Les désordres affectant un élément de l’ouvrage, non destiné à fonctionner relèvent exclusivement de la responsabilité contractuelle de droit commun des constructeurs — Karila

Les désordres affectant un élément de l’ouvrage, non destiné à fonctionner relèvent exclusivement de la responsabilité contractuelle de droit commun des constructeurs

 

Construction-Urbanisme – Les désordres affectant un élément de l’ouvrage, non destiné à fonctionner relèvent exclusivement de la responsabilité contractuelle de droit commun des constructeurs – Commentaire par Jean-Pierre Karila

La Semaine Juridique Edition Générale n° 45, 14 novembre 2022, act. 1257

Commentaire par Jean-Pierre Karila avocat à la cour, barreau de Paris, docteur en droit, professeur à l’ICH, chargé d’enseignement à l’Institut des assurances de Paris-Dauphine

Construction-Urbanisme

Solution. – Les désordres quelle que soit leur gravité, affectant un élément d’équipement non destiné à fonctionner, adjoint à un existant, relèvent exclusivement de la responsabilité contractuelle de droit commun du constructeur ou réputé constructeur.

Impact. – La solution retenue par l’arrêt du 13 juillet 2022 conduira à neutraliser, pour les éléments non destinés à fonctionner, la règle posée par l’arrêt de principe du 15 juin 2017 selon laquelle les désordres affectant les éléments d’équipement dissociables ou non, d’origine ou installés sur un existant, relève de la responsabilité décennale lorsqu’ils rendent l’ouvrage, dans son ensemble, impropre à sa destination.

LA COUR – (…)

Faits et procédure

• 1. Selon l’arrêt attaqué (CA Besançon, 30 avr. 2019), par acte du 6 août 2012, M. et Mme [Y]ont acquis de M. et Mme [R]une maison d’habitation sur laquelle ceux-ci avaient réalisé des travaux de rénovation en 2006.

• 2. Se plaignant de remontées d’humidité affectant notamment le carrelage et des cloisons en plaques de plâtre, M. et Mme [Y]ont, après expertise, assigné les vendeurs en réparation.

Examen des moyens

(…)

Vu l’article 1792 du code civil :

• 4. Aux termes de ce texte, tout constructeur d’un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l’acquéreur de l’ouvrage, des dommages, même résultant d’un vice du sol, qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui, l’affectant dans l’un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement, le rendent impropre à sa destination. Une telle responsabilité n’a point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d’une cause étrangère.

• 5. Il est jugé, en application de ce texte, que les désordres affectant des éléments d’équipement, dissociables ou non, d’origine ou installés sur existant, relèvent de la responsabilité décennale lorsqu’ils rendent l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination (3e Civ., 15 janvier 2017, pourvoi n° 16-19.640, Bull. 2017, III, n° 71 ; 3e Civ., 14 septembre 2017, pourvoi n° 16-17.323, Bull. 2017, III, n° 100 ; 3e Civ., 26 octobre 2017, n° 16-18.120, Bull. 2017, III, n° 119 ; 3e Civ., 7 mars 2019, pourvoi n° 18-11.741).

• 6. Cette règle ne vaut cependant, s’agissant des éléments adjoints à l’existant, que lorsque les désordres trouvent leur siège dans un élément d’équipement au sens de l’article 1792-3 du code civil, c’est-à-dire un élément destiné à fonctionner (3e Civ., 13 février 2020, pourvoi n° 19-10.249, publié).

• 7. Il en résulte que les désordres, quel que soit leur degré de gravité, affectant un élément non destiné à fonctionner, adjoint à l’existant, relèvent exclusivement de la responsabilité contractuelle de droit commun du constructeur ou réputé constructeur.

• 8. Pour condamner M. et Mme [R]sur le fondement de la responsabilité décennale, l’arrêt retient que, si le carrelage collé sur une chape et les cloisons de plaques de plâtre sont des éléments dissociables de l’ouvrage, dès lors que leur dépose et leur remplacement peuvent être effectués sans détérioration de celui-ci, les désordres les affectant rendent l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination.

