Bénéficiaire de l’action en responsabilité civile décennale – TVA – Estimation objective de l’indemnité – Confirmation de trois principes jurisprudentiels – Cass. 3e civ., 8 octobre 2008, n°07-15939 — Karila

Bénéficiaire de l’action en responsabilité civile décennale – TVA – Estimation objective de l’indemnité – Confirmation de trois principes jurisprudentiels – Cass. 3e civ., 8 octobre 2008, n°07-15939

Sur le moyen unique du pourvoi incident :

Attendu que M. Y… fait grief à l’arrêt de le débouter de sa demande tendant à obtenir la garantie des Mutuelles du Mans assurances pour les dépenses dans la limite de l’estimation faite par l’assuré lui-même, alors, selon le moyen :

1° / que les contrats d’assurance souscrits par une personne assujettie à l’obligation d’assurance peuvent comporter des garanties supplémentaires au profit de l’assuré ; qu’en refusant de reconnaître force obligatoire à la police d’assurance par laquelle l’assureur avait, en toute connaissance de cause, accepté de permettre à son assuré de lui réclamer le montant des dépenses dans la limite de sa propre estimation, la cour d’appel a violé les articles 1134 du code civil, L. 242-1 et L. 243-8 du code des assurances ;

2° / qu’il n’y a autorité de chose jugée que lorsque la même question litigieuse oppose les mêmes parties prises en la même qualité et procède de la même cause que la précédente ; qu’en considérant que le jugement rendu le 14 janvier 1998 sur le non respect des délais par l’assureur, ayant ordonné une expertise judiciaire sur le montant des travaux, avait autorité de chose jugée sur la limitation de garantie aux « travaux nécessaires », la cour d’appel a violé l’article 1351 du code civil ;

Mais attendu qu’ayant exactement retenu, abstraction faite d’un motif surabondant, que la loi du 31 décembre 1989 portant réforme d’un statut légal d’ordre public soustrait à la volonté des parties, était immédiatement applicable aux contrats d’assurance dommages-ouvrage antérieurement souscrits, dès la date d’entrée en vigueur, pour les sinistres déclarés après cette date et que l’article L. 242-1 du code des assurances, dans sa rédaction issue de la loi du 31 décembre 1989, devait s’appliquer dès lors que les sinistres avaient été déclarés le 25 février 1994 et le 14 octobre 1994, soit postérieurement à la date d’entrée en vigueur de cette loi, la cour d’appel a légalement justifié sa décision, de ce chef ;

Mais sur le deuxième moyen du pourvoi principal :

Vu l’article 1149 du code civil ;

Attendu que les dommages-intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu’il a faite et du gain dont il a été privé ;

Attendu que pour condamner la société MMA à payer à M. Y… une somme toutes taxes comprises, l’arrêt retient que la société MMA ne démontre pas en quoi la taxe à la valeur ajoutée ne serait pas applicable ;

Qu’en statuant ainsi, alors qu’il appartenait à M. Y…, assujetti à l’impôt sur les bénéfices industriels et commerciaux, de démontrer que ses activités ne bénéficiaient pas de l’exonération de paiement de la taxe à la valeur ajoutée, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

Et, sur le troisième moyen du pourvoi principal :

Vu l’article 1792 du code civil, ensemble l’article L. 121-12 du code des assurances ;

Attendu que pour déclarer la société MMA irrecevable en son appel en garantie à l’ encontre de la société Axa France IARD, assureur de M. X…, constructeur, l’arrêt retient que, seule la société civile immobilière Sévigné, personne morale distincte, qui avait conclu le marché avec M. X…, avait qualité pour agir à son encontre sur le fondement de l’article 1792 du code civil ;

Qu’en statuant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si M. Y… n’ était pas devenu propriétaire de l’ouvrage et pouvait donc bénéficier de la garantie du constructeur, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision de ce chef ;

Par ces motifs : casse et annule[…]

Observations

Voici une décision riche en rappels de principes légaux et jurisprudentiels bien établis que la Cour d’Aix a méconnu savoir :

– sur la qualité de bénéficiaire de l’action en responsabilité civile décennale, il est établi par la loi (1) et la jurisprudence(2) que sont bénéficiaires de l’action en responsabilité civile décennale, certes le maître d’ouvrage propriétaire mais aussi les acquéreurs successifs de l’ouvrage construit ; l’action attachée à la chose vendue se transmettant propter rem ;

– sur le sujet de l’imputation de la taxe sur la valeur ajoutée, il appartenait au maître d’ouvrage, lorsqu’il est « assujetti à l’impôt sur les bénéfices industriels et commerciaux, de démontrer que ses activités ne bénéficiaient pas de l’exonération de paiement de la taxe à la valeur ajoutée » et ce pour le moins depuis des arrêts du 23 juin 2004 (3) et du 6 décembre 2006 (4) de la troisième chambre civile selon laquelle s’il appartient normalement à celui (entreprise, architecte…) qui prétend que la victime récupère la TVA d’établir cette récupération, il peut revenir au maître d’ouvrage de démontrer qu’il n’est pas soumis à cette TVA dans l’hypothèse et seulement dans l’hypothèse où ce maître d’ouvrage est une société commerciale. C’est cette nuance qu’avait semblé abandonner la troisième Chambre civile dans un arrêt du 6 novembre 2007 (5) en énonçant qu’il « appartient au maître de l’ouvrage qui demande le paiement des travaux de réparation des désordres, taxe à la valeur ajoutée incluse, de démontrer que ses activités professionnelles ne sont pas soumises à cette taxe et qu’il ne peut pas récupérer celle payée en amont… ».

– sur l’application immédiate de la loi du 31 décembre 1989. La loi du 31 décembre 1989 portant notamment réforme des conditions de mise en oeuvre de l’assurance dommages-ouvrage s’applique immédiatement aux contrats d’assurance antérieurement souscrits pour les sinistres survenus depuis son entrée en vigueur. Il en résulte que le quantum de l’indemnité destinée à réparer les dommages s’apprécie au regard de l’article L. 242-1 du code des assurances dans sa rédaction issue de cette loi, l’assuré ne pouvant revendiquer sa propre estimation notamment en vertu d’une clause type supprimée par l’arrêté du 1er juillet 1990 (6).

Mots clés :

ASSURANCE * Assurance de responsabilité décennale * Bénéficiaire * Acquéreurs successifs * Indemnité d’assurance * TVA * Imputation * Charge de la preuve * Assurance dommages-ouvrage * Application de la loi dans le temps

(1) Art. 1792 et 1646-1 C. civ.

(2) Déjà en ce sens, Civ. 3e, 28 nov. 1967, Bull. civ. III, n° 348.

(3) Pourvoi n° 03-10.342.

(4) Pourvoi n° 05-17.553.

(5) Civ. 3e, 6 nov. 2007, pourvoi n° 06-17.275, Bull. civ. 2007, III, n° 190.

(6) Déjà en ce sens, v. not., Civ. 3e, 28 oct. 2003, pourvoi n° 01-15.574 ; Civ. 1re, 29 févr. 2000, pourvoi n° 97-19.680, Bull. civ. I, n° 62 ; Civ. 1re, 10 janv. 1995, n° 93-12.127, Bull. civ. 1995 I, n° 22, RGAT 1995. 109, note J.-P. Karila.

Source : Cass. 3e civ., 8 octobre 2008, n° 07-15939

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