Le bénéfice de l’interruption de la prescription décennale n’est pas subordonné, au stade des référés, au paiement de l’indemnité d’assurance dommages ouvrage avant l’expiration de la prescription (Cass. 3e civ., 4 juin 2009) — Karila

Le bénéfice de l’interruption de la prescription décennale n’est pas subordonné, au stade des référés, au paiement de l’indemnité d’assurance dommages ouvrage avant l’expiration de la prescription (Cass. 3e civ., 4 juin 2009)

Ancien ID : 677

RDI 2009 p. 493

Le bénéfice de l’interruption de la prescription décennale n’est pas subordonné, au stade des référés, au paiement de l’indemnité d’assurance dommages ouvrage avant l’expiration de la prescriptionCour de cassation, 3e civ., 4 juin 2009, Sté CIAM c/ Sté Saint Thibault des Vignes quartier Saint-Germain et a., pourvoi n° 07-18.960, publié au Bulletin

Laurent Karila, Avocat à la cour 

Mais attendu qu’ayant relevé par motifs propres et adoptés, que l’assignation en référé délivrée par l’assureur dommages-ouvrage avant paiement par celui-ci de l’indemnité d’assurance l’avait été avant l’expiration du délai de garantie décennale et que l’assignation au fond, suivie du paiement en cours d’instance, avait été signifiée moins de dix ans après l’ordonnance de référé, la cour d’appel en a exactement déduit que l’action de l’assureur dommages ouvrage, subrogé dans les droits du maître d’ouvrage avant que le juge statue au fond, était recevable et que les assureurs couvrant la responsabilité décennale des constructeurs responsables étaient tenus à l’égard de l’assureur dommages-ouvrage.

Observations

Ouf ! Voici un arrêt de la troisième chambre civile que nous appelions de nos voeux pour clarifier une situation relativement confuse et conduisant à une certaine insécurité juridique.

La question pourrait se résumer de la manière suivante : l’assureur dommages-ouvrage qui, peu de temps avant l’expiration du délai d’épreuve décennal, est assigné par son assuré ou reçoit une déclaration de sinistre de celui-ci, peut-il interrompre ledit délai à l’égard des locateurs d’ouvrage par la seule délivrance d’une assignation en référé-expertise ou doit-il, avant ladite délivrance, être régulièrement subrogé dans les droits de son assuré ?

En pratique la question est d’importance car il arrive fréquemment qu’une expertise judiciaire soit utile à la détermination objective du quantum nécessaire à la réparation ou encore à la détermination incontestable, à dire d’expert, du degré de gravité des désordres garantis par la police d’assurance dommages-ouvrage et des polices d’assurance de responsabilité civile décennale des constructeurs.

En sorte que l’assureur dommages-ouvrage est souvent conduit, en fin de période de garantie, dans l’une des deux hypothèses ci-avant évoquées, à introduire une action en référé aux fins de la désignation d’un expert judiciaire, sans pour autant avoir préalablement indemnisé en tout ou partie les dommages allégués par son assuré.

L’assureur n’agit donc pas dans le cadre de la procédure de référé expertise en sa qualité de subrogé dans les droits et actions du bénéficiaire de l’assurance dommages-ouvrage, propriétaire ou acquéreur de l’ouvrage affecté de désordres, puisqu’il n’a pas encore indemnisé son assuré.

Ce n’est souvent qu’à la suite du dépôt du rapport d’expertise intervenu après l’expiration du délai d’épreuve décennal que l’assureur dommages-ouvrage introduit son action au fond à l’encontre des locateurs d’ouvrage et leurs assureurs de responsabilité civile décennale, lesquels excipent alors parfois de l’absence de subrogation à la date de l’assignation en référé expertise de l’assureur dommages-ouvrage pour contester l’effet interruptif de forclusion de ladite action judiciaire ; interruption qui ne se serait (selon eux) d’autant moins opérée par la saisine du juge de référé qu’aucune régularisation (comme le permet l’art. 126, al. 1er, C. pr. civ.) par le paiement de l’indemnité ne pouvait avoir lieu avant que le juge de référé ne statue et ce en raison de l’objet même de la procédure de référé expertise introduite aux seules fins de la désignation d’un expert judiciaire, ce qui exclut tout paiement de l’indemnité préalablement au prononcé de l’ordonnance de référé sollicitée.

C’est d’ailleurs dans ce contexte que la troisième chambre civile a cassé le 14 février 1996 un arrêt de la cour de Versailles qui avait déclaré recevable l’action de l’assureur dommages-ouvrage contre les locateurs d’ouvrage en retenant que l’assignation en référé délivrée par ledit assureur avait interrompu le délai de garantie décennale « peu important que [l’assureur dommages-ouvrage] ait été à cette époque subrogée ou non dans les droits des victimes », au considérant qu’en « statuant ainsi, sans rechercher si à la date de l’assignation en référé, [l’assureur dommages-ouvrage] avait indemnisé la victime et était, dès lors devenue créancière du remboursement par l’effet de la subrogation, la cour d’appel [n’avait] pas donné de base légale à sa décision de ce chef »(1).

La deuxième chambre civile semblait adopter la même position douze années plus tard dans un arrêt du 16 octobre 2008 non publié au bulletin(2).

Ces décisions contraignaient ainsi les assureurs dommages-ouvrage avisés à introduire deux actions, l’une en référé aux fins de désignation d’un expert judiciaire, l’autre au fond en sollicitant la condamnation des locateurs d’ouvrage et de leurs assureurs d’une part et le sursis à statuer dans l’attente du dépôt du rapport d’expertise d’autre part.

