L’indemnité d’assurances versée par l’assureur « dommages-ouvrage » doit nécessairement être affectée à la réparation des dommages affectant la chose assurée (Cass. 3e civ., 21 novembre 2001) — Karila

L’indemnité d’assurances versée par l’assureur « dommages-ouvrage » doit nécessairement être affectée à la réparation des dommages affectant la chose assurée (Cass. 3e civ., 21 novembre 2001)

Ancien ID : 107

AFFAIRE : WINTHERTUR c/ S.D.C.P DE L’IMMEUBLE RESIDENCE MOZART ET AUTRES

Cass. 3e civ., 21 novembre 2001, n° 00-14728, Bull. n° 132

L’INDEMNITE D’ASSURANCES VERSEE PAR L’ASSUREUR « DOMMAGES-OUVRAGE » DOIT NECESSAIREMENT ETRE AFFECTEE A LA REPARATION DES DOMMAGES AFFECTANT LA CHOSE ASSUREE.

1. La 3ème Chambre Civile de la Cour de Cassation a rendu le 21 novembre 2001 un arrêt destiné à une large diffusion, puisque outre sa publication dans le bulletin des arrêts des Chambres Civiles, il en sera fait état dans le bulletin bimensuel d’information d’une part, mais aussi dans le rapport annuel d’activité de la Cour de Cassation d’autre part.

Cette large diffusion peut a priori étonner, s’agissant d’un simple arrêt de rejet, rendu au surplus dans le cadre d’un contrôle dit « léger » consistant à seulement vérifier la cohérence des motifs des juges du fond avec leur décision.

Elle s’explique et se justifie en raison de ce que l’arrêt précité est un arrêt de principe en ce qu’il tranche indirectement mais nécessairement l’irritante question – discutée en doctrine – de la destination et/ou de l’emploi des indemnités réglées par un assureur Dommages-Ouvrage, ainsi qu’indirectement et consécutivement celle de la détermination des bénéficiaires de l’assurance Dommages-Ouvrage .

2. Pour apprécier la portée de l’arrêt rendu par la 3ème Chambre Civile, il est nécessaire de préciser les faits et procédures de l’espèce, à l’occasion desquels la Cour de VERSAILLES a rendu l’arrêt choqué de pourvoi, objet du rejet de la Cour Suprême, faits et procédures complexes que nous résumerons ici à grands traits.

3. En la circonstance, une Société Civile Immobilière, la SCI RESIDENCE MOZART, par suite d’une adjudication, était devenue propriétaire d’un ensemble immobilier constitué de 19 logements collectifs (bâtiments B et C) et 10 maisons individuelles.

Néanmoins seules les maisons individuelles faisaient l’objet d’une réception tandis que les bâtiments de logements collectifs restaient inachevés par suite de l’annulation du permis de construire par le juge administratif.

C’est dans ces conditions que les acquéreurs des maisons individuelles ont poursuivi la nullité de la vente, qu’ils ont obtenu par suite d’un arrêt définitif de la Cour de VERSAILLES.

Mais dans l’intervalle le Syndicat des Copropriétaires et les acquéreurs concernés avaient assigné leur venderesse, la SCI RESIDENCE MOZART, ainsi que la Compagnie WINTHERTUR, assureur Dommages-Ouvrage, en indemnisation des préjudices subis par eux du fait des multiples désordres affectant les maisons individuelles et obtenu du juge des référés une provision à la charge de l’assureur Dommages-Ouvrage (lequel n’avait d’ailleurs pas contesté sa garantie) puis du juge du fond, en la circonstance le Tribunal de Grande Instance de VERSAILLES, la validation de la décision du juge des référés ainsi que des indemnités complémentaires, semble-t-il, définitives.

4. La Compagnie WINTHERTUR a interjeté appel dudit jugement du Tribunal de Grande Instance de VERSAILLES, dont elle ne sollicitait néanmoins pas l’infirmation, fut-ce à titre subsidiaire, sa demande en appel consistant à solliciter le remboursement des indemnités d’assurances qu’elle avait réglé au Syndicat des Copropriétaires et aux acquéreurs des maisons individuelles au motif que ceux-ci ayant perdu rétroactivement la qualité de propriétaires des biens assurés, ils ne pouvaient désormais être bénéficiaires des indemnités d’assurance dont s’agit, en sorte que la demande de la Compagnie WINTHERTUR s’analysait, de facto, comme une action en répétition de l’indu, action qui aurait pu ou aurait dû faire l’objet d’une procédure séparée, comme l’avait d’ailleurs relevé pertinemment la Cour de VERSAILLES.

