Recours de l’assureur : de la confusion récurrente entre action en garantie et action subrogatoire (Cass. 3e civ., 7 avr. 2015) — Karila

Recours de l’assureur : de la confusion récurrente entre action en garantie et action subrogatoire (Cass. 3e civ., 7 avr. 2015)

Revue générale du droit des assurances, 1 juin 2015 n° 6, P. 293 

Recours de l’assureur : de la confusion récurrente entre action en garantie et action subrogatoire

Assurance dommages-ouvrage ; Subrogation dans les droits de l’assuré ; Condition ; Paiement préalable de l’indemnité ; Appel en garantie ; Condition ; Paiement préalable de l’indemnité (non) ; Paiement avant décision du juge du fond (oui)

ASSURANCE

par Jean-Pierre Karila

avocat au barreau de Paris

docteur en droit

professeur à l’ICH

chargé d’enseignement à l’Institut des Assurances de Paris Dauphine

Cass. 3e civ., 7 avr. 2015, no 14-12212

Une partie assignée en justice est en droit d’en appeler une autre en garantie des condamnations qui pourraient être prononcées contre elle, une telle action ne supposant pas que l’appelant en garantie ait déjà indemnisé le demandeur initial tandis qu’est recevable l’action engagée par l’assureur avant l’expiration du délai de forclusion décennale, bien qu’il n’ait pas eu, au moment de la délivrance de son assignation, la qualité de subrogé dans les droits de son assuré dès lors qu’il a payé l’indemnité due à ce dernier avant que le juge du fond n’ait statué.

Sur le moyen unique, qui est recevable :

Vu l’article L. 121-12 du Code des assurances, ensemble l’article 126 du Code de procédure civile ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Montpellier, 21 novembre 2013), que la société civile immobilière Le Fleming, qui a fait construire un immeuble réceptionné le 3 janvier 1996, avait souscrit une police dommages-ouvrage auprès de la SMABTP ; que la pose du carrelage avait été confiée à M. X., assuré auprès de la société Gan assurances (le Gan) ; que le syndicat des copropriétaires de la Résidence Le Fleming (le syndicat), ayant déclaré un sinistre affectant le carrelage, a assigné le 2 juin 2005 la SMABTP en indemnisation de ses préjudices ; que la SMABTP a appelé en garantie M. X. et son assureur le 2 janvier 2006 ;

Attendu que pour rejeter cet appel en garantie, l’arrêt retient qu’en application de l’article L. 121-12 du Code des assurances, l’assureur dommages-ouvrage n’est subrogé que s’il a versé l’indemnité à la victime en préfinançant les travaux de reprise dans le délai de la garantie décennale et que la SMABTP n’a payé au syndicat les indemnités mises à sa charge par le jugement qu’en exécution de cette décision, soit bien après le délai décennal expirant le 3 janvier 2006 ;

Qu’en statuant ainsi, alors qu’une partie assignée en justice est en droit d’en appeler une autre en garantie des condamnations qui pourraient être prononcées contre elle, qu’une telle action ne suppose pas que l’appelant en garantie ait déjà indemnisé le demandeur initial et qu’est recevable l’action engagée par l’assureur avant l’expiration du délai de forclusion décennale, bien qu’il n’ait pas eu, au moment de la délivrance de son assignation, la qualité de subrogé dans les droits de son assuré dès lors qu’il a payé l’indemnité due à ce dernier avant que le juge du fond n’ait statué, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il rejette l’appel en garantie de la SMABTP contre M. X. et la société Gan assurances (…)


Nous disons bien des solutions, la première ayant trait au régime de l’action en garantie de l’assureur, la seconde au régime de l’action subrogatoire de celui-ci.

Étant observé que le considérant fondant la cassation prononcée par l’arrêt rapporté pour violation de l’article L. 121-12 du Code des assurances, ensemble l’article 126 du Code de procédure civile, peut lui-même contribuer à cette confusion puisqu’il lie les deux solutions, à raison – semble-t-il – d’une maladresse de rédaction des écritures d’appel de l’assureur, comme dans une certaine mesure, du moyen unique de cassation ne comportant qu’une seule branche où sont liées les solutions différentes données à l’action en garantie d’une part, et à l’action subrogatoire d’autre part.

