L’interruption de la prescription de l’action en responsabilité dirigée contre l’assuré est sans effet sur l’action directe dirigée contre l’assureur (Cass. 3e civ., 17 février 2005) — Karila

L’interruption de la prescription de l’action en responsabilité dirigée contre l’assuré est sans effet sur l’action directe dirigée contre l’assureur (Cass. 3e civ., 17 février 2005)

Ancien ID : 75

Assurance de responsabilité – Action directe – Acte interruptif de prescription de la responsabilité de l’assuré – Effet sur la prescription de l’action directe (non).

Ne justifie pas légalement sa décision, au regard des articles L 114-1 et L 124-3 du Code des Assurances, ensemble l’article 2244 du Code Civil, la Cour d’appel qui, pour déclarer recevable l’action directe du subrogé dans les droits de la victime à l’encontre de l’assureur de responsabilité décennale, énonce que l’interruption de la prescription de l’action dirigée contre l’assuré est opposable à l’assureur de responsabilité de celui-ci, alors que l’interruption de la prescription ne peut avoir d’effet qu’à l’encontre de la personne que l’on veut empêcher de prescrire.

Cour de Cassation (2ème Ch. Civ.)n° 03-16590, 17 février 2005

Ste AM PRUDENCE & autres c/ Cie d’Ass. Assurances Générales de France (AGF) & autres.

La Cour,

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que la Société immobilière de Guyane (Siguy) a fait construire un groupe d’immeubles réparti en dix bâtiments pour la première tranche et sept bâtiments pour la seconde tranche ; que la société Siguy a souscrit une assurance dommages ouvrage auprès de la compagnie Allianz ; qu’elle a notamment confié la maîtrise d’oeuvre à MM. C… D… Z… et A…, architectes assurés auprès de la MAF, et au Bet Copitel assuré auprès du GFA et les lots descentes eaux pluviales et charpente à M. B…, assuré auprès du GFA ; qu’après réceptions, échelonnées du 20 octobre 1986 au 24 octobre 1988, la société Siguy, invoquant des désordres de nature décennale, a assigné, entre autres constructeurs, M. B… en désignation d’un expert, intervenue par ordonnance de référé du 1er avril 1994 ; qu’après avoir versé, au vu du rapport de l’expert, une certaine somme à la société Siguy, la compagnie Allianz, subrogée dans les droits de cette dernière a assigné devant le tribunal de grande instance notamment en remboursement des sommes versées à la société Siguy les 26 et 29 septembre 1997 les architectes et leur assureur, M. B… et le GFA ; que, le 28 avril 1998, elle a réassigné M. B… et le GFA Caraïbes, s’étant dit l’assureur de ce dernier ; que la compagnie AM Prudence, venant aux droits du GFA, et le GFA Caraïbes, ont soutenu que l’action de la compagnie AGF-IART, venant aux droits de la compagnie Allianz, était irrecevable et de surcroît prescrite ;

Sur les premiers moyens du pourvoi principal et du pourvoi provoqué réunis, qui sont identiques :

Sans intérêt.

Mais sur le deuxième moyen du pourvoi principal et le troisième moyen du pourvoi provoqué réunis, qui sont identiques :

Vu les articles L. 114-1 et L. 124-3 du Code des assurances, ensemble l’article 2244 du Code civil ;

Attendu que l’action de la victime contre l’assureur de responsabilité, qui trouve son fondement dans le droit de la victime à réparation de son préjudice, se prescrit par le même délai que son action contre le responsable et ne peut être exercée contre l’assureur, au delà de ce délai, que tant que celui-ci reste exposé au recours de son assuré ; que l’interruption de la prescription de l’action en responsabilité dirigée contre l’assuré est sans effet sur l’action directe dirigée contre l’assureur ;

