Responsabilité contractuelle de droit commun. Désordres futurs (oui). Article,68 du Code de procédure civile. Notion de partie au procès. (Cass. 3e civ., 18 juin 2008) — Karila

Responsabilité contractuelle de droit commun. Désordres futurs (oui). Article,68 du Code de procédure civile. Notion de partie au procès. (Cass. 3e civ., 18 juin 2008)

Responsabilité contractuelle de droit commun. Désordres futurs (oui).Article 68 du Code de procédure civile. Notion de partie au procès.

Justifie légalement sa décision, une cour d’appel qui, statuant dans le cadre de l’application de la responsabilité contractuelle de droit commun, retient l’indemnisation de désordres futurs.

Un assureur, partie au procès de première instance en certaines qualités, ne peut, être l’objet d’une action en garantie en cause d’appel, en d’autres qualités que celles de première instance, par voie de simples conclusions.

Cour de cassation (3e Ch. civ.) 18 juin 2008 Pourvoi no 07-13117

Sté OTCE c/ SDCP Résidence Les Temples du Soleil et autres

La Cour,

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Montpellier, 19 décembre 2006), que la SCI Neige et Soleil (la SCI) a fait édifier, en deux tranches, un groupe d’immeubles placé sous le régime de la copropriété, avec le concours du bureau d’études Omnium technique études de la construction et l’équipement (OTCE) maître d’œuvre de la conception technique et de l’exécution, et de la société Dauriac depuis radiée du registre du commerce, assurée auprès de la Société mutuelle d’assurance du bâtiment et des travaux publics  (SMABTP), pour les travaux de façades ; que la société Bureau Veritas a été chargée du contrôle technique ; que des désordres étant apparus, affectant notamment les façades des bâtiments de la seconde tranche, dont la réception a été prononcée le 29 mars 1985, le syndicat des copropriétaires résidence Les Temples du Soleil (le syndicat) a, au vu de l’expertise ordonnée en référé le 6 avril 1995, fait assigner la SCI et les intervenants à la construction, en indemnisation de préjudices annexes et en réparation des désordres en façade sur le fondement de la responsabilité contractuelle ;

Sur le premier moyen du pourvoi principal :

Sans intérêt.

Sur le deuxième moyen du pourvoi principal :

Attendu que la société OTCE fait grief à l’arrêt de la condamner in solidum avec le Bureau Veritas à payer au syndicat une somme de 201 984 euros actualisée, alors, selon le moyen :

1o que l’action en responsabilité contractuelle pour faute prouvée des constructeurs se prescrivant par dix ans à compter de la réception, les désordres ne peuvent être réparés que s’ils trouvent leur siège dans l’ouvrage où un désordre de même nature a été constaté et dont la réparation a été demandée en justice avant l’expiration de ce délai ; que la cour d’appel, qui a alloué au syndicat des copropriétaires une indemnité représentant le coût d’une réfection complète des bardages en clins de bois, correspondant pour partie à des désordres se manifestant plus de dix ans après la réception, et à des désordres futurs, sans s’expliquer, comme elle y était invitée, sur l’étendue des désordres constatés par l’expert, ni vérifier s’il s’agissait de désordres de même nature que ceux qui ont été constatés et dont la réparation a été demandée en justice avant l’expiration du délai décennal, a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1147 du Code civil ;

2o que tout jugement doit, à peine de nullité, être motivé ; que la cour d’appel, qui a alloué au syndicat une indemnité représentant le coût d’une réfection complète des bardages en clins de bois, sans s’expliquer sur l’absence totale d’entretien de l’ouvrage, invoquée par la société OTCE, n’a pas satisfait aux exigences de l’article 455 du Code de procédure civile ;

3o que les juges du fond ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions ; que la cour d’appel, qui a alloué au syndicat une indemnité représentant le coût d’une réfection complète des bardages en clins de bois, sans s’expliquer sur la commande de réfection totale passée par le syndicat, pour la totalité des bâtiments, démontrant que pour la moitié concernée d’entre eux, le coût de réfection était de 150 856,75 euros a méconnu les articles 455 du Code de procédure civile et 1353 du Code civil ;

