Sanction de l’assureur dommages ouvrage (7 mars 2007 et 22 mai 2007) — Karila

Sanction de l’assureur dommages ouvrage (7 mars 2007 et 22 mai 2007)

Ancien ID : 458

Manquement aux obligations de préfinancement. Sanction. Sanctions légales (oui). Sanction de droit commun (non).

L’article L. 242-1 du Code des assurances fixe limitativement les sanctions applicables aux manquements de l’assureur dommages-ouvrage à ses obligations.

Il en résulte que l’assureur dommages ouvrage qui, par son retard dans l’exécution de son obligation de préfinancement des travaux, cause à son assuré un préjudice consistant en une perte de revenus locatifs (1re espèce) ou encore un préjudice de jouissance (2e espèce), ne saurait être condamné à l’indemnisation de ces préjudices, seules les sanctions légales ayant vocation à s’appliquer.

Jean-Pierre Karila

1. La question de la mise en oeuvre de la responsabilité des assureurs en matière de construction est à la mode. Celle de l’assureur de responsabilité décennale a donné lieu à de nombreuses décisions spécialement à raison de l’imprécision d’attestations d’assurance émises par ce dernier, situation qui légitime l’action en responsabilité délictuelle de la victime à l’encontre de l’assureur de responsabilité décennale, ladite victime obtenant alors par le biais de dommages et intérêts une indemnisation que la mise en oeuvre des garanties souscrites par l’assuré n’aurait pas permis d’obtenir.

2. Dans les deux arrêts rapportés dont le premier, arrêt de rejet (1re espèce), est destiné à une large publicité (publication au Bulletin et au rapport annuel) tandis que le second est un arrêt de cassation, la solution est identique : elle consiste dans l’affirmation du principe selon lequel dès lors que l’article L. 242-1 du Code des assurances fixe limitativement les sanctions applicables aux manquements de l’assureur, le bénéficiaire de l’assurance ne saurait invoquer une créance indemnitaire supplémentaire à raison par exemple du retard dans le paiement de l’indemnité d’assurance ayant conduit au départ des locataires (1re espèce) ou encore à raison de ce que les nombreux manquements de l’assureur à ses obligations légales « ont retardé la réparation des désordres et contribué à la persistance d’un préjudice de jouissance » (2e espèce).

3. Dans la première espèce, la Cour de Paris avait rejeté la demande d’indemnisation du préjudice locatif ci-dessus évoqué et qui était consécutif, selon le bénéficiaire de l’assurance, au retard mis par l’assureur à payer l’indemnité d’assurance tandis que dans la seconde espèce, la Cour de Versailles avait fait droit à la demande d’indemnisation du préjudice de jouissance.

4. Aux termes du moyen unique comportant deux branches, le demandeur au pourvoi dans la première espèce reprochait à la Cour de Paris la violation de l’article 1147 du Code civil et celle de l’article L. 242-1 du Code des assurances, et ce essentiellement au motif que l’assureur dommages-ouvrage engage sa responsabilité personnelle à l’égard de l’assuré au titre d’une faute commise dans l’exécution même du contrat d’assurance et doit nécessairement en supporter les conséquences s’agissant des préjudices immatériels qui en résulte, peu important que l’indemnisation de ce type de préjudice n’ait pas été prévu dans le contrat d’assurance, le demandeur reprochant ainsi implicitement à la Cour de Paris d’avoir raisonné par référence à l’objet de la garantie et donc par référence implicite à l’article 1134 du Code civil alors que selon le pourvoi, la Cour de Paris aurait dû faire application de l’article 1147 dudit Code pour inexécution ou exécution fautive du contrat d’assurance.

5. Dans son arrêt de principe du 7 mars 2007, la Cour de cassation valide la décision de la Cour de Paris énonçant la règle selon laquelle « l’article L. 242-1 du Code des assurances fixe limitativement les sanctions applicables aux manquements de l’assureur dommages-ouvrage à ses obligations ».

Contrôlant ensuite l’application de ce principe par la Cour de Paris, elle le valide en affirmant « qu’ayant constaté que l’assuré fondait sa demande de dommages-intérêts sur la faute en soutenant que la perte locative qu’il avait subie trouvait sa cause dans le retard apporté par l’assureur à l’exécution de son obligation de préfinancement des travaux, la cour d’appel, abstraction faite d’un motif erroné mais surabondant relatif à l’absence de souscription de la garantie des dommages immatériels, a légalement justifié sa décision ; ».

6. La règle ainsi énoncée par la Cour de cassation – qui semble découler du principe général voulant que le spécial déroge au général – ne saurait surprendre le lecteur assidu de la jurisprudence de la Cour de cassation dès lors qu’il avait déjà été énoncé par le passé :

– par la première chambre civile dans un arrêt du 17 juillet 2001 (Cass. 1re civ., 17 juillet 2001, no 98-21913, Bull. civ. 2001, I, no 232, RGDA, 2001.982 note J.-P. Karila) : « l’article L. 242-1 du Code des assurances, qui oblige l’assureur dommages-ouvrage à prendre position sur la demande de garantie qui lui est adressée par son assuré dans des délais déterminés, fixe limitativement les sanctions applicables aux manquements de l’assureur à ces obligations » ;

– par la troisième chambre civile dans un arrêt du 17 novembre 2004 (Cass. 3e civ., 17 novembre 2004, no 02-21336).

