L’assureur Dommages Ouvrage doit communiquer à l’assuré le rapport préliminaire préalablement à la notification de sa décision sur le principe de la garantie (Civ. 3e, 18 décembre 2007) — Karila

L’assureur Dommages Ouvrage doit communiquer à l’assuré le rapport préliminaire préalablement à la notification de sa décision sur le principe de la garantie (Civ. 3e, 18 décembre 2007)

Ancien ID : 588

Assurance construction – Assurance dommages ouvrage – Règlement du sinistre. Rapport préliminaire de l’expert. Communication dans le délai de 60 jours. Notification en même temps par l’assureur de sa position sur le principe de sa garantie. Sanctions (oui). Légalité des clauses type : appréciation du juge judiciaire. Compétences (non). Appréciation de la légalité. Interprétation. Distinction. 

S’il appartient à la seule juridiction administrative de constater la légalité d’un acte administratif, le juge judiciaire chargé de l’appliquer est compétent pour en déterminer le sens, de sorte que la Cour d’Appel, qui a constaté que l’assureur avait, par une même lettre, adressé à son assuré le rapport préliminaire et notifié son refus de garantie d’une part, et retenu qu’il résulte de la combinaison des articles L. 242-1 et A. 243-1 du Code des assurances et de l’annexe II à cet article, que l’assureur Dommages Ouvrage doit communiquer à l’assureur le rapport préliminaire préalablement à la notification de sa décision quant au principe de la mise en jeu des garanties du contrat d’autre part, a retenu à bon droit que l’assureur devait sa garantie en application de ces textes.

1. L’arrêt rapporté, dont la brièveté de la motivation peut étonner et irriter, s’inscrit dans une volonté non démentie de la haute juridiction de confirmer, nonobstant les critiques justifiées qui lui ont été faites tant à raison de son inopportunité économique, qu’à raison de son caractère fondamentalement erroné en droit, la solution de principe qu’elle avait posée dans un arrêt du 18 février 2004 (Cass. 3e civ., 18 février 2004, no 02-17976, Bull. civ. 2004, III, no 29 ; J.-P. Karila ), Lamy assurances, Bulletin d’actualité H, no 106, mai 2004, p. 1 et s., et Tribune de l’Assurance no 80, juin 2004, Cahier de jurisprudence, no 143, p. 1 et s.) en énonçant « qu’il résulte des articles L. 242-1 et A. 243-1 du Code des assurances et de l’Annexe II à ce dernier article que l’assureur ne peut valablement notifier à son assuré dans le délai qui lui est imparti sa décision sur le principe de sa garantie sans avoir préalablement communiqué à son assuré le rapport préliminaire en sa possession établi par l’expert », solution conduisant à ce que l’assureur soit – à titre de sanction non prévue par la Loi ce qui prive de justification le visa de celle-ci dans l’arrêt précité – tenu à la garantie de dommages qui ne relèveraient pas nécessairement des stipulations du contrat d’assurance.

2. Dans les circonstances de l’espèce, l’assureur avait, comme dans l’arrêt précité du 18 février 2004, notifié, dans le cadre d’une lettre unique à son assuré, le rapport préliminaire de l’assuré et la position qu’il prenait sur le principe de sa garantie au vu dudit rapport préliminaire.

3. Dans une décision parfaitement et excellemment motivée, le Juge des référés du Tribunal de Grande Instance de Grasse (TGI Grasse, Ord., 5 janvier 2005, RG no 04/1958) déboutait l’assuré qui sollicitait du Tribunal que soit constaté que les garanties de l’assureur Dommages Ouvrage lui étaient acquises de plein droit à titre de sanction pour non respect des dispositions des textes précités.

Pour ne pas faire droit à une telle demande et « résister » en quelque sorte à la décision de principe de la Haute juridiction, le Président du Tribunal de Grande Instance de Grasse, après avoir circonscrit parfaitement la question qu’il avait à trancher en énonçant que le « problème que le Juge des référés a donc à résoudre est de savoir si le fait pour l’assureur de communiquer par un même courrier le rapport préliminaire et de notifier sa décision quant au principe de la mise en jeu des garanties du contrat doit être sanctionné par la garantie de plein droit de l’assureur Dommages Ouvrage » :

– a dit que, s’il ressortait des dispositions des articles L. 241-1 et A. 243-1 du Code des Assurances et de l’Annexe II à ce dernier texte la nécessité d’une communication préalable du rapport à l’assuré, néanmoins seule l’absence de communication dudit rapport préliminaire dans le délai de 60 jours était sanctionnée et sanctionnable, énonçant à cet égard, après le rappel et la reproduction de la clause type, précisément le petit c du 2o du B de l’Annexe II de l’article A.243-1 du Code des Assurances, que « c’est donc en l’absence de communication du rapport préliminaire dans le délai de 60 jours qui est sanctionné » d’une part, et que « la lecture de ces mêmes textes ne permet pas de conclure que la concomitance de la communication de la prise de position et du rapport d’expertise puisse être assimilée de facto à une non communication dans le délai de 60 jours » d’autre part ;

