Interruption de la prescription de l’action à l’égard de l’assureur dommages ouvrage et reconnaissance de garantie (Cass. 3e civ. 4 juin 2009) — Karila

Interruption de la prescription de l’action à l’égard de l’assureur dommages ouvrage et reconnaissance de garantie (Cass. 3e civ. 4 juin 2009)

Ancien ID : 710

Assurance construction

Assurance dommages ouvrage. Assurance de responsabilité décennale

Reconnaissance de garantie de l’assureur dommages ouvrage. Reconnaissance de garantie du constructeur (non). Interruption de la prescription de l’action à l’égard de l’assureur dommages ouvrage / absence d’effet sur la prescription de l’action à l’égard de l’assureur de responsabilité.

Dès lors qu’elle a retenu, à bon droit, que la reconnaissance de garantie de l’assureur dommages-ouvrage au titre d’une assurance de choses ne pouvait valoir reconnaissance de responsabilité d’un constructeur même si cet assureur était aussi, pour le même ouvrage, assureur de responsabilité civile de ce constructeur, une Cour d’appel en déduit exactement que l’action, qui n’avait jamais été interrompue à l’égard de l’assureur décennal avant l’expiration du délai de garantie, était prescrite.

Cour de cassation (3e Ch. civ.) 4 juin 2009 Pourvoi no 08-12661

Époux Peytavy c/ Axa France Iard et autre

La Cour,

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Toulouse, 17 décembre 2007), qu’en 1985-1986, les époux X…, assurés en police dommages-ouvrage auprès de la société UAP, aux droits de laquelle se trouve la société Axa, ont confié la construction d’une maison à la société Braud, assurée en responsabilité décennale auprès de la société UAP, aux droits de laquelle se trouve la société Axa ; que les travaux ont été réceptionnés le 31 octobre 1986 ; que le 31 août 1995, les époux X… ont déclaré un sinistre constitué par l’apparition de fissures ; que la société Axa, en sa qualité d’assureur dommages-ouvrage, a préfinancé les travaux de reprise sur la base d’un rapport préconisant une reprise partielle des fondations par micro pieux ; que de nouveaux désordres étant apparus en 2003, les époux X… ont déclaré le sinistre à la société Axa, qui a dénié sa garantie ; qu’à la suite d’un arrêté interministériel constatant l’état de catastrophe naturelle à raison de la sécheresse des mois de juillet à septembre 2003, les époux X… ont saisi leur assureur multirisques habitation, la société Nationale Suisse assurances ; qu’après expertise, les époux X… ont assigné la société Nationale Suisse assurances, qui a appelé en cause la société Axa ; qu’un premier jugement du 28 novembre 2006 a enjoint à la société Axa en exécution de la police dommages ouvrage no 33582 04 18950 L de payer aux époux X… la somme de 62 876 euros en réparation du dommage matériel seul garanti, mis hors de cause la société Nationale Suisse assurances et ordonné la réouverture des débats sur la qualité de la société Axa d’assureur décennal du constructeur et qu’un second jugement du 27 mars 2007 a enjoint à la société Axa en qualité d’assureur du constructeur (police 33582 04 18950 L) de payer aux époux X… une indemnité de 182 600 euros ;

Attendu que les époux X… font grief à l’arrêt d’infirmer le jugement du 27 mars 2007 et de déclarer irrecevable, par l’effet de la prescription, l’action engagée contre la société Axa prise en sa qualité d’assureur de la responsabilité civile décennale de la société Braud, alors, selon le moyen :

1o/ que toute personne physique ou morale, dont la responsabilité peut être engagée sur le fondement de la présomption établie par les articles 1792 et suivants du Code civil à propos de travaux du bâtiment, doit être couverte par une assurance, et que toute personne physique ou morale qui, agissant en qualité de propriétaire de l’ouvrage, de vendeur ou de mandataire du propriétaire de l’ouvrage, fait réaliser des travaux de bâtiment, doit souscrire avant l’ouverture du chantier, pour son compte ou pour celui des propriétaires successifs, une assurance garantissant, en dehors de toute recherche des responsabilités, le paiement des travaux de réparation des dommages de la nature de ceux dont sont responsables les constructeurs au sens de l’article 1792-1, les fabricants et importateurs ou le contrôleur technique sur le fondement de l’article 1792 du Code civil ; que la cour d’appel, pour déclarer irrecevable, par l’effet de la prescription, l’action engagée contre la société Axa France prise en sa qualité d’assureur de la responsabilité civile décennale de la société Braud, constructeur de l’immeuble des époux X…, a retenu que c’était en dehors de toute recherche de responsabilité que l’assurance dommages ouvrage avait pour objet de garantir le paiement de dommages de la nature de ceux dont sont responsables les constructeurs au sens de l’article 1792-1, et que bien que l’assureur soit le même, les polices d’assurances étaient de nature différentes, avaient des objets différents et que les conditions de fond pour la mise en œuvre des garanties ne se superposaient que partiellement, de sorte qu’il n’y avait pas de rapport nécessaire entre l’ouverture des garanties de l’une et celle de l’autre ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé les articles L. 241-1 et L. 242-1 du Code des assurances et 1792 du Code civil ;

