L’assurance de responsabilité décennale prend effet à la date du commencement effectif des travaux qui peut différer de la date de la DROC. (Cass. 3e civ., 16 novembre 2011) — Karila

L’assurance de responsabilité décennale prend effet à la date du commencement effectif des travaux qui peut différer de la date de la DROC. (Cass. 3e civ., 16 novembre 2011)

Ancien ID : 997

Assurance construction – Assurance de responsabilité décennale -Prise d’effet de la garantie. Ouverture de chantier : DROC (non) ; commencement effectif des travaux (oui).

Viole les articles L. 241-1 et A. 243-1 du Code des assurances et les clauses types applicables au contrat d’assurance de responsabilité pour les travaux de bâtiment, la cour d’appel qui ne relève pas la date à laquelle avaient effectivement commencé les travaux réalisés sous la maîtrise d’œuvre de l’architecte alors que la notion d’ouverture de chantier s’entend comme le commencement effectif des travaux confiés à l’assuré.

Cour de cassation (3e Ch. civ.) 16 novembre 2011 Pourvoi no 10-24517

Non publié au Bulletin civil

« Époux X… c/ M. Z…

La Cour,

Sur le premier moyen :

Vu les articles L. 241-1 et A. 243-1 du Code des assurances ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Toulouse, 28 juin 2010), que les époux X…, maîtres de l’ouvrage, ont, sous la maîtrise d’œuvre de M. Z…, architecte, chargé, par contrat du 14 janvier 2003, d’une mission complète, confié à différents locateurs d’ouvrage la construction d’une maison ; que la réception est intervenue le 11 octobre 2004 ; que des désordres ayant été constatés, les époux X… ont, après expertise, assigné en réparation M. Z…, les locateurs d’ouvrage et les assureurs ; que M. Z… a appelé en garantie son assureur, la société Acte IARD (société Acte) ;

Attendu que pour rejeter la demande de M. Z…, l’arrêt retient que la société Acte est fondée à soutenir que le sens clair et précis du contrat, selon lequel en son article 6 « durée de la garantie dans le temps », sont garantis « moyennant paiement de la cotisation correspondante, les travaux liés aux missions qui lui sont confiées avant la date de prise d’effet du contrat, lorsque ces travaux auront fait l’objet d’une déclaration réglementaire d’ouverture du chantier (DROC) pendant la période de validité du contrat », ce qui définit clairement les conditions de prise d’effet de la garantie en référence au document administratif et non au commencement des travaux ou à tout autre événement parmi lesquels le moment de formation du contrat, exclut que sa garantie puisse être engagée en l’espèce où, après un contrat de maîtrise d’œuvre du 14 janvier 2003, la DROC a été établie le 25 mars 2003 et déposée en mairie le 10 octobre 2003, toutes dates qui sont antérieures à la prise d’effet du contrat fixée au 24 octobre 2003, les travaux ayant de plus débuté le 16 octobre 2003 selon le calendrier des travaux ;

Qu’en statuant ainsi, alors qu’il résulte des articles L. 241-1 et A. 243-1 du Code des assurances, qui sont d’ordre public, et des clauses types applicables au contrat d’assurance de responsabilité pour les travaux de bâtiment figurant à l’annexe 1 de cet article, que l’assurance de responsabilité couvre les travaux ayant fait l’objet d’une ouverture de chantier pendant la période de validité du contrat d’assurance, et que cette notion s’entend comme le commencement effectif des travaux confiés à l’assuré, la cour d’appel, qui n’a pas relevé la date à laquelle avaient effectivement commencé les travaux réalisés sous la maîtrise d’œuvre de M. Z…, a violé les textes susvisés ;

Par ces motifs, sans qu’il y ait lieu de statuer sur le second moyen :

Casse et annule. »

Note

1. Pour apprécier la portée de l’arrêt rapporté il est nécessaire de préciser les faits qui en sont à l’origine.

Un architecte souscrit, à effet du 24 octobre 2003, un contrat d’assurance garantissant sa responsabilité décennale, pouvant être engagée en vertu d’un contrat de maîtrise d’œuvre le liant au maître d’ouvrage en date du 14 janvier 2003, relativement à une opération de construction, objet d’une déclaration réglementaire d’ouverture de chantier (DROC) établie le 25 mars 2003, déposée en mairie le 10 octobre 2003, les travaux liés aux missions confiées à l’architecte devant débuter selon les documents contractuels (calendrier d’exécution) le 16 octobre 2003.