5. Mais la question à laquelle renvoie l’arrêt rendu par la Cour Suprême le 21 novembre 2001 est ailleurs et autrement plus importante : c’est celle de savoir si celui qui a qualité – car propriétaire de la chose assurée au moment de la survenance du sinistre – pour revendiquer et obtenir l’indemnité d’assurance, correspondant au coût des réparations nécessaires pour mettre fin aux dommages affectant ladite chose, est en droit de la conserver, alors qu’il est, en suite de la nullité de la vente qu’il a lui-même sollicitée et obtenue, censé n’avoir jamais été propriétaire de la chose assurée, étant souligné que la jurisprudence selon laquelle seul le propriétaire de l’ouvrage assuré au moment du sinistre, a qualité pour revendiquer l’indemnité d’assurance, en tire la conséquence logique qu’en cas de vente postérieurement à la survenance du sinistre, l’acquéreur ne peut prétendre, alors même que les réparations n’auraient pas été effectuées, bénéficier de l’indemnité d’assurance de celle-ci ait ou non été réglée à son vendeur (Cass. 1ère Civ. 10 juin 1997, RCA 1997, com . n° 314 par G. COURTIEU ;CA VERSAILLES 31 mars 1995, RGAT 1995, page 389, Note J. BIGOT confirmant un jugement du Tribunal de Grande Instance de NANTERRE, 3 mars 1993, RGAT 1993, page 597, Note J. BIGOT).

En la circonstance, il était évident que les copropriétaires acquéreurs des maisons individuelles avaient qualité pour percevoir les indemnités d’assurance.

Il était en revanche moins évident que le Syndicat des Copropriétaires ait eu la qualité de bénéficiaire de l’assurance Dommages-Ouvrage, et ait eu consécutivement qualité pour percevoir les indemnités dont s’agit dès lors qu’un Syndicat des Copropriétaires n’est titulaire d’aucun droit de propriété ; néanmoins et donc de façon contestable, la Cour Suprême a déjà admis qu’un Syndicat de Copropriétaires « du fait de l’aliénation de l’immeuble est le bénéficiaire de l’assurance Dommages-Ouvrage » (Cass. 3ème Civ. 17 mars 1999, n° 97.15800 LANYLYNE), solution réitérée dans un arrêt du 11 mai 2000 en matière de troubles anormaux de voisinage, critiqué Monsieur ATTIAS qui déplore à cette occasion cette « audace prétorienne » (D. 2001, Juris. som. com. page 3581).

En tout état de cause, Syndicat des Copropriétaires et acquéreurs des maisons individuelles, étaient, par suite de l’annulation rétroactive des ventes des choses assurées, censés n’avoir jamais eu la qualité de propriétaires et ne pouvaient en conséquence prétendre conserver les indemnités d’assurance qu’ils leur avaient été allouées en cette qualité.

On rapprochera cette situation de celle du vendeur d’immeubles à construire qui souscrit l’assurance Dommages-Ouvrage « pour son compte ou celui des propriétaires successifs » selon l’article L 242.1 du Code des Assurances ou encore, à s’en tenir aux clauses types figurant à l’annexe II , article A 243-1 dudit Code « tant pour son compte que pour celui des propriétaires successifs », lesdites clauses types énonçant en outre qu’ont la qualité d’assurés le « souscripteur et les propriétaires successifs de l’ouvrage aux bénéfices desquels est souscrite au contrat », l’apparente contradiction des textes législatifs et réglementaires précités renvoyant la question de savoir si l’on est en présence d’une simple souscription pour compte ou d’une véritable assurance pour compte, question non tranchée clairement par la Cour Suprême sauf, qu’un arrêt, critiqué par une partie de la doctrine, semble avoir en définitive pris parti pour la théorie de la souscription pour compte (Cass. 1ère Civ. 12 janvier 1999, Bull. Civ. I n° 12).

Etant précisé que dès les années 1991, 1992, la Cour Suprême avait décidé que « sauf cas de subrogation, le vendeur d’un immeuble après achèvement n’est plus fondé, après la vente, à invoquer le bénéfice de l’assurance « Dommages » qu’il a souscrite en exécution des prescriptions de l’article L242.1 du Code des Assurances » (Cass. 1ère Civ. 15 octobre 1991, Bull. Civ. I, RGAT 1991, Note J. BIGOT ; Cass. 1ère Civ. 22 avril 1992, Bull. Civ. I n° 127, RGAT 1992, page 563 , Note J. BIGOT ; Cass. 3ème Civ. 30 mars 1994, Bull. Civ III n° 70 ; déjà dans le même sens).