• 9. En statuant ainsi alors qu’un carrelage et des cloisons, adjoints à l’existant, ne sont pas destinés à fonctionner, la cour d’appel a violé le texte susvisé.

(…)

Note :

La doctrine s’est intéressée à la question des responsabilités encourues par les constructeurs d’ouvrages immobiliers au titre des désordres affectant les travaux réalisés sur, sous, ou à l’intérieur d’un ouvrage déjà bâti/existant au plus tard en 1991 (J.-P. Karila, La responsabilité des locateurs d’ouvrage immobilier, après exécution et réception des travaux sur existants : JCP N 1991, I, p. 147. – H. Perinet-Marquet, La responsabilité relative aux travaux sur existants : RDI 2000, p. 283. – J.-P. Karila, Les responsabilités encourues par les constructeurs d’ouvrages immobiliers après réception des travaux de rénovation ou de réparations d’ouvrages existants : Constr.-Urb. 2006, étude 2. – P. Dessuet, Travaux sur existants : Les responsabilités : RDI 2012, p. 128 ; Travaux sur existants : Les assurances : RDI 2012, p. 204. – G. Leguay, L’assurance en matière de travaux sur existants : RDI 2012, p. 288).

L’arrêt rapporté (V. RGDA sept. 2002, n° RGA200z2, p. 37, note P. Dessuet) s’inscrit dans un cadre plus spécifique : celui du régime de la réparation/indemnisation des dommages affectant un élément d’équipement de l’ouvrage, que celui-ci ait été mis en œuvre ab initio au moment de la construction de l’ouvrage, ou adjoint à un ouvrage déjà bâti/existant.

Nous nous abstiendrons en conséquence de rappeler l’état du droit positif quant aux responsabilités encourues par les constructeurs d’ouvrages immobiliers en cas de dommage aux existants d’une manière générale sauf à rappeler brièvement qu’en jurisprudence :

– la question s’est posée à partir d’un arrêt du 3 juillet 1990 (Cass. 3e civ., 3 juill. 1990, n° 89-11.967 : JurisData n° 1990-002837),

– puis s’est poursuivi par un arrêt célèbre dit Sogebor du 30 mars 1994 (Cass. 3e civ., 30 mars 1994, n° 92-11.996 : JurisData n° 1994-000622 ; Bull. civ. III, n° 70 ; RDI 1994, p. 673, obs. G. Leguay) qui pose la règle suivant laquelle les garanties légales sont susceptibles d’application tant aux désordres affectant aux travaux neufs que ceux affectant les existants, si l’on ne peut dissocier les existants des travaux neufs devenus indivisibles ;

– et enfin à l’occasion d’un arrêt Chirian du 29 février 2000(Cass. 1re civ., 29 févr. 2000, n° 97-19.143 : JurisData n° 2000-000764 ; Bull. civ. I, n° 65 ; RGDA 2000, p. 547, notre note ; RDI 2000 p. 203, obs. G. Leguay) dans une espèce où il n’y avait aucune indissociabilité, ni indivisibilité des travaux neufs et des existants, et d’un arrêt Espace Bretteaux du 31 octobre 2001(Cass. 3e civ., 31 oct. 2001, n° 99-20.046 : JurisData n° 2001-011543 ; RDI 2002, p. 362, obs. G. Leguay) dans une espèce où les désordres affectaient une partie d’un ouvrage qui n’avait pas fait l’objet de la rénovation d’un ensemble immobilier dont il dépendait et alors que lesdits désordres ne provenaient pas de l’exécution des travaux neufs.