2. Dans une note conjointe avec Laurent Karila dans cette même revue commentant un arrêt rendu le 21 septembre 2011 (Cass. 3e civ., 21 sept. 2011, n° 10-20543 : Bull. civ. III, n° 154 ; RDGA 2012, p. 573, note J.-P. Karila et L. Karila), nous disions :

« Il faut se garder de confondre :

– la question de la recevabilité de l’action subrogatoire de l’assureur dommages-ouvrage et des conditions de fond de celle-ci ;

– de la question de la recevabilité de l’action en garantie de l’assureur dommages-ouvrage et conditions de fond de celle-ci ».

Il nous faut aussi rappeler à cette occasion le remarquable arrêt rendu par le Conseil d’État le 12 mars 2014, publié au Lebon (CE, 7e/2e SSR, 12 mars 2014, n° 364429 : Lebon, RGDA, juin 2014, p. 347, note J.-P. Karila) qui censure et casse un arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon qui avait rejeté l’action subrogatoire de l’assureur, présentée après l’expiration de la garantie décennale, ladite cour ayant, pour ce faire subordonné l’interruption du délai décennal par l’assureur dommages-ouvrage, à son profit, à la naissance de sa subrogation dans les droits et actions de son assuré et donc au paiement de l’indemnité de l’assureur, alors que l’action en référé de celui-ci en extension à l’égard des constructeurs de l’expertise qui avait été ordonnée par le juge des référés qu’à son contradictoire, avait interrompu à son profit le délai de la garantie décennale.

Conditions de recevabilité et de fond de l’action en garantie

3. Il n’est pas besoin d’être un grand clerc pour comprendre que celui qui demande à être garanti par un autre au cas où il serait condamné n’a pas, par hypothèse, payé de sorte que les décisions qui rejettent l’action en garantie au motif que le demandeur en garantie n’a pas payé est totalement inopérant pour ne pas dire incohérent et ne saurait donc justifier la décision de débouté.

Comme le rappelle l’arrêt rapporté, après une multitude d’arrêts dans le même sens depuis un arrêt du 10 décembre 2003 (Cass. 3e civ., 10 déc. 2003, n° 01-00614 : Bull. civ. III, n° 225) : « une partie assignée en justice est en droit d’en appeler une autre en garantie des condamnations qui pourraient être prononcées contre elle » ajoutant « qu’une telle action ne suppose pas que l’appelant en garantie ait déjà indemnisé le demandeur initial ».

La recevabilité de l’action en garantie – qui ne doit pas être confondue avec les conditions de fond de ladite action en garantie – est subordonnée à la seule question de l’intérêt à agir, lequel s’évince déjà du principe énoncé par la Cour de cassation depuis plus d’une décennie, mais qui résulte au surplus à l’évidence du fait que l’assureur dommages-ouvrage qui n’est qu’un assureur de préfinancement, n’a pas vocation à supporter la charge finale de l’indemnité d’assurance qu’il serait conduit à régler à son assuré, en dehors de toute recherche, ou question de responsabilité.

Le fondement de l’action au fond n’est, de facto, jamais directement débattu en pratique, le juge, comme les parties, assimilant ici – à l’inverse apparemment de toute logique – recevabilité et fond ; les décisions de justice qui font droit à l’action en garantie de l’assureur ne motivent pas spécialement leur décision de ce chef sauf qu’implicitement ils prennent ici encore en considération le fait que l’assureur de choses/de préfinancement qu’est l’assureur dommages-ouvrage n’a pas vocation à supporter la charge finale des dommages de nature décennale tandis que les constructeurs tenus à ce titre de plein droit, en vertu de l’article 1792 du Code civil, devront en définitive en supporter le coût.

Il y a donc intérêt légitime de l’assureur à être garanti du paiement qu’il effectuera en exécution de la condamnation qui sera prononcée contre lui alors qu’il n’a justement pas vocation de supporter la charge finale de la condamnation – équivalant à indemnité d’assurance – qu’il n’aura réglée qu’à titre de préfinancement.

