L’assurance responsabilité civile ne couvre que les dommages causés par les travaux et ouvrages et la RCD ne peut être engagée en l’absence de réception (Cass. civ. 3ème., 29 janvier 1997) — Karila

L’assurance responsabilité civile ne couvre que les dommages causés par les travaux et ouvrages et la RCD ne peut être engagée en l’absence de réception (Cass. civ. 3ème., 29 janvier 1997)

Ancien ID : 208


Assurance de responsabilité civile. Garantie limitée aux dommages causés par les travaux et ouvrages. Dommages aux ouvrages. Garantie (non).

Assurance de responsabilité décennale. Prise de possession de l’ouvrage et paiement intégral de l’entrepreneur. Refus d’acceptation du maître de l’ouvrage d’accepter l’ouvrage. Réception (non). Assurance de responsabilité décennale (non).

L’assurance de responsabilité ne couvrant que les dommages causés par les travaux et ouvrages réalisés par l’assuré et non les désordres présentés par les ouvrages eux-mêmes, l’assureur ne garantit pas ces derniers.

En l’absence de réception, l’assureur de responsabilité décennale ne doit garantie, seule la responsabilité contractuelle de droit commun de l’assuré étant engagée.

Cour de cassation (3ème Ch. civ.)n° 95-13536, 29 janvier 1997

Monsainjeaon c/ SCI La Planchette et autres

La Cour,

Sur le premier moyen du pourvoi principal :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Versailles, 20 janvier 1995) qu’en 1989, la Société Civile Immobilière La Planchette (SCI) et son locataire commercial, la Société Kookoo, ont fait procéder au remplacement de deux verrières dans un immeuble ; que les travaux ont été exécutés par la Société Entreprise Moisset (Société Moisset), assurée par l’Union des assurances de Paris (UAP) qui a sous-traité le lot métallerie à M. Vignon et le lot vitrerie à la Société Mir-Vitrerie, depuis lors en liquidation judiciaire, tous deux assurés par la Mutuelle du Mans Assurances IARD (Mutuelle du Mans) ; que la maîtrise d’œuvre a été assumée par M. Monsaingeon, architecte ; qu’après remplacement du matériau initialement prévu par un matériau plus lourd sans modification des supports, des désordres ont été constatés avant réception et que la SCI a sollicité l’indemnisation de son préjudice ;

Sur le quatrième moyen du pourvoi principal :

Attendu que M. Monsaingeon fait grief à l’arrêt de mettre hors de cause la Mutuelle du Mans, assureur de la Société Mir-Vitrerie, alors, selon le moyen « que l’assurance responsabilité civile a pour objet de garantir l’assuré à raison de la responsabilité encourue vis-à-vis de tiers ; que l’arrêt attaqué a retenu que la Société Mir-Vitrerie était responsable du dommage invoqué par le propriétaire ; qu’en mettant, cependant, hors de cause l’assureur de responsabilité civile de cette société, la Cour d’appel a violé les articles 1134 du Code Civil et L. 124-1 et suivants du Code des Assurances » ;

Mais attendu qu’ayant relevé que l’assurance de responsabilité civile, souscrite par la Société Mir-Vitrerie auprès de la Mutuelle du Mans, ne couvrait que les dommages causés par les travaux et ouvrages réalisés par l’assurée, et non les désordres présentés par les ouvrages eux-mêmes, la Cour d’appel a exactement retenu que les malfaçons affectant les verrières construites par cet entrepreneur n’étaient pas garanties par son assureur ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

Sur le quatrième moyen du pourvoi incident :

Attendu que la Société Moisset fait grief à l’arrêt de mettre hors de cause son assureur l’UAP, alors, selon le moyen « que la Société entreprise Moisset, choisie et payée par la Société Kookoo a formé avec celle-ci un contrat d’entreprise couvert par le contrat d’assurance décennale, la Société Kookoo ayant, en payant l’entreprise Moisset et en prenant livraison de l’ouvrage, tacitement reçu celui-ci ; que la Cour d’appel qui a décidé que la responsabilité contractuelle de la Société Entreprise Moisset était engagée, faute pour la SCI d’avoir reçu l’ouvrage et, en conséquence, que les désordres n’étaient pas couverts par l’assurance décennale, a violé les articles 1792 et 1147 du Code Civil, ainsi que l’article 1134 du même Code » ;

Mais attendu qu’ayant relevé que la SCI avait conservé seule le pouvoir de prononcer la réception des travaux et que celle-ci n’était pas intervenue, le maître de l’ouvrage ayant, au contraire manifesté sans ambiguïté qu’il n’acceptait pas les verrières, la Cour d’appel en a exactement déduit que les désordres relevaient de la responsabilité contractuelle de droit commun et que l’assurance de responsabilité décennale souscrite par la Société Moisset auprès de l’UAP ne pouvait trouver application ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

Par ces motifs ;

Rejette les pourvois …

Note. 1. La Cour Suprême dans l’arrêt rapporté rejette les multiples pourvois formés à l’encontre d’un arrêt à l’encontre d’un arrêt de la Cour de Versailles (4ème Ch) du 20 janvier 1995.

Nous n’examinerons dans le cadre de notre commentaire que le quatrième moyen du pourvoi principal d’une part, et le quatrième moyen du pourvoi incident d’autre part.

