Les conséquences des lacunes de l’attestation d’assurance décennale — Karila

Les conséquences des lacunes de l’attestation d’assurance décennale

Ancien ID : 115

Responsabilité décennale

Jean-Pierre Karila

A propos des arrêts de la Cour de cassation chambre civile 3 du 17 décembre 2003, du 22 septembre 2004 et du 3 mars 2004 : les conséquences pour l’assureur des lacunes de l’attestation d’assurance dcennale.

LES CONSEQUENCES POUR L’ASSUREUR DES LACUNES DE L’ATTESTATION D’ASSURANCE DECENNALE.

La carence de l’assureur dans le cadre de la rdaction de l’assurance de responsabilit dcennale, conduit l’inopposabilité des limites de l’assurance, aux tiers lésés, ou à la responsabilit extracontractuelle de l’assureur l’égard de celui-ci

La question posée s’explique par la divergence de portée de trois arrêts de principe rendus par la Cour Suprême en l’espace de dix mois, le premier le 17 dcembre 2003 (Cass. civ. 3me 17 dcembre 2003, RGDA 2004, p. 113 et s. note JP.KARILA, spcialement p. 123, D. 2004, IR p. 104), le second le 22 septembre 2004 (Cass. civ. 3me 22 septembre 2004, bull. paratre), tandis que dans l’intervalle un arrêt rendu le 3 mars 2004 (Cass. civ. 3me 3 mars 2004, Bul. n46, RGDA 2004, p. 460, note JP.KARILA) avait adopté une position différente des deux arrêts précités des 17 décembre 2003 et 22 septembre 2004.

Ces trois arrêts sont relatifs aux consquences de l’insuffisance de l’attestation de responsabilité décennale délivrée par l’assureur qui en est le rédacteur.

Avant d’apprécier la portée respective des arrêts ci-dessus évoqués, il est opportun de rappeler et/ou de préciser que

==> l’attestation d’assurance est un écrit par lequel l’assureur (ou son agent) déclare / affirme qu’une personne déterminée dispose d’une garantie d’assurance

==> le contenu de l’attestation d’assurance est nécessairement sommaire, en ce sens qu’il ne peut relater de faon précise les diverses conditions et limites des garanties accordées, ce qui explique et justifie que l’assureur rédacteur d’une attestation d’assurance précise habituellement dans celle-ci que la garantie dont il définit bien sûr l’objet dans l’attestation, n’est accordée que sous certaines conditions et limites stipulées dans la police d’assurance elle-même.

L’attestation d’assurance est donc un document établi par l’assureur à la demande de l’assuré et remis à celui-ci, qui pourra ainsi justifier auprès de sa clientle, une couverture d’assurance.

Le signataire final de l’attestation d’assurance est donc le « client’ de l’assuré : c’est donc au regard du « client » que devra tre apprécie l’éventuelle insuffisance du contenu de l’attestation d’assurance et des responsabilités qui en découlent.

L’attestation d’assurance est le plus souvent délivre dans le cadre des assurances obligatoires qui prévoient ou imposent d’ailleurs directement ou indirectement leur établissement.

La Cour de Cassation a ainsi validé un arrêt de la Cour de Basse-Terre qui avait condamné l’entrepreneur à délivrer à son cocontractant une attestation d’assurance (Cass; civ. 3me 4 janvier 1991, Bull civ. III n6 ; Gaz. Pal. Rec. 1991, panor. Cass. p.ll8).

Par ailleurs, dans un arrêt de principe du 15 janvier 1991, la première chambre civile de la Cour de Cassation a affirmé que « s’agissant d’une assurance exigée par la Loi dans l’intérêt des clients éventuels des entrepreneurs de travaux de bâtiment et dont l’existence peut déterminer, lors de la conclusion du contrat de construction, le choix d’un entrepreneur par ceux-ci, qu’il appartient aux compagnies d’assurance, sollicitées par leurs assurés en vue d’obtenir une attestation nécessairement destinée à être produite à leur propre clientle, de ne pas fournir de renseignements de nature égarer celle-ci quant à l’étendue des garanties offertes » (Cass. civ. 1re 15 janvier 1991, Bull. civ. I n15, Gaz. Pal. Rec. 1991, panor.Cass. p.l3l).

