Contrat d’assurance – Contenu et/ou garantie. Preuve. Il appartient à l’assureur dont l’obligation était recherchée non par le seul assuré,mais par un tiers au contrat, de produire la police dont il admettait l’existence (Cass. 3e civ., 8 juin 2010) — Karila

Contrat d’assurance – Contenu et/ou garantie. Preuve. Il appartient à l’assureur dont l’obligation était recherchée non par le seul assuré,mais par un tiers au contrat, de produire la police dont il admettait l’existence (Cass. 3e civ., 8 juin 2010)

Ancien ID : 835

Cour de cassation (3e Ch. civ.) 8 juin 2010 Pourvoi no 09-13482

M. X… c/ M. Y… et CEA assurances

La Cour,

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Saint-Denis, 21 novembre 2008) qu’à la suite de travaux de terrassement réalisés par M. X… sur un terrain voisin du sien, M. Y… l’a fait assigner en réparation des désordres occasionnés à son fonds, que M. X… a appelé en garantie l’entrepreneur ayant réalisé les travaux et son assureur la société CEA assurances et réassurances ;

Sur les premier et deuxième moyens :

Sans intérêt.

Mais sur le troisième moyen :

Vu l’article 1315 du Code civil ;

Attendu que pour rejeter les demandes formées à l’encontre de la société CEA assurances et réassurances, l’arrêt retient que cet assureur réitère qu’il n’est qu’assureur en responsabilité civile décennale professionnelle du constructeur et que M. X… ne fait pas la démonstration contraire d’une assurance de l’entrepreneur en responsabilité civile ordinaire ;

Qu’en statuant ainsi, alors qu’il appartenait à l’assureur, dont l’obligation était recherchée non par le seul assuré mais par des tiers au contrat, de produire la police dont il admettait l’existence, la cour d’appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé le texte susvisé ;

Par ces motifs ;

Casse et annule…

Note

1. L’arrêt rapporté rappelle une règle, déjà ancienne, selon laquelle il appartient à celui qui invoque l’existence d’un contrat d’assurance d’en rapporter la preuve, tandis que le contenu de celui-ci doit être établi par celui qui conteste la garantie stipulée dans ledit contrat d’assurance.

2. En bref, il appartient au tiers lésé, qui exerce une action directe à l’encontre d’un assureur de responsabilité de rapporter la preuve que ledit assureur a bien délivré au responsable considéré un contrat d’assurance, tandis que l’assureur qui conteste l’application des garanties dudit contrat et ou encore excipe d’une clause d’exclusion, doit alors en administrer la preuve.

3. Les rôles respectifs sont ainsi bien répartis, la règle de répartition ci-dessus évoquée ne faisant pas l’objet de critique en doctrine et étant illustrée par de nombreux arrêts (Cas. 1re civ., 2 juillet 1991, no 88-18486, Bull. civ. I, no 217, RGAT 1992, p. 161, note R. Bout ; Cass. 1re civ., 29 avril 1997, no 95-10564, RGDA 1997, p. 841, note J. Kullmann ; Cass. 3e civ., 29 mai 2002, RGDA 2002, p. 949, note L. Mayaux ; Cass. 2e civ., 8 janvier 2009, no 07-18908, RGDA 2009, p. 231, note J. Kullmann).

4. La seule question que l’on peut se poser avec J. Kullmann (voir sa note sous l’arrêt précité du 8 janvier 2009) étant celle de savoir si, une fois la police produite aux débats par l’assureur, quelles seraient les raisons qui conduiraient à ce que le tiers lésé soit dispensé de rapporter la preuve que les conditions de la garantie à propos de laquelle il exerce l’action directe sont bien réunies en la circonstance ; le tiers lésé est en effet alors dans une situation identique à celle de l’assuré auquel il incombe, sans discussion possible, de rapporter la preuve de l’applicabilité des garanties souscrites (Cass. 2e civ. 22 janvier 2009, no 07-19532, RCA 2009, comm. no 87 par H. Groutel, RD imm. 2009, p. 307, note D. Noguero, RGDA 2009, p. 93, note A. Astegiano-La Rizza).

5. On voit qu’en définitive la question centrale du débat est celle de la charge de la preuve de l’existence de la police comme de celle de son contenu.

Dans les circonstances de l’espèce, l’assureur dont la garantie était sollicitée à propos d’une atteinte au droit de propriété d’un voisin et de préjudices consécutifs, s’était contenté d’invoquer qu’il n’était qu’assureur de la responsabilité décennale de l’entrepreneur, auteur de cette atteinte et responsable des préjudices ci-dessus invoqués, et qu’à défaut de démontrer qu’il avait délivré par ailleurs une police de « responsabilité civile ordinaire » il ne devait pas garantie.

6. La Cour de Saint-Denis avait entériné l’argumentation ci-avant de l’assureur et en conséquence débouté le tiers lésé de l’action directe que celui-ci avait exercée à l’encontre dudit assureur (dont la garantie était semble t-il également requise par l’assuré lui-même).

7. Il était reproché par le tiers lésé à la Cour de Saint-Denis :

– d’avoir renversé la charge de la preuve et violé ainsi l’article 1315 du Code civil à raison de ce qu’il incombe à « l’assureur qui invoque une exclusion de garantie de démontrer la réunion des conditions de fait de cette exclusion » (1re branche du moyen) ;

– d’avoir violé ici encore l’article 1315 du Code civil « ensemble le principe de l’égalité des armes »… pour avoir décidé qu’il n’avait pas fait la démonstration du contenu du contrat d’assurance (2e branche du moyen).

8. La cassation était inévitable alors même qu’elle ne devait pas revêtir très exactement la forme qui était proposée à la Haute Juridiction.

Celle-ci appliquant le droit positif en la matière résultant des arrêts précités (supra no 3 et supra no 4) énonce en effet seulement qu’il appartient à l’assureur qui avait admis l’existence de la police de la produire au soutien de sa prétention d’absence de garantie, la Cour de Saint-Denis n’ayant en conséquence pas inversé la charge de la preuve.

9. On ne saurait que trop conseiller aux assureurs et à leurs conseils d’être moins confiants dans ce qui peut leur sembler évident, c’est-à-dire l’inapplicabilité d’un contrat de responsabilité décennale pour des dommages et préjudices relevant d’un régime de responsabilité de droit commun, et de produire en conséquence la police considérée puisqu’il s’agit de prouver que la garantie stipulée dans ledit contrat d’assurance était insusceptible d’application.

J.-P. Karila – RGDA n° 2011-01, P. 61

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