Recours entre coobligés. Appel en garantie. Devoir de conseil entre entrepreneurs (Cass. Civ. 3, 31 janvier 2007) — Karila

Recours entre coobligés. Appel en garantie. Devoir de conseil entre entrepreneurs (Cass. Civ. 3, 31 janvier 2007)

Ancien ID : 454

Recours entre coobligés. Appel en garantie. Devoir de conseil. Entrepreneurs entre eux. Condition. Travail interdépendant.

Les entrepreneurs sont tenus entre eux d’un devoir de conseil toutes les fois que le travail de l’un dépend du travail de l’autre.

Jean-Pierre Karila

1. Alors qu’il est désormais acquis que l’obligation de conseil est une source d’extension quasi-infinie des obligations contractuelles, le droit de la construction, qu’il s’agisse de la responsabilité ou encore de l’assurance, en fournissant des exemples multiples, le présent arrêt étend encore la portée du devoir de conseil, au-delà des limites contractuelles.

2. L’arrêt rapporté casse un arrêt de la Cour de Montpellier qui avait fait l’objet de deux pourvois dont l’un principal, objet de notre commentaire, émanait d’un fournisseur de sabots en fonte d’aluminium sur lesquels reposaient des garde-corps, et qui avaient présenté un certain nombre de désordres.

La Cour de Montpellier statuant tant relativement aux rapports entre coobligés et à la question des recours à l’encontre des autres intervenants, avait retenu notamment la responsabilité du fournisseur demandeur au pourvoi, celle du fabricant des sabots considérés, et d’autres intervenants/locateurs d’ouvrage, mais avait rejeté toutes les demandes qui avaient été formées à l’encontre du peintre qui avait procédé au laquage des sabots précités « sur la recommandation du fournisseur et pour le compte du fabricant », et ce au motif que ledit peintre n’avait aucune obligation de conseil à l’égard du fournisseur et du fabricant, la mise en oeuvre de la laque n’étant pas mis en cause nonobstant le fait que la protection procurée par ladite laque n’avait pas eu l’efficacité requise.

3. Il était formulé un certain nombre de griefs à l’encontre de l’arrêt de la Cour de Montpellier, mais la Haute juridiction ne répondra qu’à l’un d’eux, celui selon lequel ladite Cour avait violé l’article 1382 du Code civil en décidant, par un motif adopté, que le peintre n’était tenu à aucune obligation de conseil « alors que l’applicateur d’un produit est tenu, en tant que professionnel, à un devoir de conseil ».

4. Avant d’aborder la réponse apportée par la troisième chambre à cette question, il convient de faire quelques brefs rappels sur des solutions en rapport avec cette question.

4.1. Il est acquis, dans le cadre des recours entre coobligés en vue de la détermination de la charge définitive de la dette – que l’action soit engagée sur le fondement de la responsabilité contractuelle (dès lors que les coobligés sont contractuellement liés) ou qu’elle le soit sur le fondement de la responsabilité délictuelle en l’absence de lien contractuel (dans les autres cas) -, que la part définitive de la dette est déterminée à l’aune de la faute respective des coobligés.

C’est ainsi, à propos d’un recours délictuel, que la Cour de cassation a énoncé, dans un arrêt de principe du 14 septembre 20051, que les « constructeurs ne sont tenus entre eux que chacun pour sa part, déterminée à proportion du degré de gravité des fautes respectives ».

4.2. Parmi la multitude des fautes qui peuvent conduire à la détermination de ce partage définitif de la dette, il est également acquis qu’il peut être tenu compte notamment d’un manquement d’un coobligé à une obligation contractuelle de conseil.

C’est ainsi, pour s’en tenir à des situations proches de la présente espèce, que les fabricants et/ou les fournisseurs de matériaux de construction se voient régulièrement opposer, dans le cadre du partage de la charge définitive de la dette avec leur cocontractant, un manquement à leur devoir de conseil, la jurisprudence ayant à ce titre estimé que le fabricant et/ou son fournisseur devait se renseigner sur la destination des matériaux2, avertir l’acquéreur, même professionnel, des spécificités du produit vendu3 ou encore fournir des préconisations techniques de mise en oeuvre4.

