Transmission propter rem du bénéfice de l’indemnité d’assurance — Karila

Transmission propter rem du bénéfice de l’indemnité d’assurance

Assurance dommages-ouvrage ; Action en paiementdes indemnités d’assurance ; Qualité pour agir ; Acquéreur de l’immeuble, sauf clause contraire, même si la déclaration de sinistre a eu lieu avant la vente

Cass. 3eciv., 15 sept. 2016, no 15-21630, FS–PB

Sauf clause contraire, l’acquéreur de l’immeuble a seul qualité à agir en paiement des indemnités d’assurance contre l’assureur garantissant les dommages à l’ouvrage, même si la déclaration de sinistre a été effectuée avant la vente.

Extrait :

« Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 15 mai 2015), que la société Bafip bail a donné en crédit-bail des locaux à usage industriel à la société Teampack ; qu’en 1993, la société Cicobail est venue aux droits et obligations de la société Bafip bail à la suite d’une opération de fusion-absorption ; qu’en 1999/2000, d’importantes dégradations du revêtement de sol en carrelage sont apparues, qui ont donné lieu à une déclaration de sinistre auprès de la société AXA, assureur dommages ouvrage, laquelle a, après expertise amiable, donné une réponse favorable à la mise en œuvre de la garantie en proposant un règlement définitif du sinistre à hauteur de la somme de 91 390,14 euros ; que, le 28 décembre 2000, la société Teampack est devenue propriétaire de l’immeuble à la suite de la levée de l’option d’achat et que, le même jour, l’immeuble a été revendu à la société Eurosic et à la société San Paolo murs, un nouveau contrat de crédit-bail étant conclu entre ces sociétés et la société Teampack aux termes duquel le preneur se voyait conférer la faculté de décider s’il y avait lieu ou non d’accepter les indemnités proposées par la compagnie d’assurances ; que, le 18 juin 2004, la société AXA a notifié son refus de règlement du sinistre ; qu’en 2006, la société Gyma industrie a procédé à la dissolution anticipée sans liquidation de la société Teampack, dont elle était devenue l’associée unique ; que la société Gyma industrie et la société Cicobail ont assigné la société AXA et la société EGPA, courtier d’assurances, aux droits de laquelle se trouve la société Carene, en indemnisation des préjudices subis du fait des dommages ayant donné lieu à la déclaration de sinistre auprès de l’assureur dommages ouvrage ; (…)
Mais sur le moyen unique, en ce qu’il fait grief à l’arrêt de rejeter les demandes formées contre la société AXA :
Vu les articles L. 242-1 et L. 121-10 du Code des assurances, ensemble l’article 1792 du Code civil ;
Attendu que, pour rejeter les demandes formées contre la société AXA, l’arrêt retient que c’est à juste titre que celle-ci soulève l’absence de droit des sociétés Cicobail et Gyma industrie à se prévaloir d’une créance d’indemnité pour un sinistre déclaré en février 2000 ;
Qu’en statuant ainsi, alors que, sauf clause contraire, l’acquéreur de l’immeuble a seul qualité à agir en paiement des indemnités d’assurance contre l’assureur garantissant les dommages à l’ouvrage, même si la déclaration de sinistre a été effectuée avant la vente, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE… ; »

1. L’arrêt rapporté, à portée doctrinale qui constitue un revirement de jurisprudence, est intéressant en ce qu’il :

– affirme, à l’inverse des solutions antérieurement acquises, que sauf clause contraire, l’acquéreur de l’immeuble a seul qualité à agir en paiement de l’indemnité d’assurance garantissant les dommages à l’ouvrage même si la déclaration de sinistre a été effectuée avant la vente ;

– procède de ce fait et de façon cohérente à un alignement des solutions déjà existantes relativement à la transmission : de l’action au titre de la garantie décennale ; et de l’action au titre de la responsabilité contractuelle de droit commun.

I. Droit positif antérieur à l’arrêt rapporté : sauf stipulation contraire, seul le propriétaire de l’ouvrage au moment de la déclaration de sinistre, a qualité à revendiquer le bénéfice de l’indemnité d’assurance correspondant au sinistre/désordre antérieur à la vente

2. Il faut se garder de confondre la question de la transmission aux acquéreurs successifs de l’assurance dommages-ouvrage de celle de la transmission de l’indemnité d’assurance due, au titre de la mobilisation des garanties stipulées dans ledit contrat d’assurance dommages-ouvrage.