En transposant, cette solution à celle de notre espèce, il était clair qu’après la nullité des ventes, les acquéreurs et le Syndicat des Copropriétaires n’étaient plus fondés à invoquer le bénéfice de l’assurance Dommages-Ouvrage et/ou en tout cas à prétendre à conserver les indemnités d’assurance.

La Cour de VERSAILLES ne l’avait d’ailleurs pas ignoré puisqu’elle l’a énoncé elle-même dans son arrêt aux termes duquel elle déboutait néanmoins l’assureur de sa demande de restitution des indemnités d’assurance qu’il avait versées.

6. Pour ce faire, la Cour de VERSAILLES a jugé que le caractère rétroactif des ventes ne pouvait qu’entraîner le rejet des prétentions de l’assureur dès lors que les « indemnités sont destinées au préfinancement des reprises des désordres de nature décennale affectant les immeubles ; qu’elles sont spécialement affectées à celles-ci et font rétroactivement partie du patrimoine de la SCI RESIDENCE MOZART qui est censée n’avoir jamais été dépossédée de la propriété des l’immeuble ».

Poursuivant son raisonnement, la Cour d’Appel de VERSAILLES observe que la SCI RESIDENCE MOZART « a vendu aux bénéficiaires de l’indemnité un immeuble qui aurait du être exempt de vice, pour un prix déterminé ; qu’après l’annulation des ventes qui remet les parties en leur état antérieur la venderesse restitue le prix et les acquéreurs restituent la chose tout exempt de vice c’est-à-dire réparée en ses désordres la rendant impropre à sa destination grâce aux indemnités perçues dans l’intervalle par l’assurance Dommages-Ouvrage ».

La Cour de VERSAILLES en tire la double conséquence que l’assureur « ne se trouve plus exposé à un risque de double indemnisation, ni au risque d’être victime d’un éventuel détournement des fonds versés si les travaux n’ont pas été faits car dans une telle hypothèse, seule la RESIDENCE MOZART pourrait se plaindre de l’absence de restitution de ces indemnités par ses acquéreurs, la Compagnie WINTHERTUR n’ayant nullement la qualité de victime puisqu’en ne critiquant pas le jugement, elle admet nécessairement que les indemnités versées étaient bien dues au propriétaire en application de sa police ».

Ces dernières observations de la Cour de VERSAILLES nous conduisent à penser qu’il n’était pas clairement établi que les indemnités réglées par l’assureur aient été effectivement utilisées pour la réparation des désordres d’une part, tandis que dans l’esprit de la Cour de VERSAILLES les indemnités dont s’agit devaient nécessairement être utilisées quant à ce, d’autre part.

C’est dans ces conditions et aux motifs ci-avant rappelés que la Cour de VERSAILLES a déclaré en définitive que l’assureur ne disposait « d’aucune qualité, ni d’aucun fondement juridique pour demander le remboursement des sommes rencontrées rétroactivement depuis l’origine dans le patrimoine de la SCI RESIDENCE MOZART » ajoutant « qu’en décider autrement aboutirait à priver le Maître d’ouvrage initial de tout recours contre l’assurance Dommages-Ouvrage quand l’annulation de la vente intervient plus de 10 ans après la réception des immeubles ».

Cette dernière observation de la Cour de VERSAILLES laisse perplexe et est radicalement infondée juridiquement.

La Cour de VERSAILLES semble en effet considérer que plus de 10 ans après la réception de l’ouvrage, un recours quelconque est juridiquement possible contre l’assureur Dommages-Ouvrage alors que la garantie de celui-ci, sinon par l’effet même de la loi (article L 242.1 du Code des Assurances) – qui est muette sur ce point en ce qu’elle ne vise que le point de départ de la garantie – du moins par celui de la clause type qui énonce que la garantie de l’assureur prend justement fin 10 ans après la réception de l’ouvrage.

