L’action dirigée contre un assureur au titre d’une police dommages ouvrage ne peut interrompre le délai de prescription de l’action engagée contre le même assureur au titre d’une police de responsabilité CNR (Cass. 3e. civ., 4 novembre 2010) — Karila

L’action dirigée contre un assureur au titre d’une police dommages ouvrage ne peut interrompre le délai de prescription de l’action engagée contre le même assureur au titre d’une police de responsabilité CNR (Cass. 3e. civ., 4 novembre 2010)

Assurance dommages ouvrage- Prescription biennale. Interruption à l’encontre de même assureur suivant police CNR (non). – L’action dirigée contre un assureur au titre d’une police dommages ouvrage ne peut interrompre le délai de prescription de l’action engagée contre le même assureur au titre d’une police de responsabilité CNR.

Cour de cassation (3e Ch. civ.) 4 novembre 2010 Pourvoi no 09-66977

SCI 99-101 rue Rouget de l’Isle et 27 rue des Bas Rogers à Suresnes c/ Société ALBINGIA

La Cour,

Sur le second moyen :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 28 janvier 2009), que la société civile immobilière 99-101 rue Rouget de l’Isle et 27 rue des Bas Rogers à Suresnes (la SCI), assurée par polices « dommages ouvrage » et « constructeur non réalisateur » (CNR) auprès de la société Albingia, a fait construire, sous le régime de la vente en l’état futur d’achèvement, deux immeubles qui ont été placés sous le statut de la copropriété ; que la réception est intervenue le 9 juillet 1998 ; que des désordres ayant été constatés et une expertise ordonnée en référé le 26 janvier 1999, le syndicat des copropriétaires 99-101 rue Rouget de l’Isle et 27 rue des Bas Rogers à Suresnes (le syndicat) a assigné en réparation la SCI et la société Albingia ; des recours en garantie ont été formés ;

Attendu que la SCI fait grief à l’arrêt de la déclarer irrecevable en ses demandes à l’encontre de la société Albingia en qualité d’assureur CNR, alors, selon le moyen :

1o/ que si les actions en garantie contre un même assureur procèdent du même sinistre, l’effet interruptif de prescription attachée à l’une s’étend à l’autre, peu important que ces actions soient fondées sur des polices différentes ; qu’en décidant l’inverse, la cour d’appel a violé l’article L. 114-1 du Code des assurances ;

2o/ que si deux polices sont unies par un lien d’interdépendance, l’interruption de la prescription de l’action exercée à l’encontre de l’assureur, sur le fondement de l’une des polices, s’étend à l’autre ; qu’en s’abstenant de rechercher si les deux polices, en ce qu’elles étaient souscrites auprès du même assureur, d’une part, et en ce qu’elles garantissaient le même risque matériel, d’autre part, n’étaient pas unies par un lien d’interdépendance suffisant à justifier l’extension de l’effet interruptif de prescription de l’une par rapport à l’autre, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 114-1 du Code des assurances ;

Mais attendu qu’ayant constaté que la société Albingia avait été expressément assignée en référé-expertise le 19 mars 1999 en qualité d’assureur dommages-ouvrage et que c’est en cette même qualité qu’elle avait suivi les opérations d’expertise, puis avait, le 11 janvier 2002, été assignée devant le juge du fond, et relevé que la SCI n’avait sollicité pour la première fois la garantie de la société Albingia, assureur en police CNR, que par conclusions du 10 février 2005, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée relativement à un lien d’interdépendance unissant ces polices d’assurance, a retenu à bon droit que l’action engagée contre la société Albingia, assureur dommages ouvrage, n’avait pas interrompu la prescription de l’action engagée, pour le même ouvrage, contre la même société prise en sa qualité d’assureur en police CNR ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

Par ces motifs :

Rejette…

Note

1. L’arrêt rapporté, destiné à être publié au Bulletin, s’inscrit dans la ligne de solution déjà prise par des arrêts rendus par la Cour de cassation les 11 mars et 4 juin 2009 et que nous avons d’ailleurs commentés dans ces mêmes colonnes (voir infra no 5).

2. Dans les circonstances de l’espèce, s’agissant d’une affaire classique de désordres de construction, le Syndicat des Copropriétaires avait assigné en référé expertise puis au fond tant le vendeur en l’état futur d’achèvement que l’assureur dommages ouvrage de l’opération de construction considérée.

Ce n’est qu’au cours de la procédure au fond et plus de deux ans après la délivrance de l’acte introductif d’instance qui lui avait été délivré, que le vendeur en l’état futur d’achèvement, bénéficiaire d’une police de responsabilité dite CNR, concluait en vertu de cette police à l’encontre dudit assureur.

