Le locataire n’est pas bénéficiaire de l’action en garantie décennale (3e Cass. 3e civ., 23 octobre 2012) — Karila

Le locataire n’est pas bénéficiaire de l’action en garantie décennale (3e Cass. 3e civ., 23 octobre 2012)

Ancien ID : 1039

Le locataire n’est pas bénéficiaire de l’action en garantie décennale

« Vu l’article 1792 du code civil ;

Attendu que pour rejeter la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir de la société Dajy, l’arrêt retient que la société Liberté 89 aux droits de laquelle se trouve la société Les Letruns, a donné à bail à la société Dajy un local murs nus que cette dernière a aménagé à ses frais exclusifs, que le bailleur n’a jamais financé les travaux nécessaires à la reprise des désordres, mettant au contraire en cause la responsabilité de son locataire et sollicitant, en première instance, sa condamnation à l’exécution des travaux de reprise, que la société Dajy a la qualité de maître de l’ouvrage au sens des articles 1792 et suivants du code civil ;

Qu’en statuant ainsi, alors que, la société Dajy, titulaire d’un simple droit de jouissance sur l’ouvrage dont elle n’avait pas la propriété n’était pas recevable à agir contre la société Sagena en responsabilité décennale, la cour d’appel a violé le texte susvisé » ;

Cour de cassation, 3e civ., 23 oct. 2012, nos 11-18850 et 11-19650

Observations :

La question posée est simple et la réponse de la Cour de cassation l’est tout autant : le locataire, titulaire d’un simple droit de jouissance, n’est pas bénéficiaire de l’action en garantie décennale.

La fermeté du propos doit cependant, selon nous, être nuancée.

En effet, en énonçant que « tout constructeur d’un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l’acquéreur de l’ouvrage, des dommages […] », l’article 1792 du code civil rend le maître d’ouvrage et l’acquéreur de l’ouvrage bénéficiaires de l’action en responsabilité civile décennale, sans pour autant définir la qualité de maître de l’ouvrage que l’on accorde habituellement certes au propriétaire du sol ou de l’ouvrage préexistant, mais tout aussi communément à celui qui bien que dépourvu du droit de propriété est titulaire d’un droit à construire.

En sorte qu’il est permis de s’interroger sur le fait de savoir si le preneur à bail, maître d’ouvrage d’une opération de construction d’un ouvrage immobilier au sens de l’article précité, pour s’être lui-même engagé dans les termes de contrats d’entreprise, ne peut pas exciper du bénéfice de la garantie décennale vis-à-vis desdites entreprises.

C’est, selon nous, à celui qui conclut les contrats de louage d’ouvrage que revient la qualité de maître d’ouvrage et par conséquent le bénéfice de l’action en responsabilité civile décennale ; sauf clause contractuelle particulière qui accorderait au propriétaire de l’assiette immobilière sur laquelle s’opèrent lesdits travaux réalisés par le preneur la qualité immédiate de propriétaire des travaux réalisés, selon une clause dite d’accession immédiate, ou sauf encore clause contractuelle particulière interdisant tous travaux au preneur, ce qui, selon nous, empêcherait au preneur de revendiquer une qualité légitime de propriétaire de ses travaux de construction.

Autrement formulé, la qualité du locataire ne devrait pas être exclusive de celle du maître d’ouvrage, laquelle appartient – sauf clause expresse ou tacite en sens contraire – à celui qui a commandité les travaux.

Telle n’a cependant pas été la tendance de la jurisprudence récente qui, en 1997, à l’occasion d’un arrêt de la troisième chambre civile du 22 mai 1997(1) rejeta l’action au fond du maître d’ouvrage devenu locataire, se fondant sur la garantie décennale et sans considérer devoir rechercher d’office si l’obligation des constructeurs pouvait être établie sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun, au motif que l’ancien maître d’ouvrage n’était plus, au moment de l’action, propriétaire de l’ouvrage, mais simple locataire.