Mais attendu qu’ayant relevé, par motifs propres et adoptés, faisant sien l’avis de l’expert, la généralisation du phénomène de désolidarisation des bardages et la nécessité d’une réfection totale chiffrée par ce technicien à 201 983,82 euros pour la seconde tranche des bâtiments, et retenu que le dommage, certain, réalisé et dénoncé dans le délai de dix ans à compter de la réception résultait directement de la faute de la société OTCE, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de répondre à des conclusions relatives à l’absence d’entretien des bardages et à l’existence d’une commande de réfection totale pour l’ensemble des bâtiments, et qui a souverainement apprécié le montant du préjudice, a légalement justifié sa décision de ce chef ;

Sur le quatrième moyen du pourvoi principal :

Attendu que la société OTCE fait grief à l’arrêt de mettre hors de cause la SMABTP, alors, selon le moyen :

1o que l’objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties, quelque soit l’emplacement matériel où elles sont fixées dans l’acte introductif d’instance ou dans les conclusions ; que la cour d’appel qui, pour mettre hors de cause la SMABTP, a retenu qu’elle n’avait été mise en cause en sa qualité d’assureur de la société Dauriac que pour la première fois en cause d’appel, bien que la société OTCE avait sollicité sa garantie devant les premiers juges, en demandant au tribunal que les conséquences des déformations des clins bois soient mises, à, hauteur de 50 %, « à la charge de l’entreprise Dauriac et de son assureur la SMABTP », la cour d’appel a violé l’article 4 du Code de procédure civile ;

2o que les demandes incidentes, qui sont la demande reconventionnelle, la demande additionnelle et l’intervention, sont formées à l’encontre des parties à l’instance de la même manière que sont présentés les moyens de défense, de sorte qu’une compagnie d’assurance, partie à l’instance en qualité d’assureur d’une autre partie, peut être appelée en garantie par de simples conclusions ; que la cour d’appel qui, pour mettre hors de cause la SMABTP, a retenu qu’elle n’avait été mise en cause en sa qualité d’assureur de la société Dauriac que pour la première fois en cause d’appel, bien que la société OTCE ait sollicité sa garantie devant les premiers juges, en demandant au tribunal que les conséquences des déformations des clins de bois soient mises, à hauteur de 50 %, « à la charge de l’entreprise Dauriac et de son assureur la SMABTP », la cour d’appel a violé l’article 68 du Code de procédure civile ;

3o qu’une expertise « n’ » est opposable à une partie qui y a été appelée ou représentée ; que la cour d’appel qui, pour mettre hors de cause la SMABTP, a retenu que si cette dernière était présente aux opérations d’expertise ce n’était qu’en qualité d’assureur d’autres intervenants et que les opérations d’expertise lui sont dès lors inopposables, a violé l’article 16 du Code de procédure civile ;

4o que le juge doit se prononcer sur la valeur des preuves qui lui sont soumises, dès lors qu’elles ont été contradictoirement débattues devant lui ; que la cour d’appel qui, pour mettre hors de cause la SMABTP, a retenu que si cette dernière était présente aux opérations d’expertise ce n’était qu’en qualité d’assureur d’autres intervenants et que les opérations d’expertise lui sont dès lors inopposables, a violé les articles 16 du Code de procédure civile et 1353 du Code civil ;

Mais attendu qu’ayant constaté, par motifs adoptés du jugement, que, devant le tribunal, la SMABTP n’avait été assignée qu’en sa qualité d’assureur des sociétés TBH et SMAC Acieroïd, et que, n’étant pas partie à la procédure de première instance en sa qualité d’assureur de la société Dauriac, elle ne pouvait y être attraite en cette qualité par voie de simples conclusions, la cour d’appel, abstraction faite d’un motif surabondant relatif à l’inopposabilité de l’expertise, a exactement retenu qu’assignée pour la première fois en cause d’appel en qualité d’assureur de la société Dauriac, la SMABTP devait être mise hors de cause ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

Sur le troisième moyen du pourvoi principal :

Sans intérêt.

Mais sur le moyen unique du pourvoi incident de la SCI Neige et Soleil :

Sans intérêt.