La cour d’appel rejette cette demande en garantie au motif que l’action était prescrite en vertu de l’article L. 114-1 du Code des assurances.

3. Le demandeur au pourvoi reprochait à la cour d’appel :

– d’avoir violé l’article L. 114-1 du Code des assurances pour avoir méconnu le principe selon lequel si les actions en garantie contre un même assureur procèdent du même sinistre, l’effet interruptif de prescription attaché à l’une s’étend à l’autre, peu important que ces actions soient fondées sur des polices différentes ;

– d’avoir en outre privé de base légale sa décision au regard dudit article L. 114-1 du Code des assurances dès lors que si deux polices sont unies par un lien d’interdépendance, l’interruption de la prescription de l’action exercée à l’encontre de l’assureur, sur le fondement de l’une des polices, s’étend à l’autre et qu’en s’abstenant de rechercher si les deux polices, en ce qu’elles étaient souscrites auprès du même assureur d’une part, et en ce qu’elles garantissaient le même matériel d’autre part, n’étaient pas unies par un lien d’interdépendance suffisant à justifier l’extension de l’effet interruptif de prescription de l’une par rapport à l’autre.

4. La Haute Juridiction rejette le moyen en énonçant que la cour d’appel « a retenu à bon droit que l’action engagée contre la Société ALBINGIA, assureur dommages ouvrage, n’avait pas interrompu la prescription de l’action engagée, pour le même ouvrage, contre la même société prise en sa qualité d’assureur Police CNR  », et ce après avoir, et à juste titre, souligné que la cour d’appel « n’était pas tenue de procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée relativement à un lien d’interdépendance unissant ces polices d’assurances ».

La demande aurait-elle été formulée que cela n’aurait pas, à notre avis, eu une incidence quelconque sur la solution retenue par la cour d’appel, tant il est évident, à notre avis, qu’il ne peut y avoir de jure, une quelconque interdépendance entre une assurance de choses qu’est l’assurance dommages ouvrage et une assurance de responsabilité qu’est l’assurance CNR alors même que les deux polices considérées avaient été probablement souscrites par le vendeur en l’état futur d’achèvement en sa qualité de propriétaire de l’ouvrage et pour le compte des propriétaires successifs dudit ouvrage au titre de l’assurance dommages ouvrage et en sa qualité de vendeur d’immeuble à construire et au titre de la responsabilité attachée à cette fonction en ce qui concerne la police CNR.

5. L’arrêt rapporté s’inscrit, comme évoqué ci-dessus, dans la lignée des précédents arrêts savoir :

– un arrêt du 11 mars 2009 (Cass. 3e civ., 11 mars 2009, no 08-10905, Bull. civ. III, no 81, RGDA 2009, p. 511, note J-P. Karila ; RD imm. 2009, p. 371, obs. L. Karila) qui pose le principe selon lequel la reconnaissance de garantie d’un assureur dommages ouvrage (assureur de chose) ne peut valoir reconnaissance de responsabilité d’un constructeur et par conséquent reconnaissance de garantie de l’assureur de celui-ci et alors même qu’il s’agissait du même assureur ;

– un arrêt du 4 juin 2009 (Cass. 3e civ., 4 juin 2009, no 08-12661, RGDA 2009, p. 825, note J.-P. Karila).

Arrêts qui avaient reçu notre entière approbation, comme celui rapporté. Il est donc désormais acquis que la Haute Juridiction n’entend plus être guidée par l’esprit qui l’avait animé à l’occasion d’autres arrêts rendus en 1998, 2002, 2004, 2008 et 2009, admettant notamment que l’interruption puisse être étendue d’une action à une autre, en cas de changement du fondement juridique des actions considérées au motif qu’elles tendent au même but, le lecteur étant invité à se reporter à cet égard à la jurisprudence citée dans le cadre de notre commentaire de l’arrêt précité du 11 mars 2009.

6. Enfin pour être exhaustif on signalera que quelques jours avant de rendre l’arrêt rapporté, la 3e Chambre civile rendait, le 20 octobre 2010 (Cass. 3e civ., 20 octobre 2010, no 07-16727), un arrêt dans le même esprit, en dehors de toute question de prescription s’agissant cette fois de savoir si les prétentions formulées en cause d’appel contre un assureur pris en sa qualité d’assureur suivant police CNR, constituaient ou non des demandes nouvelles alors qu’en première instance, il n’avait été conclu à l’encontre du même assureur qu’au titre d’une police dommages ouvrage, la Haute Juridiction validant à cette occasion un arrêt d’une cour d’appel qui avait estimé que les demandes formulées en appel contre l’assureur CNR constituaient bien des demandes nouvelles.

J.-P. Karila – RGDA n° 2011-01, P. 144


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