Postérieurement à la réception des travaux, prononcée sans réserves le 11 octobre 2005, apparaissait un certain nombre de désordres relevant de la responsabilité décennale de l’architecte.

2. Le contrat d’assurance ci-dessus évoqué stipulait en son article 6 intitulé «  durée et maintien de la garantie dans le temps  » que sont garantis « moyennant paiement de la cotisation correspondante, les travaux liés aux missions qui lui [l’architecte] sont confiées avant la date d’effet du contrat, lorsque ces travaux auront fait l’objet d’une déclaration réglementaire d’une ouverture de chantier pendant la période de validité du présent contrat  ».

3. La garantie de l’assureur était donc formellement subordonnée à l’antériorité du contrat de maîtrise d’œuvre par rapport à la date de déclaration réglementaire d’ouverture de chantier (DROC) et à l’intervention justement de ladite DROC pendant la période de validité du contrat d’assurance, à effet du 24 octobre 2003.

4. La Cour de Toulouse avait dit et jugé que la stipulation ci-dessus évoquée de l’article 6 du contrat d’assurance définissait «  clairement les conditions de prise d’effet des garanties par référence à un document administratif et non par référence au moment des travaux ou tout autre événement parmi lesquels le moment de formation du contrat… » , ce qui excluait en conséquence que la garantie de l’assureur puisse être engagée en l’espèce, où après un contrat de maîtrise d’œuvre du 14 janvier 2003, la DROC avait été établie le 25 mars 2003 et déposée en mairie le 10 octobre 2003, « toutes dates qui sont antérieures à la prise d’effet du contrat fixée au 24 octobre 2003, les travaux ayant de plus débuté le 16 octobre 2003 selon le calendrier des travaux ».

5. La cassation est prononcée pour violation des articles d’ordre public L. 241-1 et A 243-1 du Code des assurances et des clauses types applicables au contrat d’assurance de responsabilité pour les travaux du bâtiment dont il résulte que l’assurance de responsabilité couvre les travaux ayant fait l’objet d’une ouverture de chantier pendant la période de validité du contrat, cette notion devant s’entendre comme le commencement effectif des travaux confiés à l’assuré, reproche étant fait à la cour d’appel de n’avoir pas justement relevé la date à laquelle avaient effectivement commencé les travaux réalisés sous la maîtrise d’œuvre de l’architecte.

6. Le débat qui s’était instauré quant à la définition de la notion d’ouverture du chantier, élément sinon unique du moins essentiel des conditions du déclenchement de la garantie, semble désormais clos. Feu la DROC ! Vive la réalité physique, c’est-à-dire la date à laquelle le constructeur concerné aura effectivement commencé à exécuter ses travaux, les autres éléments factuels étant globalement indifférents…

7. Certes ce n’est pas la première fois que la Haute Juridiction énonce que la notion d’ouverture de chantier doit s’entendre comme le commencement effectif des travaux confiés à l’assuré, mais à notre connaissance la Haute Juridiction avait jusqu’ici donné une telle définition de la notion d’ouverture de chantier (commencement effectif des travaux de l’assuré) que lorsque le contrat d’assurance ne définissait pas expressément cette notion, situation qui nous avait conduit dans le cadre de notre commentaire d’un arrêt du 18 février 2004 (Cass. 3e civ., no 02-18414, Bull. civ. III, no 30 ; RGDA 2004, p. 471, note J-P. Karila) à estimer que c’était seulement à titre supplétif, et pour le cas où le contrat d’assurance était silencieux sur la définition de la notion d’ouverture de chantier, qu’il était décidé que celle-ci correspondait au commencement effectif des travaux confiés à l’assuré, la jurisprudence jugeant, au cas par cas, selon les stipulations de la police à décider ce qu’il fallait entendre par « ouverture de chantier ».