Par ces motifs :

Casse et annule, mais seulement en ce qu’il condamne…

Source : Cass. 3ème civ., 18 juin 2008, n° 07-13117

Note

1. L’arrêt rapporté destiné à être publié au Bulletin des arrêts des chambres civiles ainsi qu’au Bulletin d’information de la Haute Juridiction, casse un arrêt de la Cour de Montpellier sur le moyen unique d’un pourvoi incident, moyen et cassation sans intérêt au regard de notre commentaire.

Pour le surplus, l’arrêt rapporté qui valide l’arrêt ci-dessus évoqué de la Cour de Montpellier présente le double intérêt :

– de retenir l’indemnisation de désordres futurs dans le cadre de l’application de la responsabilité contractuelle de droit commun ;

– de statuer sur la notion « de partie à l’instance » ou encore au procès au sens de l’article 68 du Code de Procédure Civile (CPC) et par voie de conséquence sur la forme que doivent revêtir les demandes incidentes ou encore les demandes en garantie selon les cas.

Sur la réparation/indemnisation des désordres futurs dans le cadre de l’application de la responsabilité contractuelle de droit commun des constructeurs après réception des travaux

2. On sait qu’à l’instar de ce qui est jugé en droit commun de la responsabilité civile depuis trois arrêts de principe de la chambre des requêtes du 1er juin 1932 (S.1933-1, p. 49, note H. Mazeaud ; DP 1932, 1, p. 102, rapp. Pilon) la réparation/indemnisation d’un dommage futur est possible, si ledit dommage « apparaît aux juges du fait comme la prolongation certaine et directe d’un état de choses actuel et comme étant susceptible d’évaluation immédiate », la jurisprudence admet, dans le cadre de la responsabilité spécifique des constructeurs, la réparation/indemnisation du désordre futur, cette admissibilité étant en général rattachée à un arrêt du 3 décembre 1985 (Cass. 3e civ., 3 décembre 1985, Bull. civ. III, no 159) qui énonce que « la garantie décennale couvre les conséquences futures des désordres résultant de vices dont la réparation a été demandée au cours de la période de garantie ».

3. Néanmoins l’arrêt précité du 3 décembre 1985 est relativement ambigu et pourrait être rattaché, de facto, à la notion de désordre évolutif, ce qui nous conduit, avant d’exposer notre avis, à faire la distinction entre désordre futur et désordre évolutif.

4. Les notions précitées de désordre futur d’une part et de désordre évolutif d’autre part sont en effet distinctes et renvoient à des situations de fait et de droit différentes qui ne sont pas toujours maîtrisées correctement en doctrine et en jurisprudence, qui, à l’occasion, ont tendance à confondre ces deux notions ou à employer improprement une terminologie pour l’autre, le lecteur étant invité à se reporter à cet égard à notre commentaire d’un arrêt du 16 mai 2001 (Cass. 3e civ., 16 mai 2001, D. 2002, Jur. p. 833, note J.-P. Karila).

Le désordre futur est un désordre dénoncé judiciairement dans le délai de la garantie décennale, ne revêtant pas alors les caractéristiques de gravité de ceux relevant d’une telle garantie, mais dont on sait de façon certaine que, dans l’avenir, il présentera de telles caractéristiques. En cela, le désordre futur se distingue du désordre éventuel non indemnisable.

Le désordre évolutif est celui qui, apparu postérieurement à l’expiration du délai d’action au titre de la garantie décennale, n’est que la suite logique et/ou encore l’aggravation des désordres d’origine, qui présentaient les caractéristiques de gravité de ceux relevant de la garantie décennale et avaient fait l’objet d’une dénonciation judiciaire dans le délai de ladite garantie.

5. La distinction entre désordre futur et désordre évolutif étant faite, l’ambiguïté de l’arrêt précité du 3 décembre 1985 résulte, à notre avis, du fait que la Haute Juridiction a cassé en la circonstance un arrêt de la Cour de Paris qui, pour refuser de donner acte au Syndicat des Copropriétaires de ses réserves, relatives à des demandes complémentaires pour des désordres à venir, avait retenu que ces demandes ne pourraient être présentées « qu’au mépris du délai de la garantie légale », motivation qui laisse penser qu’au moment où la Cour de Paris avait statué la garantie décennale était déjà expirée ; de sorte que l’arrêt de cassation du 3 décembre 1985 pourrait être rattaché, non pas à la notion de désordre futur, malgré l’emploi des termes « conséquences futures » mais à la réparation/indemnisation de désordres évolutifs.

