Désordres intermédiaires et délai décennal (Cass. 3e civ. 26 octobre 2005) — Karila

Désordres intermédiaires et délai décennal (Cass. 3e civ. 26 octobre 2005)

Ancien ID : 196

Responsabilité contractuelle de droit commun des constructeurs – Délai de prescription : 10 ans à compter de la réception.

Viole l’article 1147 du Code Civil la Cour d’appel qui, pour condamner un architecte à payer à un maître d’ouvrage notamment le coût de la reprise de désordres affectant un mur pignon aux motifs que celui-ci n’était pas conforme aux normes DTU ni aux règles de l’art et engageait en conséquence sa responsabilité contractuelle pour défaut de conformité, était soumise à la prescription trentenaire alors que s’agissant d’un désordre et non d’une non-conformité aux stipulations contractuelles, l’action en responsabilité contractuelle de droit commun des constructeurs pour faute prouvée est de 10 ans à compter de la réception.

Cour de Cassation (3ème Ch. Civ.), 26 octobre 2005,  n° 04-15419, Bull. n° 202

M. Gazal c/ M. Lours

La Cour.

Sur le moyen unique :

Vu l’article 1147 du Code civil ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 25 mars 2004), que M. X… a chargé M. Y…, architecte, d’une mission concernant la réalisation d’un pavillon ; que M. X… a pris possession de l’ouvrage en septembre 1981 ; qu’alléguant divers désordres et non-conformités, il a refusé de payer le solde du marché de l’entreprise chargée du lot menuiserie et de signer le procès-verbal de réception ; qu’il a ensuite sollicité la réparation d’un mur pignon ;

Attendu que, pour condamner M. Y… à payer à M. X… diverses sommes au titre de la reprise de désordres, trouble de jouissance et frais irrépétibles, l’arrêt retient que le mur pignon n’était conforme ni aux normes DTU ni aux règles de l’art, mais que la stabilité du mur était assurée, que l’eau ne pénétrait pas dans l’immeuble et que dès lors, l’action en responsabilité contractuelle exercée à l’encontre de l’architecte pour le défaut de conformité du mur pignon aux normes des DTU et aux règles de l’art, était soumise à la prescription trentenaire et non à la prescription décennale ;

Qu’en statuant ainsi, alors qu’il résultait de ces constatations qu’il ne s’agissait pas d’une non-conformité aux stipulations contractuelles, mais d’un désordre, et que l’action en responsabilité contractuelle de droit commun des constructeurs pour faute prouvée est de dix ans à compter de la réception, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE

Note. 1. La solution énoncée par l’arrêt rapporté ne peut que laisser perplexe sinon littéralement pantois …

Non pas qu’il soit inexact que le délai d’action au titre de la responsabilité contractuelle de droit commun des constructeurs pour les désordres à l’ouvrage, est de 10 ans à compter de la réception avec ou sans réserves de l’ouvrage (voir à cet égard notre étude « Vers l’uniformisation de tous les délais d’action des différentes responsabilités des constructeurs d’ouvrages immobiliers », JCP N 2004 p. 545 à 551, suite à deux arrêts de la 3ème chambre civile du 16 octobre 2002, Bull. civ. III n°205) mais en raison de ce que dans les circonstances de l’espèce ayant conduit à l’arrêt rapporté, aucune réception n’avait été prononcée expressément ni tacitement, comme cela résulte des termes mêmes de l’arrêt rapporté comme de ceux de l’arrêt de la Cour de Paris choqué de pourvoi dont nous avons pu obtenir la copie, de sorte que le fondement même de la cassation est éminemment douteux.

2. Les faits de l’espèce doivent être précisés.

En la circonstance, en 1980, un particulier confie à un architecte une mission visant à la réalisation d’un pavillon ce qui conduisait à la conclusion de plusieurs contrats d’entreprises tendant à l’édification dudit ouvrage.

Les travaux n’étaient pas achevés lorsque des désordres surviennent tandis que le maître d’ouvrage, tout en refusant de payer le solde du marché, prenait possession de l’ouvrage en 1981.

C’est dans ce contexte que plusieurs années après, en 1985, à l’initiative d’un entrepreneur qui n’avait pas été réglé du solde de son marché, était ordonnée une expertise, l’Expert désigné ayant pour mission notamment de faire constater la réalité des désordres invoqués par le maître d’ouvrage et de faire les comptes entre les parties.

