Action subrogatoire de l’assureur dommages ouvrage avant paiement de l’indemnité. Recevabilité ? Oui, si l’action est engagée dans le délai de la garantie décennale et le paiement effectué avant que le juge ne statue au fond (Cass. 1e civ., 9 octobre 2001) — Karila

Action subrogatoire de l’assureur dommages ouvrage avant paiement de l’indemnité. Recevabilité ? Oui, si l’action est engagée dans le délai de la garantie décennale et le paiement effectué avant que le juge ne statue au fond (Cass. 1e civ., 9 octobre 2001)

Ancien ID : 145

Assurance dommages ouvrage.

Action subrogatoire de l’assureur dommages ouvrage avant paiement de l’indemnité. Recevabilité ? Oui, si l’action est engagée dans le délai de la garantie décennale et le paiement effectué avant que le juge ne statue au fond.

Viole les dispositions de l’article L. 121-12, alinéa 1er du Code des assurances, ensemble celles de l’article 126, alinéa 1er du Nouveau Code de procédure civile, l’arrêt qui pour déclarer irrecevable l’action récursoire subrogatoire de l’assureur dommages ouvrage à l’encontre des responsables du sinistre énonce notamment que ledit assureur n’a pas qualité ni intérêt à agir en l’absence de paiement de l’indemnité due à l’assuré, alors qu’est recevable une telle action engagée avant l’expiration du délai de forclusion décennale si l’assureur effectue le paiement de l’indemnité avant que le juge du fond ait statué sur cette action.

Cour de cassation (1ère Ch. civ.) 9 octobre 2001

Compagnie d’assurance Albingia c/ J.-P. Noraz et autres

Pourvoi n° 98-18378

La Cour,

Sur la première branche du premier moyen et la seconde branche du second moyen :

Vu l’article L. 121-12, alinéa 1er, du Code des assurances, ensemble l’article 126, alinéa 1er, du Nouveau Code de procédure civile ;

Attendu qu’il résulte de ces textes qu’est recevable l’action engagée par un assureur, avant l’expiration du délai de forclusion décennale, contre les responsables des dommages dont il doit la garantie, bien qu’il n’ait pas eu, au moment de la délivrance de son assignation, la qualité de subrogé de son assuré faute de l’avoir indemnisé, dès lors qu’il a payé l’indemnité due à celui-ci avant que le juge du fond ait statué sur cette action ;

Attendu que la commune de Valmeinier a procédé à la construction d’un centre de vacances, une police d’assurance dommages ouvrage ayant été souscrite auprès de la compagnie Albingia ; que sont intervenus à cette opération, M. Noraz, maître d’oeuvre, la société Socotec, contrôleur technique, les bureaux d’études Setic et Soletudes, et les entreprises Mauro, Otiva, Chedal et SMB ; qu’après la réception, intervenue le 16 décembre 1985, la commune a déclaré différents désordres à son assureur, lequel a désigné un expert amiable ; que la commune a ensuite sollicité par voie de référé la désignation d’un expert, lequel a été nommé par une ordonnance du 10 septembre 1996, rendue commune aux constructeurs le 22 octobre suivant ; que, par actes des 7, 8, 11, 15, 18 et 22 décembre 1995, la compagnie Albingia a assigné M. Noraz, les sociétés Socotec, Soletudes et Mauro, ainsi que M. Chedal, M. Saint-Pierre, ès qualités d’administrateur judiciaire de la société Oliva, en redressement judiciaire, et M. Bouvet, en qualité de mandataire liquidateur de la société SMB ;

Attendu que, pour déclarer irrecevables les demandes présentées par la compagnie Albingia, l’arrêt énonce que la déclaration de sinistre faite par l’assuré à l’assureur n’a pas pour effet de conférer à celui-ci un droit d’agir en vertu de la subrogation dans les droits de son assuré, tant qu’aucune indemnité n’a été versée par lui, et qu’à défaut de paiement fait à son assuré il n’a ni qualité ni intérêt pour agir ; qu’en se prononçant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

Par ces motifs, et sans qu’il soit besoin de statuer sur la seconde branche du premier moyen ni sur la première branche du second moyen :

Casse et annule.

