La garantie de parfait achèvement applicable aux désordres réservés lors de la réception, n’est due que par l’entrepreneur et laisse subsister la responsabilité de droit commun des autres constructeurs (Cass. 3e civ., 17 novembre 1993) — Karila

La garantie de parfait achèvement applicable aux désordres réservés lors de la réception, n’est due que par l’entrepreneur et laisse subsister la responsabilité de droit commun des autres constructeurs (Cass. 3e civ., 17 novembre 1993)

Ancien ID : 204

Garantie de parfait achèvement. Portée sur la responsabilité des autres entrepreneurs. Absence de portée.

La garantie de parfait achèvement applicable aux désordres réservés lors de la réception, n’est due que par l’entrepreneur et laisse subsister la responsabilité de droit commun des autres constructeurs.

Cour de cassation (3ème Ch. civ.) n°91-17982, Bull. n° 14717 novembre 1993

A.E.R.A c/ Syndicat des Copropriétaires du Centre Commercial de la Varenne et autres.

La Cour,

Sur le premier moyen :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Riom, 16 mai 1991), que la Société Civile Immobilière Efapierre a fait construire, sous la maîtrise d’œuvre de la Société Agence d’Etude et de Réalisation Architecturales (A.E.R.A), un centre commercial qui a été vendu par lots ; que la Société Via-France, chargée du lot « voies et réseaux divers » a sous-traité à la Société Misson la réalisation d’un réservoir d’eau destiné à l’alimentation du réseau incendie du centre commercial ; qu’après réception des travaux, intervenue le 4 mars 1985 avec des réserves, le Syndicat des Copropriétaires du centre commercial, alléguant le défaut d’étanchéité du réservoir – incendie, a, le 20 octobre 1987, assigné en réparation la S.C.I qui a appelé en garantie les Sociétés A.E.R.A et Via-France, cette dernière formant elle-même un recours contre la Société Misson ;

Attendu que la Société A.E.R.A fait grief à l’arrêt de la débouter de sa demande en nullité du rapport d’expertise de M. Caylou, commis par le juge de la mise en état, alors, selon le moyen, « qu’après avoir considéré » que la Société A.E.R.A est fondée à critiquer devant la Cour d’appel la décision rendue le 5 mars 1991 par le conseiller de la mise en état qui a rejeté la demande tendant à faire constater la nullité de l’expertise Caylou « pour défaut de respect du principe du contradictoire », se contredit dans ses explications, en violation de l’article 455 du Nouveau Code de Procédure Civile, l’arrêt attaqué qui déboute ensuite la Société A.E.R.A de sa demande en nullité d’expertise, au motif qu’aucune violation du principe du contradictoire ne peut être retenue en l’espèce.

Mais attendu qu’abstraction faite d’une mention erronée sur le mérite de la demande formée par la Société A.E.R.A, la Cour d’appel, qui n’a pas admis le bien fondé de cette demande, a légalement justifié sa décision de ce chef en retenant, sans se contredire, que l’expert ayant, après la visite des lieux, organisé une réunion des parties à laquelle, bien que régulièrement convoquée, la Société A.E.R.A ne s’était pas présentée, aucune violation du principe du contradictoire n’avait été commise au préjudice de cette Société qui ne se prévalait que e son inertie et ne critiquait ni les constatations matérielles de l’expert, ni ses conclusions quant à l’origine des désordres ;

Sur le second moyen, qui est recevable :

Attendu que la Société A.E.R.A fait grief à l’arrêt d’accueillir la demande en garantie formée contre elle par la SCI alors, selon le moyen : « 1° que les désordres faisant l’objet de réserves lors de la réception ne relèvent pas de la garantie décennale qui ne s’applique qu’aux vices cachés ; qu’il s’ensuit que viole les articles 1792 et suivants du Code Civil, l’arrêt attaché qui retient la garantie décennale de la Société A.E.R.A pour les désordres affectant le réservoir incendie, tout en constatant que, lors de la réception des travaux de V.R.D terrassements généraux, une réserve avait été formulée quant à l’étanchéité de la bâche du réservoir incendie, peu important que la Société A.E.R.A ait ensuite attesté que la réserve précitée avait été levée en totalité ; 2° que, subsidiairement, viole l’article 455 du Nouveau Code de Procédure Civile, l’arrêt attaqué qui fonde sa solution sur les simples affirmations que M. Renault agissait, non seulement en qualité d’ingénieur conseil de Via-France, mais aussi en qualité de représentant de la Société A.E.R.A, et qu’il était incontestable que la suppression du film étanche à l’intérieur de la bâche avait été sollicitée par la Société A.E.R.A, rien dans les explications de l’arrêt attaqué ne permettant à la Cour de cassation de vérifier ce qui permettait aux juges du fond de procéder à de telles déclarations ».

Mais attendu que la garantie de parfait achèvement applicable aux désordres ayant fait l’objet de réserves lors de la réception n’étant due que par l’entrepreneur et laissant subsister la responsabilité de droit commun des autres constructeurs, la Cour d’appel, qui, par motifs propres et adoptés, appréciant souverainement la valeur probante des documents produits qu’elle a analysés, a retenu que la suppression du film étanche prévue à l’origine à l’intérieur de la bâche du réservoir avait été décidée à l’initiative de la Société A.E.R.A, maître d’œuvre, pourtant avertie, en janvier 1985, par M. Renault, ingénieur conseil, du risque présenté par cette suppression, et que cette faute était la cause unique des désordres affectant le réservoir incendie, a légalement justifié sa décision de ce chef ;

Par ces motifs,

Rejette…

Note. La lecture de l’arrêt rapporté laisse perplexe.