C’est donc plutôt à partir de 1995/1996 que la jurisprudence a, du moins au niveau de la Haute Juridiction, admis la réparation/indemnisation de désordres futurs, le premier arrêt topique (a contrario) étant un arrêt du 19 juin 1996 dont il sera fait état ci-après (infra no 6), étant souligné qu’en ce qui concerne les désordres évolutifs, notion différente de celle de désordres futurs, l’admissibilité de leur réparation/indemnisation remonte quant à elle aux années 1970.

6. Pour ce qui est des conditions d’admissibilité de la réparation/indemnisation d’un désordre futur dans le cadre de l’application de la garantie décennale, il convient de préciser que celles-ci ont varié dans le temps.

La jurisprudence était en effet fluctuante et incertaine jusqu’à deux arrêts remarqués, l’un du 19 juin 1996 (Cass. 3e civ., 19 juin 1996, Bull. civ. III, no 230), l’autre du 6 mai 1998 (Cass. 3e civ., 6 mai 1998, pourvoi no 96-18298, RDI 1998, p. 375, obs. Ph. Malinvaud) desquels il est résulté soit implicitement soit expressément que la réparation/indemnisation du désordre futur suppose qu’au moment où le juge statue, le délai d’épreuve de la garantie décennale ne soit évidemment pas déjà expiré et que les circonstances de l’espèce lui permettent d’affirmer que ledit désordre se produira de façon certaine à l’intérieur du délai d’épreuve de dix ans de la garantie décennale.

7. La solution a été à nouveau affirmée de façon éclatante :

– d’abord dans un arrêt inédit du 16 juin 2001 (Cass. 3e civ., 16 juin 2001, inédit titré, pourvoi no 97-17407) qui casse un arrêt d’une Cour d’appel qui avait retenu l’application de la garantie décennale à propos de « malfaçons affectant l’isolation thermique » au prétexte qu’elles étaient susceptibles de rendre à long terme l’immeuble impropre à sa destination, alors « qu’en statuant ainsi, sans rechercher si l’impropriété à destination s’était manifestée dans le délai décennal, la Cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision » au regard de l’article 1792 du Code civil ;

– puis et surtout en 2003, dans trois arrêts du 29 janvier 2003 dont deux ont été publiés (Cass. 3e civ., 29 janvier 2003, Bull. civ. III, 00-21091 no 18 ; JCP éd. Gén. 2003, II, 10077, conclusions Avocat Général Olivier Guérin), arrêts de rejet qui valident des décisions de Cours d’appel qui avaient, pour admettre la réparation/indemnisation de désordres, soit non actuels, soit actuels mais ne revêtant pas d’ores et déjà la gravité du désordre décennal, relevé que le désordre présenterait la gravité nécessaire « assurément dans le délai de la garantie décennale » (arrêt no 1) ou encore « à brève échéance et en tout cas avant l’expiration de la garantie décennale » (arrêt no 2), le troisième étant inédit (Cass. 3e civ, 29 janvier 2003, no 001-1468).

On signalera aussi un arrêt du 16 décembre 2003 (Cass. 3e civ., 16 décembre 2003, inédit titré, pourvoi no 00-21282) qui casse un arrêt d’une Cour d’appel qui avait admis la réparation/indemnisation du désordre au prétexte que « l’Expert précise qu’il s’agit de désordres évolutifs ne pouvant qu’entraîner dans un avenir plus ou moins proche l’impropriété des lieux à destination » alors « qu’en statuant ainsi, sans relever que l’atteinte à la destination de l’ouvrage interviendrait avec certitude dans le délai décennal, la Cour d’appel a violé les textes susvisés » (articles 1792 et 2270 du Code civil).

Selon la formulation des arrêts précités du 29 janvier 2003, la réparation/indemnisation d’un désordre, dénoncé dans le délai décennal, sur le fondement de l’article 1792 du Code civil, implique que les juges constatent que le désordre considéré atteindra de manière certaine, avant l’expiration de ce délai, la gravité requise par ce texte.