7. En revanche, la Haute juridiction censure par son arrêt du 22 mai 2007 (2e espèce) la Cour de Versailles qui avait fait droit à la demande d’indemnisation du bénéficiaire de l’assurance dommages-ouvrage relativement au préjudice de jouissance aux motifs :

– que l’assureur dommages-ouvrage avait commis de nombreux manquements aux exigences de l’article L. 242-1 du Code des assurances ;

– qu’il en était résulté un retard dans la réparation des désordres conduisant à la persistance du trouble de jouissance ;

– que l’assureur ne pouvait opposer les limites du contrat (l’objet du contrat) dès lors que la condamnation était prononcée non sur la base de l’application du contrat (sous-entendu art. 1134 C. civ.) mais sur la base de la réparation des manquements contractuels (sous-entendu 1147 C. civ.).

La Cassation était prononcée par le rappel de la règle selon laquelle « l’article L. 242-1 du Code des assurances fixe limitativement les sanctions applicables aux manquements de l’assureur à ses obligations ».

8. Il résulte des deux arrêts rapportés que le maître de l’ouvrage ne peut demander la condamnation de l’assureur dommages-ouvrage à l’indemniser des dommages immatériels (troubles de jouissance / pertes d’exploitation) sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun (art. 1147 du Code civil) mais uniquement sur le fondement des sanctions légales de l’article L. 242-1 du Code des assurances alinéa 5, en vertu duquel « lorsque l’assureur ne respecte pas l’un des délais prévus aux deux alinéas ci-dessus ou propose une offre d’indemnité manifestement insuffisante, l’assuré peut, après l’avoir notifié à l’assureur, engager les dépenses nécessaires à la réparation des dommages. L’indemnité versée par l’assureur est alors majorée de plein droit d’un intérêt égal au double du taux de l’intérêt légal ».

9. En excluant l’application de l’article 1147 du Code civil et en faisant primer la sanction spécifique de l’alinéa 5 de l’article L. 242-1 du Code des assurances, la Cour de cassation est plutôt favorable à l’assureur dommages-ouvrage, faveur qui répond à la recherche d’un bon équilibre entre les intérêts des assurés et ceux des assureurs comme en attestent les propos figurant dans le commentaire de l’arrêt du 7 mars 2007 diffusé par la Haute juridiction dans le BICC du 1er juillet 2007 :

« pour pouvoir prétendre au paiement d’indemnités, les assurés doivent avoir en face d’eux des assureurs solvables. La limitation de la pénalité au double du taux d’intérêt, en dépit de son caractère automatique et généralement plus favorable que la situation de droit commun, rend plus facilement déterminable la prévision des dépenses. Elle est scientifiquement préférable en matière de gestion à l’imprévisibilité totale et peut avoir un effet bénéfique sur le montant de la prime exigée de l’assuré. On peut donc penser que l’article L. 242-1 du Code des assurances a trouvé lui-même, tant en matière d’expertise qu’en matière de sanctions, un équilibre assez juste entre les intérêts des assurés et ceux des assureurs et qu’il ne convient pas qu’il soit troublé par l’application de normes extérieures », soit en l’occurrence l’article 1147 du Code civil.

10. Selon le soussigné, cette solution n’en reste pas moins strictement limitée à la sanction de la violation de la procédure spéciale d’indemnisation dommages-ouvrage résultant des articles L. 242-1 et A. 243-1 du Code des assurances ainsi que l’annexe II de ce second texte.

Au-delà, la sanction de la faute de l’assureur dommages-ouvrage dans l’exécution de ses obligations conduira en toute logique à l’application de l’article 1147 du Code civil, à l’image de la solution retenue par la même troisième chambre civile dans un arrêt du 24 mai 2006 (Cass. 3e civ., 24 mai 2006, no 05-11708, Bull. civ. III, no 133, RGDA 2006.685, note M. Périer) validant un arrêt de la Cour de Chambéry statuant sur renvoi qui avait condamné l’assureur dommages-ouvrage au paiement de dommages et intérêts couvrant le préjudice lié aux pertes d’exploitation ayant résulté des travaux de réfections insuffisants préconisés et préfinancés par l’assureur dommages-ouvrage (« Mais attendu qu’ayant constaté que l’assureur « dommages-ouvrage » avait proposé à l’acceptation de son assuré non professionnel, un rapport d’expertise unilatéral défectueux conduisant à un préfinancement imparfait qui, de plus, avait été effectué avec retard et que les travaux préconisés et exécutés n’avaient pas été suffisants, la cour d’appel, qui ne s’est pas fondée sur les stipulations du contrat d’assurance, a pu retenir que l’assureur n’avait pas rempli ses obligations contractuelles en ne préfinançant pas des travaux efficaces de nature à mettre fin aux désordres »).

11. La solution retenue par les deux arrêts rapportés n’est nullement incompatible avec celle de l’arrêt ci-dessus évoqué du 24 mai 2006 (supra no 10).

En effet dans les arrêts rapportés, il s’agissait des conséquences de manquements à la procédure de constatation et d’indemnisation de dommages et aux obligations y associées tandis que dans l’arrêt précité du 24 mai 2006 il s’agissait de sanctionner les conséquences du manquement à une obligation de financement/préconisation de travaux susceptibles de mettre fin aux désordres affectant l’ouvrage, obligation se rapportant tant avec la procédure spéciale d’indemnisation qu’avec les sanctions y afférentes.

J.-P. Karila

RGDA 2007, p. 631

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