RCD et travaux neufs sur existants (Cass. civ. 3ème., 5 juillet 2006, n° 05-16277) — Karila

RCD et travaux neufs sur existants (Cass. civ. 3ème., 5 juillet 2006, n° 05-16277)

Ancien ID : 167

Assurance de responsabilité décennale

Travaux sur existant. Désordres affectant les existants à raison de travaux neufs. Mise en  œuvre de la police d’assurance de responsabilité décennale. Conditions.

Le contrat d’assurance de responsabilité obligatoire ne garantit que le paiement des travaux de réparation de l’ouvrage à la réalisation duquel l’assuré a contribué et des ouvrages existants qui lui sont indissociables.

Viole en conséquence les articles L. 241-1 et A. 243-1 du Code des Assurances l’arrêt de la Cour d’appel qui, pour condamner l’assureur de responsabilité de l’entrepreneur qui a procédé à l’installation d’une cheminée de type insert, à garantir ledit entrepreneur de toutes les conséquences de cette mauvaise installation y compris sur la partie de l’ouvrage sur laquelle l’entrepreneur n’était pas intervenu, énonce qu’il n’y a pas lieu de distinguer selon la nature des préjudices.

Cour de cassation (3e Ch. civ.)

5 juillet 2006

Pourvoi n° 05-16277

Groupama c/ Merel et a.

La Cour,

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Nîmes, 15 mars 2005) qu’assuré auprès de la Société Axa France, M. Merel, maître d’ouvrage, a fait procéder à l’installation d’une cheminée de type « insert » par M. Sotton, assuré pour sa responsabilité professionnelle auprès de la Société MAAF et pour sa responsabilité décennale de constructeur auprès de la Société Groupama Sud ; qu’ultérieurement, un incendie s’est déclaré dans la maison, trouvant sa cause, selon l’expert judiciaire désigné, dans la mauvaise réalisation de l’insert ; que M. Merel et la Société Axa France ont assigné M. Sotton et ses deux assureurs en réparation de leur préjudice ;

Vu les articles L. 241-1 et A. 243-1 du code des assurances ;

Attendu que pour condamner la société Groupama Sud à garantir M. Sotton de toutes les conséquences dommageables de ses manquements, l’arrêt retient que cet assureur garantit la responsabilité décennale de M. Sotton et qu’il n’y a pas lieu de distinguer, pour ce type de garantie, selon la nature des préjudices ;

Qu’en statuant ainsi alors que le contrat d’assurance de responsabilité obligatoire ne garantit que le paiement des travaux de réparation de l’ouvrage à la réalisation duquel l’assuré a contribué et des ouvrages existants qui lui sont indissociables, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

Par ces motifs : Casse et annule (…)

Note. 1. La question de la soumission des dommages / désordres en suite de l’exécution de travaux neufs à un régime de réparation / indemnisation relevant de la responsabilité décennale et par conséquent de l’assurance obligatoire de ladite responsabilité est au centre de l’actualité juridique puisque après avoir fait l’objet d’une réforme par Ordonnance du 8 juin 2005, réforme qui sera succinctement rappelée ci-après, la Cour de cassation vient, par arrêt du 5 juillet 2006, arrêt destiné à la double publication au rapport et au bulletin, de modifier la solution de droit positif initiée par un arrêt Chirinian du 29 février 2000, permettant une heureuse unification anticipée du régime juridique applicable aux assurances obligatoires pour les désordres causés par les travaux neufs aux existants avant et après l’entrée en vigueur de la réforme précitée.

Aussi, et avant d’apprécier la portée de l’arrêt rapporté, il nous semble opportun de retracer les grandes lignes des solutions dégagées par la jurisprudence tant en matière de mise en jeu de la responsabilité décennale des constructeurs pour les désordres causés par des travaux neufs aux existants qu’en matière de couverture d’assurance de ces désordres par les assurances obligatoires de construction d’une part et par le « législateur  » qui a inséré par Ordonnance du 8 juin 2005 un nouvel article L. 243-1-1, II dans le Code des assurances encadrant à l’avenir la mise en  œuvre des polices d’assurance obligatoire de construction dans cette hypothèse d’autre part.

1°) Position de la jurisprudence relativement à la mobilisation de la garantie décennale et de la couverture d’assurance de ladite garantie décennale jusqu’à l’arrêt rapporté.

2. Les constructeurs et assimilés qui réalisent ou font réaliser des travaux sur existants, peuvent voir leur responsabilité décennale engagée, à raison des désordres affectant les existants, postérieurement à la réception des travaux neufs, dans les hypothèses ci-après :

– lorsqu’il existe un lien technique / physique entre les différents travaux (neufs et existants) d’une part, et que les désordres n’ont pas pour origine exclusive l’état desdits existants d’autre part ;

– lorsque l’importance de la rénovation commande nécessairement une vérification de l’état des existants avant la réalisation travaux neufs.