L’action en garantie n’est donc pas subordonnée quant à sa recevabilité mais aussi au fond au paiement préalable de l’assureur ce qui constitue la différence essentielle avec l’action subrogatoire dont nous verrons ci-après (infra n° 4) que si elle n’est pas subordonnée quant à sa recevabilité à un paiement préalable, en revanche pour pouvoir prospérer l’assureur devra justifier qu’il aura effectué le paiement de l’indemnité d’assurance avant que le juge du fond n’ait statué.

Conditions de recevabilité et de fond de l’action subrogatoire

4. La recevabilité de l’action subrogatoire n’est également pas subordonnée – mais ici on peut légitimement s’en étonner – au paiement préalable de l’indemnité d’assurance.

La subrogation suppose en effet nécessairement un paiement.

Mais s’est posée l’irritante question de la préservation des recours de l’assureur dont la garantie a été requise à l’occasion d’un sinistre survenu en fin de garantie décennale alors qu’il n’a pas encore instruit le sinistre ou encore payé l’indemnité d’assurance (voir sur la question Lamy assurances 2015, chapitre Assurance des dommages à l’ouvrage, par J.-P. Karila, n° 4494), question résolue par un arrêt de principe du 29 mars 2000 (Cass. 3civ., 29 mars 2000, n° 98-19505 : Bull. civ. III, n° 67 ; RGDA 2001, p. 157, note J. Beauchard), posant le principe selon lequel la recevabilité de l’action subrogatoire de l’assureur, et s’il y a lieu, son succès au fond, sont subordonnés aux deux conditions ci-après :

– engagement de l’action avant l’expiration du délai de forclusion décennale ;

– paiement avant que le juge du fond n’ait statué sur ladite action subrogatoire, peu important comme on le verra plus loin la date dudit paiement.

Étant souligné que les conditions ci-avant évoquées ont été rappelées à de très nombreuses reprises par la Cour de cassation, qui admet ainsi :

– à titre rétroactif et au visa express de l’alinéa premier de l’article 126 du Code de procédure civile (« Dans le cas où la situation donnant lieu à fin de non-recevoir est susceptible d’être régularisée, l’irrecevabilité sera écartée si sa cause a disparu au moment où le juge statue ») la recevabilité de l’action subrogatoire avant paiement ;

– par anticipation l’existence d’une subrogation qui ne prendra son plein effet qu’au jour du paiement avant que le juge n’ait statué au visa de l’article L. 121-12 du Code des assurances.

L’une des explications de la confusion : transformation en cours de procédure d’une action en garantie en une action subrogatoire

5. La confusion ci-avant dénoncée entre action en garantie et action subrogatoire s’explique aussi par le fait que dans de très nombreux cas – comme notamment l’illustrent de nombreux arrêts cités dans notre note précitée sous l’arrêt du Conseil d’État du 12 mars 2014, mais aussi dans l’arrêt rapporté – une action en garantie se transforme en cours de procédure en une action subrogatoire, l’assureur ayant en cours de procédure réglé tout ou partie de l’indemnité due.

Rappel des faits et actes de l’espèce

6. Il faut ici rappeler certains faits, dates et actes de l’espèce rapportés tels qu’ils sont relatés dans l’arrêt de la cour de Montpellier, cassé le 7 avril 2015 par l’arrêt rapporté, savoir :

– réception : 3 janvier 1996 ;

– 2 juin 2005 : assignation en référé expertise du maître d’ouvrage à l’encontre uniquement de l’assureur dommages-ouvrage, lequel fait rendre communes les opérations d’expertise au constructeur et à leurs assureurs de responsabilité le 6 août 2005 ;

– 2 juin 2005 : assignation au fond du maître d’ouvrage à l’encontre uniquement de l’assureur dommages-ouvrage, lequel agit alors en garantie à l’encontre des constructeurs et de leurs assureurs le 2 janvier 2006 ;

– 4 avril 2011 : jugement du tribunal de grande instance de Perpignan déclarant irrecevable l’assureur dommages-ouvrage en ses actions en garantie à l’encontre des constructeurs et de leurs assureurs de responsabilité, à raison du défaut de paiement de l’assureur !…, lequel assureur est condamné in solidum avec lesdits constructeurs et assureurs de responsabilité à payer les travaux nécessaires à la réparation des dommages, ledit jugement étant assorti de l’exécution provisoire ;

– l’assureur dommages-ouvrage interjette appel de cette décision, et selon l’arrêt de la cour de Montpellier – laquelle ne rappelle pas expressément le contenu des écritures des parties – « il expose qu’il est désormais subrogé dans les droits de son assuré » pour avoir réglé l’indemnité d’assurance à sa charge en exécution du jugement du 4 avril 2011, « et demande », toujours selon la cour de Montpellier – ce qui est évidemment incohérent – « à être garanti » !… par un autre constructeur et son assureur de responsabilité.