2. Le quatrième moyen du pourvoi principal était relatif à la couverture de l’assurance de responsabilité civile souscrite par un sous-traitant de l’entrepreneur principal, et qui ne couvrait que les dommages causés par les travaux et ouvrages réalisés par l’assuré et non pas les désordres pouvant affecter les ouvrages eux-mêmes, ce qui était le cas de l’espèce.

Il était reproché à la Cour de Versailles d’avoir violé les articles 1134 du Code Civil et L. 124-10 et « suivants » du Code des Assurances pour avoir mis hors de cause l’assureur de responsabilité civile et un sous-traitant, dont elle avait cependant retenu la responsabilité pour les dommages invoqués, et alors que le contrat d’assurance garantissait justement l’assuré à raison de la responsabilité encourue vis-à-vis des tiers.

La Cour Suprême rejette le pourvoi et valide de ce chef l’arrêt de la Cour de Versailles.

On ne peut qu’approuver la solution retenue : en effet le caractère avéré de la responsabilité de l’assuré à l’égard du tiers concerné, en la circonstance le propriétaire de l’ouvrage, n’impliquait pas pour autant la garantie systématique de l’assureur de responsabilité ; si tous les risques de la responsabilité sont, a priori, assurables, sauf exception prévue par la Loi, ils ne sont pas pour autant tous assurés ou garantis.

On rappellera que l’article L. 124-1 du Code des Assurances n’est pas d’ordre public pour ne pas figurer au nombre de ceux visés par l’article L. 111-1 dudit Code d’une part, et ne définit en tout état de cause, pas, le risque garanti d’autre part.

Le risque garanti – car il s’agit de cela – est donc déterminé librement par les parties au contrat d’assurance, dans lequel l’action directe du tiers lésé à l’encontre de l’assureur du responsable trouve sa source mais aussi sa mesure et ses limites.

Quant au « fait dommageable prévu par le contrat » que vise l’article L. 124-1 du Code des Assurances, il ne peut être que la condition préalable à la mise en œuvre de la garantie – s’agissant de fait de la responsabilité de l’assuré – en en aucun cas épuiser celle-ci ou « contaminer » le risque garanti lui-même.

3. Le quatrième moyen du pourvoi incident était relatif à la couverture d’assurance de la responsabilité décennale de l’entrepreneur principal.

Ce dernier reprochait à la Cour de Versailles d’avoir violé les articles 1792 et 1147 du Code Civil ainsi que l’article 1134 dudit Code, pour avoir mis hors de cause l’assureur de responsabilité décennale, alors que le maître de l’ouvrage (ou plus précisément le locataire de celui-ci qui avait la qualité de maître d’ouvrage délégué) en le payant et en prenant livraison de l’ouvrage, avait tacitement reçu celui-ci.

La Cour Suprême rejette le moyen en énonçant que le maître de l’ouvrage avait conservé seul le pouvoir de prononcer la réception des travaux, non intervenue en la circonstance dès lors qu’il avait manifesté « sans ambiguïté » qu’il n’acceptait pas l’ouvrage considéré et que la Cour d’appel en avait « exactement » déduit que les désordres relevaient de la responsabilité contractuelle de droit commun et que l’assurance de responsabilité décennale ne pouvait en conséquence pas trouver application.

La solution était certaine : il est clair en effet que si après la réception de l’ouvrage, il peut y avoir, en marge des garanties légales application de la responsabilité contractuelle de droit commun et que peut alors se poser – en fonction des caractéristiques techniques des dommages – la question du régime de responsabilité applicable, en revanche, avant la réception de l’ouvrage, seule la responsabilité contractuelle de droit commun est susceptible d’application.

C’est justement en considération de ce qui précède, que le demandeur au pourvoi soutenait que la réception avait été prononcée tacitement et faisait valoir à cet égard que le maître de l’ouvrage avait pris livraison (il aurait été plus juste de dire qu’il avait pris possession) de l’ouvrage et avait intégralement payé l’entrepreneur principal.

Mais l’on sait que si la prise de possession – pur fait matériel – peut constituer un indice important au regard de l’appréciation de la volonté implicite du maître de l’ouvrage de recevoir celui-ci, alors et surtout qu’il est complété par l’acte juridique qu’est le paiement intégral du locateur d’ouvrage, cela n’est pas indubitablement suffisant à caractériser de façon non équivoque ladite volonté du maître de l’ouvrage de prononcer la réception (voir à cet égard J.P Karila « Les responsabilités des constructeurs » Encyclopédie Delmas pour la Vie des Affaires, 2ème éd. 1991, chap. G, plus particulièrement p.124 à 130 ; voir également JP Karila « Bilan des responsabilités et garanties spécifiques des constructeurs et fabricants en matière immobilière » AJPI 1997, p. 4 à 25, plus particulièrement p. 10 et 11).

En la circonstance, la volonté implicite non équivoque du maître de l’ouvrage de recevoir celui-ci étant d’autant moins établie que ledit maître d’ouvrage avait « manifesté sans ambiguïté » qu’il n’acceptait pas l’ouvrage.

L’arrêt rapporté ne peut qu’être également approuvé de ce chef.

Jean-Pierre KARILA 

RGDA 1997 – 2 –


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