Renonciation à la prescription biennale (Civ. 3, 6 juin 2007) — Karila

Renonciation à la prescription biennale (Civ. 3, 6 juin 2007)

Ancien ID : 461

Renonciation à la prescription acquise. Condition. Appréciation.

La renonciation à se prévaloir de la prescription biennale acquise suppose la manifestation non équivoque de renoncer à la prescription. Tel n’est pas le cas de la seule participation à une mesure d’instruction dès lors que l’assureur a opposé la forclusion dès le début de la procédure devant la juridiction du fond.

Jean-Pierre Karila

1. La brièveté du délai de prescription édicté par l’article L. 114-1 du Code des assurances, en vertu duquel « Toutes actions dérivant d’un contrat d’assurance sont prescrites par deux ans à compter de l’événement qui y donne naissance », conduit les plaideurs, lorsque le délai est prescrit, à prétendre que l’assureur y a renoncé tacitement en raison de certains de ses actes positifs ou en raison de faits ou événements impliquant une telle renonciation ou encore qui auraient la même signification.

2. Dans ce contexte, il est classique de prétendre que la participation sans réserves de l’assureur aux opérations d’expertise prescrites par ordonnance de référé manifeste sa renonciation à se prévaloir de la prescription acquise.

Classique mais vain, pour le moins depuis plusieurs années, de sorte que l’on ne peut qu’être étonné par la solution retenue par la Cour d’Aix-en-Provence aux termes d’un arrêt du 17 mars 2005, que l’arrêt rapporté casse en toutes ses dispositions.

La Cour de cassation avait en effet déjà, par un arrêt de principe du 17 janvier 1996 (Cass. 3e civ., 17 janvier 1996, no 93-19407 et no 93-19679, Bull. civ. 1996, III, no 15), rendu au visa de l’article 2221 du Code civil (qui énonce que « la renonciation de la prescription est expresse ou tacite ; la renonciation tacite résulte d’un fait qui supposait l’abandon du droit acquis ») cassé un arrêt de la Cour de Paris qui, pour constater la renonciation tacite d’un maître d’ouvrage, d’un architecte et d’une entreprise à se prévaloir de l’expiration de la garantie décennale, et retenu que ces parties, malgré l’exception de forclusion soulevée par un autre entrepreneur devant l’expert, avaient gardé le silence sur l’expiration du délai d’action et continuaient à participer activement aux opérations d’expertise, la cassation prononcée l’ayant été au considérant ci-après rapporté :

« Qu’en statuant ainsi, alors que le fait de participer à une mesure d’instruction ordonnée en référé n’implique pas, à lui seul, la volonté de renoncer à une forclusion, invoquée ensuite dès le début de la procédure devant les juges du fond ».

La formule a été reprise par la suite à l’occasion notamment d’un arrêt la première chambre du 23 mars 2004 (Cass. 1re civ., 23 mars 2004, no 01-11783), de deux arrêts de la troisième chambre civile des 12 mai 2004 (Cass. 3e civ., 12 mai 2004, no 02-18591) et 20 décembre 2006 (Cass. 3e civ., 20 décembre 2006, no 05-20829) énonçant le même principe mais à propos d’une espèce où la prescription était acquise au jour de la participation aux opérations d’expertise. Elle l’a encore été dans l’arrêt rapporté.

3. Les circonstances de l’espèce étaient classiques : à la suite de désordres affectant postérieurement à leur réception sans réserve de trois piscines, une procédure de référé-expertise était diligentée, donnant lieu à une ordonnance de référé du 5 juin 1995 tandis que le juge du fond n’était saisi que plus de deux ans après la date de ladite ordonnance de référé soit le 20 février 1997.

L’Association Syndicale Libre bénéficiaire de l’assurance dommages ouvrage avait fait plaider, argument retenu par la Cour d’Aix-en-Provence, que l’assureur avait, en participant aux opérations d’expertise sans formuler d’observations ou de réserves sur le principe de sa garantie, renoncé à se prévaloir de la prescription biennale.

4. La cassation était inévitable et a été prononcée pour violation de l’article L. 114-1 du Code des assurances, le demandeur au pourvoi ayant invoqué le fait que la renonciation tacite de l’assureur au bénéfice de la forclusion résultant de la prescription biennale de l’action de l’assuré ne pouvait résulter que d’actes postérieurs à son acquisition manifestant sans équivoque la volonté de l’assureur d’y renoncer, la participation sans réserve aux opérations d’expertise ordonnée en référé ne manifestant pas la volonté de renoncer au bénéfice de la forclusions qui n’a été acquise qu’ultérieurement.

On observera que la cassation opérée ne relève pas qu’en la circonstance, la participation aux opérations d’expertise était intervenue au cours du délai de la prescription biennale de l’article L. 114-1, laquelle n’avait été acquise qu’en raison du fait que l’Association Syndicale Libre, assurant la gestion des trois piscines précitées, n’avait en fait introduit sa procédure au fond (ou encore plus précisément sa procédure de référé-provision semble-t-il) que plus de deux après l’ordonnance de référé ayant prescrit les opérations d’expertise auxquelles l’assureur avait participé sans réserves.

On relèvera enfin que la Haute Juridiction n’a pas estimé utile de statuer en conséquence notamment sur le second moyen du pourvoi principal (la Cour avait été saisie également d’un pourvoi incident) qui prétendait à la violation de l’article L. 242-1 du Code des assurances, la Cour d’Aix-en-Provence étant en effet entrée en voie de condamnation à l’encontre de l’assureur par application des sanctions édictées par l’article L. 242-1, alinéa 5 du Code précité, relativement notamment à l’une des piscines dont l’assureur prétendait qu’elle n’était pas garantie par l’assurance dommages-ouvrage.

Il est inutile de rappeler à cet égard que les sanctions édictées par le texte précité n’interdisent pas à l’assureur de contester le fond de sa garantie lorsque la mise en oeuvre de celle-ci est requise à propos d’une construction qu’il n’assure pas.

On rappellera à cet égard que par arrêt rendu par la première Chambre le 18 décembre 2002 (Cass. 1re civ., 18 décembre 2002, no 99-16551, Bull. civ., I, no 311, RGDA 2003.315, note J.-P. Karila), la Haute Juridiction a énoncé que « l’engagement de l’assureur dommages ouvrage ne peut porter que sur les désordres affectant la construction garantie » et partant que « si, à l’expiration du délai de soixante jours, l’assureur est tenu à garantie sans pouvoir discuter les dépenses nécessaires à la réparation des désordres déclarés, encore faut-il que ceux-ci affectent la construction faisant l’objet du contrat » de sorte « qu’en s’abstenant de rechercher, comme il lui était demandé, si les dommages faisant l’objet de la déclaration de sinistre pour lesquels les garanties de l’assureur étaient requises revêt bien de la construction assurée, la Cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision ».

J.-P. Karila

RGDA 2007, p. 827

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