Certes, le délai précité peut être interrompu ; certes au-delà même de l’expiration dudit délai de 10 ans, la jurisprudence a admis que le bénéficiaire de l’assurance Dommages-Ouvrage pouvait – pendant un délai de 2 ans à compter du jour où il a eu connaissance des dommages relevant de la garantie de l’assureur, connaissance qui peut intervenir juste avant l’expiration du délai de 10 ans, voire postérieurement à l’expiration dudit délai – requérir la mise en œuvre de la garantie de l’assureur Dommages-Ouvrage dès lors que la prescription prévue à l’article 2270 du Code Civil (lequel dispose que l’action en garantie décennale est prescrite 10 ans après la réception des travaux) est sans application au délai ouvert au bénéficiaire de l’assurance Dommages-Ouvrage pour déclarer les sinistres survenus dans le délai visé par le texte, celui-ci disposant en vertu de l’article L 114.1 du Code des Assurances d’un délai de 2 ans pour réclamer l’exécution des garanties souscrites, à compter de la connaissance de désordres survenus dans les 10 ans à compter de la réception de l’ouvrage (Cass. 1ère Civ . 4 mai 1999, Bull. Civ. n° 141 ; RGDA 1999, page 1037, Note JP KARILA, page 354).

Ainsi, sauf interruption du délai de 10 ans ou sa prolongation de facto par l’application de l’article L 114.1 du Code des Assurances, aucune action ne peut être engagée à l’encontre de l’assureur Dommages-Ouvrage 10 ans après la réception de l’ouvrage en sorte que le motif surabondant de la Cour de VERSAILLES pour conforter son raisonnement est à l’évidence totalement inopérant.

7. Abstraction faite de cette dernière critique, l’arrêt de la Cour de VERSAILLES est quant au fond du droit exempt de reproches et de très bonne qualité.

Néanmoins, il existait, notamment pour des raisons procédurales, des motifs de cassation.

Le demandeur au pourvoi avait articulé à cet égard deux moyens de cassation, le premier comportant 3 branches, le second 5 branches, moyens sérieux et pertinents, articulés de façon « intelligente » tandis que les défendeurs au pourvoi, sans doute eux-mêmes convaincus de la pertinence desdits moyens, s’étaient contentés de produire « des conclusions banales de défense » aux termes desquelles il déclarait simplement « opposer aux moyens de cassation développés par la demanderesse, le caractère non fondé des prétentions articulées par celle-ci comme contestant des motifs parfaitement justifiés de la décision attaquée ».

La Cour Suprême rejette le pourvoi, préférant « sauver » l’arrêt de la Cour de VERSAILLES.

Pour ce faire, la 3ème Chambre Civile après avoir négligé les critiques d’ordre procédural qui étaient présentées par le demandeur au pourvoi (essentiellement dans le cadre du premier moyen de cassation) énonce, au regard des deux moyens réunis « qu’ayant constaté que les indemnités versées par la Compagnie WINTHERTUR au Syndicat des Copropriétaires et « aux propriétaires » c’est-à-dire les acquéreurs dont le titre de propriété avait été, à leur demande, déclaré nul, étaient destinées au préfinancement des désordres de la nature décennale affectant les immeubles , la Cour d’Appel, qui a exactement retenu que ces immeubles faisaient partie du patrimoine de la SCI, censée n’avoir jamais été dépossédé de la propriété des immeubles, a pu déduire, de ces seuls motifs que la Compagnie WINTHERTUR ne pouvait exciper du caractère rétroactif de l’annulation des ventes pour réclamer le remboursement par le Syndicat et les 7 propriétaires des provisions perçues ».

De tels motifs de rejet éclairent la portée de l’arrêt rendu par la 3ème Chambre Civile, le 21 novembre 2001.

Celle-ci n’a pas entendu « sauver » l’arrêt de la Cour de VERSAILLES en raison des grandes qualités de celui-ci, car nonobstant lesdites qualités, il y avait bien, à notre avis, comme déjà ci-dessus, motifs à cassation : Si la Cour Suprême a rejeté le pourvoi c’est essentiellement selon nous, parce qu’elle a partagé la conviction de la Cour de VERSAILLES que les indemnités étaient nécessairement destinées à être affectées à la réparation des désordres.

Certes, il n’était pas établi que les indemnités aient été effectivement employées à la réparation des désordres, l’absence aux débats devant la Cour de VERSAILLES de la SCI venderesse qui n’avait pas été régulièrement assignée, ne permettant pas de le savoir, encore qu’il semble bien qu’elles ne l’aient pas été puisque dans l’hypothèse inverse, le Syndicat des Copropriétaires et les acquéreurs des maisons individuelles n’auraient pas manqué de le dire et la Cour de VERSAILLES l’aurait énoncé dans son arrêt.