Des expertises complémentaires étaient ensuite ordonnées dans des conditions qu’il n’est pas opportun de rappeler ici.

Au terme des opérations d’expertise dont s’agit, le litige se réduisait à trancher deux questions l’une relative à des travaux complémentaires, l’autre à des désordres et/ou non-conformités affectant un mur mitoyen.

Le Tribunal de Grande Instance d’EVRY rendait dans ces circonstances un jugement dans le cadre duquel il déclarait prescrite l’action du maître d’ouvrage en raison notamment « de la date de la prise de possession en 1982 », raisonnant à l’évidence, à lire l’arrêt de la Cour de Paris choqué de pourvoi dont il sera plus amplement parlé ci-après, en termes de prescription décennale sans pour autant dire et juger qu’il y avait eu une réception tacite de l’ouvrage ou viser l’article 1792 du Code Civil, raisonnant par référence à la responsabilité contractuelle de droit commun.

C’est dans ces conditions que la Cour de Paris, dans l’arrêt choqué de pourvoi, rendait le 25 mars 2004 (CA Paris, 19ème B, 25 mars 2004, RG 2003/05285) un arrêt qui confirme le jugement du Tribunal de Grande Instance d’EVRY sur l’éviction de la fin de non recevoir tirée de la prescription mais pour un motif différent du premier juge, la Cour de Paris estimant que « c’était à tort que les parties, comme le Tribunal, ont raisonné à partir d’une prescription décennale inapplicable en matière contractuelle », et jugeant que seule était applicable la prescription trentenaire qui « régit les actions en réparation des non-conformités fondées sur les dispositions de l’article 1147 du Code Civil », la Cour de Paris estimant à tort ou à raison que la non-conformité aux règles de l’art et au DTU du mur pignon relevait bien des non-conformités contractuelles régies par le texte précité du Code précité.

3. Le demandeur au pourvoi, en la circonstance l’architecte qui avait été condamné notamment au titre de la reprise des désordres affectant le mur pignon, prétendait à la violation de l’article 1147 du Code Civil dès lors que « l’action en responsabilité contractuelle contre les constructeurs se trouve prescrite par dix ans à compter de la réception avec ou sans réserves », excipant à cet égard non pas de l’existence d’une réception expresse ou tacite, mais seulement de la date de la prise de possession en 1981, date qu’il opposait à celle du 3 mars 1998 qui était celle des conclusions d’incident aux termes desquelles le maître d’ouvrage avait pour la première fois demandé la réparation du mur pignon dont s’agit.

4. La Cour Suprême fait droit à l’argumentation précitée et casse en conséquence l’arrêt de la Cour de Paris pour violation de l’article 1147 du Code Civil en énonçant :

« Qu’en statuant ainsi, alors qu’il résultait de ces constatations qu’il ne s’agissait pas d’une non-conformité aux stipulations contractuelles, mais d’un désordre, et que l’action en responsabilité contractuelle de droit commun des constructeurs pour faute prouvée est de dix ans à compter de la réception, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».

5. Comme déjà évoqué ci-dessus (supra n°1), la motivation de la cassation mérite approbation.

En effet, le seul fait que l’on se fonde sur la responsabilité contractuelle de droit commun (article 1147 du Code Civil) n’emporte pas de jure application de la prescription trentenaire de droit commun, de l’article 2262 du Code civil. La solution est acquise et répétée qu’il s’agisse de désordres dits « intermédiaires », c’est-à-dire mineurs, comme du manquement à une obligation de conseil en rapport avec des désordres affectant l’ouvrage, ce qui avait été le cas dans l’un des deux arrêts précités du 16 octobre 2002, (arrêt n°1 dit arrêt Grobost), voire même sans aucun lien direct avec des désordres pouvant affecter l’ouvrage comme l’obligation de Conseil de l’architecte investi d’une mission de maîtrise d’œuvre complète, pour ne s’être pas assuré que l’entreprise intervenant sur le chantier disposait d’une couverture d’assurance de sa responsabilité décennale (Cass. 3ème civ. 16 mars 2005, Dalloz 2005, juris. p. 2198).