8. Si, comme déjà indiqué ci-dessus, le débat semble clos en ce qui concerne la notion d’ouverture de chantier qui doit s’entendre comme le commencement effectif des travaux confiés à l’assuré, en revanche la jurisprudence n’est pas clairement déterminée sur l’application de cette définition au regard de la situation particulière de l’architecte dont les propres prestations peuvent se situer en amont de l’ouverture effective du chantier ou encore de la date à laquelle les entrepreneurs auront commencé leurs travaux.

Doit-on prendre en considération la date des propres prestations de l’architecte, c’est-à-dire des études, plans et pièces du marché que celui-ci réalise ou celle du commencement effectif des travaux par les entrepreneurs sous sa maîtrise d’œuvre 

L’arrêt rapporté prend en considération la date des travaux de l’entrepreneur réalisés sous la maîtrise d’œuvre de l’architecte, la Cour de renvoi étant invitée à se déterminer quant à la garantie de l’assureur par référence à la date de début d’exécution des travaux par les entrepreneurs.

Pourtant dans d’autres cas, la jurisprudence a interprété la notion de travaux comme étant les prestations propres de l’architecte, prestations pouvant consister dans des études ou plans, la plupart du temps antérieurs à l’exécution des travaux par l’entrepreneur exécutant. C’est la solution validée indirectement dans un arrêt du 27 septembre 2006 (Cass. 3e civ., 27 septembre 2006, no 05-15214) qui tient compte de la date du contrat de maîtrise d’œuvre passé entre un bureau d’études techniques et un maître d’ouvrage, solution parfaitement transposable à l’architecte.

9. Les arrêts et notes ci-après cités permettent de connaître la problématique posée sur la notion d’ouverture de chantier, et l’évolution de la jurisprudence au regard du débat ci-dessus évoqué et qui est semble-t-il désormais clos en ce qui concerne la définition même d’ouverture de chantier alors même qu’il existerait une incertitude sur la notion de travaux lorsque l’assuré n’est pas un entrepreneur mais un prestataire intellectuel comme un bureau d’études techniques ou un architecte (Cass. 3e civ., 16 septembre 2003, no 02-12607 ; RGDA 2003, p. 750, note J.-P. Karila et les arrêts cités dans ladite note ; Cass. 3e civ., 13 mars 2003, no 01-02428, Bull. civ. III, no 193 ; Cass. 3e civ., 18 février 2004, no 02-18414, Bull. civ. III, no 30 ; RGDA 2004, p. 471, note J.-P. Karila ; Cass. 3e civ., 13 septembre 2005, no 04-16852, RGDA 2005, p. 956, note J.-P. Karila ; Cass. 3e civ., 27 septembre 2006, no 05-15214, Resp. civ. et as. 2006, comm. 381, H. Groutel ; « La vérité sur la DROC : déclaration réglementaire d’ouverture de chantier », étude par G. Courtieu, Res. Ass. 2004, étude no 12).

10. Enfin on précisera qu’en matière de police de responsabilité civile décennale il a été procédé dans le cadre de l’actualisation des clauses types à une modification de la définition de la notion d’ouverture de chantier prise en compte pour déterminer la validité dans le temps de la police ou encore l’un des points de déclenchement de la garantie.

Il est, en effet, énoncé dans la nouvelle clause type issue de l’arrêté du 19 novembre 2009 que :

« l’ouverture de chantier s’entend à date unique applicable à l’ensemble de l’opération de construction ».

Toujours selon la nouvelle clause type, la date d’application à l’ensemble de l’opération de construction correspond :

– soit à la date de déclaration d’ouverture de chantier (DROC) pour les travaux nécessitant la délivrance d’un permis de construire ;

– soit pour les travaux ne nécessitant pas la délivrance d’un tel permis à la date du premier ordre de service ou à défaut à la date effective du commencement des travaux.

Il a été ajouté judicieusement que :

« Lorsqu’un professionnel exécute ses prestations antérieurement à la date unique définie à l’alinéa 2 et qu’à cette même date il est en cessation d’activité, l’ouverture de chantier s’entend, pour lui, à la date de signature de son marché ou à défaut, à celle de tout acte pouvant être considéré comme le point de départ de sa prestation ».

J.-P. Karila – RGDA n° 2012-02, P. 369

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