– a dit aussi et surtout :

« que si au surplus il est prévu que ce rapport préliminaire doit être communiqué préalablement à la prise de position de l’assureur, la loi n’a pas assorti la communication préalable à l’assuré du rapport préliminaire d’un délai précis ;

« de plus, la Loi n’a pas assorti la communication préalable à l’assuré du rapport préliminaire d’une sanction expresse ;

« que les textes ne permettent donc pas d’étendre la sanction de garantie de plein droit due à une autre hypothèse que celle expressément envisagée par la Loi ;

« qu’en l’espèce, il est établi que l’assureur dommages ouvrage a communiqué le rapport préliminaire à l’assuré ;

qu’en conséquence, il convient de conclure que le seul fait d’avoir communiqué ce rapport avec la notification de la décision ne justifie pas d’appliquer la sanction de garantie de plein droit due par l’assureur dommages ouvrage prévue aux articles L. 242-1 et A. 243-1 du Code des Assurances et l’Annexe II ».

4. La Cour d’Aix-en-Provence, dans un arrêt pour le moins laconique, pour ne pas dire lacunaire eu égard au défaut de réponse aux conclusions motivées qui lui avaient été soumises par l’assureur aux fins de confirmation de l’ordonnance de référé entreprise :

– s’était contentée de reproduire la formulation de l’arrêt du 18 février 2004 en « l’améliorant » en quelque sorte, puisqu’elle substituait à la formule selon laquelle l’assureur « ne peut valablement notifier… sans avoir préalablement communiqué… », celle plus affirmative selon laquelle « l’assureur doit communiquer à l’assuré… préalablement à la notification de sa décision… » ;

– et en avait tiré la conséquence que l’assureur ne pouvait plus contester sa garantie, qu’elle déclarait dans son arrêt « acquise de plein droit » à l’assuré.

5. Schématiquement, le pourvoi reprochait à la Cour d’Aix-en-Provence, dans le cadre d’un moyen unique de cassation dont le résumé annexé à l’arrêt est reproduit ci-avant, d’avoir violé l’article 34 de la Constitution au motif que les Clauses types (sur la base desquelles le principe prétorien ci-avant évoqué avait été élaboré) ne pouvaient ajouter à la loi en sanctionnant l’assureur dommages ouvrage alors que l’article L. 242-1 du Code des assurances ne prévoyait pas expressément une telle sanction (déjà en ce sens, J.-P. Karila , article préc., II, 2).

6. La Haute juridiction, se retranchait derrière la motivation de la Cour d’Aix-en-Provence, c’est-à-dire de sa propre motivation « améliorée » du 18 février 2004, sans prendre le soin, pour rejeter le pourvoi dont elle était saisie, de s’expliquer sur le fond des critiques de sa solution et en particulier bien évidemment sur celles exposées dans le cadre du moyen, a rejeté le pourvoi.

On ne peut que le regretter, mais il reste que le rejet du pourvoi au regard de l’essentiel du motif de celui-ci, c’est-à-dire indirectement la violation de l’article 34 de la Constitution, est, semble-t-il, juridiquement et techniquement justifié « dès lors qu’il appartient à la juridiction administrative, seule, de contrôler la légalité d’un acte administratif, mais que les tribunaux judiciaires chargés de l’appliquer sont compétents pour en déterminer le sens ».

On rappellera à cet égard que, depuis un arrêt ancien et de principe dit Septfonds, le Tribunal des Conflits distingue l’interprétation des actes administratifs du contrôle de leur légalité. Si le contrôle de légalité relève des seules juridictions administratives conformément au principe posé par l’article 13 de la loi du 16-24 août 1790 (« Les fonctions judiciaires sont distinctes et demeureront toujours séparées des fonctions administratives. Les juges ne pourront, à peine de forfaiture, troubler, de quelque manière que ce soit, les opérations des corps administratifs, ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions »), les juridictions judiciaires, saisies d’un litige nécessitant l’interprétation d’un tel acte sont « compétente]s pour en fixer le sens, s’il se présente une difficulté d’interprétation au cours d’un litige dont ils sont compétemment saisis » (TC, 16 juin 1923, Septfonds, Rec., p. 498).

La solution est depuis lors constante devant le Tribunal des conflits (nt. TC, 2 juillet 1979, Commissariat à l’énergie atomique, Rec. p. 568 ; TC, 21 janvier 1985, Préfet des pays de Loire, Rec. p. 478 ; TC, 12 octobre 1992, Synd. CGT d’EDF, Rec. p. 490).