Rappel de la solution retenue par la cour de Montpellier

7. C’est dans ces conditions que la cour de Montpellier rejettera l’action subrogatoire et en garantie de l’assureur en méconnaissant la jurisprudence bien affirmée sur le caractère interruptif de la citation en justice délivrée à la requête de l’assureur avant tout paiement d’une part, et en jugeant que le paiement de l’assureur intervenu en avril 2011 l’avait été postérieurement à l’expiration de la garantie décennale d’autre part !… alors que la date du paiement est totalement indifférente comme on le verra ci-après.

L’arrêt de cassation du 7 avril 2015

8. La cassation était inévitable pour les motifs ci-avant évoqués et la jurisprudence ci-avant citée ou évoquée, étant souligné que le fait que le paiement ait été effectué, postérieurement à l’expiration de la garantie décennale, était totalement indifférent.

En effet, la jurisprudence depuis plus d’une décennie accueille le recours subrogatoire de l’assureur aux deux conditions ci-avant exposées (supra n° 4) et plus amplement précisées ci-après quelle que soit la date du paiement, seul important en ce qui concerne le paiement que celui-ci ait été effectué avant que le juge au fond n’ait statué.

Pour une validation au fond d’une action subrogatoire à propos d’un paiement postérieurement à la forclusion décennale avant que le juge au fond n’ait statué (voir Cass. 3e civ., 4 avr. 2001, n° 99-16554 – Cass. 1e civ., 9 oct. 2001, n° 98-18378 : Bull. civ. I, n° 245 ; RGDA 2001, p. 975, note J.-P. Karila – Cass. 3e civ., 22 juin 2010, n° 09-15798).

Si l’arrêt rapporté casse l’arrêt de la cour de Montpellier par un considérant liant les deux questions distinctes de l’action en garantie et du recours subrogatoire – ce qui peut contribuer pour un lecteur non-averti à une certaine confusion – c’est en raison essentiellement de la maladresse – semble-t-il – des écritures d’appel de l’assureur qui, invoquant la subrogation en raison du paiement effectué en vertu de l’exécution provisoire attachée au jugement précité du tribunal de grande instance de Perpignan du 4 avril 2011, demandait néanmoins à être garanti par un constructeur et son assureur, de sorte qu’au niveau de la rédaction du moyen de cassation, l’assureur a été conduit (mais était-ce vraiment indispensable ?), à reprocher à la cour d’appel de l’avoir débouté « de sa demande en garantie au motif que l’assureur dommages-ouvrage ne pouvait être subrogé dans les droits de la victime… ».

Réflexions terminales

9. En définitive, qu’il s’agisse d’un recours en garantie ou d’un recours subrogatoire, l’assureur dommages-ouvrage doit toujours pouvoir prospérer dans son recours dans les conditions ci-dessus évoquées, la jurisprudence admettant, en ce qui concerne la subrogation, celle-ci par anticipation ou à l’occasion une subrogation in futurum (Cass. 3civ., 30 janv. 2008, n° 06-19100 – voir également en matière d’assurance de responsabilité Cass. 3e civ., 27 févr. 2008, n° 06-19348 et 06-19416 : Bull. civ. III, n° 32 ; RCA 2008, comm. n° 153 par H. Groutel), de sorte que l’arrêt rapporté ne peut qu’être évidemment approuvé.

Le rédacteur de la présente note espère contribuer à dissiper certaines confusions et appelle de ses vœux les plus ardents les juges du fond et les praticiens (qui entretiennent, à l’occasion cette confusion de façon tout à fait consciente aux termes d’écritures partisanes), de prendre en considération l’état actuel de la jurisprudence depuis plus d’une décennie de sorte que cesse le caractère récurrent de la confusion ci-avant exposée et dénoncée.


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