La première hypothèse est illustrée par un arrêt de principe du 30 mars 1994, arrêt dit Sogebor (Cass. 3ème civ. 30 mars 1994, n°92-11.996, Sogebor / Abeille Paix : Bull. civ. 1994 III n°70).

La Cour Suprême, pour valider en effet un arrêt de la Cour d’appel de Paris, qui en raison de dommages affectant les existants, en la circonstance des fissurations des murs d’une part, et le pourrissement des poutres et planchers d’autre part, était entrée en condamnation à l’encontre d’un vendeur d’immeuble à construire sur le fondement de la responsabilité décennale de celui-ci, ainsi que de l’assureur de responsabilité dudit vendeur d’immeuble à construire au titre de la police CNR – Constructeur Non Réalisateur – garantissant une telle responsabilité, avait énoncé que dès lors que :

– « l’on ne pouvait ni dissocier les existants des travaux neufs, lesquels étaient devenus indivisibles par leur incorporation à l’immeuble » ;

– « ni affirmer que la cause des désordres affectant la partie existante ne résidait pas seulement dans les parties anciennes ».

Cette décision posait donc deux critères cumulatifs l’un portant sur l’indissociabilité de l’existant et des travaux neufs, l’autre portant sur l’origine du sinistre.

L’exigence d’une indissociabilité entre l’existant et les travaux neufs s’entend d’une indissociabilité matérielle, la jurisprudence se référant ainsi à la notion d’incorporation des travaux neufs à l’ouvrage existant, ce qui conduit à reconnaître à l’ensemble constitué par les travaux neufs et les existants, un certain caractère unitaire.

Cette exigence d’incorporation joue un double rôle :

– un rôle sur la qualification des travaux neufs qui relèvent de la construction d’un ouvrage non pas en fonction du critère de l’importance des travaux réalisés mais sur celui de l’immobilisation ;

– un rôle sur le lien de causalité, l’incorporation démontrant le lien causal entre les travaux et le dommage et justifiant ainsi que les travaux, mêmes modestes, puissent conduire à garantir des dommages d’une importance toute autre.

La seconde hypothèse est illustrée par un arrêt du 31 octobre 2001 (Cass. 3ème civ. 31 oct. 2001, n°99-20.046, SA Bureau Véritas c/ SDC Espace Brotteaux : RD imm. 2002, p. 363, note critique G. Leguay) portant sur une opération de réhabilitation d’une certaine envergure qui avait pour but de transformer une gare ferroviaire en immeuble en copropriété – est distincte de la précédente en ce que l’application de la responsabilité décennale n’a été retenue qu’à raison de l’importance de l’opération de rénovation d’une part, et de la nature des engagements contractés en la circonstance par un vendeur d’immeuble à construire d’autre part, peu important que les désordres ayant affecté un existant aient eu pour causes et origines l’état d’un autre existant hors de l’objet ou du champ d’application des travaux de rénovation.

Dans cet arrêt, la Cour Suprême a validé un arrêt de la Cour d’appel de Lyon qui avait retenu l’application de la garantie décennale notamment au préjudice d’un vendeur d’immeuble à construire en vertu de l’article 1641-1 du Code Civil à propos de désordres affectant les combles des appartements considérés par suite d’infiltrations provenant de toitures sur lesquelles aucun travaux n’avait été exécuté.

En marge de ces deux hypothèses, et dans l’intervalle des deux arrêts précités du 30 mars 1994 et 31 octobre 2001, la Cour Suprême avait par ailleurs rendu le 29 février 2000 un arrêt dit Chirinian (Cass. 1ère civ. 29 février 2000, Bull. civ. 2001 n°65 ; RGDA 2000 p. 58, note J.-P. Karila) objet de vives critiques de la doctrine puisqu’aussi bien la garantie de l’assurance de responsabilité décennale avait été retenue alors même que l’on n’était pas en présence d’une indissociabilité ou d’une indivisibilité des travaux neufs par rapport aux travaux existants, l’arrêt Chirinian ayant énoncé que :

« Dès lors que la technique des travaux de bâtiment mise en œuvre par l’entrepreneur a provoqué des dommages de nature décennale dont les conséquences ont affecté aussi bien la partie nouvelle de la construction que la partie ancienne, c’est à bon droit que l’arrêt attaqué a retenu que le contrat d’assurance de responsabilité obligatoire mettait à la charge de l’assureur l’obligation de garantir le paiement de la totalité des travaux de réparation nécessaires à la remise en état de l’ouvrage en son entier ».

2°) La réaction du législateur pour les marchés conclus à compter du 9 juin 2005 : Article L. 243-1-1, II du Code des Assurances.