Certes, bien que non critiquable en droit, c’est une pure fiction que d’affirmer que les indemnités faisaient partie du patrimoine de la SCI au prétexte qu’elle était censée n’avoir pas été dépossédée de la propriété des immeubles de l’assuré, mais au-delà de cette fiction, la Cour de VERSAILLES, validé en sa décision de ce chef par la Cour Suprême, a clairement affirmé la destination obligée d’emploi de l’indemnité d’assurances à la réparation des dommages affectant la chose assurée, en sorte que seule la SCI venderesse était susceptible de solliciter des acquéreurs des maisons individuelles et du Syndicat des Copropriétaires la restitution des indemnités d’assurance dont s’agit.

L’arrêt rendu par la Cour Suprême ne peut en conséquence qu’être approuvé sans réserve dès lors qu’elle tranche le débat sur le sort de l’indemnité d’assurances en matière Dommages-Ouvrage en décidant que ladite indemnité doit nécessairement être employée à la réparation des dommages affectant l’ouvrage assuré.

On rappellera à cet égard que ce débat n’avait pas été tranché jusqu’ici par la Cour Suprême, la doctrine étant sur ce point divisée, en raison notamment de ce qu’il n’existe, stricto sensu, aucune disposition légale spécifique de l’emploi de l’indemnité d’assurance réglée par l’assureur Dommages-Ouvrage.

On peut néanmoins dire qu’il résulte pour le moins de l’esprit de l’article L 242.1 du Code des Assurances, qui énonce que l’assureur garantit « le paiement de la totalité des réparations des dommages de la nature de ceux… » que le bénéficiaire de ladite indemnité doit affecter celle-ci à la réparation des dommages dont s’agit.

On peut dire aussi que les clauses types réglementaires confortent cette opinion en énonçant notamment que l’assuré s’engage à autoriser l’assureur à constater l’état d’exécution de réparation des dommages ayant fait l’objet d’une indemnisation en cas de sinistre (Code des Assurances, article 243 annexe II Obligations réciproques des parties, A. Obligations de l’assuré 4ème ) ou encore que l’assuré s’engage à autoriser l’assureur à constater l’exécution des travaux de réparation des dommages ayant fait l’objet d’une avance (Code des Assurances, article L 243.1 annexe II Obligations réciproques des parties, B. Obligations de l’assureur 3ème).

Cependant, l’assurance de choses qu’est le contrat Dommages- Ouvrage est aussi – comme l’assurance de responsabilité – une assurance à caractère indemnitaire, ce qui a conduit certains auteurs, et non des moindres puisqu’au nombre de ceux-ci figure Monsieur M . G DURRY, à exprimer l’avis que le bénéficiaire de l’indemnité a toute liberté d’affecter celle-ci comme il l’entend, opinion non critiquable en droit mais contraire à la finalité de la loi, étant observé que la loi elle-même, certes dans un autre domaine, en l’occurrence la loi dite BARNIER du 2 février 1995, sur le renforcement de la protection de l’environnement, dont l’article 90 a crée l’article L 121-17 du Code des Assurances, énonce que :

« Les indemnités versées en réparation d’un dommage causé à un immeuble bâti, doivent être utilisées pour la remise en état effective de cet immeuble, ou pour la remise en état de son terrain d’assiette, d’une manière compatible avec l’environnement dudit immeuble.

Toute clause contraire dans les contrats d’assurance est nulle d’ordre public ».

L’applicabilité de ce texte à l’assurance construction est discutée en doctrine (G.LEGUAY , RD Imm. 1997 p. 97 ; RD Imm. 1998, p. 114) mais on observera que certains juges du fond ont déjà, par leurs décisions, battu en brèche le principe indemnitaire de l’article L 121.1 du Code des Assurances – si tant est qu’il ait à s’appliquer strictement à l’assurance Dommages-Ouvrage – en faisant droit aux demandes formées par des assureurs Dommages-Ouvrage tendant à la restitution d’une partie des indemnités réglées dès lors que le coût des réparation s’était avéré inférieur au montant desdites indemnités (T.G.I PARIS 6ème Ch. 1ère Sect. 23 mai 2000 ; Cie AGF / Sté Immobilière 3F SA d’HLM et autres, inédit – T.G.I Dunkerque, 13 sept. 2000, SMABTP / Goetgbeluck, inédit).

