Les conséquences de l’application de l’article L. 121-12 du Code des assurances dans les rapports de l’assuré avec l’acquéreur (Cass. 3e civ., 21 mai 2014) — Karila

Les conséquences de l’application de l’article L. 121-12 du Code des assurances dans les rapports de l’assuré avec l’acquéreur (Cass. 3e civ., 21 mai 2014)

Revue générale du droit des assurances, 01 juillet 2014 n° 7, P. 395 

ASSURANCE

Les conséquences de l’application de l’article L. 121-12 du Code des assurances dans les rapports de l’assuré avec l’acquéreur

Assurance dommages-ouvrage ; Subrogation de l’assureur DO contre l’assureur RC décennale ; Action de l’assuré contre l’assureur RC ; Action engagée hors délai ; Subrogation rendue impossible par l’assuré ; C. assur., art. L. 121-12 ; Assuré déchu du droit à garantie (oui) ; Responsabilité envers l’acquéreur (oui)

ASSURANCE

par Jean-Pierre Karila

avocat à la cour, barreau de Paris

docteur en droit

professeur à l’ICH

chargé d’enseignement à l’Institut des Assurances de Paris – Dauphine

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Cass. 3e civ., 21 mai 2014, no 13-18152, FS–PB

Le propriétaire de l’ouvrage qui laisse prescrire son action à l’encontre du responsable et de l’assureur de celui-ci et qui est en conséquence déchu du droit à la garantie de l’assurance dommages-ouvrage par application du second alinéa de l’article L. 121-12 du Code des assurances, engage sa responsabilité à l’égard de l’acquéreur de l’ouvrage pour perte de chance de celui-ci à être indemnisé des dommages affectant l’ouvrage acquis.

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Versailles, 18 mars 2013), que la société civile coopérative de construction Les Mandollets (la société Les Mandollets) a fait construire un ensemble de pavillons ; qu’elle a chargé de l’exécution des travaux de gros œuvre la société ECEB, assurée auprès de la société Axa France IARD et placée aujourd’hui en liquidation judiciaire ; qu’elle avait souscrit une police dommages-ouvrage auprès de la société L’Equité ; que la réception a été prononcée le 25 septembre 1986 ; que la société Les Mandollets a conclu le 16 septembre 1986 un contrat de location-attribution d’un pavillon avec M. et Mme X. ; que, par acte du 26mars 2001, ceux-ci sont devenus propriétaires de ce pavillon après avoir remboursé le prêt ; qu’après avoir déclaré deux sinistres en 1989 et 1993 et refusé les indemnités proposées par l’assureur dommages-ouvrage, M. et Mme X. ont obtenu en référé le 30 juin 1998 la désignation d’un expert judiciaire ; que, le 19 octobre 1998, la société Les Mandollets a assigné la société L’Equité qui a appelé en garantie les époux X., le liquidateur de la société ECEB et la société Axa France IARD devant le tribunal de grande instance de Pontoise qui, par jugement du 26 mai 2004, a déclaré prescrites les demandes de la société Les Mandollets à l’égard de la société Axa France IARD, a dit que la société Les Mandollets était déchue du droit à la garantie dommages-ouvrage de la société L’Equité par application de l’article L. 121-12 du Code des assurances et a déclaré irrecevables pour défaut de qualité de propriétaire au moment du sinistre, les demandes des époux X. tendant à la condamnation in solidum de la société L’Equité et de la société Axa France IARD à les indemniser de leurs préjudices ; que le 9 mars 2009, les époux X. ont assigné la société Les Mandollets en paiement de dommages-intérêts ;

Attendu que la société Les Mandollets fait grief à l’arrêt de la condamner à payer à M. et Mme X. la somme de 50 000 euros avec intérêts au taux légal à titre d’indemnité correspondant à la perte de chance alors, selon le moyen :

1°/ que l’action en responsabilité contractuelle de droit commun des constructeurs se prescrit par dix ans à compter de la réception ; que la société civile coopérative de construction qui cède au locataire-attributaire le bien qu’elle a fait construire est un constructeur ; qu’en écartant la prescription décennale invoquée par société Les Mandollets au prétexte que les époux X. ne demandaient pas à leur vendeur l’indemnisation des dommages affectant le pavillon mais recherchaient sa responsabilité dans l’exécution du contrat de location-attribution, la cour d’appel a violé l’ancien article 2270 du Code civil, applicable en l’espèce ;