Cette situation est depuis constante (voir notamment Cass. 3e civ., 31 mars 2005, no 03-15766, Bull. civ. III, no 77, RGDA 2005, p. 666, note J.-P. Karila ; Cass. 3e civ., 11 mai 2005, no 04.11044).

8. L’originalité de l’arrêt rapporté tient au fait que pour la première fois, à notre connaissance, la Haute Juridiction, en validant l’arrêt de la Cour de Montpellier, a admis la prise en compte, dans le cadre de l’application de la responsabilité contractuelle de droit commun pour faute prouvée, d’un désordre non né ni actuel mais futur comme on le verra ci-après.

Rappelons d’abord en effet que la jurisprudence, en marge des régimes légaux antérieurs à la loi du 4 janvier 1978, admet, depuis le fameux arrêt Delcourt (Cass. 3e civ., 10 juillet 1978, Bull. civ. III, no 285), la mobilisation de la responsabilité contractuelle de droit commun pour faute prouvée des locateurs d’ouvrages immobiliers pour des désordres apparus postérieurement à la réception des travaux mais ne pouvant relever des garanties légales, responsabilité contractuelle de droit commun dont le délai de mise en œuvre a été fixé, depuis un arrêt de principe du 11 juin 1981 (Cass. 3e civ., 11 juin 1981, Bull. civ. III, no 120), à dix ans à compter de la réception des travaux.

On sait aussi que cette jurisprudence sur les dommages dits « intermédiaires » a été transposée dans le cadre de la loi précitée du 4 janvier 1978 par le « frère jumeau » de l’arrêt Delcourt, l’arrêt « Maison Enec » du 22 mars 1995 (Cass. 3e civ., 22 mai 1995, Bull. civ. III, no 80) la durée décennale n’ayant été précisée que le 16 octobre 2002 par deux arrêts de principe, l’arrêt Grosbost (Cass. 3e civ., 16 octobre 2002, Bull. civ. III, no 205, arrêt no 1) et l’arrêt « Maison Bottener » (Cass. 3e civ., 16 octobre 2002, Bull. civ. III, no 2005, arrêt no 2), le lecteur étant invité, s’il veut avoir une idée précise de la genèse et de l’évolution de la durée de la responsabilité contractuelle de droit commun et à son alignement sur celle des garanties légales, à notre étude sur la question publiée dans d’autres colonnes (J.-P. Karila : « Vers l’uniformisation de tous les délais d’action des différentes responsabilités des constructeurs d’ouvrages immobiliers », JCP N 2004, Étude no 1160, p. 545 à 551).

On sait par ailleurs que depuis l’ordonnance du 8 juin 2005 qui a inséré un article 2270-2 dans le Code civil – devenu depuis la loi no 02008-561 du 17 juin 2008, l’article 1792-4-2 –, il a été procédé à un alignement de la durée des responsabilités des sous-traitants sur celles des locateurs d’ouvrages immobiliers.

On rappellera enfin, dans un souci d’exhaustivité, que depuis la loi précitée no 02008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile (JO no 00141 du 18 juin 2008), il a été inséré dans le Code civil un article 1792-4-3 ainsi rédigé :

« En dehors des actions régies par les articles 1792-3, 1792-4-1 et 1792-4-2, les actions en responsabilité dirigées contre les constructeurs désignés aux articles 1792 et 1792-1 et leurs sous-traitants se prescrivent par dix ans à compter de la réception des travaux ».

L’ensemble prétorien ci-avant évoqué, relativement à l’admissibilité de la mise en œuvre notamment de la responsabilité contractuelle de droit commun pour faute prouvée, a été en quelque sorte « légalisé » quant à son principe et à sa durée décennale, computée à compter de la réception des travaux avec ou sans réserve.

9. L’arrêt rapporté admet donc dans le cadre de l’application de la responsabilité contractuelle de droit commun l’indemnisation d’un désordre futur.