3. Sans entrer dans les détails, il convient de rappeler que l’Ordonnance du 8 juin 2005 a inséré un article L. 243-1-1 dans le Code des assurances, disposition qui, dans son premier paragraphe, dresse une liste d’ouvrage qui sont, soit de manière absolue, soit de manière relative, exclus du champ de l’assurance obligatoire (sur cette question, commentaire J.-P. Karila in Le Moniteur des travaux publics, 16 septembre 2005, p. 5312) et dont le second paragraphe vient explicitement censurer les solutions précitées des 29 février 2000 et 31 octobre 2001 quant à la mise en  œuvre des assurances obligatoires de construction pour des désordres affectant les existants à raison de travaux de rénovation.

L’article L. 243-1-1, II dispose ainsi que « ces obligations d’assurance ne sont pas applicables aux ouvrages existants avant l’ouverture du chantier, à l’exception de ceux qui, totalement incorporés dans l’ouvrage neuf, en deviennent techniquement indivisibles », rédaction maladroite à plusieurs égards mais qui doit conduire à retenir :

– un principe : l’obligation d’assurance n’est pas applicable aux ouvrages existants avant l’ouverture du chantier ie. que l’assurance décennale n’a pas vocation à garantir les conséquences dommageables des travaux neufs sur les ouvrages existants ;

– et une exception : l’assurance décennale a en revanche vocation à s’appliquer pour les conséquences dommageables affectant les existants à raison de travaux neufs à la double condition :

Première condition : que ces ouvrages existants soient totalement incorporés dans l’ouvrage neuf

Seconde condition : qu’ils en deviennent techniquement indivisibles.

Cette rédaction s’inspire manifestement de la jurisprudence Sogebor précitée à la nuance près que le critère est dans ce texte l’incorporation de l’existant dans les travaux neufs alors que, dans l’arrêt en question, était visée l’incorporation des travaux neufs dans l’existant hypothèse plus courante.

3°) La portée du revirement opéré par l’arrêt rapporté du 5 juillet 2006.

4. L’arrêt rapporté que l’on dénommera probablement l’arrêt Merel objet du présent commentaire donnait une nouvelle fois l’occasion à la Cour de cassation de se prononcer dans l’hypothèse de travaux neufs sur existant (en l’occurrence, la pose d’un insert de cheminée) ayant conduit à des désordres affectant l’existant à raison des travaux neufs (incendie provoqué par l’insert et ayant conduit à la destruction de l’ouvrage), circonstances similaires à celles ayant donné lieu à l’arrêt Chirinian.

Dans la lignée de l’arrêt précité Chirinian, la Cour d’appel de Nîmes avait condamné l’assureur de responsabilité décennale de l’entrepreneur ayant posé l’insert de cheminée à garantir son assuré aux motifs que :

– l’assureur garantit son assuré en cas de mise en cause de sa responsabilité décennale ;

– et qu’il n’y a pas lieu de distinguer pour ce type de garantie selon la nature des préjudices.

Cette décision est censurée pour violation des articles L. 241-1 et A. 243-1 du Code des assurances dès lors « qu’en statuant ainsi alors que le contrat d’assurance de responsabilité obligatoire ne garantit que le paiement des travaux de réparation de l’ouvrage à la réalisation duquel l’assuré a contribué et des ouvrages existants qui lui sont indissociables ».

Il en résulte que la police d’assurance de responsabilité décennale n’a vocation à être mise en  œuvre, dans l’hypothèse de travaux neufs sur existants, pour réparer les désordres affectant l’existant qu’à la double condition :

– que soit établi un lien de causalité entre les désordres et les travaux d’une part ;

– et que les travaux réalisés soient indissociables de l’existant d’autre part.

Le critère d’indissociabilité que les arrêts postérieurs devront éclairer s’inspirera probablement de la définition donnée à ce terme par l’article 1792-2 pour les éléments d’équipement indissociables entendus comme ceux dont la dépose, le démontage ou le remplacement ne peut s’effectuer sans détérioration ou enlèvement de matière de cet ouvrage.

5. Synthèse des solutions.

Le régime de la responsabilité décennale et de la mise en  œuvre de l’assurance de responsabilité décennale des constructeurs dans le cas de désordres causés à l’existant par les travaux neufs repose donc désormais :

– sur une condition commune savoir l’exigence d’un lien de causalité entre les désordres et les travaux neufs, critère d’imputabilité ;

– sur une condition quasi commune savoir le lien matériel entre existant et neuf rendant impossible leur distinction, le critère variant cependant dès lors que l’arrêt Sogebor comme l’article L. 243-1-1, II du Code des assurances retient le critère d’indissociabilité, l’un par incorporation du neuf dans l’existant, l’autre part incorporation de l’existant dans le neuf ; tandis que l’arrêt Merel vise quant à lui le critère d’indissociabilité.

Jean-Pierre Karila

RGDA 2006 – 3 – p. 706


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