2°/ que pendant l’exécution du contrat de location-attribution, la société civile coopérative de construction est l’unique propriétaire du bien et elle seule a vocation à percevoir une indemnité en cas de désordres ; qu’elle n’a aucune obligation d’exercer valablement son droit exclusif à une telle indemnisation en l’absence de stipulation expresse en ce sens du contrat de location-attribution ; qu’en jugeant que la société Les Mandollets avait commis une faute contractuelle envers les époux X. pour avoir été déchue de son droit à indemnisation auprès de l’assureur dommages-ouvrage, sans constater qu’une clause du contrat l’eût obligée à exercer valablement ce droit, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 et 1147 du Code civil ;

3°/ que l’autorité de chose jugée n’a pas lieu si dans les deux instances successives la chose demandée n’est pas la même ; que l’arrêt attaqué a imputé à faute à la société Les Mandollets la perte de son droit à indemnisation par la société L’Equité au prétexte qu’elle avait été définitivement déclarée déchue de ce droit par le jugement du 26 mai 2004 ; qu’en statuant ainsi, quand il résulte de ses constatations que l’instance ayant donné lieu au jugement du 26 mai 2004, qui tendait à la réparation de désordres relevant de la garantie décennale, n’avait pas le même objet que celle qui lui était soumise et qui tendait à la mise en jeu de la responsabilité de la société Les Mandolets dans l’exécution du contrat de location-attribution, la cour d’appel a violé l’article 1351 du Code civil ;

4°/ que la garantie de l’assureur dommages-ouvrage ne postule pas que l’assuré agisse aux fins d’indemnisation contre le constructeur ou l’assureur de ce dernier ; qu’en toute hypothèse, en retenant que la société Les Mandolets avait fautivement perdu son droit à indemnisation par la société L’Equité, assureur dommages-ouvrage, en application de l’article L. 121-12 du Code des assurances et pour n’avoir pas agi dans le délai décennal contre le constructeur, la société ECEB, ni contre l’assureur de ce dernier, la société Axa France IARD, la cour d’appel a violé les articles A. 243-1, II, 5° et L. 121-12 du Code des assurances et 1147 du Code civil ;

5°/ que, avant l’acquisition du bien, le locataire-attributaire peut, par la voie de l’action oblique, exercer les droits de la société civile coopérative de construction contre les constructeurs responsables de désordres et leurs assureurs ; qu’en jugeant que seule la société Les Mandollets en sa qualité de propriétaire du pavillon, et non les époux X., pouvait interrompre la prescription avant le 25 septembre 1996 contre les sociétés ECEB et Axa France IARD, la cour d’appel a violé l’article 1116 du Code civil ;

6°/ … [sans intérêt>

7°/ … [sans intérêt]

8°/ … [sans intérêt]

Mais attendu, … [sans intérêt] ;

Attendu, d’autre part, qu’ayant retenu que les époux X. ne demandaient pas à leur vendeur l’indemnisation des dommages affectant le pavillon, mais recherchaient sa responsabilité pour la faute qu’il avait commise dans l’exécution du contrat de location-vente-attribution et que cette faute avait été mise en évidence par le jugement du 26 mai 2004, la cour d’appel en a déduit à bon droit que la prescription n’était pas acquise ;

Attendu, enfin, qu’ayant retenu que la société Les Mandollets s’était fautivement privée du droit à réparation dont elle était seule titulaire en qualité de propriétaire du bien à la date des désordres et n’avait pas permis aux époux X. auxquels elle l’avait cédé de faire prendre en charge par les assureurs les dommages dont ce bien demeurait affecté et relevé que l’expertise ordonnée à la demande des époux X. l’avait été à la suite d’une assignation délivrée après l’expiration du délai d’épreuve, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de procéder à des recherches que ses constatations rendaient inopérantes, a pu en déduire, sans dénaturation, que la demande indemnitaire formée par les époux X., qui n’étaient pas tenus d’exercer une action oblique, devait être accueillie ;

D’où il suit que le moyen, pour partie irrecevable, n’est pas fondé pour le surplus ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

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Faits et procédures

1. Pour apprécier la portée de l’arrêt rapporté, il est nécessaire de rappeler les faits dans leur chronologie et pour le moins, en partie, la situation procédurale précédant l’arrêt de la cour d’appel objet d’un pourvoi rejeté par l’arrêt rapporté.