Attendu que pour rejeter la fin de non-recevoir invoquée par les assureurs du fait qu’ils n’étaient plus exposés au recours de leur assuré M. B… lorsque la compagnie AGF subrogée au maître d’ouvrage avait exercé son recours subrogatoire les 26 et 29 septembre 1997 contre la société AM Prudence et a fortiori le 20 avril 1998 contre le GFA Caraïbes, l’arrêt énonce que l’ordonnance de référé du 1er avril 1994 a fait courir à compter de sa date un nouveau délai décennal non encore expiré ; que l’assignation de septembre 1997 également interruptive de prescription, a abouti d’abord à un jugement de sursis à statuer du 5 décembre 1997 qui a fait courir un nouveau délai décennal à l’encontre des constructeurs ; que M. B… a été assigné par la compagnie Allianz le 14 décembre 1998, acte également interruptif de prescription ; que la compagnie Allianz a assigné le GFA Caraïbes par acte administratif le 20 avril 1998 également interruptif de prescription ; qu’en cause d’appel, dans le dernier état de la procédure, la compagnie AGF-IART aux droits de la compagnie Allianz a exercé son recours subrogatoire contre M. B… et contre les deux assureurs AM Prudence et GFA Caraïbes par signification de conclusions elles-mêmes interruptives de prescription ; qu’il s’ensuit que l’assuré, M. B…, a été régulièrement assigné d’abord par le maître d’ouvrage puis par l’assureur dommages ouvrage subrogé par le paiement de l’indemnité d’assurance par des actes interruptifs de la prescription décennale de sorte qu’aucune prescription n’a été acquise au profit de ce même assuré, que l’interruption de la prescription de l’action dirigée contre l’assuré est opposable à l’assureur de responsabilité de celui-ci ; que l’assureur ayant ainsi été régulièrement assigné avant prescription de l’action du tiers lésé dans les droits duquel la compagnie AGF-IART est subrogée ne peut opposer à celle-ci la fin de non-recevoir tirée de la prescription ;

Qu’en se déterminant par de tels motifs, sans rechercher si à compter de la réception de chacun des bâtiments faisant courir le délai décennal de l’action contre l’assuré responsable des dommages, l’action directe du subrogé dans les droits de la victime contre l’assureur du responsable qui n’avait pas été interrompue par les actes interruptifs de prescription de l’action dirigée contre l’assuré, n’était pas prescrite à la date des assignations des 26 et 29 septembre 1997 et 20 avril 1998, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard des textes susvisés ; (…)

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le troisième moyen du pourvoi principal :

CASSE ET ANNULE

Note. 1. L’arrêt rapporté est à l’évidence un arrêt de principe, en ce qu’il tranche pour la première fois, semble-t-il, la question de l’incidence d’un acte interruptif de l’action en responsabilité sur la durée de l’action directe du tiers lésé (ou de son subrogé) à l’encontre de l’assureur de responsabilité.

Mais ce n’est pas le seul intérêt de l’arrêt rapporté, dont on peut retirer à notre avis trois enseignements comme il sera exposé ci-après.

2. Dans la circonstance de l’espèce, une Société Immobilière avait fait procéder à la réalisation d’un groupe de dix-sept immeubles suivant deux tranches successives de dix puis sept immeubles.

Après réceptions des immeubles dont s’agit, échelonnées du 20 octobre 1986 au 24 octobre 1988, la Société Immobilière qui avait constaté l’apparition de désordres, assigne en référé expertise en février 1994 les constructeurs responsables de plein droit, notamment l’entrepreneur du lot charpente, s’abstenant néanmoins de citer en Justice les assureurs de responsabilité décennale desdits constructeurs, dont celui de l’entrepreneur précité.

Une ordonnance de référé en date du 1er avril 1994 désigne un Expert qui déposera un rapport, sur la base duquel l’assureur dommages ouvrage réglera une indemnité au maître d’ouvrage, destinée à la réparation des désordres de nature décennale affectant les immeubles dont s’agit.

C’est dans ces conditions que l’assureur dommages ouvrage, subrogé dans les droits de la Société Immobilière assigne devant le Juge du Fond :

– les 26 et 29 septembre 1997, les constructeurs et leurs assureurs de responsabilité décennale, dont notamment l’Entrepreneur de charpente précité et l’assureur supposé de celui-ci,

– puis à nouveau ledit entrepreneur et le véritable assureur de celui-ci les 28 avril et 14 décembre 1998.

L’assureur de responsabilité décennale d’entrepreneur excipait alors de l’irrecevabilité et de la prescription de l’action de l’assureur dommages ouvrage, subrogé dans les droits du tiers lésé (la Société Immobilière), pour des motifs que la lecture de l’arrêt rapporté, comme des moyens y annexés, ne permettent pas de déterminer de façon claire, quoi qu’il semble qu’il ait été excipé à la fois de l’expiration du délai d’action de la garantie décennale à laquelle était tenu l’assuré et dont peut se prévaloir l’assureur de celui-ci d’une part, et de la prescription du délai biennal de l’article L 114-1 du Code des Assurances d’autre part, au prétexte que l’assureur n’était plus exposé, lorsqu’il avait été attrait devant le Juge du Fond en 1997 et 1998 par le subrogé du tiers lésé, au recours de son assuré, lequel avait été mis en cause en référé dès 1994.

