Le montant garantie par l’assurance dommages ouvrage ne peut être plafonné au coût des travaux déjà réglés. (Cass. 3e civ., 14 décembre 2011) — Karila

Le montant garantie par l’assurance dommages ouvrage ne peut être plafonné au coût des travaux déjà réglés. (Cass. 3e civ., 14 décembre 2011)

Ancien ID : 994

Assurance construction – Assurance dommages ouvrage – Garantie avant réception de l’ouvrage. Montant de la garantie : coût des travaux déjà réglés (non). Plafond de la garantie (oui).

C’est à bon droit qu’une cour d’appel décide, à propos de la garantie à laquelle l’assureur est tenu avant réception de l’ouvrage, que le montant de celle-ci ne peut être limitée à celui des sommes versées à l’entrepreneur avant la résiliation de son marché, pour inexécution de ses obligations contractuelles, le montant de la garantie étant égal au coût des travaux de remise en état des ouvrages dans la limite du coût total prévisionnel de la construction.

Cour de cassation (3e Ch. civ.) 14 décembre 2011 Pourvoi no 10-27153

Publié au Bulletin

« MAF c/ Société Les Terrasses du parc

La Cour,

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 16 septembre 2010), statuant en matière de référé, que, pour la construction d’un immeuble, la société Les Terrasses du parc, maître d’ouvrage, a souscrit une police dommages-ouvrage auprès de la MAF ; qu’après avoir fait constater l’arrêt du chantier et avoir vainement mis en demeure la société Emab 3000, chargée du lot terrassement et gros œuvre, d’avoir à le reprendre, elle a résilié le marché pour inexécution par l’entrepreneur de ses obligations ; qu’après l’organisation d’une mesure d’instruction, elle a assigné la MAF en référé afin de se voir allouer une provision ;

Attendu que la MAF fait grief à l’arrêt de la condamner à payer à la société Les Terrasses du parc une provision correspondant au coût des travaux de réparation des désordres, alors, selon le moyen :

1o / que l’assurance dommages-ouvrage a exclusivement pour objet la prise en charge du coût de réparation de désordres qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou le rendent impropre à sa destination ; qu’en l’espèce, dans ses conclusions d’appel, la MAF a soutenu que la présomption concernait des désordres ayant un caractère décennal et revêtant un caractère clandestin lors de la réception, que l’ouvrage pour lequel sa garantie était demandée n’était pas susceptible d’être réceptionné et que la demande du maître d’ouvrage se heurtait à l’existence de contestations sérieuses ; qu’en la condamnant à payer au maître d’ouvrage une provision de 97 740,51 euros, sans répondre à ce moyen, la cour d’appel a violé l’article 455 du Code de procédure civile ;

2o/ qu’en exécution d’une police dommages-ouvrage, soumise au principe indemnitaire, l’assureur ne peut payer au maître d’ouvrage une somme supérieure à celle que ce dernier a réglée pour la construction de l’ouvrage ; qu’en l’espèce, il est constant que la société Emab 3000 a émis des situations pour un montant total de 99 765,58 euros, mais que le maître d’ouvrage a payé simplement la somme de 44 969,60 euros ; qu’en condamnant la MAF, assureur dommages-ouvrage, à payer au maître d’ouvrage la somme de 97 740,51 euros, la cour d’appel a violé les articles L. 121-1, L. 242-1 et L. 243-8 du Code des assurances, ainsi que l’annexe II à l’article A. 243-1 dudit code ;

Mais attendu qu’ayant relevé, répondant aux conclusions, que les garanties s’appliquaient avant la réception de l’ouvrage lorsque, après mise en demeure, le contrat de louage d’ouvrage conclu avec l’entrepreneur était résilié pour inexécution de ses obligations et que les quatre situations émises par l’entrepreneur correspondaient à l’état d’avancement des travaux à la date de l’abandon du chantier et justement retenu que le montant de la garantie était égal au coût des travaux de remise en état des ouvrages dans la limite du coût total prévisionnel de la construction, la cour d’appel en a exactement déduit que l’assureur dommages-ouvrage ne pouvait pas soutenir que la valeur de la chose assurée devait être ramenée au montant des sommes versées ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

Par ces motifs :

Rejette le pourvoi… »

Note

1. L’assurance dommages ouvrage est une assurance de choses en vertu de laquelle l’assureur est tenu de préfinancer le coût de la réparation des désordres d’une certaine gravité (c’est-à-dire de nature de ceux dont sont responsables notamment les constructeurs en vertu des articles 1792 et 1792-2 du Code civil) dans la limite du plafond de garantie stipulé dans le contrat d’assurance, plafond de garantie dont la licéité, s’agissant d’assurance de choses et non de responsabilité, n’est pas discutable.

2. On sait par ailleurs que le bénéficiaire de l’indemnité d’assurance doit nécessairement l’affecter à la réparation de choses assurées c’est-à-dire de l’ouvrage affecté des désordres ci-avant évoqués de sorte que si l’indemnité d’assurance n’a pas été utilisée ou ne l’a été qu’incomplètement à la réparation de l’ouvrage, l’assureur peut en obtenir la restitution totale ou à due concurrence de la fraction d’indemnité non utilisée (voir notamment Cass. 3e civ., 17 décembre 2003, no 01-17608, Bull. civ. III, no 234, RGDA 2004, p. 100, note J.-P. Karila ; et sur l’ensemble de la question : Lamy Assurances 2012, chap. Assurance dommages à l’ouvrage, par J.-P. Karila no 3394 et no 3395).

3. L’arrêt rapporté s’inscrit dans la stricte logique des principes ci-dessus évoqués (supra no 1 et 2) en validant un arrêt de la Cour de Paris qui avait, à juste titre, refusé de limiter le montant de la garantie de l’assureur avant réception de l’ouvrage, par suite de la résiliation du marché de l’entrepreneur après mise en demeure restée infructueuse, pour inexécution de ses obligations contractuelles, au montant des sommes réglées audit entrepreneur par le maître d’ouvrage avant résiliation de son marché.

Pour valider l’arrêt de la Cour de Paris, la Haute Juridiction énonce que celle-ci avait justement retenu que le montant de la garantie était égal au coût des travaux de remise en état de l’ouvrage, dans la limite du coût total prévisionnel de la construction et qu’elle en avait exactement déduit que l’assureur ne pouvait pas soutenir que la valeur de chose assurée devait être ramenée au montant des sommes versées.

4. La solution retenue conforme à la nature de l’assurance de choses ne peut qu’être approuvée.

La licéité de la stipulation d’un plafond de garantie égale au coût total revalorisé de la construction ne saurait en effet avoir pour conséquence que l’assureur Dommages Ouvrage puisse exciper du coût, même revalorisé, des travaux effectués lors de la réalisation de la partie de l’ouvrage affecté des dommages.

C’est par référence au « coût total de la construction » que le montant de la garantie doit être apprécié.

En d’autres termes, alors même que le coût des travaux de réparation de la partie de l’ouvrage affectée de dommages serait nettement supérieur à celui de la réalisation de l’ouvrage dont s’agit dans son ensemble, l’assureur est tenu à garantie dès lors que ledit coût est inférieur au total revalorisé de la construction dans son ensemble.

Le fait que le sinistre se situe avant réception est bien évidemment totalement indifférent et ne fait pas obstacle à l’application de ce principe constamment consacré par les juges du fond.

J.-P. Karila – RGDA n° 2012-03, P. 716