La Haute Juridiction énonce en effet que la Cour de Montpellier a légalement justifié sa décision de condamnation d’un constructeur dès lors « qu’ayant relevé par des motifs propres et adoptés, faisant sien l’avis de l’Expert, la généralisation du phénomène de désolidarisation des bardages et la nécessité d’une réfection totale chiffrée par ce technicien a… pour la seconde tranche des bâtiments et retenu que le dommage, certain, réalisé et dénoncé dans le délai de dix ans à compter de la réception résultait directement de la faute de la Société OTCE… ».

Formulation qui peut effectivement laisser penser que la Cour de Montpellier, dont l’arrêt est ainsi validé, avait concernant la seconde tranche des bâtiments accepté la nécessité d’une réfection totale des bardages à raison de la généralisation future du phénomène de désolidarisation du bardage et donc de la survenance future d’un désordre.

Néanmoins, si l’on peut – comme nous l’avons fait – rattacher cette décision à l’indemnisation de désordres futurs, il reste que :

– si l’on s’en tient à la première branche du deuxième moyen de cassation du pourvoi principal reproduisant les motifs de la Cour de Montpellier, celle-ci n’a pas, semble-t-il, fait référence dans son arrêt à la notion de désordre futur ;

– la Cour de cassation n’utilise, également quant à elle pas plus le terme de désordre futur ni ne vise même de façon indirecte la certitude de la survenance du désordre dans le délai décennal pour les bâtiments de la seconde tranche ;

– la première branche du deuxième moyen ci-avant reproduite mélange à souhait, la notion de désordre évolutif et de désordre futur en faisant état du fait que l’indemnité allouée par la Cour de Montpellier correspond « pour partie à des désordres se manifestant plus de dix ans après la réception, et à des désordres futurs, sans s’expliquer… » ;

De sorte que l’arrêt rapporté pourrait être rattaché à la jurisprudence sur la prise en compte des désordres évolutifs…, ce qui serait alors, à notre avis, éminemment critiquable ; si l’on doit en effet admettre que conformément au droit commun de la responsabilité, la réparation/indemnisation de désordres futurs est possible dans le cadre de la responsabilité contractuelle de droit commun des locateurs d’ouvrages immobiliers, en revanche, il n’est pas évident qu’il soit pertinent d’admettre aussi la transposition en matière de responsabilité contractuelle de droit commun des constructeurs, de la notion de désordre évolutif, puisqu’aussi bien la responsabilité contractuelle de droit commun est susceptible d’être appliquée y compris et surtout pour des désordres par hypothèse mineurs et qu’admettre, dans ces conditions, qu’il y ait place pour la réparation/indemnisation de désordres survenus postérieurement au délai de dix ans ne serait pas justifié.

Sur la notion de partie au procès au sens de l’article 68 du Code de procédure civile (CPC)

10. Il est fréquent qu’un assureur soit attrait dans le cadre d’une instance en qualité d’assureur d’un constructeur X tandis que par ailleurs est partie au même procès un constructeur Y dont il est également l’assureur, la question qui se pose alors étant de savoir si une partie au procès peut conclure contre ledit assureur en sa qualité d’assureur du constructeur Y ou si ladite partie doit faire délivrer une assignation à l’assureur en cette dernière qualité d’assureur du constructeur Y.

La question est plus ou moins réglée par les articles 54, 63 et 66 à 70 du Code de procédure civile (CPC).

On rappellera à cet égard que :

– l’article 54 du Code de procédure civile énonce que sous réserve de certains cas particuliers, l’instance ou encore la demande initiale « est formée par assignation ou par remise d’une requête conjointe au secrétariat de la juridiction ».

– l’article 63 du Code de procédure civile dispose que « les demandes incidentes sont la demande reconventionnelle, la demande additionnelle et l’intervention » ;

– tandis que l’article 66 dudit Code de procédure civile dispose quant à lui que « constitue une intervention, la demande dont l’objet est de rendre un tiers partie au procès engagé entre les parties originaires » et précise en son second alinéa que « lorsque la demande émane du tiers, l’intervention est volontaire » tandis qu’elle « est forcée lorsque le tiers est mise en cause par une partie » ;

– et qu’enfin l’article 68 dudit Code de procédure civile énonce que « les demandes incidentes sont formées à l’encontre des parties à l’instance de la même manière que sont présentés les moyens de défense.