NOTE

1. L’arrêt rapporté casse pour violation des articles L. 121-12, alinéa 1er du Code des assurances et l’article 126, al. 1er du Nouveau Code de procédure civile, un arrêt de la Cour de Paris qui avait déclaré irrecevable l’action subrogatoire d’un assuré dommages ouvrage, à l’encontre des constructeurs responsables de plein droit de dommages relevant de l’application de l’article 1792 du Code civil au motif qu’il ne pouvait invoquer – en l’absence de paiement de l’indemnité d’assurance – la subrogation dans les droits et actions de l’assuré qui n’avait en conséquence qualité ou intérêt à agir.

2. La cassation était inévitable dès lors que déjà par un précédent arrêt du 29 mars 2000 (Cass. 3e civ., 29 mars 2000, Bull. civ., no 67, RGDA 2001.157, note J. Beauchard) rendu à propos de l’ancienne police « maître d’ouvrage », mais la situation était parfaitement transposable en matière d’assurance dommages ouvrage, la Cour suprême avait évacué la question irritante de la problématique du recours subrogatoire de l’assureur dommages ouvrage en fin de période de garantie et avant qu’il n’ait payé l’indemnité d’assurance, en énonçant que l’action engagée avant l’expiration du délai de « forclusion » décennale par un assureur contre les responsables du dommage dont il doit garantie, bien qu’il n’ait pas eu la qualité de subrogé, au moment de délivrance de son assignation dès lors qu’il a payé l’indemnité due à son assuré, avant que le juge du fond n’ait statué, mettant ainsi fin à la jurisprudence logique d’un point de vue strictement juridique, qu’avant paiement l’action subrogatoire ne pouvait qu’être déclarée irrecevable (Cass. 3e civ., 5 février 1985, RGAT 1986.376, note J. Bigot ; Cass. 1re civ., 23 juin 1992, p. 61, note J. Bigot).

La question était d’autant plus irritante que l’assureur dommages ouvrage pouvait dans certains cas être dans l’impossibilité de s’acquitter à temps avant l’expiration du délai de la garantie décennale de l’indemnité d’assurance, ce qui avait alimenté certaines controverses et conduit à certaines propositions de la doctrine (voir F. Lesage etA.-M. Cascio, « La problématique du recours subrogatoire de l’assureur dommages ouvrage en fin de période de garantie », Les Petites Affiches, 23 novembre 1999, no 233, p. 15 à 21 ; voir également F. Lesage, « Les recours subrogatoires de l’assureur dommages ouvrage, prisonnier des déclarations de l’assuré ? », Les Petites Affiches, 18 juin 1999, no 121, p. 14 à 17).

On rappellera pour mémoire que l’article L. 121-12 du Code des assurances édicte une subrogation légale de l’assureur qui a payé, tandis que l’article 126, al. 1er du Nouveau Code de procédure civile énonce que « dans le cas où la situation donnant lieu à la fin de non recevoir est susceptible d’être régularisée, l’irrecevabilité sera écartée si sa cause a disparu au moment où le juge statue ».

3. La cassation n’est que partielle, la cour ayant estimé inopportun d’examiner notamment la seconde branche du premier moyen qui soutenait, au visa et par référence à l’article 2257 du Code civil, que la prescription ne court à l’égard d’une créance qui dépend d’une condition, jusqu’à ce que la condition se réalise, et que dès lors la cour d’appel avait violé les dispositions dudit article 2257 du Code civil, comme celles de l’article 2270 dudit code, en décidant que le premier texte précité était insusceptible de s’appliquer à la prescription prévue par le second.

Sur ce point, l’arrêt de la Cour de Paris ne nous semble pas critiquable comme nous l’avions à l’époque considéré (J.-P. Karila, J. Kullmann, Lamy assurances 2002, no 2917).

Bien sûr, il appartiendra à la Cour de renvoi de statuer à cet égard, comme lui appartiendra de statuer également sur la première branche du second moyen, que la Cour suprême a estimé également inopportun d’examiner, s’agissant du reproche fait à la Cour de Paris de n’avoir pas pris en considération le paiement de deux sommes effectivement réglées par l’assureur, entachant ainsi, selon le moyen, sa décision d’un défaut de base légale au regard de l’article L. 121-12 du Code des assurances, mais il est vrai que la critique, sur ce point, peut ne pas être pertinente dès lors que l’assureur avait indiqué que le règlement des deux sommes dont s’agit avait été effectué « à titre conservatoire » sans s’expliquer sur la question de savoir si lesdites sommes avaient pour objet de porter remède à des désordres entrant dans le cadre de la

Jean-Pierre Karila – RGDA 2001-4, p. 975

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