Rappel que l’assurance DO est un assurance de chose (Cass. 3e civ., 18 février 2004) — Karila

Rappel que l’assurance DO est un assurance de chose (Cass. 3e civ., 18 février 2004)

Ancien ID : 128

Assurance dommages ouvrage

Jean-Pierre Karila

Assurance de choses. Caractère inopérant de la prétendue reconnaissance de responsabilité fondé sur les articles 1792 et suivants du Code Civil.

L’assurance dommages est une assurance de choses qui garantit le paiement des travaux en dehors de toute recherche de responsabilité.

Cour de Cassation (3ème Ch. Civ.)

18 février 2004

SDCP des immeubles 56 – 64 Cours Briand et 6, Ave Charles de Gaulle 08000 CHARLEVILLE MEZIERES c/ SCI Résidence du Cours Briand et autres.

Pourvoi n° 02-18513, Bull. n° 28

La Cour.

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Reims, 14 janvier 2002), que la société civile immobilière du cours Briand (la SCI) a fait édifier en l’état futur d’achèvement un groupe d’immeubles ; que la réception des travaux est intervenue le 9 juin 1983 ; qu’à la suite d’infiltrations d’eau en terrasse, la SCI a fait une déclaration de sinistre à l’assureur dommages ouvrage, la Société mutuelle du bâtiment et des travaux publics (SMABTP), laquelle au vu du rapport de l’ expert qu’elle avait désigné a versé une indemnité pour les travaux d’étanchéité ; que malgré la réalisation des travaux préconisés, un nouveau sinistre s’est produit dans l’appartement situé au-dessous de la terrasse objet des réparations, sinistre dont la SMABTP a été informée le 22 novembre 1993 ; que le syndicat des copropriétaires de la résidence cours Briand a assigné la SCI et la SMABTP en paiement sur le fondement des articles 1792 à 1792-4, 1831-1 et 2270 du Code civil du coût des travaux de remise en état de la terrasse ;

Sur le moyen unique du pourvoi incident, qui est préalable :

Vu les articles L. 242-1 et l’annexe II de l’article A. 243-1 du Code des assurances ;

Attendu que toute personne physique ou morale qui, agissant en qualité de propriétaire de l’ouvrage, de vendeur ou de mandataire du propriétaire de l’ouvrage, fait réaliser des travaux de bâtiment, doit souscrire avant l’ouverture du chantier, pour son compte ou pour celui des propriétaires successifs, une assurance garantissant, en dehors de toute recherche des responsabilités, le paiement de la totalité des travaux de réparation des dommages de la nature de ceux dont sont responsables les constructeurs au sens de l’article 1792-1, les fabricants et importateurs ou le contrôleur technique sur le fondement de l’article 1792 du Code civil ; que la garantie prend fin à l’expiration d’une période de dix ans à compter de la réception ;

Attendu que pour déclarer pour partie recevable l’action du syndicat des copropriétaires, l’arrêt retient que le second sinistre découle des vices de construction dénoncés par le syndicat avant l’expiration du délai de garantie décennale, que la SMABTP ne saurait se prévaloir d’une sous-estimation des désordres par son expert, que l’indemnisation du sinistre à la date du 26 avril 1989 vaut reconnaissance sans équivoque de la responsabilité fondée sur les articles 1792 et suivants du Code civil, qu’un nouveau délai commence à courir à compter de cette reconnaissance de responsabilité et qu’il y a donc lieu de considérer que c’est à la date du 26 avril 1999 que la police a cessé ses effets ;

Qu’en statuant ainsi, alors que l’assurance dommages ouvrage obligatoire est une assurance de choses qui garantit le paiement des travaux en dehors de toute recherche des responsabilités, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le pourvoi principal :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il a déclaré recevable pour partie l’action du syndicat des copropriétaires (…)

Note. 1. L’arrêt rapporté, qui sera publié au bulletin, casse une décision de la Cour de REIMS, laquelle – statuant à propos de l’application d’un contrat d’assurance dommages ouvrage – avait raisonné en termes de responsabilité décennale et d’interruption de celle-ci, pour retenir la garantie de l’assureur, bien postérieurement à la cessation des effets du contrat ; on sait que la durée de l’assurance dommage ouvrage est de dix ans à compter de la réception des travaux, comme l’énonce la clause type. La Loi est en effet elle-même muette sur la question et ne vise que le point de départ de la garantie soit l’expiration de la garantie de parfait achèvement (un an après la réception) tout en prévoyant deux exceptions à cette règle, l’une concernant la période avant la réception de l’ouvrage, l’autre pendant le délai de la garantie de parfait achèvement (article L 242-1 alinéa 8 du Code des Assurances).