Elles sont faites à l’encontre des parties défaillantes ou des tiers dans les formes prévues pour l’introduction de l’instance. En appel, elles le sont par voie d’assignation ».

Étant souligné ici que les moyens de défense sont formulés par de simples conclusions.

11. Il résulte de cet ensemble textuel que si une partie au procès entend conclure contre une autre partie au procès, elle le fait naturellement par voie de conclusions tandis que si une partie entend conclure contre un tiers au procès, elle doit le faire par voie d’assignation en intervention forcée.

Les praticiens procèdent d’ailleurs habituellement ainsi en faisant délivrer une assignation en intervention forcée et s’il y a lieu, comme c’est pratiquement toujours le cas, en garantie.

Aussi, on peut dire qu’une action en garantie est une action principale et qu’elle doit en principe être introduite par voie d’assignation (en ce sens, Cass. 3e civ., 16 juillet 1974, no 75-11375, Bull. civ. III, no 302).

La question reste néanmoins entière car l’assureur présent au procès en qualité d’assureur d’un constructeur X est-il un tiers ou partie au procès que lui ferait un codéfendeur dans le cadre d’une action en garantie en une autre qualité que celle pour laquelle il a été mis en cause

L’arrêt précité du 16 juillet 1974 apporte une réponse puisqu’aussi bien après l’affirmation du caractère principal de toute action en garantie, il ajoute que celle-ci « peut être formée par de simples conclusions lorsqu’elle est intentée par l’un des défendeurs contre un autre, toutes deux parties au procès et qu’elle est la suite et la conséquence de l’action principale » .

Un arrêt du 3 février 1999 (Cass. 3e civ., 3 février 1999, no 97-12223) casse pour violation de l’article 68 du Code de procédure civile (à l’époque NCPC), l’arrêt qui, pour débouter un promoteur de son action en garantie contre son assureur, retient qu’il n’a jamais attrait en la cause son assureur en cette qualité, alors que cette compagnie, qui était partie à l’instance en qualité d’assureur d’une autre partie, pouvait être appelée en garantie par de simples conclusions.

Et ce après avoir énoncé dans un chapeau ce qui est retranscrit ci-après :

« Attendu que les demandes incidentes sont formées à l’encontre des parties à l’instance de la même manière que sont présentées les moyens de défense ».

Considérant donc qu’une action en garantie peut constituer aussi une « demande incidente » au mépris néanmoins de l’article 63 du CPC précité qui définissant les demandes incidentes ne vise que la demande reconventionnelle, la demande additionnelle et l’intervention.

12. Dans ce contexte et cette fois dans une situation de fait et procédurale différente, s’agissant d’une action en garantie formulée pour la première fois en cause d’appel, situation examinée par l’arrêt rapporté, que décider

Quelle forme doit revêtir l’action en garantie formulée pour la première fois en cause d’appel par un codéfendeur à l’encontre d’un assureur partie au procès en qualité d’un constructeur X alors que l’action en garantie est formulée à son encontre en sa qualité d’assureur d’un constructeur Y

La réponse est donnée par l’arrêt rapporté qui valide ici encore l’arrêt de la Cour de Montpellier et énonce qu’ayant constaté qu’en première instance l’assureur n’avait été assigné qu’en sa qualité d’assureur des Sociétés TBH (on dira ici X) et Smac Aceroïd (on dira ici Y) et qu’il n’était pas partie à la procédure de première instance en sa qualité d’assureur de la Société Dauriac (on dira ici Z) il ne pouvait être recherché en cette qualité par voie de simples conclusions.

Étant observé ici que les termes « qu’assignée pour la première fois en cause d’appel… » figurant dans l’arrêt rapporté sont inappropriés en ce sens qu’il résulte de la lecture des moyens, comme de l’esprit de l’arrêt rendu par la Haute Juridiction que l’assureur en question n’avait pas été l’objet de la délivrance d’une assignation mais seulement d’une action en garantie formulée par voie de conclusions.

