L’assignation en référé du maître de l’ouvrage à l’encontre de l’assureur dommages ouvrage n’a pas d’effet interruptif du délai d’action au titre de la garantie décennale contre les constructeurs (Cass. 3e. civ., 23 février 2000) — Karila

L’assignation en référé du maître de l’ouvrage à l’encontre de l’assureur dommages ouvrage n’a pas d’effet interruptif du délai d’action au titre de la garantie décennale contre les constructeurs (Cass. 3e. civ., 23 février 2000)

Ancien ID : 141

Assurance de responsabilité décennale

Interruption du délai d’action au titre de la garantie décennale contre le constructeur par une assignation en référé du maître de l’ouvrage à l’encontre de l’assureur dommages ouvrage (non). Art. 2244 du C. civ. Art. 2270 du C. civ.

Viole les articles 1792 et 2270 du Code civil la Cour d’appel qui pour rejeter la fin de non-recevoir soulevée par le constructeur, et tirée de l’expiration de la garantie décennale, retient que le maître de l’ouvrage avait interrompu ledit délai en assignant l’assureur dommages ouvrage devant le Juge des référés.

Cour de cassation (3e Ch. civ.) 23 février 2000, n° 98-18340

Société Lafranque c/Société Sélectibail et autres


La Cour,

Sur le deuxième moyen du pourvoi principal :

Vu les articles 1792 et 2270 du Code civil :

Attendu que toute personne physique ou morale dont la responsabilité peut être engagée en vertu des articles 1792 à 1792-4 est déchargée des responsabilités et garanties pesant sur elle, en application des articles 1792 à 1792-2, après dix ans à compter de la réception des travaux ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Rouen, 28 mai 1998), qu’en 1982, la société des tennis de Saint-Julien, maître de l’ouvrage, assurée par le Groupement français d’assurances (GFA), et la société Locabanque devenue Sélectibail, auprès de laquelle le maître de l’ouvrage avait souscrit un contrat de crédit-bail, ont chargé la société Lafranque, assurée par le Lloyd continental (Lloyd), de la construction de tennis couverts ; que le contrat de crédit-bail ayant été résilié d’un commun accord le 1er octobre 1984, la société Locabanque a consenti un bail commercial à la société Lafranque ; que des désordres affectant le revêtement des sols des tennis étant apparus, ce bail a été lui-même résilié par jugement du 20 octobre 1986, à la suite duquel les sociétés Locabanque et Lafranque ont conclu un accord ; qu’alléguant des désordres en toiture, la société Locabanque a assigné la société Lafranque en réparation de son préjudice ;

Attendu que, pour rejeter la fin de non-recevoir soulevée par la société Lafranque et tirée de l’expiration du délai de garantie décennale, l’arrêt retient qu’ayant assigné le GFA en sa qualité d’assureur de la garantie dommages-ouvrage devant le juge des référés par acte du 15 mai 1990, la société Locabanque a interrompu le délai de la garantie décennale qui expirait le 23 février 1993 ;

Qu’en statuant ainsi, alors que la citation en justice n’interrompt le délai décennal que si elle est adressée à celui que l’on veut empêcher de prescrire, la Cour d’appel a violé les textes susvisés ;

Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres moyens,

Casse et annule…

NOTE

L’arrêt rapporté est sans surprise : la cassation pour violation des articles 1792 et 2270 du Code civil était inévitable.

En effet, pour rejeter la fin de non-recevoir soulevée par le constructeur de tennis couverts, tirée de l’expiration de la garantie décennale, la Cour d’appel avait retenu que le maître de l’ouvrage avait, en assignant l’assureur dommages ouvrage devant le Juge des référés, interrompu le délai de la garantie décennale, alors que la citation en justice n’interrompt le délai de prescription que si elle est adressée « à celui que l’on veut empêcher de prescrire », comme l’énonce précisément l’article 2244 du Code civil, que la Cour suprême ne vise néanmoins pas, la jurisprudence étant constante en la matière, la référence à l’article 2270 dudit Code étant, semble-t-il, suffisante dès lors qu’il énonce clairement une décharge de responsabilité des constructeurs, notamment 10 ans après la réception des travaux, le délai d’action de la garantie décennale étant un délai d’épreuve comme l’illustre la jurisprudence notamment en déclarant irrecevable l’action du vendeur d’immeuble à construire, lui-même assigné dans le délai de la garantie décennale, mais qui ne forme une action en garantie à l’encontre des constructeurs que postérieurement à l’expiration dudit délai.

On rappellera à cette occasion que l’effet interruptif de toute citation en justice se referme sur son objet et ne peut par conséquence concerner que les seuls désordres expressément visés dans ladite citation d’une part (voir notamment Cass. 3e civ., 21 juillet 1999, RGDA 1999.1028, note J.P. Karila), et les seuls constructeurs attraits en justice, d’autre part.

Sur l’ensemble de la question voir J.-P. Karila, « Les responsabilités des constructeurs », Encyclopédie Delmas pour la Vie des Affaires, chap. J, p. 254 à 263 ; voir également Lamy Assurances 2000, chap. « Assurance de responsabilité décennale » par J.-P. Karila et J. Kullmann n° 2913).

Jean-Pierre Karila 

RGDA 2000-2, p. 545

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