C’est également ce qu’énonçait en des termes très généraux et définitifs le résumé de l’arrêt de la troisième chambre civile du 1er juillet 2009(2), en énonçant que « le locataire, qui n’est titulaire que d’un simple droit de jouissance sur l’ouvrage dont il n’a pas la propriété, ne peut se prévaloir de la qualité de maître d’ouvrage et ne dispose donc pas de l’action en garantie décennale que la loi attache à la propriété de l’ouvrage et non à sa jouissance ».

Les circonstances de l’arrêt ne permettaient pas d’opérer manifestement la nuance qu’avait eu l’occasion de faire deux années plus tôt et précisément le 4 avril 2007 la Cour de cassation, lorsqu’elle énonça, à l’occasion dudit arrêt(3) que « le bailleur devenu propriétaire des ouvrages réalisés par le preneur en cours de bail aux termes d’une clause d’accession est titulaire d’une action directe contre l’assureur du constructeur responsable des désordres affectant ces ouvrages et a la qualité de recevoir l’indemnité due au titre de la réparation de ces désordres ».

La troisième chambre civile s’évertuait alors à tenir compte du fait de savoir si la clause d’accession à la propriété des ouvrages construits par leur preneur avait fait son effet au bénéfice du bailleur devenant ainsi propriétaire, ou non.

C’est encore de manière trop générale selon nous, que la Cour de Cassation, dans son arrêt du 23 octobre 2012(4), prive le preneur pourtant maître d’ouvrage des travaux litigieux de son droit à agir sur le fondement de l’article 1792, en reprenant l’expression utilisée à l’occasion de son arrêt du 1er juillet 2009, savoir que le locataire n’était titulaire « que d’un simple droit de jouissance sur l’ouvrage dont il n’avait pas la propriété » et n’était donc pas recevable à agir.

Si certaines cours d’appel distinguent, selon nous à juste raison, la qualité de propriétaire de celle du maître de l’ouvrage réalisé à l’intérieur d’un bâtiment(5), d’autres ne le font malheureusement pas(6).

La jurisprudence n’a à ce jour, à notre connaissance, pas eu à se pencher sur la situation dans laquelle le contrat de bail aurait stipulé que l’ensemble des travaux réalisés par le locataire était sa propriété jusqu’au renouvellement ou la fin du bail et à accorder, à ce motif, au preneur le droit à agir sur le fondement de la garantie décennale.

Il serait peut-être prudent d’insérer à l’ensemble des baux une clause par laquelle il serait stipulé que le preneur est propriétaire de ses travaux afin de le rendre bénéficiaire de l’action en garantie décennale.

Mots clés :

RESPONSABILITE DES CONSTRUCTEURS * Responsabilité décennale * Action en justice * Recevabilité * Locataire * Droit de jouissance

(1) Civ. 3e, 22 mai 1997, n° 95-17.879, RDI 1997. 589, obs. P. Malinvaud et B. Boubli.

(2) Civ. 3e, 1er juill. 2009, n° 08-14.714, D. 2009. 1964 ; RDI 2009. 539, obs. L. Tranchant ; ibid. 547, obs. P. Malinvaud et G. Leguay ; RTD com. 2009. 801, obs. B. Bouloc, Bull. civ. III, n° 162.

(3) Civ. 3e, 4 avr. 2007, n° 06-11.154, D. 2007. 1276, obs. Y. Rouquet, Bull. civ. III, n° 54.

(4) Civ. 3e, 23 oct. 2012, nos 11-18.850 et 11-19.650.

(5) Nîmes, 27 juin 2006, Juris-Data n° 3117 892.

(6) Dijon, 18 déc. 2007, Juris-Data n° 358848 ; Versailles, 7 mai 2012, Juris-Data n° 010513.

Me Laurent Karila, Avocat, chargé d’enseignement à l’Université de Paris I – Revue de droit immobilier 2013 p. 95

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