Alors même que l’arrêt précité de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 16 octobre 2008 nous avait fait craindre que l’absence de subrogation conduisait nécessairement à l’impossibilité de tout effet interruptif de forclusion par une assignation en référé, la troisième chambre civile nous rassure par son arrêt du 4 juin 2009 – destiné quant à lui à la publication au bulletin(3), en retenant que l’action au fond de l’assureur dommages-ouvrage à l’encontre des constructeurs était recevable même si l’assignation en référé expertise introduite avant l’expiration du délai décennal l’avait été sans que l’assureur n’ait indemnisé son assuré, dès lors que l’action au fond engagée par ledit assureur l’avait été dans le délai de dix ans à compter de la date de l’ordonnance de référé expertise interruptive de la forclusion décennale d’une part et que ledit assureur ait indemnisé le maître d’ouvrage avant que le juge ne statue au fond d’autre part.

L’arrêt du 4 juin 2009 est d’ailleurs à cet égard en parfaite cohérence avec le nouvel article 2241 du code civil introduit par la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 modifiant notamment les règles de la prescription civile extinctive puisqu’il accorde à l’action en référé un effet interruptif de forclusion (« La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion. (…) »), et que l’on admet que le délai décennal visé au nouvel article 1792-4-1 du code civil (ancien article 2270) est un délai d’épreuve assimilé à un délai de forclusion.

Par ailleurs et enfin, l’arrêt commenté semble implicitement mais nécessairement confirmer la notion d’une possible subrogation in futurum, tout en semblant la circonscrire désormais à l’action en référé.

On rappellera en effet que la même troisième chambre avait admis par son arrêt du 30 janvier 2008(4), que l’assureur dommages-ouvrage puisse exciper du bénéfice de l’effet interruptif de prescription à l’égard des locateurs d’ouvrage et de leurs assureurs qu’un simple appel en garantie des locateurs d’ouvrage non suivi du paiement de l’indemnité d’assurance aurait opéré, au considérant d’une subrogation in futurum(5) ; la Cour énonçant : « mais attendu qu’une partie assignée en justice est en droit d’en appeler une autre en garantie des condamnations qui pourraient être prononcées contre elle ; qu’ayant relevé qu’assignée en garantie par son assuré, la société AGF avait appelé en garantie les responsables des désordres et leurs assureurs, la cour d’appel en a exactement déduit que cette société serait, après paiement, subrogée dans les droits et actions des sociétés maîtres de l’ouvrage et, donc, recevable à agir à titre récursoire à l’encontre des constructeurs et de leurs assureurs ».

C’était donc au visa implicite des articles 334 et suivants du code civil relatifs aux appels en garantie que la Cour de cassation retenait l’effet interruptif de l’appel en garantie de l’assureur dommages-ouvrage à l’encontre des locateurs d’ouvrage peu important l’absence de paiement préalable, dès lors en quelque sorte que la recevabilité de l’appel en garantie susévoqué emportait, comme « pour le futur », la recevabilité d’une action subrogatoire que l’assureur dommages-ouvrage exercerait après paiement.

La notion de subrogation in futurum consacrée par l’arrêt de la troisième chambre civile du 30 janvier 2008 est au coeur de l’acceptation opérée par cette même chambre le 4 juin 2009 de l’effet interruptif de forclusion décennale de l’ordonnance de référé prononcée avant tout paiement de l’indemnité d’assurance de l’assureur dommages-ouvrage ; puisqu’aussi bien la Cour de cassation n’aurait pu conclure à l’effet interruptif de forclusion de l’ordonnance de référé sans admettre que l’effet subrogatoire était virtuellement contenu dans l’assignation en référé aux fins de désignation de l’expert judiciaire.

L’arrêt du 4 juin 2009 semble cependant et désormais limiter cette subrogation in futurum à l’action en référé puisqu’elle pose incontestablement comme condition de la recevabilité de l’action judicaire engagée au fond dans le nouveau délai décennal courant à compter de l’ordonnance de référé, que l’assureur dommages-ouvrage ait payé l’indemnité d’assurance en cours de cette instance au fond et avant que le juge ne statue.

Mots clés :

RESPONSABILITE DES CONSTRUCTEURS * Prescription * Interruption * Assignation en référé * Assureur dommages-ouvrage * Subrogation

(1) Civ. 3e, 14 févr. 1996, pourvoi n° 94-13.445.

(2) Civ. 2e, 16 oct. 2008, pourvoi n° 07-19.272 ; RDI 2009. 127, notre note.

(3) Civ. 3e, 4 juin 2009, pourvoi n° 07-18.960, Bull. civ. III, à paraître.

(4) Civ. 3e, 30 janv. 2008, pourvoi n° 06-19.100.

(5) Expression non utilisée par l’arrêt considéré mais rejetée nommément par les juges du fond, dans un arrêt de la cour d’appel de Paris du 16 déc. 2004 (CA Paris, 23e ch. B, 16 déc. 2004, Jurisdata n° 2004-262716) qui énonce : « l’assureur dommages-ouvrage ne justifie d’aucune subrogation actuelle dans la mesure où il n’a pas rempli ses obligations de préfinancement. Il ne peut nullement se prévaloir d’aucune technique de subrogation in futurum dont le principe n’est pas légalement ou par voie prétorienne acquis ».

Source : Cass. 3e civ., 4 juin 2009, n° 07-18960


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