Tandis qu’en réaction à cette extension du domaine d’application de la responsabilité décennale et en particulier à la solution de l’arrêt Chirian, le législateur (Ord. n° 2005-658, 8 juin 2005 : JO 9 juin) – dans l’esprit de la solution de l’arrêt Sogebor – après qu’il ait énoncé au paragraphe I de l’article L. 243-1-1 du Code des assurances qu’il a institué, la liste des ouvrages non soumis aux obligations d’assurance édictées par les articles L. 241-1, L. 242-2 et L. 242-1 a précisé au paragraphe II dudit article que « ces obligations d’assurance ne sont pas applicables aux ouvrages existants avant l’ouverture du chantier, à l’exception de ceux qui, totalement incorporés dans l’ouvrage neuf, en deviennent techniquement indivisibles ».

Texte peu clair ne traduisant pas l’esprit de la solution Sogebor et dont les dispositions ont été contournées par un arrêt de principe du 26 octobre 2017 comme il sera précisé ci-après.

Nous exposerons l’état du droit positif avant l’arrêt rapporté du 13 juillet 2022 puis l’apport de cet arrêt dont il conviendra d’examiner la portée et les conséquences.

1. L’état du droit positif avant l’arrêt du 13 juillet 2022

A. – Droit positif avant les arrêts de juin, septembre et octobre 2017

Droit positif résultant de l’application des garanties légales. – Les garanties légales édictées par les articles 1792, 1792-2 et 1792-3 du Code civil ont trouvé naturellement leur application :

– lorsque le dommage affectant l’élément d’équipement considéré rend l’ouvrage impropre à sa destination (responsabilité de plein droit édictée par l’article 1792) ;

– lorsque le dommage affecte la solidité d’un élément d’équipement indissociable au sens de l’article 1792-2 (responsabilité de plein droit édictée par l’article 1792) ;

– lorsque le dommage affecte un élément d’équipement dissociable au sens de l’article 1792-3 (garantie biennale de bon fonctionnement).

Avènement de l’élément d’équipement dit inerte conduisant en cas de dommage ne relevant pas de l’application de l’article 1792, ni de celle de l’article 1792-2 à l’éviction de la garantie biennale de bon fonctionnement. – Pour le moins à partir de l’arrêt Maison Enec du 22 mars 1995 (Cass. 3e civ., 22 mars 1995, n° 93-15.233 : JurisData n° 1995-000655 ; Bull. civ. III, n° 80 ; JCP G 1995, II, note J. Fossereau ; RDI 1995, p. 349, obs. G. Leguay ; RGAT 1995, p. 119, note H. Périnet-Marquet ; RDI 1995, p. 329, obs. Ph. Malinvaud) la Cour de cassation a jugé que des défauts d’aplomb de cloisons intérieures et de planimétrie des plafonds ne peuvent être définis comme étant des éléments d’équipement et que dès lors la garantie biennale de bon fonctionnement leur était inapplicable, seule la responsabilité contractuelle de droit commun l’étant à raison de ce que lesdits désordres n’affectaient pas des éléments d’équipement soumis à la garantie biennale de bon fonctionnement, et ne compromettant ni la solidité, ni la destination de la maison, ils n’étaient pas soumis non plus à la garantie décennale.

Au-delà de la question tranchée par l’arrêt Maison Enec, s’agissant de la co-existence ou du cumul de la garantie de parfait achèvement avec la responsabilité contractuelle de droit commun, l’essentiel consiste dans le refus de considérer, à raison de leur caractère inerte – bien que l’arrêt ne le dit pas expressément mais le professeur H. Périnet-Marquet l’a parfaitement souligné dans son commentaire – que des plafonds et cloisons intérieures d’une maison constituent des éléments d’équipement de celle-ci.