Pour rejeter la fin de non recevoir, la Cour de Paris avait jugé que l’ordonnance de référé précitée du 1er avril 1994, comme les assignations au fond de 1997 et 1998 étaient des actes interruptifs de la prescription décennale, de sorte qu’aucune prescription n’avait été acquise au profit dudit assuré, que l’interruption de la prescription de l’action dirigée contre ce dernier était opposable à l’assureur de responsabilité de celui-ci, qui, ayant été régulièrement assigné avant prescription de l’action du tiers lésé, dans les droits duquel l’assureur dommages ouvrage était subrogé, ne pouvait opposer à celui-ci une fin de non recevoir tirée de la prescription.

3. La Cour Suprême va censurer cette décision sous le triple visa :

– de l’article L 114-1 du Code des assurances relatif à la prescription biennale des actions dérivant du contrat d’assurance,

– de l’article L 123-4 du Code des assurances sur le fondement duquel la jurisprudence admet l’existence d’une action directe de la victime contre l’assureur,

– et enfin de l’article 2244 du Code civil relatif aux causes d’interruption des délais de prescription.

Trois principes peuvent être dégagés de l’arrêt rapporté :

– le premier, déjà ancien que l’arrêt ne fait que rappeler, est celui en vertu duquel si l’action directe de la victime contre l’assureur de responsabilité se prescrit en principe dans le même délai que l’action de la victime contre le responsable, elle peut être exercée, au-delà de ce délai tant que l’assureur reste exposé au recours de son assuré ;

– le second, nouveau quant à lui, constitue l’intérêt majeur de l’arrêt rapporté en ce qu’il énonce que l’interruption de la prescription de l’action en responsabilité dirigée contre l’assuré est sans effet sur l’action dirigée contre l’assureur ;

– le troisième, sans être véritablement nouveau n’est affirmé que de façon incidente, et concerne la question du point de départ de la garantie décennale en cas de réalisation de plusieurs immeubles édifiés dans le cadre d’un marché unique.

Aussi, dans un but didactique, nous rappellerons et préciserons ci-après ces principes constituant les enseignements de l’arrêt rapporté.

Premier principe (rappel) : Si l’action directe de la victime contre l’assureur de responsabilité se prescrit en principe dans le même délai que l’action de la victime contre le responsable, elle peut cependant être exercée, au-delà de ce délai, tant que l’assureur reste exposé au recours de son assuré.

4. Depuis un arrêt de principe du 11 mars 1986 (Civ. 1ère, 11 mars 1986, Bull. n° 59, RGAT 1986, p. 354, note J. Bigot, D., 1987, somm. p. 183, note H. Groutel), la jurisprudence de la Cour de cassation, interprétant l’article L 124-3 du Code des assurances, admet que

« si l’action de la victime d’un accident contre l’assureur de responsabilité, instituée par ce texte [L. 124-3 C. ass.], trouve son fondement dans le droit de la victime à réparation de son préjudice et se prescrit en principe par le même délai que l’action de la victime contre le responsable, elle peut cependant être exercée contre l’assureur tant que celui-ci est encore exposé au recours de son assuré ».

Cet arrêt de principe jugeait ainsi recevable l’action intentée contre l’assureur de responsabilité décennale, postérieurement à l’expiration du délai d’action au titre de ladite responsabilité dès lors que l’assuré avait été mis en cause dans ledit délai et qu’il s’était écoulé moins de deux ans depuis la mise en cause de celui-ci, l’assureur étant en conséquence toujours exposé au recours de son assuré.

Toute la question était donc de savoir jusqu’à quand l’assureur était exposé au recours de son assuré : pendant le délai trentenaire de droit commun ou seulement le délai biennal de l’article L 114-1 du Code des Assurances

Un arrêt de la Cour Suprême du 13 février 1996 (Cass. Civ. 1ère, 13 février 1996, Bull. civ I n° 76, RGAT 1996, p. 380, note A. d’Hauteville) répond à cette question en cassant un arrêt d’une Cour d’Appel qui avait considéré que le recours de l’assuré à l’encontre de l’assureur était soumis à la prescription de droit commun ; ce faisant, la Cour Suprême ajoute que le délai biennal doit être computé à compter du jour où le tiers lésé a assigné l’assuré, peu important que l’application dudit délai de deux ans puisse conduire à la possibilité d’un recours au-delà de la prescription de la garantie décennale, à laquelle était tenu l’assuré.

En sorte qu’il était ainsi consacré une certaine autonomie entre le délai d’action du tiers lésé à l’égard de l’assuré dont il met en ?uvre la responsabilité, par rapport à celui de l’exercice de l’action directe à l’encontre de l’assureur, action directe dont la durée virtuelle peut aller jusqu’à 12 ans depuis la réception de l’ouvrage.

