Le contrat d’assurance doit rappeler les causes ordinaires et extraordinaires d’interruption de la prescription biennale(Cass. 2e civ., 18 avr. 2013) — Karila

Le contrat d’assurance doit rappeler les causes ordinaires et extraordinaires d’interruption de la prescription biennale(Cass. 2e civ., 18 avr. 2013)

Commentaire d’arrêt paru à la Revue de droit immobilier 2013 p. 483 – Me Laurent Karila, Avocat, chargé d’enseignement à l’université de Paris I 


Vu l’article R. 112-1 du code des assurances ;

Attendu qu’aux termes de ce texte, les polices d’assurance relevant des branches 1 à 17 de l’article R. 321-1 du même code doivent rappeler les dispositions des titres Ier et II, du livre Ier de la partie législative du code des assurances concernant la prescription des actions dérivant du contrat d’assurance ; qu’il en résulte que l’assureur est tenu de rappeler dans le contrat d’assurance, sous peine d’inopposabilité à l’assuré du délai de prescription édicté par l’article L. 114-1 de ce code, les causes d’interruption de la prescription biennale prévues à l’article L. 114-2 du même code ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que le fonds de commerce de boulangerie exploité par la société l’Épi d’or (l’assurée) a subi successivement deux incendies ; que la société AXA France IARD, assureur de ce fonds, a réglé à l’assurée des sommes relatives à ces sinistres ; qu’à la suite de la résiliation du bail commercial en raison de l’impossibilité de reconstruction de l’immeuble dans lequel était exploité son fonds de commerce, l’assurée a sollicité de l’assureur une indemnité complémentaire en raison de la perte d’exploitation et de valeur vénale du fonds ; que l’assurée a assigné l’assureur en paiement de cette indemnité complémentaire ;

Attendu que pour confirmer le jugement en ce qu’il a déclaré irrecevables comme prescrites les demandes formées par la société Épi d’or, l’arrêt énonce, par motifs propres et adoptés, qu’il est indiqué à l’article 7. 4 des conditions générales de la police multirisques professionnels souscrite par l’assurée, intitulé « Période au-delà de laquelle aucune demande n’est plus recevable », que :  » Toute action dérivant du présent contrat est prescrite par deux ans à compter de l’événement qui y donne naissance, dans les conditions déterminées par les articles L. 114-1 et L. 114-2 du code. La prescription est interrompue par une des causes ordinaires d’interruption de la prescription ainsi que par : la désignation d’un expert à la suite d’un sinistre, l’envoi d’une lettre recommandée avec avis de réception par nous-mêmes en ce qui concerne le paiement de la cotisation et par vous-même en ce qui concerne le règlement de l’indemnité. La simple lettre n’interrompt pas la prescription » ; que l’assureur a donc reproduit l’énumération exhaustive des causes d’interruption de la prescription prévues à l’article L. 114-2 du code des assurances, lequel ne liste pas les causes ordinaires d’interruption et ne procède à aucun renvoi sur ce point au code civil ; que le contrat d’assurance énonce clairement la cause ordinaire d’interruption de la prescription biennale résultant de la désignation d’expert à la suite d’un sinistre, en sorte que l’assurée ne peut soutenir que le délai biennal ne lui serait pas opposable en raison d’une lacune de la police à cet égard ;

Qu’en statuant ainsi, alors qu’il résulte de ses constatations que le contrat ne précisait pas les causes ordinaires d’interruption de la prescription, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

Cour de cassation, 2e civ., 18 avr. 2013, n° 12-19.519, publié au Bulletin, D. 2013. 1064

Observations

La question à laquelle devait répondre la Cour de cassation pourrait être très simplement formulée : sous peine d’être dit irrecevable à se prévaloir de la prescription biennale visée à l’article L. 114-1 du code des assurances vis-à-vis de son assuré, l’assureur est-il légalement tenu d’avoir reproduit à son contrat d’assurance les seules causes d’interruption dites extraordinaires visées à l’article L. 114-2 du même code ou doit-il avoir également reproduit les causes dites ordinaires de prescription visées au code civil ?

La question semblait mériter d’être posée dès lors que l’article R. 112-1 du code des assurances énonce que « les polices d’assurance relevant des branches 1 à 17 de l’article R. 321-1, à l’exception des polices d’assurance relevant du titre VII du présent code […] doivent rappeler […] la prescription des actions dérivant du contrat d’assurance », sans préciser si l’expression « la prescription des actions dérivant du contrat d’assurance » devait être entendue strictement comme ne se rapportant qu’aux délai et point de départ de la prescription biennale des actions dérivant du contrat d’assurance visé à l’article L. 114-1 dudit code, ou également aux causes dites extraordinaires d’interruption de ladite prescription visées à l’article L. 114-2 dudit code ou encore aux causes dites ordinaires d’interruption de toutes les prescriptions – également applicables à la prescription biennale – visées aux nouveaux articles 2240 et suivants du code civil.