Dans le même esprit, on citera entre autres :

– un arrêt du 27 avril 2020 (Cass. 3e civ., 27 avr. 2020, n° 98-15.970 : JurisData n° 2000-00157 JurisData n° 2000-001576 ; Bull. civ. III, n° 88 ; RDI 2000, p. 346, obs. Ph. Malinvaud ; RDI 2000, p. 364, obs. G. Leguay) concernant des peintures extérieures de façades, n’ayant qu’un rôle esthétique, retenant l’application de la responsabilité de droit commun « quelles que soient les conséquences quant à la destination des lieux » car elles « ne constituent pas un ouvrage au sens de l’article 1792 du Code civil, ni un élément d’équipement, ni un élément constitutif de l’ouvrage » ;

– un arrêt du 26 mai 2001 (Cass. 3e civ., 26 mai 2001, n° 99-15.082 : D. 2002, p. 833, note J.-P. Karila ; RDI 2000, p. 393, obs. D. Tomasin ; RDI 2000, p. 201, G. Leguay) qui reproduit exactement la même formule ;

– voir également notre étude d’ensemble sur la question des travaux de ravalement et de peinture des façades extérieures (La responsabilité des désordres affectant les travaux de ravalement et de peinture : RDI 2000, p. 201) ;

– un arrêt du 22 octobre 2002 (Cass. 3e civ., 22 oct. 2002, n° 01-01.539 : JurisData n° 2002-016082relatif à des fissurations généralisées d’enduits de façades d’un immeuble et jugeant que « les enduits de façade ne constituent pas un élément d’équipement dissociable au sens de l’article 1792-3 du Code civil et que les désordres les affectant ne compromettant ni la solidité, ni la destination de l’ouvrage, relèvent de la responsabilité contractuelle de droit commun pour faute prouvée » ;

– un arrêt du 26 septembre 2007 (Cass. 3e civ., 26 sept. 2007, n° 06-14.777 : JurisData n° 2007-040566 ; RDI 2008, p. 157, obs. Ph. Malinvaud), cassant pour défaut de base légale au regard de l’article 1147 du Code civil un arrêt d’une cour d’appel qui avait retenu que des désordres de fissurations superficielles d’enduits sur les cloisons intérieures d’une maison relèvent de la garantie biennale et ce « sans constater que ces désordres affectaient des éléments d’équipement soumis à la garantie de bon fonctionnement et sans rechercher, comme il le lui était demandé, si la responsabilité de l’entrepreneur n’était pas engagée sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun pour faute prouvée » ;

– un arrêt du 30 novembre 2011 (Cass. 3e civ., 30 nov. 2011, n° 09-70.345 : JurisData n° 2011-026721 ; Bull. civ. III, n° 202 ; RDI 2012, p. 100, obs. Ph. Malinvaud ; RDI 2012, p. 106, B. Dessuet) qui casse pour violation de l’article 1792-3 du Code civil un arrêt d’une cour d’appel qui avait rejeté l’action d’un maître d’ouvrage en réparation de désordres affectant des tissus tendus et des moquettes, à raison de la prescription de la garantie biennale de bon fonctionnement, la cassation ayant été prononcée au motif qu’il ne s’agissait pas d’éléments d’équipement soumis à ladite garantie et que par voie de conséquence, seule la responsabilité contractuelle de droit commun était applicable.

Éviction des éléments d’équipement professionnels par l’article 1792-7 du Code civil. – Aux termes dudit article créé par l’ordonnance n° 2005-658 du 8 juin 2005 (notre chron. : D. 2005, p. 326 ; RDI 2005, p. 237, obs. Ph. Malinvaud) dispose que « ne sont pas considérés comme des éléments d’équipement d’un ouvrage au sens des articles 1792, 1792-2, 1792-3 et 1792-4, les éléments d’équipement, y compris leurs accessoires, dont la fonction exclusive est de permettre l’exercice d’une activité professionnelle dans l’ouvrage » (V. notre étude, Responsabilité – Assurance construction : La réforme du 8 juin 2005 : Cah. spécifique MTP, 16 sept. 2005, p. 114).

Conséquence de l’avènement de l’élément d’équipement inerte et de la création de l’article 1792-7 du Code civil : caractère résiduel de la garantie biennale de bon fonctionnement. – Pour les raisons déjà évoquées, le recours à la garantie biennale de bon fonctionnement s’est raréfié, de sorte que l’on a pu parler de son caractère résiduel (V. notre chron. Les raisons du caractère résiduel de la garantie de l’article 1792-3 : RDI 2013, p. 236).