Une société coopérative de construction fait édifier un ensemble pavillonnaire et à cette occasion, souscrit une assurance dommages-ouvrage.

Un contrat de location-attribution est conclu le 16 septembre 1986 avec coopérateurs concernant l’un des pavillons dont la réception est prononcée le 25 septembre 1986. Dans le délai de la garantie décennale, en 1989 et en 1993, des dommages affectent le pavillon considéré et font l’objet, à l’initiative semble-t-il des locataires-attributaires, de deux déclarations de sinistre auprès de l’assureur dommages-ouvrage lequel a offert des indemnités et a établi à cet effet des chèques au nom de la société coopérative de construction, seule propriétaire de l’ouvrage ; mais ces indemnités sont refusées par les locataires-attributaires lesquels deviennent propriétaires du pavillon concerné le 26 mai 2011 tandis que dans l’intervalle ils avaient introduit une procédure de référé expertise en 1998.

Au vu du rapport d’expertise, une procédure au fond est alors initiée, par la société coopérative de construction semble-t-il, à l’encontre du constructeur responsable des désordres, de l’assureur de celui-ci et de l’assureur dommages-ouvrage, procédure au fond dans le cadre de laquelle les locataires-attributaires devenus propriétaires depuis 2001 recherchent aussi la condamnation de l’assureur de responsabilité décennale de l’entrepreneur d’une part, ainsi que la condamnation de l’assureur dommages-ouvrage, d’autre part. Par jugement du 26 mai 2004, le tribunal de grande instance de Pontoise :

– déclare prescrites les demandes de la société coopérative de construction à l’encontre de l’assureur de la responsabilité décennale du constructeur responsable ;

– juge par ailleurs que ladite société coopérative de construction est déchue de son droit à garantie de l’assureur dommages-ouvrage en application du second alinéa de l’article L. 121-12 du Code des assurances pour n’avoir pas agi en temps opportun à l’encontre de l’assureur de responsabilité et du responsable des dommages ;

– déclare irrecevables pour défaut de qualité de propriétaire au moment du sinistre les demandes des locataires-attributaires tendant la condamnation in solidum de l’assureur dommages-ouvrage et de l’assureur de responsabilité décennale du constructeur concerné à indemniser leur préjudice.

C’est dans ces conditions que les locataires-attributaires devenus propriétaires engagent, le 9 mars 2009, une action à l’encontre de la société coopérative de construction dont ils recherchent la responsabilité contractuelle.

Par jugement du 11 mai 2011, le tribunal de grande instance de Pontoise leur donne satisfaction et leur accorde une indemnité égale au montant des travaux de réparation des désordres, soit 82 186 €, ainsi qu’une indemnité au titre du trouble de jouissance. Par arrêt du 18 mars 2013 choqué de pourvoi, la cour de Versailles confirme la décision dans son principe, mais réduit le quantum de la condamnation à 50 000 € à titre d’indemnité correspondant à la perte de chance d’obtenir la réparation des désordres.

Économie de l’arrêt de la cour de Versailles

2. Au vu de ce qui avait déjà été jugé par le jugement précité du 26 mai 2004, notamment sur la prescription des demandes de la société coopérative de construction à l’égard de l’assureur de responsabilité décennale du responsable des désordres et la déchéance de la garantie de l’assureur dommages-ouvrage, la cour de Versailles adopte la motivation du premier juge (jugement du 11 mai 2011), quant à l’existence de la faute de la société coopérative de construction dont l’inaction avait privé les acquéreurs de la réparation des désordres alors qu’en sa qualité de propriétaire elle seule aurait pu interrompre la prescription décennale avant le 25 septembre 1996 (dix ans après la réception du 25 septembre 1986). Elle juge que la demande indemnitaire des acquéreurs tendait, non pas à l’indemnisation/réparation des désordres, mais à celle d’une perte de chance d’obtenir la réparation de leurs préjudices résultant desdits désordres affectant l’ouvrage et réduit en conséquence le montant de l’indemnité, qui avait été calculé par référence au strict coût de réparation des désordres, soit 82 186 € à celle de 50 000 €. Ce faisant, la cour de Versailles n’a fait qu’appliquer un principe posé par la Cour de cassation depuis un arrêt du 27 mars 1973 (Cass. 1re civ., 27 mars 1973, n° 71-14587 : Bull. civ. I, n° 115), réitéré à de nombreuses reprises (Cass. 1re civ., 16 juill. 1998, n° 96-15380 : Bull. civ. I, n° 260 – Cass. 1re civ., 9 avr. 2002, n° 00-13314 : Bull. civ. I, n° 116 – Cass. 1re civ., 19 déc. 2010, n° 09-69490 : Bull. civ. I, n° 255 – Cass. com., 12 juill. 2011, n° 10-17236), selon lequel la réparation/indemnisation d’une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée.