4.3. Il est encore acquis que, dans le cadre des actions en responsabilité intentées par le maître de l’ouvrage à l’égard des intervenants à l’acte de construire, les entrepreneurs ne peuvent invoquer, pour tenter de s’exonérer de leur responsabilité :

– ni du fait de leur partenaire contractuel : à ce titre notamment, l’entrepreneur principal ne peut invoquer les manquements de son sous-traitant5, solution consacrée par la loi du 31 décembre 19756 ; de même que l’entrepreneur ne peut invoquer les manquements de ses fournisseurs et/ou fabricants7 ;

– ni encore du fait d’un autre intervenant à l’acte de construire, la jurisprudence de la Cour de cassation estimant qu’un tel fait ne constitue une cause d’exonération ni en ce qui concerne les responsabilités légales des constructeurs8 ni, quoique la question soit notablement moins discutée, en ce qui concerne la responsabilité contractuelle de droit commun9.

5. La Cour de cassation admet la pertinence de la branche du moyen unique du pourvoi principal relatif à la prétendue violation de l’article 1382 du Code civil et cassera en définitive l’arrêt de la Cour de Montpellier au visa du texte précité pour n’avoir « pas donné de base légale à sa décision de ce chef ».

Elle énonce à cette occasion un principe qui, nous allons le voir, dépasse largement les limites trop étroites et peut-être inadaptées du présent litige.

La Haute juridiction retient ainsi que « le devoir de conseil peut s’étendre aux entrepreneurs entre eux, dès lors que le travail de l’un dépend du travail de l’autre ».

6. Ce principe synthétique – qui soulignons-le se réfère à la notion d’entrepreneur au sens large puisqu’en à la circonstance les parties en cause étaient un fournisseur et un fabricant d’une part et un peintre, c’est-à-dire un locateur d’ouvrage/constructeur d’autre part-est relativement riche.

Il admet en premier lieu que le devoir de conseil « s’étend » au-delà de la seule sphère contractuelle puisqu’aussi bien rien ne permet de penser, la rédaction de l’arrêt d’appel comme celle de l’arrêt de cassation n’étant pas sur les circonstances factuelles d’une limpidité flagrante, qu’il ait existé des rapports contractuels entre le fournisseur ou encore le fabricant des sabots précités et le peintre qui avait procédé au laquage desdits sabots (v. infra, no 8).

C’est pour avoir énoncé la solution inverse que l’arrêt de la Cour de Montpellier est cassé pour violation de la loi pour défaut de base légale, probablement, fausse interprétation de la loi (en ce qui concerne la portée de l’obligation / du devoir de conseil).

Ce devoir de conseil n’est cependant pas absolu. La Cour de cassation prend en effet la précaution d’affirmer qu’il « peut s’étendre » – et non pas doit s’étendre – et énonce le critère permettant de savoir si un tel devoir s’imposait. La Haute juridiction retient ainsi que le devoir de conseil n’est dû par un entrepreneur à l’égard d’un autre entrepreneur avec lequel il n’est pas contractuellement lié que si « le travail de l’un dépend du travail de l’autre ».

Il appartiendra aux juges du fond, en la circonstance à la Cour de Montpellier autrement composée devant laquelle l’affaire est renvoyée, de s’interroger sur la portée de ce critère.

Doit-on l’entendre comme une dépendance physique (intervention sur tout ou partie des prestations matérielles réalisées par un autre entrepreneur) ou encore comme une dépendance intellectuelle ? Le débat est ouvert. On peut penser que la notion de dépendance est ici conçue abstraitement. Serait alors dépendant un travail dont la bonne l’exécution dépend d’informations qui sont détenues par un autre entrepreneur.

7. L’admission d’une obligation d’information à l’égard d’un tiers n’est pas strictement nouvelle en matière de construction. La Cour de cassation a déjà admis par le passé que le sous-traitant était tenu, à l’égard du maître de l’ouvrage, d’une obligation d’information / d’un devoir de critique10.