La Cour de cassation a adopté cette distinction comme en atteste le présent arrêt qui s’inscrit dans la lignée :

– d’un arrêt de la deuxième chambre du 10 février 1993 (Cass. 2e civil., 10 février 1993, no 92-50009, Bull. civil 1993, II, no 54) qui a retenu que « le juge judiciaire (…) ne peut, sans excéder ses pouvoirs, apprécier la légalité d’un acte administratif qui ne saurait constituer une voie de fait, qu’il soit de nature réglementaire ou individuelle » ;

– d’un arrêt de la chambre sociale du 28 novembre 1995 (Cass. soc., 28 novembre 1995, no 94-60567, Bull. civil 1995, V, no 320) qui a affirmé quant à lui, au visa de l’article 13 de la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, que « la légalité d’un acte administratif échappe à la compétence des tribunaux judiciaires » de sorte « que, lorsque sa validité est sérieusement contestée, ils doivent surseoir à statuer jusqu’à décision des juridictions administratives sur la question préjudicielle ainsi soulevée ».

En revanche, elle s’estime compétente pour interpréter un texte de nature réglementaire (par ex : Cass. 1re civ., 26 novembre 1974, no 73-13219).

7. Au-delà de l’argument juridique ayant conduit la Cour de cassation, sur la base du principe de séparation des pouvoirs, à rejeter l’argumentation, pertinente sur le fond du droit, du pourvoi, l’auteur de la présente note reste convaincu que l’interprétation faite par la Cour de cassation par combinaison des articles L. 242-1 et de l’Annexe II à l’article A. 243-1 du Code des assurances viole manifestement les dispositions légales aujourd’hui en vigueur savoir :

– l’alinéa 3 de l’article L. 242-1 du Code des assurances en vertu duquel « l’assureur a un délai maximal de soixante jours, courant à compter de la réception de la déclaration du sinistre, pour notifier à l’assuré sa décision quant au principe de la mise en jeu des garanties prévues au contrat » ;

– et l’alinéa 5 dudit article qui prévoit que « lorsque l’assureur ne respecte pas l’un des délais prévus aux deux alinéas ci-dessus ou propose une offre d’indemnité manifestement insuffisante, l’assuré peut, après l’avoir notifié à l’assureur, engager les dépenses nécessaires à la réparation des dommages. L’indemnité versée par l’assureur est alors majorée de plein droit d’un intérêt égal au double du taux de l’intérêt légal » ;

et ce par refus d’application, préférence étant donnée à une clause type à la faveur de l’interprétation douteuse de celle-ci quant à l’existence d’une sanction quelconque au cas de notification concomitante et du rapport préliminaire dans le délai de 60 jours, et de la position prise par l’assureur sur le principe de l’application des garanties prévues dans le contrat d’assurance.

8. La solution est au surplus étonnante dès lors que la troisième chambre civile n’hésite pas à rappeler le caractère limitatif des sanctions édictées par la loi (« L’article L. 242-1 du code des assurances fixe limitativement les sanctions applicables aux manquements de l’assureur dommages ouvrage à ses obligations ») comme elle l’a fait récemment à l’occasion de deux arrêts remarqués également rendus en 2007 (savoir le 7 mars 2007, no 05-20485, Bull. civ. 2007, III, no 32 et le 22 mai 2007, no 06-13821, inédit, tous deux objet d’un commentaire de l’auteur de la présente note in RGDA 2007.632) et qu’il ressort des termes mêmes du rapporteur – à propos de la première affaire -, propos rapportés dans le BICC du 1er juillet 2007, que la solution était justifiée par la recherche d’un certain équilibre entre les intérêts des maîtres de l’ouvrage et des assureurs dommages ouvrage (« pour pouvoir prétendre au paiement d’indemnités, les assurés doivent avoir en face d’eux des assureurs solvables. La limitation de la pénalité au double du taux d’intérêt, en dépit de son caractère automatique et généralement plus favorable que la situation de droit commun, rend plus facilement déterminable la prévision des dépenses. Elle est scientifiquement préférable en matière de gestion à l’imprévisibilité totale et peut avoir un effet bénéfique sur le montant de la prime exigée de l’assuré. On peut donc penser que l’article L. 242-1 du Code des assurances a trouvé lui-même, tant en matière d’expertise qu’en matière de sanctions, un équilibre assez juste entre les intérêts des assurés et ceux des assureurs et qu’il ne convient pas qu’il soit troublé par l’application de normes extérieures »).

Si ces deux ensembles de solutions ci-dessus évoquées peuvent juridiquement se concilier, en revanche, les motifs qui président à chacune d’elles s’opposent manifestement.

Source : Cass. 3ème civ., sect., 18 décembre 2007, n° 07-12419

J.-P. Karila – RGDA 2008 – 1 – p. 113

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