3. On observera cependant que sans la faute contractuelle de la société coopérative de construction, les locataires-attributaires auraient pu obtenir du constructeur ou de son assureur de responsabilité décennale, une indemnisation égale au strict coût de la réparation des dommages soit 82 186 € s’agissant d’une responsabilité de plein droit ne cédant que devant la démonstration d’une cause étrangère dont l’existence n’avait pas été alléguée…

Rare application de l’alinéa 2 de l’article L. 121-12 du Code des assurances

4. L’arrêt rapporté n’a pas trait à l’application du second aliéna de l’article L. 121-12 du Code des assurances, laquelle avait été acquise définitivement par le jugement précité du 26 mai 2004.

On rappellera que ce texte, inspiré des dispositions de l’ancien article 2037 du Code civil devenu l’article 2316 dudit code, énonce que l’assureur « peut être déchargé en tout ou partie de sa responsabilité [c’est-à-dire de sa garantie> par la subrogation ne peut plus, par le fait de l’assuré, jouer en faveur de l’assuré ».

Ce texte n’entraîne donc pas, comme l’a dit de façon maladroite les juges du fond du premier degré (la cour de Versailles n’ayant quant à elle que reproduit ce qui avait été définitivement jugé à cet égard), « une déchéance » de garantie mais une « décharge » de la garantie de l’assureur, soit en partie soit en totalité, c’est-à-dire une absence totale ou partielle de la garantie qui aurait été due sans le fait de l’assuré.

On ne peut en conséquence que regretter l’emploi du terme déchéance, dont, en matière d’assurance, la signification et les effets sont totalement différents de l’absence totale ou partielle de garantie.

L’application de l’alinéa 2 de l’article L. 121-2 du Code des assurances est assez rare, d’une manière générale, quoiqu’illustrée dans les hypothèses fort variées, comme en cas de renonciation de l’assuré à agir à l’encontre du responsable ou encore en cas de transaction de l’assuré avec ledit responsable ou encore en cas d’omission par l’assuré de l’accomplissement de certaines formalités ou encore de certains actes dans certains délais. L’application de ce texte est encore plus rare en assurance construction, notamment en assurance dommages-ouvrage pour la simple raison que l’assureur prend souvent lui-même l’initiative, afin de préserver ses recours subrogatoires ultérieurs, d’interrompre la prescription dans le cadre d’une action en garantie, n’impliquant par hypothèse aucun paiement ou dans le cadre d’une action subrogatoire par anticipation la jurisprudence accordant dans ces deux hypothèses un effet interruptif à l’action de l’assureur dommages-ouvrage (voir à cet égard note J.-P. Karila sous CE, 12 mars 2014, n° 364429 : RGDA, juin 2014, p. 347, n° 110×1). À notre connaissance, c’est en tous les cas la première fois que les juges du fond ont appliqué le principe édicté par ce texte en matière d’assurance dommages-ouvrage.

Le pourvoi

5. La société coopérative de construction avait présenté un moyen unique de cassation subdivisé en huit branches dont certaines auraient pu d’ailleurs être regroupées en ce qu’elles tendaient de facto à la même critique. Nous nous attacherons seulement à l’examen de la première branche, puis ensemble à ceux de la deuxième et quatrième branches et enfin à celui de la cinquième branche du moyen, qui posent véritablement des questions de droit que la Cour de cassation devait trancher dans le cadre et la limite de ce qui lui était proposé par les diverses branches ci-avant évoquées du moyen unique de cassation.

