Charge de la preuve du moyen tiré de la prescription décennale (Cass. 3e civ. 26 janvier 2005) — Karila

Charge de la preuve du moyen tiré de la prescription décennale (Cass. 3e civ. 26 janvier 2005)

Ancien ID : 74

Assurance de responsabilité décennale – charge de la preuve – Moyen tiré de la prescription / charge de la preuve

Viole l’article 1315, ensemble les articles 1792 et 2270 du Code Civil, la Cour d’Appel qui pour déclarer irrecevable une demande de condamnation d’un responsable et de son assureur de responsabilité décennale sur le fondement de l’article 1792 du Code Civil retient qu’il appartient au maître de l’ouvrage qui engage une telle action de démontrer qu’il est dans le délai de dix ans pour agir alors qu’il appartenait à l’entrepreneur et à son assureur, qui contestaient la recevabilité de l’action des demandeurs, de rapporter la preuve que celle-ci était engagée après expiration du délai de garantie décennale.

Cour de Cassation (3ème Ch. Civ.) n° 03-17173, 26 janvier 2005

M. Papot et autres c/ Mr. Thibaud et autre.

La Cour.

Sur le moyen unique :

Vu l’article 1315, ensemble les articles 1792 et 2270 du Code civil ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Rennes, 21, mai 2003) que les époux X… ont été victimes d’un incendie dans les combles de leur maison ; qu’ils ont assigné leur assureur multirisques les Mutuelles régionales d’assurances (MRA) et M. Y…, électricien, ainsi que son assureur Groupama Pays de Loire, aux fins d’obtenir la réparation des préjudices subis sur le fondement de l’article 1792 du Code Civil ;

Attendu que pour déclarer irrecevable leur demande, l’arrêt retient qu’il appartient au maître de l’ouvrage qui engage une action sur le fondement de l’article 1792 du Code Civil, de démontrer qu’il est dans le délai de dix ans pour agir ;

Qu’en statuant ainsi alors qu’il appartenait à l’entrepreneur et son assureur qui contestaient la recevabilité de l’action des demandeurs de rapporter la preuve que celle-ci était engagée après l’expiration du délai de garantie décennale, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE

Note. 1. L’application des garanties légales des constructeurs, particulièrement la garantie décennale, s’agissant d’un régime de responsabilité de plein droit, soulève un contentieux réitéré sur le délai de la garantie, autrement dit sur la prescription de l’action en responsabilité décennale.

2. En l’espèce, le propriétaire d’une maison victime d’un incendie né dans les combles avait assigné son assureur multirisque habitation, l’entrepreneur électricien intervenu dans sa maison et l’assureur de ce dernier sur le fondement de la responsabilité décennale.

3. La Cour de Rennes constatait que si le bordereau des pièces communiquées par le demandeur faisait référence à 4 pièces qui concernaient « la date de construction », aucun des dossiers des parties à l’instance ne comportait ces pièces. La Cour déclarait irrecevable la demande du maître de l’ouvrage au motif qu’il n’apportait pas la preuve qu’il avait en conséquence agi dans le délai de la garantie décennale.

4. Le pourvoi critiquait cette décision, implicitement mais nécessairement sur le fondement de l’article 122 du Nouveau Code de Procédure Civile, arguant que c’était à celui qui oppose une fin de non-recevoir – en l’occurrence le dépassement du délai de la garantie décennale – d’en justifier de sorte que la Cour d’appel, en rejetant la demande, avait inversé la charge de la preuve et violé ce faisant les articles 1315, 1792 et 2270 du Code Civil.

5. La Cour de cassation a fait droit à cette argumentation en censurant la Cour de Rennes sous le visa de ces trois textes : « Qu’en statuant ainsi alors qu’il appartenait à l’entrepreneur et son assureur qui contestaient la recevabilité de l’action des demandeurs de rapporter la preuve que celle-ci était engagée après l’expiration du délai de garantie décennale, la cour d’appel a violé les textes susvisés » ;

6. La solution ne peut qu’être approuvée. L’article 122 du Nouveau Code de Procédure Civile qui définit la notion de fin de non-recevoir comme « tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir » cite comme illustration – la liste n’étant pas limitative (Cass., Ch. mixte, 14 février 2003, Bull. n°1) – « la prescription ».

L’argument tiré de la prescription est en effet un argument de défense de sorte que c’est incontestablement, conformément à l’article 1315 du Code Civil, à celui qui demande son application, d’établir le bien fondé de cette prétention.

La solution a déjà été retenue à propos d’autre fins de non-recevoir (spécialement, Cass. Civ. 3ème, 12 juin 1996, Bull. civ III n° 143 à propos d’un défaut prétendu de qualité à agir).

L’absence de tout élément de preuve dans les dossiers ne devait donc pas conduire au rejet de la demande mais au contraire à l’admission de la demande si les conditions de fond de l’article 1792 du Code Civil étaient remplies, ce dont on ne sait rien dès lors que la Cour de Rennes estimant l’action atteinte de prescription n’a nécessairement pas étudié cette question.

RGDA 2005-2 p 454

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