L’admission était cependant justifiée par le lien évident qui existe entre le sous-traitant et le maître de l’ouvrage, ce dernier étant le destinataire final de l’ouvrage réalisé par le sous-traitant.

8. L’extension du devoir de conseil à destination d’autres « entrepreneurs » est-elle légitime ou, ce qui est une autre façon de poser la même question, l’arrêt doit-il être approuvé ? Cette question se dédouble en fait en deux sous-questions :

– le principe ainsi consacré, l’extension du devoir de conseil au-delà de la sphère contractuelle, doit-il être approuvé

– l’énonciation de ce principe à l’occasion de cette espèce était-elle opportune

8.1 La réponse à la première question dépend de l’approche que l’on fait du principe précité.

Si l’on se cantonne à une analyse juridique, on doit s’interroger sur l’extension à l’infini du devoir de conseil.

Cette obligation qui est déjà, le plus souvent, découverte, sur le fondement de l’article 1135 du Code civil11, comme étant la suite de ce qui est expressément exprimé par le contrat, s’étend encore au-delà du contrat.

Il y a là une contradiction manifeste avec l’esprit même de la notion de contrat et particulièrement la notion de responsabilité contractuelle, notions qui reposent sur la prévisibilité des obligations et dommages qu’elles peuvent engendrer.

Si l’on retient en revanche une approche pratique de l’acte de construire, on doit reconnaître qu’il parait légitime que, dès lors qu’un travail dépend d’un autre, l’entrepreneur qui dispose d’informations qui seront utiles voire nécessaires à la bonne réalisation des travaux d’un autre entrepreneur, soit tenu de les lui communiquer.

En définitive, cet arrêt qui retient l’existence d’un devoir d’information extracontractuel consacre la théorie des groupes de contrats, l’interdépendance des obligations contractuelles conduisant la Cour de cassation à faire une entorse à la notion d’effet relatif des conventions, entorse dont l’étendue doit être limitée par l’application du critère de dépendance des travaux les uns avec les autres.

8.2 Si l’on peut critiquer ou approuver, selon le point de vue, l’opportunité du principe consacré par la Cour de cassation, on ne peut que regretter qu’elle ait profité de cette espèce pour le consacrer.

Il semble en effet, qu’en l’espèce, les matériaux avaient été vendus par un fabricant, par l’intermédiaire de son fournisseur, à un entrepreneur qui les avait mis en oeuvre.

Le fabricant et le fournisseur reprochaient ici à un autre entrepreneur, qui avait finalement appliqué une laque sur les matériaux, un manquement à son devoir de conseil.

Si l’on conçoit que l’acheteur des matériaux soit tenu de renseigner le fabricant et / ou son fournisseur sur la spécificité de la destination envisagée du produit12 et partant que le manquement à cette obligation puisse être sanctionné, on comprend mal ce que l’applicateur d’une laque aurait dû, en l’espèce, fournir au fabricant comme information.

L’inapplicabilité du devoir de conseil à l’hypothèse de l’arrêt semble probable.

On peut d’ailleurs se demander si le principe même énoncé par la Cour de cassation a vocation à s’appliquer à l’hypothèse d’un recours d’un fabricant et/ou du fournisseur contre un entrepreneur avec lequel il n’est pas lié dès lors que le principe énonce que le devoir de conseil peut s’étendre « aux entrepreneurs entre eux » et, qu’à s’en tenir à une stricte rigueur juridique, on ne peut conférer à un fabricant et/ou à son fournisseur la qualité d’entrepreneur qui présuppose l’existence d’un contrat d’entreprise et non pas un contrat de vente.

9. Selon nous, la Cour de cassation a en quelque sorte saisi l’occasion de la motivation de la Cour de Montpellier et la rédaction de la deuxième branche du pourvoi du fabricant pour énoncer un principe qui n’a pas particulièrement vocation à s’appliquer au cas d’espèce, censurant l’arrêt d’appel pour une pure violation de la loi abstraitement considérée.