Sur la durée de la prescription de l’action en responsabilité contractuelle au titre de l’exécution du contrat de location-vente-attribution

6. La question à laquelle renvoyait nécessairement l’examen de la première branche du moyen qui prétendait à la violation par la cour de Versailles de l’ancien article 2270 du Code civil, applicable en l’espèce, pour avoir écarté la prescription décennale de l’action que les locataires-attributaires avaient engagée plus de dix ans après la réception des travaux, était donc de savoir si l’action engagée, par les locataires-attributaires devenus propriétaires à l’encontre de la société coopérative de construction, sur le fondement de l’article 1147 du Code civil, relativement à l’exécution du contrat de location-vente-attribution, relevait ou non de la prescription décennale attachée à la responsabilité contractuelle de droit commun des constructeurs. On rappellera que depuis notamment deux arrêts de principe du 16 octobre 2002 (Cass. 3e civ., 16 oct. 2002, n° 01-10330 et 01-10482 : Bull. civ. III, n° 205 ; voir également sur la question « Vers l’uniformisation de tous les délais d’action des différentes responsabilités des constructeurs d’ouvrages immobilier » par J.-P. Karila, JCP N 2004, p. 1160 et s.), et de facto déjà avant 2000, la jurisprudence a posé le principe de l’application de la responsabilité contractuelle de droit commun pour faute prouvée pour une durée de dix ans après la réception mais concernant seulement la réparation/indemnisation de désordres ne relevant pas des garanties légales [soit à raison de réserves dont ils auraient fait l’objet lors de la réception, soit en raison de leur caractère mineur (désordres dits intermédiaires)] ou concernant la réparation/indemnisation de manquements au devoir de conseil relativement à des désordres. La solution avait été, par la suite, étendue à des manquements contractuels ne se rattachant qu’indirectement à des désordres (Cass. 3e civ., 16 mars 2005, n° 04-12950 : Bull. civ. III, n° 65 ; D. 2005, p. 2198, com. J.-P. Karila).

La société coopérative de construction pouvait-elle prétendre utilement à la violation de l’article 2270 ancien du Code civil (rédaction de la loi du 4 janvier 1978) devenu, par l’effet de la loi du 17 juin 2008 sur la réforme de la prescription civile, l’article 1792-4.1 dudit code alors que ce texte renvoie aux seules responsabilités encourues à raison des dommages/désordres visés aux articles 1792, 1792-2 et 1792-3 du Code civil ?

Les arrêts de principe précités du 16 octobre 2002 ne visaient, quant à eux, pas expressément, les dispositions de l’ancien article 2270 du Code civil à propos de désordres, objet de réserves lors de la réception (arrêt Maisons Bottemer), ou de manquements au devoir de conseil (arrêt Grobost), la durée décennale de l’action en responsabilité contractuelle de droit commun qu’ils admettaient, en computant son point de départ au jour de la réception avec ou sans réserves, étant le résultat d’une décision purement prétorienne, inspirée de facto par le texte encore plus ancien de l’article 2270 du Code civil précité (L. 3 janvier 2007), lequel ne renvoyait pas expressément aux seules garanties légales (voir à cet égard les éclairantes observations du Professeur Ph. Malinvaud, D. 2003, p. 300 et s.).

Il était en conséquence aisé pour la haute juridiction judiciaire de rejeter la première branche du moyen unique du pourvoi et de valider ainsi l’arrêt de la cour de Versailles en ce qu’ayant retenu que les locataires-attributaires ne demandaient pas à leur vendeur l’indemnisation des dommages affectant le pavillon, mais recherchaient sa responsabilité pour la faute qu’il avait commise dans l’exécution du contrat de location-vente-attribution et que cette faute avait été mise en évidence par le jugement du 26 mai 2004, elle en avait déduit « à bon droit » que la prescription n’était pas acquise.

Sur les conséquences de l’absence de mise en œuvre par le propriétaire-vendeur de l’assurance décennale comme de l’assurance dommages-ouvrage

7. Aux termes de la seconde branche du moyen, la société coopérative de construction prétendait à la violation des articles 1134 et 1147 du Code civil par la cour de Versailles, pour avoir retenu sa faute contractuelle envers les locataires-attributaires, pour avoir été déchue de son droit à indemnisation par l’assureur dommages-ouvrage alors qu’aucune clause du contrat de location-vente-attribution ne lui imposait de mettre en œuvre l’assurance dommages-ouvrage tandis qu’aux termes de la quatrième branche du moyen, la société coopérative de construction prétendait à la violation des articles A. 243-1-II-5°, et L. 121-12 du Code des assurances ensemble l’article 1147 du Code civil par la cour de Versailles en ce qu’elle avait retenu qu’elle avait fautivement perdu son droit à indemnisation de l’assureur dommages-ouvrage en n’ayant pas agi à l’encontre du constructeur responsable, ni de son assureur de responsabilité dans le délai décennal.