L’avènement de l’élément dissociable non destiné à fonctionner. – Deux arrêts importants, l’un du 11 septembre 2013, le second du 18 février 2016, feront expressément référence à « l’élément dissociable de l’immeuble, non destiné à fonctionner ».

  • L’arrêt du 11 septembre 2013 (Cass. 3e civ., 11 sept. 2013, n° 12-19.483 : JurisData n° 2013-019025 ; Bull. civ. III, n° 103 ; RDI 2013, p. 536, obs. Ph. Malinvaud ; RDI 2014, p. 40, obs. H. Périnet-Marquet ; RGDA 2014, § 110h5, p. 37, note P. Dessuet) retiendra l’application de la responsabilité contractuelle de droit commun à l’occasion de sa validation d’un arrêt d’une cour d’appel au motif que celle-ci « a retenu à bon droit, que les désordres [de fissuration d’un carrelage mis en œuvre à l’occasion de la construction d’une maison individuelle] ne compromettent pas la solidité de l’ouvrage, ni ne le rendent impropres à sa destination, affectant un élément dissociable de l’immeuble, non destiné à fonctionner, relevant de la garantie de droit commun ».

En d’autres termes, l’éviction de la garantie/responsabilité décennale et de la garantie biennale de bon fonctionnement, au profit de la responsabilité contractuelle de droit commun est fondée indirectement sur l’absence de gravité des désordres de fissuration du carrelage d’une part et le fait que celui-ci est « un élément dissociable de l’immeuble, non destiné à fonctionner », la garantie biennale de bon fonctionnement ne pouvant concerner que des éléments d’équipement « fonctionnant » la fonction étant indifférente.

  • L’arrêt du 18 février 2016 (Cass. 3e civ., 18 févr. 2016, n° 15-10.750 : JurisData n° 2016-002601 ; BICC 2016, n° 845, n° 943 ; RDI 2017, p. 132, obs. Ph. Malinvaud) confirmera la solution à propos de la végétalisation d’une toiture dès lors que les « désordres qui affectent le revêtement végétal de l’étanchéité, ne compromettant pas la solidité de l’ouvrage, ni le rendent impropre à sa destination et concernant un élément dissociable de l’immeuble non destiné à fonctionner ne relève pas de la garantie de bon fonctionnement  ».

Synthèse – État du droit positif avant les arrêts de juin, septembre et octobre 2017. – On peut résumer l’état du droit positif par les propositions suivantes :

– si l’élément d’équipement a été installé lors de la construction de l’ouvrage ou, si adjoint à un ouvrage déjà existant, il est indissociable et qu’il est affecté dans sa solidité, ou si à raison de l’importance des travaux de sa mise en œuvre il est assimilable à la construction d’un ouvrage, alors les garanties légales spécifiques des articles 1792 et suivants du Code civil sont susceptibles d’application ;

– si en revanche, l’élément d’équipement a été adjoint à un ouvrage déjà existant, et qu’il est dissociable de celui-ci, la garantie biennale de bon fonctionnement est insusceptible d’application sauf impropriété à destination de l’ouvrage dans son ensemble, seule la responsabilité contractuelle de droit commun devant être appliquée ;

– si l’élément de l’ouvrage n’est pas stricto sensu un élément d’équipement de celui-ci en raison du fait qu’il n’est pas destiné à fonctionner, alors seule la responsabilité contractuelle de droit commun est susceptible d’application.

De sorte que les équipements, comme le souligne une étude récente de M. Faure Abbad (Les régimes de responsabilité applicables aux éléments d’équipement dissociables, réflexion sur les catégories : RDI 2022, p. 72) « se présentent comme une catégorie hétérogène aux qualifications variables », celle résultant du Code civil mais aussi celle résultant de la norme jurisprudentielle, le croisement des catégories considérées, comme la prise en compte de l’époque de l’installation ou de la mise en œuvre des équipements conduisent à rendre complexe la détermination du régime de responsabilité applicable.

