Une nouvelle déclaration s’impose pour de nouveaux dommages (Cass. 3e civ., 14 mars 2012) — Karila

Une nouvelle déclaration s’impose pour de nouveaux dommages (Cass. 3e civ., 14 mars 2012)

Ancien ID : 948

Une nouvelle déclaration s’impose pour de nouveaux dommages

Cour de casstion, 3e civ., 14 mars 2012, n° 11-10.961, à paraître au Bulletin

Laurent Karila, Avocat, chargé d’enseignement à l’Université de Paris I

Revue de droit immobilier 2012 p. 357

« Attendu, selon l’arrêt attaqué (Montpellier, 8 novembre 2010), rendu en matière de référé, que M. X…, maître de l’ouvrage ayant souscrit une assurance dommages-ouvrage auprès de la société Axa France (société Axa), pour la construction d’une maison individuelle, a déclaré un sinistre à cet assureur pour des désordres affectant la façade ouest ; que les travaux de reprise réalisés par la société Centre d’entretien et de rénovation du bâtiment et des travaux publics, préfinancés par l’assureur, ont été réceptionnés sans réserve le 15 décembre 1999 ; que, se plaignant de nouvelles fissurations affectant les murs de refend intérieurs du séjour, le plancher de la mezzanine, les contre-cloisons en façade sud, et les piliers supportant sa terrasse en façade est, M. X… a adressé une déclaration de sinistre à son assureur multirisques habitation, la société Garantie mutuelle des fonctionnaires, qui a fait réaliser une expertise ; que M. X… a assigné en référé, au visa de l’article 145 du code de procédure civile, la société Axa en désignation d’expert ;

[…]

Mais attendu qu’ayant relevé que le maître de l’ouvrage avait subi des premiers désordres, pris en charge par la société Axa, assureur dommages-ouvrage, la cour d’appel a exactement retenu, sans dénaturation, qu’il n’y avait pas lieu de distinguer entre sinistre nouveau et aggravation d’un sinistre ancien déclaré et qu’à défaut de nouvelle déclaration de sinistre, la demande d’expertise pour les nouvelles fissures, présentée par le maître de l’ouvrage à l’encontre de l’assureur dommages-ouvrage n’était pas recevable ; »

Observations de Me Laurent Karila

Selon une jurisprudence constante, la recevabilité d’une demande en justice de l’assuré visant à obtenir la condamnation de l’assureur dommages ouvrage est subordonnée à la mise en oeuvre, l’échec ou l’« épuisement » de l’expertise contractuelle et d’ordre public prévue par les dispositions des articles L. 242-1 et de l’annexe 2 de l’article A. 243-1 du code des assurances (1).

Ainsi, pour qu’une action judiciaire puisse être valablement introduite à l’encontre de l’assureur dommages ouvrage, il est nécessaire que l’assuré déclare le sinistre auprès de la compagnie d’une part ; qu’ensuite de cette déclaration, la procédure d’expertise amiable soit mise en oeuvre par l’assureur et qu’à l’issue de cette expertise et dans les délais de 60 et 90 jours, la compagnie notifie sa position à l’assuré et offre l’indemnité d’assurance d’autre part et qu’enfin et seulement, à l’issue de cette procédure amiable, l’assuré assigne l’assureur.

Mais qu’en est-il lorsque le bénéficiaire de l’indemnité d’assurance a adressé une première déclaration de sinistre qui a abouti au paiement d’une indemnité d’assurance et à la réparation des dommages déclarés, ensuite de quoi lesdits dommages réapparaissent ou s’aggravent ? La recevabilité d’une demande de désignation d’un expert judiciaire est-elle subordonnée à l’émission d’une nouvelle déclaration de sinistre alors que le bénéficiaire précité entend mettre en jeu la responsabilité civile contractuelle de l’assureur dommages ouvrage pour manquement à son obligation de préfinancer les travaux efficaces de nature à mettre fin définitivement aux désordres

Le bénéficiaire de la police dommages ouvrage dont l’action avait été déclarée irrecevable par la cour de Montpellier soutenait la négative au motif précisément qu’il entendait mettre directement en jeu la responsabilité contractuelle de l’assureur et qu’il était par conséquent nécessairement dispensé d’en passer par une nouvelle expertise amiable.

La Cour de cassation rejette le pourvoi au motif « qu’il n’y avait pas lieu de distinguer entre sinistre nouveau et aggravation d’un sinistre ancien déclaré et qu’à défaut de nouvelle déclaration de sinistre, la demande d’expertise pour les nouvelles fissures, présentée par le maître de l’ouvrage à l’encontre de l’assureur dommages-ouvrage n’était pas recevable ».

Nous ne pouvons qu’approuver le principe énoncé avec solennité par la Haute juridiction dès lors qu’il est cohérent avec l’objet même de l’assurance dommages ouvrage qui est de permettre un préfinancement rapide des dommages d’une certaine gravité (2).

On observera que cette position de principe n’est pas contradictoire avec celle de la recevabilité de l’action du bénéficiaire d’une police dommages ouvrage aux fins de désignation d’un expert judiciaire au contradictoire des seuls locateurs d’ouvrage et de leurs assureurs, dits derniers garants de l’obligation à réparation ; la motivation de la Cour de cassation étant de laisser libre le bénéficiaire de la police dommages ouvrage de ne pas tenter de la faire appliquer, mais, dans l’hypothèse où il envisage de bénéficier de ladite police, de le contraindre à en passer par la procédure amiable – afin d’éviter la lourdeur économique et la longueur de l’expertise judiciaire – et ce quel que puisse être le fondement de l’éventuelle condamnation à paiement dudit assureur, la stricte obligation de paiement de l’indemnité d’assurance objet de la garantie de l’assureur ou son éventuelle responsabilité contractuelle.

Mots clés :

ASSURANCE * Assurance dommages-ouvrage * Expertise * Nouveau dommage * Nouvelle expertise

(1) Civ. 1re, 28 oct. 1997, n° 95-20.421, D. 1997. 245 ; RDI 1998. 114, obs. P. Dubois, Bull. civ. I, n° 293 – Civ. 1re, 19 mai 1999, n° 96-20.842, RDI 1999. 436, obs. G. Durry – Civ. 1re, 1er avr. 2003, n° 99-17.897 – Civ. 3e, 16 déc. 2003, n° 02-18.339 – Civ. 3e, 5 nov. 2008, n° 07-15.449 – Civ. 3e, 13 janv. 2009, n° 08-11.738 – Civ. 3e, 22 sept. 2009, n° 08-19.680, RDI 2009. 659, obs. P. Dessuet.

(2) Civ. 3e, 22 sept. 2009, n° 08-19.680, précité.

Me Laurent Karila – Revue de droit immobilier 2012 p. 357


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