exemple l’absence de réparation de dégâts des eaux et inondations répétés durant plusieurs années qui ont fini par faire perdre au copropriétaire la chance de louer les lieux pendant cinq ans (Paris, 27 février 2013, RG n° 09/06920). Cette responsabilité n’exonère pas l’architecte de l’immeuble de la sienne, pour ne pas avoir, par exemple, recherché les causes des infiltrations et n’avoir pas préconisé une réfection intégrale de la terrasse (Versailles, 18 mars 2013, RG n° 11/02645).

La responsabilité du maître d’œuvre

La responsabilité du maître d’œuvre est engagée du fait du retard de réalisation du projet consécutif au dépôt d’une demande de permis de construire refusé au motif qu’il ne respectait pas le plan d’occupation des sols (Reims, 22 janvier 2013, n°11/02682).


LE SOUS-TRAITANT

Le fabricant d’Epers (éléments pouvant entraîner la responsabilité solidaire) n’est pas un sous-traitant (Rennes, 17 janvier 2013, RG n° 09/08157). Sa responsabilité est entière lorsque que les dommages sont exclusivement liés à la fabrication desdits éléments et nullement à leur pose (Versailles, 14 janvier 2013, RG n° 11/02721). Seul le sous-traitant, et non pas le fournisseur de matériel nécessaire pour l’exécution du marché de travaux, peut se prévaloir des dispositions de l’article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 pour obtenir paiement du maître d’ouvrage (Grenoble, 17 janvier 2013, RG n° 10/01164).

La carence de l’entrepreneur principal à régulariser la situation des sous-traitants justifie la résiliation de son contrat unilatéralement opérée par le maître d’ouvrage sans attendre une décision de justice au fond (Paris, 13 février 2013, RG n° 10/23285 et 11/00734).

Si le sous-traitant répond d’une obligation de résultat, il incombe néanmoins à celui qui entend engager sa responsabilité d’établir que le préjudice invoqué est imputable aux travaux compris dans la sphère contractuelle sous-traitée. Ce ne fut pas le cas en l’espèce (Colmar, 30 janvier 2013 RG n° 30/2013, 11/05896), faute de constat technique contradictoire, ni les photos de fissures ni les réclamations et réserves du maître d’ouvrage transmises à l’entreprise générale ne permettant de témoigner de cette imputabilité, d’autant que plusieurs autres entreprises étaient intervenues sur le chantier.

La validation par un bureau de contrôle technique du procédé d’étanchéité mis en œuvre par le sous-traitant n’est pas de nature à l’exonérer des manquements qui lui sont imputables dans l’exécution des travaux (Besançon, 23 janvier 2013, JD 2013-004292).


LES MARCHES

Lorsque le maître d’ouvrage a réceptionné l’ouvrage, et qu’il souhaite s’opposer au paiement du solde du prix en se prévalant de l’exception d’inexécution, il doit établir que l’inexécution porte sur des prestations distinctes de celles qui font l’objet des réserves mentionnées au procès-verbal de réception (Versailles, 13 mars 2013, RG n° 12/04004).

Lorsque le maître d’ouvrage ne s’est pas acquitté de l’entier paiement du prix et n’a pas fourni la garantie de paiement du marché, l’article 1799-1 du Code civil, d’ordre public, permet à l’entrepreneur d’opposer l’exception d’inexécution contractuelle et de suspendre ses travaux (Douai, 26 février 2013, RG n° 12/01571).

Toute acceptation par le maître d’ouvrage de travaux supplémentaires (de fondation et de maçonnerie) dans le cadre d’un marché à forfait, l’oblige à payer le prix des travaux (Orléans, 7 janvier 2013, RG n° 10/09063).


LES ASSURANCES

L’action directe

La victime d’un dommage jouit d’une action directe contre l’assureur du responsable lui permettant de demander directement à celui-ci le paiement de l’indemnité qui lui est due. Cette action n’est soumise ni à la prescription biennale (jusqu’au délai de la responsabilité de l’assuré) ni au recours préalable de l’assureur à l’encontre du tiers assuré (Paris, 16 janvier 2013, RG n° 08/22354).

La prescription biennale

La cour de Rouen rappelle l’obligation de l’assureur d’informer son assuré quant au délai de prescription des actions dérivant du contrat d’assurance et de ses modes d’interruption. A défaut, l’assureur est irrecevable à opposer la prescription biennale du Code des assurances (Rouen, 24 janvier 2013, RG n° 12/01766 ; Aix, 24 janvier 2013, RG n° 11/16075).

Les activités déclarées

L’assureur est fondé à invoquer une non-garantie à son assuré lorsque ses activité de travaux d’étanchéité des cuves à vins ne sont pas visées à sa police d’assurance, et ne sont pas assimilable à des «activités de structure et de travaux courants maçonnerie et de béton armé» déclarées, elles, à la police d’assurance (Aix, 11 avril 2013, RG n° 12/07392). Ou encore, lorsque l’activité d’ascensoriste de son assuré n’est pas couverte par la notion d’activité «entreprise générale du bâtiment (rénovation-entretien)» (Aix, 11 avril 2013, RG n° 11/20300).

Les travaux de réfection de la façade ne relèvent pas de la classification contractuelle de maçonnerie (qualibat 2110) couverte aux termes de la police mais de la classification «ravalements de façade en maçonnerie» y compris enduits plastiques et pierre (qualibat 2120), activité qui n’a pas été déclarée par l’assuré (Metz, 17 janvier 2013, RG n° 10/01185).

Responsabilité de l’assureur dommages ouvrage

Engage sa responsabilité contractuelle, l’assureur dommages ouvrage qui a préfinancé des travaux partiels qui se sont avérés inefficaces, n’ayant pas mis fin aux désordres d’infiltrations. En effet, l’assureur a commis une faute dans la gestion du préfinancement du sinistre en méconnaissant les préconisations initiales de son expert et en se retranchant derrière l’acquisition de la prescription. Ces manquements ont généré des conséquences sur la jouissance des parties communes, par temps de pluie, pour l’ensemble des copropriétaires ; ce qui oblige l’assureur à réparer les troubles collectivement subis par les copropriétaires (Angers, 14 mars 2013, RG n° 2013/141).


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