De cette jurisprudence constante (encore, Cass. Civ. 1ère, 24 février 2004, inédit, n°01-14491), deux solutions doivent donc être distinguées :

– soit le maître de l’ouvrage assigne l’entrepreneur entre la réception de l’ouvrage et la huitième année de la garantie : l’assureur assigné à l’intérieur du délai de dix ans à compter de la réception doit garantir les désordres et ne saurait exciper de l’éventuelle expiration du délai biennal de l’article L 114-1 du Code des Assurances contre le maître de l’ouvrage (Cass. Civ. 1ère, 29 octobre 2002, inédit, n° 99-19742, RDI 2003, p. 29, note P. Dessuet) ;

– soit le maître de l’ouvrage assigne l’entrepreneur assuré entre la 8ème année de garantie et le dernier jour de la garantie : l’action directe est recevable si elle est intentée dans le délai de deux ans posé par l’article L 114-1 du Code des Assurances à compter de l’assignation de l’assuré (encore, Cass. Civ. 3ème, 26 novembre 2003, Bull. Civ III n° 208) mais non postérieurement à l’expiration de ce délai (Cass. Civ. 1ère, 18 février 1997, inédit, n° 95-10586 ; Cass. Civ 1ère, 23 mars 1999, inédit, n° 97-15296).

Second principe (apport) : l’interruption de la prescription de l’action en responsabilité dirigée contre l’assuré est sans effet sur l’action directe dirigée contre l’assureur.

5. Il est acquis que le subrogé dans les droits de la victime dispose « des mêmes actions bénéficiant à celle-ci, de sorte que son action contre l’assureur du responsable est soumise à la prescription applicable à l’action directe de la victime » (Cass. Civ 1ère, 4 février 2003, Bull. Civ I n° 30, RGAT 2003, p. 344, note L. Mayaux, Rev. trim. dr. civ., 2003, p. 298, chron. J. Mestre et B. Fagès, Rev. trim. dr. civ., 2003, p. 512, chron. P. Jourdain).

Il en découle la question suivante : l’effet interruptif d’un acte de la victime contre l’assuré / responsable, est-il opposable à l’assureur de ce dernier

C’est ce qu’avait estimé la Cour de Paris qui, après avoir relevé qu’aucune prescription n’était acquise à l’encontre de l’assuré, avait jugé que l’interruption de la prescription de l’action contre l’assuré était opposable à l’assureur de responsabilité de celui-ci.

La Cour de cassation censure l’arrêt d’appel en énonçant dans un « chapeau » intérieur constituant un attendu de principe que :

« l’interruption de la prescription de l’action en responsabilité dirigée contre l’assuré est sans effet sur l’action dirigée contre l’assureur ».

L’ordonnance de référé du 1er avril 1994 n’avait donc pas eu pour effet d’interrompre le délai décennal à l’égard des assureurs décennaux. Il appartenait donc au juge d’appel de vérifier qu’au jour de l’assignation au fond des assureurs décennaux (en 1997 et 1998), le délai décennal n’était pas expiré.

Cette solution fait une lecture rigoureuse mais justifiée de l’article 2244 du Code Civil visé par l’arrêt en vertu duquel si « une citation en justice, même en référé, un commandement ou une saisie » a un effet interruptif, c’est exclusivement à l’encontre de « celui qu’on veut empêcher de prescrire », ceci conformément à une jurisprudence bien établie en la matière (encore Cass. Civ 3ème 23 février 2000, Bull. civ. III n°39, RGDA 2000 p.545 note J.-P. Karila à propos d’une assignation en référé).

Troisième principe : en cas de réalisation de plusieurs immeubles dans un même projet, la réception est appréciée immeuble par immeuble.

6. Solution incidente de l’arrêt rapporté, mais non dénuée d’intérêt bien au contraire, la deuxième chambre civile tranche également la question de savoir si les réceptions partielles sont ou non possibles et/ou encore, et alors qu’un groupe d’immeubles a été réalisé en vertu d’un unique marché, s’il peut être procédé à autant de réceptions que d’immeubles distincts et dans cette hypothèse, à partir de quelle date devait être computé le délai d’action au titre de la garantie décennale.

La Cour retient ici que les juges du fond devaient rechercher si la prescription était acquise au regard de la réception de « chacun des bâtiments ». Il en découle que dans l’hypothèse d’une multiplicité de bâtiments réalisés dans le cadre d’un marché unique, la réception s’entend immeuble par immeuble.

La solution est logique. Elle fait primer le concept matériel d’ouvrage sur le concept contractuel qui aurait pu englober l’ensemble des ouvrages réalisés dans le cadre du marché unique de travaux ce qui aurait eu pour effet, à raison du principe d’unicité de la réception, de repousser d’autant la date de la réception de l’ensemble.

RGDA 2005-2 p.433

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