8. Dans le prolongement de l’arrêt, objet du présent commentaire, on doit donc désormais admettre que l’indemnité d’assurances doit nécessairement être affectée à la réparation des dommages affectant la chose assurée, conférant en quelque sorte à ladite indemnité un caractère réel ou encore nécessairement « accessoire » à la propriété de la chose assurée en sorte que l’indemnité d’assurances serait due à celui qui aurait la qualité de propriétaire non seulement au jour de la survenance du sinistre mais encore au moment du règlement de l’indemnité, ou encore seulement à ce moment là.

Cela condamnerait évidement la Jurisprudence précitée rendue en matière de ventes successives (5 ci-dessus), en vertu de laquelle la qualité de propriétaire n’est prise en considération qu’au moment de la survenance du sinistre, mais laisserait entière la question de la validité des éventuelles stipulations contractuelles qui seraient consacrées à la question de l’indemnité d’assurance dans l’acte de vente, le caractère d’ordre public qui s’attacherait à la destination de l’indemnité, pouvant avoir pour conséquence de réputer non écrite toute clause qui y ferait directement ou indirectement échec…

Si on examine la Jurisprudence rendue, toujours en matière d’assurance de choses mais dans d’autres domaines, comme l’assurance incendie, on arrive à la conclusion que, de facto, c’est la qualité de propriétaire au moment du règlement de l’indemnité qui déterminera le bénéficiaire de celle-ci, même si apparemment les décisions dont il sera fait état ci-après ont été rendues par référence à la qualité de propriétaire au moment de la survenance du sinistre.

On citera à cet égard deux arrêts rendus par la Cour Suprême :

– d’abord un arrêt du 18 octobre 1983 (Cass. 1ère Civ. 18 octobre 1983, Bull. Civ. III, n° 233), qui casse un arrêt d’une Cour d’Appel qui avait refusé de condamner l’assureur à payer l’indemnité d’assurance au propriétaire d’un fonds partiellement détruit au seul motif qu’au jour de la survenance du sinistre, il ne l’était pas, pour l’avoir vendu, refusant ainsi de prendre en compte la résolution de ladite vente, survenue postérieurement au sinistre mais antérieurement à la date à laquelle l’indemnité d’assurance avait été requise, la Cour Suprême ayant énoncé à cette occasion que, par l’effet de ladite résolution opposable à l’assureur, comme la vente elle-même, le souscripteur de la police était redevenu rétroactivement propriétaire dudit fonds, et devait être considéré comme ayant eu la qualité d’assuré au moment du sinistre.

– ensuite un arrêt du 11 mars 1986 (Cass. 1ère Civ. 11 mars 1986, Bull. Civ. I n° 58), qui réitère la solution en énonçant que par suite de la résolution d’une vente, le souscripteur « n’avait jamais cessé d’être propriétaire du bâtiment assuré » détruit par un incendie.

Certes ces deux décisions se contentent de tenir compte de la qualité d’assuré, seulement au jour de la survenance du sinistre, par l’effet rétroactif de la résolution des ventes mais aboutissent bien, de facto, à prendre en considération la qualité de propriétaire au moment où l’indemnité est requise.

En définitive, le caractère réel ou encore accessoire de l’indemnité d’assurance au regard de la propriété de la chose assurée transcende totalement la question de savoir s’il faut tenir compte de la qualité d’ «assuré » – encore que cette terminologie s’agissant d’une assurance de choses est critiquable – au jour de la survenance du sinistre, ou au jour du règlement de l’indemnité d’assurance, ou encore aux deux époques considérées, l’essentiel étant – et c’était bien là l’un des objectifs du système d’assurance dit à « double détente » institué par le législateur de 1978 – que la chose assurée soit réparée des dommages graves pouvant l’affecter, par la mise en œuvre de l’assurance Dommages-Ouvrage qui garantit justement le paiement de la réparation des travaux nécessaires à cet effet.

Feu en conséquence, la Jurisprudence précitée en matière de ventes successives qui ne tient compte que de la date de survenance du sinistre pour déterminer le bénéficiaire de l’assurance, et refuse à l’acquéreur toute possibilité de percevoir l’indemnité d’assurance, alors même que celle-ci n’aurait pas été requise par le vendeur et/ou réglée à ce dernier.

Feu surtout aussi le sacro saint principe indemnitaire de l’article L121.1 du Code des Assurances du moins en ce qui concerne le sort de l’indemnité d’assurance réglée par l’assureur Dommages-Ouvrage.

Jean-Pierre Karila – Tribune de l’assurance 2002, n °55, les cahiers de jurisprudence, page II

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