Elle méritait d’autant plus d’être posée que la jurisprudence avait récemment eu l’occasion de dire, certes, que les termes de l’article R. 112-1 du code des assurances obligeaient l’assureur à reproduire l’ensemble des termes de l’article L. 114-1 dudit code et non pas seulement à rappeler l’existence dudit article, mais également que ledit article R. 112-1 l’obligeait également à reproduire les termes de l’article L. 114-2 du code des assurances (1).

L’obligation faite par l’article R. 112-1 de « rappeler […] la prescription des actions du contrat d’assurance » pouvait aisément s’interpréter comme une obligation de rappeler les termes de l’article L. 114-1 dudit code dès lors que l’alinéa complet applicable oblige l’assureur à rappeler « les dispositions des titres Ier et II du livre Ier de la partie législative du présent code concernant la règle proportionnelle, lorsque celle-ci n’est pas inapplicable de plein droit ou écartée par une stipulation expresse » ; ce qui conduit à conclure, lorsque la phrase s’achève par « et la prescription des actions dérivant du contrat d’assurance », qu’obligation est faite à l’assureur de rappeler les dispositions de l’article visant la prescription biennale et donc l’intégralité des termes de l’article L. 114-1.

Il était plus difficile de conclure qu’il faille également « rappeler » – qui s’annonçait donc comme un synonyme de « reproduire » -, les termes de l’article L. 114-2 du code des assurances qui énonce, rappelons-le, que « la prescription est interrompue par une des causes ordinaires d’interruption de la prescription et par la désignation d’experts à la suite d’un sinistre. L’interruption de la prescription de l’action peut, en outre, résulter de l’envoi d’une lettre recommandée avec accusé de réception adressée par l’assureur à l’assuré en ce qui concerne l’action en paiement de la prime et par l’assuré à l’assureur en ce qui concerne le règlement de l’indemnité ».

Mais une fois qu’elle l’eut fait, rien n’interdisait alors à la Cour de cassation de dire – et c’est ce qu’elle fit à l’occasion de son arrêt du 18 avril 2013 – que l’assureur devait rappeler les causes certes extraordinaires mais également ordinaires de prescription biennale dès lors que, s’il est exact, comme le soutenait l’assureur défendeur au pourvoi, que l’article L. 114-2 du code des assurances « ne liste pas les causes ordinaires d’interruption et ne procède à aucun renvoi sur ce point au code civil », lesdites causes ordinaires sont visées à la toute première phrase de l’article L. 114-2 qui énonce : « La prescription est interrompue par une des causes ordinaires d’interruption de la prescription et par la désignation d’experts à la suite d’un sinistre […] ».

Mots clés : ASSURANCE * Contrat d’assurance * Prescription biennale * Interruption * Cause ordinaire et extraordinaire * Mention obligatoire

(1) Civ. 2e, 3 sept. 2009, n° 08-13.094, Bull. civ. III, n° 201, D. 2009. 2165, obs. S. Lavric  ; ibid. 2010. 1740, obs. H. Groutel ; RDI 2009. 652, obs. D. Noguéro  – Civ. 2e, 17 mars 2011, nos 10-15.267 et 10-15.864, D. 2012. 1980, obs. H. Groutel  ; RDI 2011. 347, obs. L. Karila  – Civ. 2e, 28 avr. 2011, n° 10-16.403, Bull. civ. II, n° 92, D. 2011. 1281  ; ibid. 2012. 1980, obs. H. Groutel  – Civ. 3e, 28 avr. 2011, n° 10-16.269, Bull. civ. III, n° 60, D. 2012. 1980, obs. H. Groutel  – Civ. 3e, 18 oct. 2011, n° 10-19.171, D. 2012. 1980, obs. H. Groutel  ; RDI 2012. 107, obs. L. Karila  – Civ. 3e, 16 nov. 2011, n° 10-25.246, Bull. civ. III, n° 195246, D. 2011. 2933  ; ibid. 2012. 1980, obs. H. Groutel .

Me Laurent Karila, Avocat, chargé d’enseignement à l’université de Paris I – Revue de droit immobilier 2013 p. 483


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