S’agissant d’une assurance de choses, sa transmission en cas de vente est automatique tandis que celle de l’indemnité, à propos de laquelle la question ne peut se poser que relativement à des désordres, objet d’une déclaration de sinistre antérieurement à la vente, celle-ci peut dépendre des stipulations contractuelles ayant pu exister dans l’acte de vente et/ou de la détermination du titulaire/bénéficiaire de l’intérêt d’assurance à ce titre.

Bien que les deux questions ci-avant évoquées ne soient pas,de jure, strictement liées à celle de savoir si en matière d’assurance dommages-ouvrage on est en présence d’une souscription pour compte ou d’une véritable assurance pour compte, à propos de laquelle un débat doctrinal fort complexe s’est instauré (voir à cet égardLamy Assurances2016, chap. assurances dommages-ouvrage par Karila J.-P., n° 3416), il semble utile de s’y référer incidemment dès lors que dans le cadre de ce débat on est conduit – même si cela n’est pas toujours exprimé de façon expresse – à s’interroger sur la détermination du bénéficiaire de l’intérêt d’assurance au regard notamment du paiement de l’indemnité.

On rappellera ici que la Cour de cassation, sans prendre parti sur la nature exacte de l’assurance, a, sans distinction quelconque entre bénéfice des garanties et bénéfice de l’indemnité, posé la règle selon laquelle : « Sauf le cas de subrogation, le vendeur d’un immeuble après achèvement n’est plus fondé, après la vente, à invoquer le bénéfice de l’assurance dommage qu’il a souscrite en exécution des prescriptions de l’article L. 241-1 du Code des assurances ». (Cass. 1re civ., 22 avr. 1995, n° 90-14597 : RGAT 1992, p. 563, note Bigot J. ; déjà dans le même sens,Cass. 1re civ., 15 oct. 1991, n° 88-15626 : RGAT 1991, p. 872, note Bigot J.), tandis qu’il a été jugé qu’en cas d’inaction du véritable bénéficiaire de l’assurance ainsi déterminé s’agissant de l’acquéreur, le souscripteur-vendeur peut revendiquer la mise en œuvre de la police dommages-ouvrage au profit du propriétaire (Cass. 1re civ., 23 juin 1992, n° 90-19913 : RGAT 1992, p. 562, note Bigot J.).

Il résulte, selon nous, de l’ensemble des arrêts précités que pour la Cour de cassation, à l’époque considérée, l’intérêt d’assurance devait nécessairement s’apprécier à l’époque de la survenance du sinistre, ce qui conduit alors naturellement à juger que seul le vendeur a qualité à requérir l’allocation de l’indemnité d’assurance, à raison de sa propriété de l’ouvrage au moment du sinistre.

Tant la 1re chambre civile (voir à titre d’ex. :Cass. 1re civ., 10 juin 1997, n° 95-15523 : Bull. civ. I, n° 92 ; Resp. civ. et ass. 1997, comm. n° 314), que la 3chambre civile (voir à titre d’ex. :Cass. 3e civ., 29 oct. 2003, n° 02-11859 –Cass. 3e civ., 4 déc. 2007, n° 06-18783 –Cass. 3civ., 2 févr. 2005, n° 03-19318 : Bull. civ. III, n° 19 –Cass. 3civ., 17 déc. 2014, n° 13-22494(a contrario) : Bull. civ. III, n° 165; RGDA févr. 2015, p. 105, note Karila J.-P.) ont jugé implicitement ou nécessairement que le propriétaire de l’ouvrage au moment du sinistre était alors le bénéficiaire de l’assuranceetde l’indemnité correspondante.