B. – Le droit positif depuis les arrêts de la 3e chambre civile des 15 juin 2017, 14 septembre et 26 octobre 2017

Bouleversements du droit positif. – Par arrêt du 15 juin 2017 (Cass. 3e civ., 15 juin 2017, n° 16-19.640 : JurisData n° 2017-011592 ; JCP G 2017, 1018, notre note), précédé par un arrêt de la même chambre inédit du 7 avril 2016 (Cass. 3e civ., 7 avr. 2016, n° 15-15.441 : JurisData n° 2016-006614), la 3e chambre civile a cassé, pour violation de l’article 1792 du Code civil, un arrêt d’une cour d’appel qui avait rejeté les demandes d’un maître d’ouvrage à l’encontre d’un fournisseur et poseur, dans ses locaux, d’une pompe à chaleur Air-Eau au titre de dysfonctionnements de ladite pompe au motif que « les éléments d’équipement bénéficiant de la garantie décennale sont ceux qui ont été installés au moment de la réalisation de l’ouvrage, ce qui n’est pas le cas de la pompe à chaleur considérée par rapport à l’ouvrage constitué par la construction de la maison de M. Y…. » posant ainsi la règle selon laquelle « les désordres affectant les éléments d’équipement, dissociables ou non, ou installés sur existant, relève de la responsabilité décennale lorsqu’il rend l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination ».

La solution de cet arrêt qui a été l’objet de vives critiques (P. Dessuet : RGDA 2017, p. 420. – C. Charbonneau : RDI 2017, p. 409. – J. Roussel : RDI 2017, p. 413. – J.-P. Karila : JCP G 2017, 1018), a été exactement reproduite dans un arrêt du 14 septembre 2017 (Cass. 3e civ., 14 sept. 2017, n° 16-17.323 : JurisData n° 2017-017640 ;  JCP G 2017, 1048, notre note), le caractère « contra legem » de la solution retenue conduisant à l’avènement d’un nouveau débiteur de la garantie décennale en l’occurrence le simple fournisseur et installateur dans une maison existant d’une pompe à chaleur comme à l’avènement des « quasi ouvrages » dès lors que les éléments d’équipement dissociables remplacent de facto l’ouvrage dont la construction est pourtant une condition préalable à l’éligibilité aux garanties légales édictées par les articles 1792 et suivants du Code civil.

Les critiques ont redoublé après l’arrêt du 26 octobre 2017 (Cass. 3e civ., 26 oct. 2017, n° 16-18.120 : JurisData n° 2017-02112. – P. Dessuet : RGDA nov. 2017, § 115b0, p. 562 ; RDI 2018, p. 41, obs. C. Charbonneau. – G. Durand-Pasquier, Travaux sur existants : de la nécessité de circonscrire à l’extension de la décennale en cas d’installation d’éléments d’équipements dissociables sur existants (1re partie) : Constr.-Urb. 2018, alerte 1 ; Travaux sur existants : de la nécessité de circonscrire l’extension de la décennale en cas d’installation d’éléments d’équipements dissociables sur existants (2e partie) : Constr.-Urb. 2018, alerte 6. – S. Bertolaso et E. Menard, Elément d’équipement adjoint à un ouvrage existant : révolutions pour un trompe l’œil : Constr.-Urb. 2018, étude 1. – J. Roussel, Les existants à la Cour de cassation, le législateur : RDI 2018, p. 573. – H. Périnet-Marquet, Retour sur les éléments d’équipement installés sur l’existant : Constr.-Urb. 2018, repère 5), arrêt que nous considérions comme étant le résultat de la combinaison du contournement artificiel des dispositions du paragraphe II de l’article L. 243-1-1 du Code des assurances, jugeant qu’elles n’étaient pas applicables à des éléments d’équipement installés sur les existants, et de la répercussion de l’extension du domaine d’application de la responsabilité décennale par les arrêts précités des 15 juin et 14 septembre 2017.