La question posée en conséquence aux termes des deuxième et quatrième branches regroupées du moyen unique consiste à déterminer si la société coopérative de construction a commis une faute en perdant le bénéfice de l’assurance dommages-ouvrage alors qu’aucune clause du contrat de location-vente-attribution ne lui imposait pas de solliciter la garantie de l’assureur dommages-ouvrage d’une part, tandis que les clauses types ne subordonnent pas la garantie de celui-ci à la mise en œuvre, par l’assuré de la responsabilité décennale du constructeur concerné et de l’assureur de ce dernier, d’autre part.

8. La seconde et quatrième branches du moyen pouvaient effectivement être formellement soutenues, sauf que la situation de l’espèce était particulière, les locataires-attributaires ayant manifesté clairement leur volonté – alors qu’ils n’avaient pas qualité quant à ce –, de mettre en œuvre l’assurance dommages-ouvrage et d’obtenir la réparation indemnisation des dommages de nature décennale affectant le pavillon dont ils avaient vocation à devenir propriétaires en sorte qu’à notre avis, il appartenait effectivement à la société coopérative de construction, ne serait-ce qu’en vertu du principe posé par l’article 1135 du Code civil selon lequel les conventions « obligent non seulement à ce qui est exprimé, mais encore à toutes les suites que l’équité, l’usage ou la loi donne à l’obligation d’après sa nature » ou encore le principe de coopération entre co-contractants, de préserver les droits de coopérateurs-locataires-attributaires à être indemnisés des dommages affectant le pavillon dont ils devaient devenir propriétaires.

Si, par ailleurs, il est vrai que les clauses types n’imposent pas au bénéficiaire de l’assureur dommages-ouvrage de préserver les droits de celui-ci en mettant en œuvre la responsabilité de plein droit du constructeur concerné ou encore la garantie d’assurance de celui-ci, on observera néanmoins que les clauses types prévoient expressément certaines obligations à la charge de l’assuré « pour permettre l’exercice éventuelle du droit de subrogation ouvert au profit de l’assureur par l’article L. 121-12 du Code des assurances », en la circonstance notamment d’accès au chantier pendant l’exécution des travaux tant à l’assureur dommages-ouvrage qu’aux assureurs de responsabilité décennale et autres mesures…

Si donc, en vertu de cette règlementation, le propriétaire (en la circonstance l’assuré) a l’obligation de concourir à la préservation des droits de l’assureur dommages-ouvrage, lequel ne fait que préfinancer la réparation de certains dommages, il est logique, nous semble-t-il, qu’il ait à supporter personnellement les conséquences préjudiciables pour son acquéreur de la sanction attachée à la non-préservation, de son fait, des droits de l’assureur.

9. La haute juridiction judiciaire ne répond pas néanmoins à la seconde et à la quatrième branches du moyen ci-dessus évoqués sauf à se retrancher implicitement – dans le cadre d’un simple contrôle de motivation – derrière le pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond.

Sur la question de l’action oblique

10. Aux termes de la cinquième branche du moyen, il était reproché à la cour de Versailles d’avoir jugé que seule la société coopérative de construction avait qualité pour interrompre avant le 25 septembre 1996, la prescription contre le constructeur responsable et l’assureur de celui-ci, violant ainsi les dispositions de l’article 1166 du Code civil (l’arrêt vise par erreur l’article 1116 du Code civil), posant le principe selon lequel les créanciers peuvent exercer tous les droits et actions de leur débiteur si, comme le postule la jurisprudence, la négligence ou l’inaction de celui-ci compromet leurs droits (action oblique).

11. Ici encore, la cinquième branche du moyen était formellement pertinente : il était en effet effectivement excessif d’affirmer que seule la société coopérative de construction avait qualité pour interrompre la prescription, les locataires-attributaires pouvant exercer l’action oblique, voire une action délictuelle et interrompre en conséquence l’action en garantie décennale (action oblique) ou l’action au titre de la responsabilité extracontractuelle du constructeur concerné.

Il reste que l’exercice de l’action oblique, comme d’ailleurs de celle d’une action extracontractuelle, n’était pour les locataires-attributaires qu’une faculté qu’ils n’avaient nullement l’obligation de mettre judiciairement en œuvre.

Conclusion

12. En définitive, le rejet du pourvoi est justifié en fait et trouve globalement également d’un point de vue strictement juridique sa justification.


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