Les faits – tels qu’ils résultent tant de la lecture de l’arrêt de Riom (dont nous avons eu communication) à l’encontre duquel le pourvoi est rejeté, que de la lecture de l’arrêt rapporté (mais moins clairement) – sont les suivants.

Au cours de l’exécution de travaux, un maître d’œuvre, en la circonstance une Société A.E.R.A, décide de la suppression d’un film étanche à l’intérieur d’une bâche d’un réservoir incendie. Lors de la réception, une réserve est formulée relativement à l’étanchéité de ladite bâche. Cette réserve est ultérieurement levée, comme il résulte tant de l’arrêt frappé de pourvoi, que des mémoires en défense – dont nous avons eu également communication – de la SCI venderesse de l’ouvrage et du Syndicat des Copropriétaires.

La Cour de Riom avait en conséquence, à juste titre, dit et jugé : « Attendu qu’à compter de la levée des réserves, les désordres affectant l’étanchéité du réservoir incendie relèvent de la garantie décennale » et condamné le maître d’œuvre sur ce fondement, à garantir la SCI venderesse des condamnations prononcées contre cette dernière au profit du Syndicat des Copropriétaires.

Dans son pourvoi, le maître d’œuvre reprochait à la Cour de Riom de l’avoir condamné sur le fondement de la garantie décennale, alors que les désordres avaient fait l’objet d’une réserve lors de la réception, ajoutant « peut important que la Société A.E.R.A (c’est-à-dire lui-même) ait ensuite attesté que la réserve précitée avait été levée en totalité » !

A l’évidence, ce moyen ne pouvait prospérer : la garantie décennale s’applique aux désordres survenus postérieurement à la réception, tandis que la levée des réserves concernant ceux qui pouvaient exister lors de son prononcé, permet justement dès ce moment-là sa mise en œuvre, la levée des réserves impliquant l’exécution des travaux nécessaires à la réparation des désordres.

La Cour Suprême aurait donc dû logiquement rejeter le pourvoi pour les raisons ci-dessus indiquées.

Elle valide cependant la solution de la Cour de Riom sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun, en énonçant à cet égard et à juste titre que la garantie de parfait achèvement n’étant due que par l’Entrepreneur, laisse subsister la responsabilité de droit commun des autres constructeurs, sans pour autant clairement opérer une substitution de motifs, à laquelle il aurait été difficile d’ailleurs de procéder, dès lors que le caractère apparent ou clandestin des désordres relève de l’appréciation souveraine des Juges du fond.

L’explication réside peut être dans le fait que la « levée » de la réserve avait été complaisante ou frauduleuse…

La Cour de cassation valide en effet la décision de la Cour de Riom en relevant que celle-ci avait souverainement estimé que la faute, consistant dans la suppression du film étanche prévu à l’origine, à l’intérieur de la bâche du réservoir incendie, était la cause unique des désordres affectant ledit réservoir, ce qui laisse penser que les travaux nécessaires à l’apurement de ladite réserve n’auraient pas été exécutés…

Au-delà de cette critique, il est clair que la garantie de parfait achèvement qui n’est due que par l’entrepreneur concerné par les désordres, laisse subsister la responsabilité contractuelle de droit commun des autres locateurs d’ouvrage immobilier et notamment de l’architecte ou du maître d’œuvre en général.

La question reste cependant entière de savoir si à défaut d’une mise en œuvre judiciaire de la garantie de parfait achèvement, dans le délai de celle-ci, la responsabilité contractuelle de droit commun de l’Entrepreneur concerné subsiste ou non.

En d’autres termes, la garantie de parfait achèvement absorbe-t-elle ou non la responsabilité contractuelle de droit commun de l’entrepreneur :

– en cas de dommages apparents à la réception et objet de réserves expresses lors du prononcé de celle-ci et ce, quelles que soient les origines, causes et conséquences desdits dommages, qui n’auraient pas fait l’objet d’une action judiciaire pendant le délai de ladite garantie ;

– en cas de dommages cachés lors de la réception se révélant postérieurement à celle-ci et ne présentant pas les caractéristiques techniques de ceux pouvant relever soit de la garantie décennale, soit de la garantie biennale de bon fonctionnement et qui n’auraient pas fait, pour autant, l’objet d’une action judiciaire pendant le délai de la garantie de parfait achèvement, alors qu’ils seraient apparus à l’intérieur dudit délai.

La question pourrait être également posée relativement aux autres locateurs d’ouvrage que l’entrepreneur concerné qui pourraient être également concernés sur le fondement de l’article 1147 du Code Civil.

Mais c’est là un autre débat qui ne peut être ici abordé (voir sur la question notre ouvrage « Les responsabilités des constructeurs » éd. Delmas 2è éd. 1991, Ch. H, et plus particulièrement H. 13 à H. 16, p. 161 à 164 ; ou encore notre chronique au D. 1990 chron. p. 307 et suivantes « Garanties légales et responsabilité contractuelle de droit commun des locateurs d’ouvrage immobilier après la réception de l’ouvrage »).

Jean-Pierre Karila – RGDA 1994 – 1 – p. 175

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