Tout a été dit sur l’effacement/disparition de la condition préalable à l’application de la responsabilité décennale, s’agissant de la construction d’un ouvrage et ses conséquences néfastes sur la notion même de constructeur au sens de la loi, ou encore sur le dévoiement de la notion de l’impropriété à destination, et ce tant du point de vue des responsabilités qu’au regard du domaine de l’assurance obligatoire en matière de construction.

C. – L’arrêt du 13 février 2020

Par un important arrêt du 13 février 2020 (Cass. 3e civ., 13 févr. 2020, n° 19-10.249 : JurisData n° 2020-001761 ; RDI 2020, p. 253, obs. M. Faure-Abbad ; RDI 2020, p. 326, obs. D. Noguéro), la 3e chambre civile casse un arrêt d’une cour d’appel qui pour accueillir une demande d’un maître d’ouvrage en indemnisation de désordres ayant affecté un enduit de façade au motif que ceux-ci rendaient l’ouvrage impropre à sa destination engageant la responsabilité décennale du constructeur alors que ledit enduit qui constitue un ouvrage lorsqu’il a une fonction d’étanchéité «  ne constitue pas un élément d’équipement, même si il a une fonction d’imperméabilisation, dès lors qu’il n’est destiné à fonctionner ».

2. Portée et conséquence de l’arrêt du 13 juillet 2022

La solution de l’arrêt rapporté s’inscrit dans l’esprit de l’arrêt de principe du 15 juin 2017 retenant la responsabilité décennale d’un installateur d’un élément d’équipement – dissociable ou non, d’origine ou installation existante – affecté de désordres rendant l’ouvrage, dans son ensemble, impropre à sa destination.

La solution de l’arrêt rapporté en ce sens n’est pas strictement nouvelle sauf qu’elle y apporte, a contrario, une précision notable en rappelant que l’élément d’équipement considéré doit nécessairement être destiné à fonctionner, comme d’ailleurs cela a été jugé relativement à l’application de la garantie biennale de bon fonctionnement, tel que le mettent en relief les arrêts précédemment cités à ce titre (V. ci-dessus).

Cela nous conduit à nous interroger sur les raisons de la publication de l’arrêt rapporté. La Haute juridiction a, dans son bulletin d’information du 1er décembre 2017, à une époque où elle ne pouvait ignorer les vives critiques de la doctrine, commenté son arrêt du 15 juin 2017 (BICC n° 1255) comme mettant fin à une divergence de la jurisprudence entre certains des arrêts qu’elle avait précédemment rendus, divergence à propos de laquelle il ne nous semble pas opportun d’apporter plus de précision. Elle concluait son propos par ces termes : « Désormais tous les dommages, de la gravité requise par l’article 1792 du Code civil, relèvent de la responsabilité décennale, qu’ils affectent les éléments d’équipement dissociables ou non, d’origine ou installés sur existant, dès lors qu’ils rendent l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination  »  ; invitant par suite « Tous les corps de métier concernés de souscrire à l’assurance obligatoire, même lorsque leur intervention sera limitée à l’installation d’un élément d’équipement dissociable ».

Le caractère attractif et hégémonique était en conséquence affirmé sans nuance quelconque au regard notamment de ce qu’elle avait jugé avant le 15 juin 2017, notamment dans ses arrêts précités des 13 septembre 2013 et 18 janvier 2016, sur les éléments non destinés à fonctionner, et encore auparavant sur les éléments d’équipement inertes, catégories qu’elle avait exclues du champ d’application des garanties légales dont notamment de celui de la responsabilité/garantie décennale.

Certes, la publication de l’arrêt du 13 juillet 2022 peut se justifier par le souci d’actualisation et de précision des solutions antérieures. Cependant ne peut-on pas espérer qu’elle pourrait être le signe avant précurseur d’autres évolutions vers un retour plus rigoureux à la stricte orthodoxie juridique et surtout à l’adoption de solutions moins inadaptées que celles appliquées pour des ouvrages « sortis » de la décennale depuis plusieurs décennies ! ?..