2o/ que la prescription est interrompue par la reconnaissance que le débiteur fait du droit de celui contre lequel il prescrivait ; que la cour d’appel, pour infirmer le jugement du 27 mars 2007 enjoignant à la compagnie Axa, venant aux droits de l’UAP et en qualité d’assureur de la société Braud (police no 33582 0418950 L) de payer aux époux X… une indemnité de 182 600 euros, et déclarer irrecevable, par l’effet de la prescription, l’action engagée contre la société Axa France prise en sa qualité d’assureur de la responsabilité civile décennale de la société Braud, constructeur de l’immeuble des époux X…, a retenu que la reconnaissance de garantie de l’assureur dommages ouvrage, dans le cadre d’une assurance de chose, ne pouvait valoir reconnaissance de responsabilité d’un constructeur, et qu’il en allait ainsi dans le cas où la même compagnie d’assurances est à la fois, pour un même ouvrage, assureur dommages ouvrage au bénéfice du maître de l’ouvrage et assureur de responsabilité civile d’un constructeur ; qu’en statuant ainsi, tout en confirmant le jugement du 28 novembre 2006 qui enjoignait à la compagnie Axa, en exécution de la police ex-UAP no 33582 0418950 L de verser une indemnité de 62 876 euros augmentée des intérêts au taux légal depuis le 20 juin 2006 date de dépôt du rapport d’expertise, en relevant que l’assurance dommages ouvrage avait été souscrite auprès de la compagnie UAP par la SA Braud stipulant pour le compte des acheteurs de maisons individuelles, ce dont il résultait que la société Axa était tenue en qualité d’assureur dommages ouvrage et d’assureur de responsabilité de l’entrepreneur au titre d’un seul et même contrat souscrit par l’entrepreneur, la cour d’appel a violé les articles 2248 du Code civil, L. 241-1 et L. 242-1 du Code des assurances ;

Mais attendu qu’ayant retenu à bon droit que la reconnaissance de garantie de l’assureur dommages ouvrage, au titre d’une assurance de chose, ne pouvait valoir reconnaissance de responsabilité d’un constructeur même si cet assureur était aussi, pour le même ouvrage, assureur de responsabilité civile de ce constructeur, la cour d’appel en a exactement déduit que l’action, qui n’avait jamais été interrompue à l’égard de l’assureur décennal avant l’expiration du délai de garantie, était prescrite ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

Par ces motifs ;

Rejette le pourvoi…

Note

1. L’arrêt rapporté, rendu par la 3e Chambre civile, s’inscrit dans la ligne d’un précédent arrêt rendu par la même chambre quelques semaines auparavant, le 11 mars 2009 (Cass. 3e civ., 11 mars 2009, no 08-10905, à paraître au Bulletin, RGDA 2009, p. 507, note J.-P. Karila ; voir également RDI 2009, p. 371, obs. L. Karila).

2. On ne peut que se féliciter en conséquence de la réitération du principe déjà posé par l’arrêt précité du 11 mars 2009 destiné également à être publié au Bulletin.

3. Ainsi il se confirme que la Haute Juridiction n’entend pas être nécessairement guidée par l’esprit qui l’avait animée à l’occasion d’autres arrêts rendus en 1998, 2002, 2004, 2008 et 2009, admettant notamment que l’interruption de la prescription puisse être étendue d’une action à une autre, en cas de changement du fondement juridique des actions considérées au motif qu’elles tendent au même but, le lecteur étant invité à se reporter à cet égard à la jurisprudence citée dans le cadre de notre commentaire de l’arrêt précité du 11 mars 2009.

4. Il est donc clair désormais que la reconnaissance de garantie d’un assureur dommages ouvrage, c’est-à-dire d’un assureur de choses, ne peut valoir reconnaissance de responsabilité, au préjudice du constructeur tenu à la responsabilité décennale, ni à l’encontre de l’assureur de celui-ci alors même qu’il s’agirait du même assureur et donc de la même personne juridique.

Comme l’avait énoncé la Cour de Toulouse dont la décision est validée par l’arrêt rapporté « bien que l’assureur soit le même, les polices d’assurances étaient de nature différentes, avec des objets différents », soulignant et ajoutant que « les conditions de fond pour la mise en œuvre des garanties ne se superposaient que partiellement de sorte qu’il n’y avait pas de rapport nécessaire entre l’ouverture des garanties de l’une et celle de l’autre ».

5. Il est en conséquence désormais clair que l’interruption de la prescription de l’action à l’encontre d’un assureur de choses, comme notamment par l’effet d’une reconnaissance de garantie de cet assureur, ne peut affecter le cours de la prescription de l’action à l’encontre de l’assureur de responsabilité alors même qu’il s’agirait du même assureur…

6. L’arrêt est d’autant plus remarquable que factuellement, il n’y aurait eu, à lire la seconde branche du moyen unique du pourvoi incident, deux polices d’assurances émises par le même assureur mais une police unique comportant un volet « Dommages ouvrage » et un volet « Responsabilité civile décennale », s’agissant probablement d’un contrat souscrit par un constructeur de maisons individuelles, lequel a juridiquement la qualité d’entrepreneur, contrat dans le cadre duquel celui-ci souscrit habituellement pour compte du propriétaire de la maison à construire, une assurance dommages ouvrage.

Jean-Pierre Karila – RGDA 2009-03, p.825

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