On rappellera d’ailleurs que s’il y avait eu délivrance d’une assignation pour la première fois en cause d’appel, le débat aurait été radicalement différent et aurait uniquement porté sur la question de savoir si les conditions d’application de l’article 555 du Code de procédure civile qui dispose, par référence à l’article 554 dudit Code, que les personnes qui n’ont été ni parties ni représentées en première instance où qui y ont figuré en une autre qualité « peuvent être appelées devant la Cour même aux fins de condamnation, quand l’évolution du litige implique leur mise en cause ».

Or, le débat devant la Cour de Montpellier puis devant la Cour de cassation a uniquement porté sur la question de savoir si un constructeur codéfendeur pouvait agir en garantie pour la première fois en cause d’appel par voie de simples conclusions et non par voie d’assignation à l’encontre d’un assureur également codéfendeur mais qui n’avait été mis en cause en première instance qu’en une autre qualité que celle pour laquelle il était recherché dans le cadre de ladite action en garantie.

La Haute Juridiction a apporté une réponse négative : c’est nécessairement par voie d’assignation que le codéfendeur pouvait rechercher pour la première fois en cause d’appel la garantie de l’assureur en une autre qualité que celle pour laquelle il avait été attrait en justice.

13. Il résulte donc de l’arrêt rapporté qu’on ne peut pas formuler pour la première fois en cause d’appel une action en garantie par voie de simples conclusions à l’encontre d’une partie présente en première instance et en appel mais qui n’avait été partie en première instance qu’en une ou plusieurs qualités différentes de celle pour laquelle il était recherché pour la première fois en garantie en cause d’appel.

14. La confrontation de l’arrêt rapporté avec celui précité du 3 février 1999 nous conduit, dans un esprit d’exhaustivité, à nous poser la question de la pérennité/poursuite de la solution adoptée en 1999, rendu il est vrai dans un cadre procédural différent, c’est-à-dire lorsque l’action en garantie est formée en première instance par un codéfendeur à l’encontre d’un autre codéfendeur figurant au procès en une autre qualité que celle pour laquelle il est recherché en garantie.

Il n’est pas certain selon nous que la jurisprudence de 1999 soit amenée à se poursuivre tant il nous paraît évident qu’une action en garantie formulée à l’encontre d’une partie au procès, attraite en une qualité différente de celle pour laquelle il est recherché en garantie, constitue a priori une action principale et doit faire à ce titre l’objet de la délivrance d’une assignation.

En d’autres termes, si un assureur est recherché au titre d’un contrat d’assurance par une partie au procès, d’autres parties au procès peuvent conclure en garantie contre ledit assureur au titre du contrat d’assurance pour lequel il a été mis en cause, tandis que si l’une des parties au procès entend rechercher la garantie dudit assureur au titre d’un autre contrat d’assurance, alors il devrait le faire par voie d’assignation.

Dans tous les cas, peut se poser la question de la prescription de cette mise en cause l’interruption d’une action à l’encontre d’une partie juridique en une certaine qualité par exemple d’un assureur en qualité d’un constructeur X n’étant pas nécessairement interruptive de la prescription de l’action à l’encontre dudit assureur, recherché cette fois-ci en qualité d’assureur d’un constructeur Y.

L’unité/l’identité de la personne juridique en question (l’assureur) n’entraîne pas, selon nous, un effet extensif de l’interruption de l’action dirigée contre la même personne juridique en une qualité différente de celle pour laquelle il avait été d’abord recherché.

Mais cet avis est peut-être en l’état et à court terme insusceptible a priori d’être couronné de succès car il ne correspondrait pas à l’état d’esprit des magistrats de la Haute Juridiction qui ont, par exemple, admis que l’interruption d’une action sur le fondement de la responsabilité décennale ne pouvait être étendue à la prescription de l’action au titre de la responsabilité contractuelle de droit commun (Cass. 3e civ., 26 juin 2002, no 000-21638, Bull. civ. III, no 149, RDI 2002, p. 419, obs. Ph. Malinvaud), la Haute Juridiction ayant adopté le même raisonnement dans la situation inverse (extension de l’effet interruptif d’une action au titre de la responsabilité contractuelle de droit commun sur l’action au titre de la garantie décennale) (Cass. 3e civ., 22 juillet 1998, no 97-10816, Constr. urb. 1998, Comm. no 374).

J.-P. Karila – RGDA 2008-4, p. 953

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