II. Droit positif antérieur à l’arrêt rapporté : seul l’acquéreur de l’ouvrage a qualité à revendiquer le bénéfice de la garantie décennale, d’une part et celui de la responsabilité contractuelle de droit commun, d’autre part

3.1. Garantie décennale – garantiepropter remet accessoire du bien vendu

Depuis plusieurs décennies, il est jugé en droit public (CE, 6 janv. 1961, Sté Mobil oil française : AJDA, 1961 II, p. 517, n° 219 – T. Conf., 12 juin 1961, Veuve Lannoy : Dalloz 1962, jur. p. 127, note Lamarque, p. 870) comme en droit privé (Cass. 1re civ., 28 nov. 1967 : Bull. civ. III, n° 348) que l’acquisition de l’ouvrage emporte transfert au profit de l’acquéreur du bénéfice de l’action en garantie décennale, ladite garantie constituant « une protection légale, attachée à la propriété et peut donc être évoquée par tous ceux qui y succèdent, même à titre particulier, dans cette propriété au maître de l’ouvrage ».

La garantie décennale est donc une garantiepropter remimpliquant aussi que l’on se réfère à la théorie de l’accessoire comme l’a fait de façon éclatante un arrêt du 28 octobre 1975 (Cass. 3e civ., 28 oct. 1975, n° 74-10842 : Bull. civ. III, n° 311) qui énonce que : « les acquéreurs successifs d’un immeuble sont recevables à agir contre les constructeurs sur le fondement de la garantie décennale qui accompagne,en tant qu’accessoire[mis en gras par le rédacteur de la présente note], l’immeuble nonobstant la connaissance, par les acquéreurs, des vices de celui-ci lors de la signature de l’acte de vente, et l’absence, dans ce dernier, de clause prévoyant un tel recours ».

Mais en 1997 la Haute juridiction a adopté la position inverse en jugeant que : « La vente de l’immeuble n’emporte pas de plein droit cession au profit de l’acquéreur des droits et actions afin de dommages-intérêts qui ont pu naître au profit du vendeur en raison des dégradations causées à l’immeuble antérieurement à la vente » (Cass. 3e civ., 18 juin 1997, n° 95-18254 : Bull. civ. III, n° 149).

C’est en cet état que la Haute juridiction a opéré, le 23 septembre 2009 (Cass. 3civ., 23 sept. 2009, n° 05-13470 : Bull. civ. III, n° 202), un important revirement de jurisprudence, en revenant à la solution de 1975 tout en y ajoutant un renvoi/réserve quant à la possibilité pour les parties de prévoir une solution contraire, l’arrêt énonçant : « les acquéreurs successifs d’un immeuble sont recevables à agir[mis en gras par le rédacteur de la présente note] contre les constructeurs sur le fondement de la garantie décennale qui accompagne, en tant qu’accessoire, l’immeuble, nonobstant la connaissance, par les acquéreurs, des vices de celui-ci lors de la signature de l’acte de vente et en l’absence, dans ce dernier, de clause leur réservant un tel recoursà moins que le vendeur ne puisse invoquer un préjudice personnel lui conférant un intérêt direct et certain à agir[mis en gras par le rédacteur de la présente note] ».

Depuis, la jurisprudence est constante.

3.2. Transmissibilité à l’acquéreur de l’action au titre de la responsabilité contractuelle de droit commun

Depuis un arrêt du 26 mai 1992 (Cass. 3civ., 26 mai 1992, n° 89-21897 : Bull. civ. III, n° 168), constituant alors un revirement caractérisé de jurisprudence, la Cour de cassation a admis pour la première fois que l’acquéreur de l’ouvrage pouvait invoquer à l’encontre des constructeurs leur responsabilité contractuelle de droit commun, jurisprudence depuis, constante, un arrêt important du 10 juillet 2013 (Cass. 3civ., 10 juill. 2013, n° 12-21910 : Bull. civ. III, n° 102 ; Const. et urb. 2013, comm. 157 par Sizaire Ch.), ayant, à l’occasion de la cassation d’un arrêt d’une cour d’appel, pour violation de l’article 1147 du Code civil, souligné que la transmission de l’action contractuelle profite à l’acquéreur, même pour des dommages survenus antérieurement à la vente, sauf clause contraire de l’acte de vente : « sauf clause contraire, les acquéreurs successifs d’un immeuble ont qualité à agir,même pour les dommages nés antérieurement à la vente et ce nonobstant l’action en réparation intentée par le vendeur avant cette vente[mis en gras par le rédacteur de la présente note], contre les constructeurs sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun qui accompagne l’immeuble en tant qu’accessoire… »

