La présomption de l’article 1792 tombe en l’absence d’imputabilité. (Cass. 3e civ., 14 janvier 2009) — Karila

La présomption de l’article 1792 tombe en l’absence d’imputabilité. (Cass. 3e civ., 14 janvier 2009)

[…] la garantie décennale d’un constructeur ne peut être engagée qu’en présence de désordres imputables aux travaux qu’il a réalisés ; qu’en se contentant de relever, pour condamner, sur le fondement de la garantie décennale, la société Pellegrino, Monsieur X… et leur assureur, la compagnie MAAF Assurances, à l’égard de la compagnie AXA France IARD, subrogée dans les droits du maître de l’ouvrage, que ceux-ci étaient liés au maître de l’ouvrage par un contrat de louage d’ouvrage, sans rechercher, comme elle y était invitée, si les désordres qu’elle avait constatés étaient imputables aux travaux qu’ils avaient réalisés, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1792 du code civil.

Observations

Voilà en somme une situation bien classique, celle de l’assureur dommages-ouvrage qui exerce, après indemnisation de son assuré maître d’ouvrage, une action subrogatoire à l’encontre notamment de certains locateurs d’ouvrage sur le fondement de l’article 1792 du code civil.

L’assureur pouvait légitimement espérer fonder avec succès son action subrogatoire sur le fondement dudit texte dès lors que l’impropriété à la destination de l’ouvrage requis pour son application était évidente s’agissant d’un défaut d’étanchéité de l’ouvrage, sauf à négliger – ce qui arriva – de caractériser que les désordres constatés étaient bien imputables aux travaux que lesdits locateurs d’ouvrage avaient réalisés, comme lesdits locateurs d’ouvrage et leurs assureurs de responsabilité décennale l’avaient invité à le faire.

La cassation était dès lors inévitable, la troisième Chambre civile rappelant que si la présomption de responsabilité des constructeurs instituée par l’article 1792 du code civil dispense la victime d’avoir à rapporter la preuve de la faute des constructeurs présumés responsables (l’absence de faute n’étant pas une cause exonératoire de responsabilité (1)), ladite présomption ne la dispense pas pour autant d’avoir à caractériser l’imputabilité du désordre aux constructeurs dont elle recherche la responsabilité sur le fondement du texte précité.

En d’autres termes, la présomption de responsabilité du constructeur, qui est une présomption de causalité, ne trouve à s’appliquer à l’encontre dudit constructeur que pour autant que soit préalablement démontrée l’imputabilité du dommage audit constructeur ; celle-ci s’induisant en pratique de son intervention à la construction de l’ouvrage ou partie d’ouvrage affectée des désordres dénoncés ou – pour reprendre une formule couramment usitée – que les désordres affectent la partie d’ouvrage qui ressortirait à sa « sphère d’intervention ».

Autrement formulé, la présomption de responsabilité ne comporte pas de jure de présomption d’imputabilité et pas même une présomption simple d’imputabilité susceptible de plier devant la preuve de l’absence d’intervention du constructeur dans la réalisation de la partie d’ouvrage affectée de désordres, puisqu’il appartient au maître d’ouvrage d’apporter la preuve de l’intervention du constructeur à la réalisation de la partie d’ouvrage affectée de désordres.

Mais si le constructeur poursuivi a concouru à la réalisation de l’ouvrage ou de la partie d’ouvrage affectée de désordres, alors la présomption de responsabilité/causalité s’appliquera avec toute sa rigueur ; ce qu’illustre parfaitement un arrêt de la troisième Chambre civile du 3 décembre 2008 (2) qui énonce :

« qu’ayant retenu que le seul fait, pour chacun des deux constructeurs dont les marchés participaient directement par leur objet à la création de l’escalier, la partie gros oeuvre pour la société Rec, la partie fabrication et pose pour la société Bivort, d’affirmer qu’il n’est pas l’auteur de la réduction de section des piliers qui a été effectuée afin de permettre la mise en place de l’escalier dans le gros oeuvre du bâtiment sur lequel ils étaient l’un et l’autre chargés d’intervenir à cette fin, et qui pouvait aussi bien entrer dans les attributions de l’un et de l’autre, ne fait pas pour chacun la preuve positive qui leur incombe de la cause étrangère et n’est donc pas de nature à les exonérer de la responsabilité de plein droit que l’article 1792 du code civil met à leur charge à l’égard du maître de l’ouvrage… ».

Le constructeur présumé responsable pourra cependant exercer une action en garantie contre l’un ou plusieurs des autres constructeurs, le recours entre coobligés impliquant la démonstration d’une faute, laquelle sera la plupart du temps mise en évidence à l’occasion des opérations d’expertise judiciaire précédant quasiment tous les procès au fond en matière de construction.

La présomption de responsabilité ne prive donc pas pour autant le constructeur présumé responsable d’établir à l’égard d’un autre constructeur que le dommage ne lui est pas imputable mais est imputable à ce dernier ; cette démonstration du défaut d’imputabilité ne devant pas se confondre avec le fait du colocateur qui n’est pas – vis-à-vis du maître d’ouvrage – une cause d’exonération de sa responsabilité fondée sur l’article 1792 du code civil.

En définitive, le constructeur pourra ou non selon la qualité de son interlocuteur exciper :

– vis-à-vis du maître d’ouvrage et de son colocateur d’ouvrage, du défaut d’imputabilité du dommage, s’il affecte une partie de l’ouvrage à laquelle il est resté étranger ;

– vis-à-vis du colocateur d’ouvrage seulement, de l’absence d’une faute quelconque de sa part et d’un lien de causalité entre la faute dudit colocateur d’ouvrage et le dommage considéré affectant un ouvrage à la réalisation duquel ils ont tous deux participé.

Mots clés :

RESPONSABILITE DES CONSTRUCTEURS * Responsabilité décennale * Champ d’application * Travaux réalisés * Louage d’ouvrage * Constatation nécessaire

(1) V. pour un rappel récent CA Angers, 1re Ch. A., 27 mai 2008, juris-data n° 2008-371699.

(2) Civ. 3e, 3 déc. 2008, n° 07-16.638.


Source : Cass. 3e civ., 14 janvier 2009, n° 07-19084


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