2. Dans les circonstances de l’espèce, l’opération de construction concernée avait fait l’objet d’une réception le 9 juin 1983, un sinistre s’étant produit pendant le délai de la garantie décennale (expirant le 9 juin 1993) coïncidant de facto avec celui de l’assurance, et avait fait l’objet d’une indemnisation de l’assureur le 26 avril 1989 ; de nouveaux désordres s’étant par la suite produits, à une époque que la lecture de l’arrêt rapporté comme des moyens y annexés ne permet pas de déterminer, étant souligné qu’il en résulte néanmoins de façon certaine que l’action relative à l’indemnisation de ce second sinistre n’avait été introduite qu’en janvier 1997 soit près de 4 ans après tant l’expiration de la garantie décennale que de la cessation de la garantie de l’assureur dommages ouvrage.

Or, pour déclarer en partie recevable l’action du bénéficiaire de l’assurance dommages ouvrage, la Cour d’appel avait considéré que le règlement opéré le 26 avril 1999 par l’assureur « valait » reconnaissance de responsabilité sans équivoque de « la responsabilité fondée sur les articles 1792 et suivants du Code Civil » et en avait tiré alors, sauf que la prémisse était erronée, la conséquence logique que c’était seulement à la date du 26 avril 1999, dix ans donc après l’interruption de la garantie décennale, que le contrat d’assurance avait « cessé ses effets ».

3. La cassation était inévitable et est totalement justifiée, la Cour d’appel de REIMS ayant confondu l’objet de la garantie décennale consistant en la réparation / indemnisation de désordres d’une certaine gravité survenus postérieurement à la réception de l’ouvrage avec celui de l’assurance dommages ouvrage, assurance de choses, qui garantit tant avant qu’après la réception, dans des conditions qu’il n’est pas opportun de rappeler dans le détail ici, le paiement des travaux de réparation des dommages d’une gravité identique, abstraction faite du régime juridique de leur réparation / indemnisation par les responsables et les assureurs de responsabilité.

De sorte que la Cour Suprême a pertinemment cassé l’arrêt de la Cour de REIMS à laquelle elle a reproché d’avoir statué par référence à une reconnaissance sans équivoque de responsabilité « alors que l’assurance dommages ouvrage obligatoire est une assurance de chose qui garantit le paiement des travaux, en dehors de toute recherche des responsabilités » violant ainsi les articles L 242-1 et l’annexe II de l’article A 243-1 du Code des Assurances.

On rappellera ici que c’est pour bien marquer la différence d’objet et de domaine de la garantie décennale (et partant de l’assurance obligatoire de ladite garantie lorsqu’elle est susceptible d’application, c’est-à-dire lorsque les travaux concernés sont des travaux de bâtiment) avec celui de l’assurance dommages ouvrage que le législateur, s’agissant de l’objet de ladite assurance, se réfère aux caractéristiques physiques des dommages et non au régime juridique de leur réparation / indemnisation, par l’utilisation de la formule selon laquelle l’assurance garantit « en dehors de toute recherche de responsabilité » le paiement de la totalité de la réparation des dommages « de la nature de ceux dont sont responsables les constructeurs… », et non pas des dommages « dont sont responsables les constructeurs … », le législateur ayant voulu mettre fin aux errements antérieurs relatifs à la mise en œuvre de l’ancienne police maître d’ouvrage qui était présentée comme une assurance de chose mais fonctionnait comme une assurance de responsabilité (article L 242-1 alinéa 1er du Code des Assurances), l’assureur n’acceptant d’indemniser le bénéficiaire de l’assurance qu’après établissement des responsabilités encourues par les différents constructeurs.

4. L’arrêt rapporté ne peut en conséquence qu’être approuvé.

Il convient néanmoins de le rapprocher d’un arrêt rendu par cette même chambre le 23 octobre 2002 (Cass. 3ème civ. 23 octobre 2002, bull. civ. III n°207, D., 2003, somm. p. 1326, obs. C. Atias, Gaz. Pal., somm, note M. Peisse) dans des circonstances totalement différentes, la garantie de l’assureur dommages ouvrage ayant été retenue en raison de l’engagement de l’assureur dommages ouvrage concerné de payer la réparation des désordres, engagement constituant une reconnaissance de sa dette d’assurance, interruptive de la forclusion décennale.

Jean-Pierre Karila – RGDA 2004-2 p. 432

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