10. Il appartiendra aux juges du fond de veiller à ce que ce devoir de conseil entre entrepreneurs ne conduise pas, au stade du partage définitif de la dette, à éluder les fautes respectives commises par les différents intervenants.

C’est donc le critère de dépendance des travaux qui sera en principe le juge de paix pour apprécier l’opportunité de cette obligation étendue de conseil. L’admission trop laxiste d’un lien de dépendance conduira à consacrer une obligation infinie de conseil des entrepreneurs entre-eux.

J.-P. Karila

1. Cass. 3e civ., 14 sept. 2005 : no 04-10241 ; Bull. civ. 2005, III, no 164, RGDA 2005.973, note M. Périer.

2. Nettement en ce sens, Cass. 3e civ., 9 févr. 2000 : no 98-16017 : « le fournisseur de matériel, qui doit s’informer des besoins de l’acheteur, est tenu à l’égard de son client d’une obligation de conseil concernant l’adaptation de ce matériel à l’usage auquel il est destiné » – illustration : CA Paris, 23e A, 15 janv. 2003 : Jurisdata no 2003-200380 à propos de la destination de parpaings – V. égal. Cass. 3e civ., 20 oct. 1993 : no 92-10782 imputant à l’architecte la pose d’un matériau inadapté à l’endroit alors que la notice fabricant précisait l’inadaptation du produit au lieu d’implantation.

3. Cass. 3e civ., 18 févr. 2004 : no 02-17523 ; Bull. civ. 2004, III, no 32 ; Defrénois 2005, p. 64, chron. H. Périnet-Marquet.

4. Pour la sanction de l’insuffisance de ces préconisations : Cass. 3e civ., 8 oct. 1991 : no 90-16387.

5. Cass. 3e civ., 12 déc. 1968 : Bull. civ. 1968, III, no 545 – Cass. 3e civ., 5 janv. 1978 : Bull. civ. 1978, III, no 9 : « l’entrepreneur principal est contractuellement responsable à l’égard du maître de l’ouvrage des conséquences de la faute commise par le sous-traitant dans l’exécution des travaux » – Cass. 3e civ., 13 mars 1991 : Bull. civ. 1991, III, no 91.

6. Art. 1er : « la sous-traitance est l’opération par laquelle un entrepreneur confie par un sous-traité, et sous sa responsabilité… »

7. Cass. 3e civ., 31 mai 1978 : Bull. civ. 1978, III, no 227 – Cass. 3e civ., 30 nov. 1983 : Bull. civ. 1983, III, no 253 – Cass. 3e civ., 7 mars 1990 : Bull. civ. 1990, III, no 69 – Cass. 3e civ., 17 mars 1993 : no 91-12113 – Cass. 3e civ., 13 juin 1990 : no 88-19568 – Cass. 3e civ., 1er déc. 1999 : no 98-11293 – CA Paris, 19e A, 23 févr. 2005 : Jurisdata no 2005-264675.

8. Cass. 3e civ., 14 déc. 1983 : Bull. civ. 1983, III, no 261 ; Cass. 3e civ., 19 nov. 1997 : no 95-15811 ; Cass. 3e civ., 13 juill. 1994 : no 92-13586 ; Cass. 3e civ., 25 janv. 1989 : no 87-14379 ; Bull. civ. 1989, III, no 18 ; Cass. 3e civ., 16 avr. 1986 : Bull. civ. 1986, III, no 42 ;

9. Cass. 3e civ., 22 févr. 1989 : no 87-17198.

10. Cass. 3e civ., 13 mai 1983, no 84-16481 ; Cass. 3e civ., 22 mai 1996, RD imm. 1996, p. 574 ; Cass. 3e civ., 19 nov. 1997, inédit, no 95-13656.

11. « Les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l’équité, l’usage ou la loi donnent à l’obligation d’après sa nature. »

12. Nettement en ce sens, Cass. com., 6 nov. 1990 : no 88-16228 – égal. CA Paris, 19e A, 20 juin 2001 : Jurisdata no 2001-149000.

RGDA 2007, p. 426

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