La prescription décennale d’origine prétorienne de l’action en responsabilité contractuelle de droit commun est susceptible d’application lorsque l’action en responsabilité tend directement ou indirectement à la réparation / indemnisation de désordres affectant l’ouvrage (quelques soient les causes et origines des désordres y compris lorsque ceux-ci résultent de simples non-conformités contractuelles) ou lorsque la finalité ci-dessus évoquée n’est qu’indirecte ou encore lorsque l’indemnisation requise n’est pas strictement étrangère à la réparation / indemnisation des désordres dont s’agit comme dans l’arrêt précité du 16 mars 2005.

Désormais, on peut donc affirmer que tout manquement aux obligations contractuelles du constructeur, pouvant se rattacher même très indirectement à la réparation / indemnisation de désordres affectant l’ouvrage, bénéficie de la prescription abrégée de 10 ans dès lors que ce manquement ne serait pas extérieur à la mission confiée aux constructeurs dont s’agit, bien évidemment ne sont pas concernés par la prescription abrégée la sanction d’obligation totalement indépendante de la réception de l’ouvrage comme celle n’induisant aucun désordre matériel à l’ouvrage comme les non-conformités contractuelles n’entraînant aucun dommage à l’ouvrage.

6. Néanmoins au cas d’espèce, la solution énoncée par la Cour Suprême est totalement inadaptée.

En effet, il est acquis dans la présente espèce :

– qu’aucune réception expresse n’était intervenue,

– que les travaux n’étaient pas achevés,

– que le maître de l’ouvrage avait refusé de payer le solde des travaux.

Il est également acquis en droit que :

– la prise de possession ne saurait constituer, à elle seule, la volonté implicite mais non équivoque du maître d’ouvrage d’accepter l’ouvrage avec ou sans réserves,

– si l’achèvement des travaux ne constitue plus depuis un arrêt de principe du 12 juillet 1989 réitéré à de nombreuses reprises (voir notamment Civ. 3, 11 février 1998, Bull. n° 28 ; Civ. 3, 17 novembre 2004, inédit, n° 03-10202) une condition préalable et nécessaire à la réception, en revanche, l’absence d’achèvement d’un ouvrage justifie que le maître d’ouvrage refuse de prononcer la réception, le refus n’étant pas alors abusif, tandis que l’absence d’achèvement des travaux et le refus de payer le solde des travaux, caractérise en général une volonté manifeste de ne pas recevoir l’ouvrage.

De sorte que comme déjà dit ci-dessus, la cassation prononcée, en raison d’un principe non contesté que la responsabilité contractuelle de droit commun est soumise à une prescription décennale à compter de la réception de l’ouvrage, manque ici de cause et/ou encore est sans justification de facto et de jure.

7. Ceci dit, la question de la détermination de la durée de la responsabilité contractuelle de droit commun avant la réception expresse ou tacite de l’ouvrage reste entière.

On peut certes légitimement estimer, ici encore, qu’une durée décennale serait opportune mais encore fallait-il le dire et surtout fixer le point de départ du délai d’action dont s’agit, lequel en l’absence de réception pourrait être l’achèvement des travaux ou encore la fin matérielle de l’exécution du contrat conclu entre le maître d’ouvrage et l’intervenant à l’acte de construire dont la responsabilité est poursuivie.

Il appartiendra à la Cour de Versailles devant laquelle le litige est renvoyé de trancher cette question. Si elle retient cependant l’absence de réception, elle ne pourra en tout état de cause pas appliquer la solution dégagée par l’arrêt rapporté.

Si le délai de dix ans doit s’appliquer à toutes les actions en responsabilités des constructeurs dès lors que l’action engagée aurait un lien direct ou indirect avec la réparation / indemnisation de désordres affectant l’ouvrage, et donc être applicable aussi aux actions engagées pour des désordres avant la réception de l’ouvrage, il appartiendra à la Cour de renvoi ou ultérieurement à la Cour Suprême, de choisir le point de départ de ce délai de dix ans qui par définition ne pourra pas être la réception des travaux, mais sera celui sans doute de l’achèvement des travaux ou peut être plus opportunément dans la plupart des espèces, comme le cas de l’espèce ayant donné lieu à l’arrêt rapporté, la fin matérielle de l’exécution du contrat d’entreprise ou encore l’arrêt des prestations du constructeur concerné, même si celles-ci n’ont pas été à leur terme.

RGDA 2006 – 1 – p. 144

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