Cette solution doit être complétée comme l’a fait la 3echambre civile le 7 novembre 2012 (Cass. 3civ., 7 nov. 2012, n° 11-20540), par la possibilité pour le vendeur, agissant sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun de solliciter et d’obtenir l’indemnisation de ses préjudices matériels et immatériels dès lors qu’il justifie à cet égard d’un « préjudice personnel conférant un intérêt direct et certain à agir », formulation adoptée comme déjà dit ci-dessus (supran° 3.1) en matière de transmissibilité de l’action au titre de la garantie décennale par l’arrêt précité du 23 septembre 2009.

III. Conséquences de l’arrêt rapporté : concentration/alignement des actions en responsabilité et en mobilisation de la couverture d’assurance sur la personne du propriétaire de l’ouvrage au moment de l’introduction de l’action

4. L’arrêt rapporté constitue, à l’évidence un revirement de jurisprudence au regard du droit positif antérieur (supran° 2) en ce qu’il pose la règle selon laquelle désormais sauf clause contraire, l’acquéreur de l’immeuble a seul qualité à agir en paiement des indemnités d’assurance contre l’assureur garantissant les dommages et l’ouvrage même si la déclaration de sinistre a été effectuée avant la vente.

La solution de l’arrêt rapporté est parfaitement justifiée au regard de la notion d’intérêt à l’assurance dont ne dispose, à l’évidence plus, le vendeur concernant le paiement de l’indemnité alors même, que l’indemnité serait relative à un sinistre survenu antérieurement à la vente.

On ne peut qu’approuver ce revirement de jurisprudence dans la mesure où il est de nature à assurer, conformément au droit positif concernant le sort de l’indemnité d’assurance, son affectation obligée à la réparation de l’ouvrage, comme l’a décidé la Haute juridiction d’abord dans un arrêt annonciateur du 21 novembre 2001 (Cass. 3civ., 21 nov. 2001, n° 00-14728 : Bull. civ. III, n° 132 ; RDI 2002, p. 129, obs. Leguay G. ; Karila J.-P., « L’affectation de l’indemnité d’assurance dommages-ouvrage », Tribune ass. 2002, n° 55 ; Cahier de jurisprudence, n° 118, p. 1) et le 17 décembre 2003 (Cass. 3civ., 17 déc. 2003, n° 02-19034 : Bull. civ. III, n° 232 ; RGDA 2004, note Karila J.-P.).

Étant observé que :

– le principe d’affectation obligatoire de l’indemnité implique, comme l’ont souligné à juste titre des auteurs (Groutel H., Leduc F., Pierre Ph., Asselain M.,Traité du contrat d’assurance terrestre, Litec, p. 867) que seul l’acquéreur justifie de l’intérêt à l’assurance puisqu’aussi bien après la vente, le vendeur ne peut plus, par hypothèse, réaliser les travaux de réparation de l’ouvrage. Étant rappelé qu’il appartient à l’assuré qui a reçu une indemnité destinée au financement des travaux de réfection des dommages de rapporter la preuve de la réalisation desdits travaux à concurrence de ladite indemnité (Cass. 3e civ., 4 mai 2016, n° 14-19804 : RGDA 2016, p. 418, note Karila J.-P.) ;

– si en matière de mobilisation de l’assurance de responsabilité décennale, le principe indemnitaire conduit à ce que le bénéficiaire de l’indemnité, en la circonstance le propriétaire de l’ouvrage, n’est pas obligé à affecter celle-ci à la réparation dudit ouvrage (Cass. 3civ., 21 janv. 2004, n° 02-13610 :RGDA 2004, p. 462, note Karila J.-P.), il est clair que ce qui a animé les décisions rendues en matière de transmissibilité de l’action au titre de la garantie décennale d’une part et au titre de la responsabilité contractuelle de droit commun d’autre part, à propos de désordres survenus avant la vente, c’est bien la volonté de la Haute juridiction que le bénéficiaire des indemnités puisse les affecter effectivement à la réparation des désordres dont s’agit.



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