Le renouveau, en quelque sorte de la question de la portée d’une attestation d’assurance et des conséquences de ses éventuelles lacunes et/ou insuffisances, a été favorisé par la jurisprudence rendue à propos des activités déclarées par l’assuré bénéficiant d’une couverture d’assurance de sa responsabilité décennale.

On rappellera à cet égard que depuis deux arrêts de principe rendus par la 1ère chambre civile le 29 avril 1997 (Cass. 1ère civ. 29 avril 1997, n° 95-10.187, Bull civ. I n° 131, gaz pal 1997 II, p. 644, note F. Lesage, Resp. civ. et assur. 1997, comm. n° 238, RGDA 1997 p.l044, note JP.KARILA) et le 28 octobre 1997 (Cass. civ, lère 28 octobre 1997, n° ° 95-19.416, Bul civ. I n295, RGDA 1997, p. 1044, note JP.KARILA ; Groutel H. L’objet de la garantie de l’assureur décennal, resp.civ. et assur. 1998, chr. n°4), la Cour Suprme a posé la règle selon laquelle si le contrat d’assurance de responsabilité obligatoire (décennale) que doit souscrire tout constructeur, ne peut comporter des clauses d’exclusion autres que celles prvues à l’article A. 243-1 du Code des Assurances, la garantie de l’assureur ne concerne que le secteur d’activité professionnelle déclarée par ledit constructeur (voir sur la question et la jurisprudence rendue en application des deux arrêts de principe précités (JP KARILA, LAMY ASSURANCES 2005, assurance de responsabilité décennale n° 3111).

Au demeurant, cette règle ne fait que traduire un principe général du droit des assurances tant dans d’autres matières qu’en matière de construction immobilière en dehors du domaine des assurances obligatoires (voir LAMY ASSURANCES plus particulirement n° 3111 in fine, et notre note précitée à la RGDA 2004, p. 113 et s. sous l’arrêt précité du 17 dcembre 2003).

Or, à l’époque considérée, l’assureur n’avait pas l’habitude de préciser dans les attestations fournies les activités dclarées par l’assuré et par conséquent objet de la couverture d’assurance de sorte que l’application du principe ci-dessus, pouvait, dans certains cas, conduire à certaines situations contraires à l’équité.

La FFSA en a pris conscience en recommandant ces dernières années à ses adéhrents de préciser dans l’attestation d’assurance les activités déclarées.

Dans l’intervalle et/ou depuis, le contentieux créé par ces situations inquitables s’est développé.

C’est dans ce contexte que s’inscrivent les arrêts de principe ci-dessus évoqués dont on peut dire qu’ils répondent par deux voies distinctes à la question de l’indemnisation du préjudice subi par le bénéficiaire de l’assurance décennale dont l’action directe ne peut prospérer à raison de ce que les dommages dont il a été victime l’ont été dans le cadre d’une activité non déclarée par l’assuré, et n’entraient en conséquence pas dans le champ contractuel de la couverture d’assurance, situation que ne pouvait souponner la victime à défaut de tous renseignements dans l’attestation d’assurance des activités déclarées et par consquent garanties.

Les arrêts des 17 dcembre 2003 et 22 septembre 2004 pallient l’absence de garantie qui a résulté de l’insuffisance d’information par une condamnation de l’assureur au titre de la responsabilité délictuelle pour manquement à son obligation contractuelle d’information (I), tandis que l’arrêt du 3 mars 2004 retient quant à lui une autre solution consistant à rendre inopposable au tiers bénéficiaire « l’exception » de garantie lie à la non déclaration d’une activité dès lors que l’attestation mise ne permettait pas au maître de l’ouvrage de connaître les limites exactes du champ d’application de la police décennale en question (II).

– I –

L’ASSUREUR RESPONSABILITE DECENNALE ENGAGE SA RESPONSABILITE EXTRACONTRACTUELLE LORSQU’IL DELIVRE UNE ATTESTATION NE PRECISANT PAS LE SECTEUR D’ACTIVITE PROFESSIONNELLE DECLARE PAR LE CONSTRUCTEUR.

Par ces deux arrêts des 17 dcembre 2003 et 22 septembre 2004, la Cour de cassation a énoncé que

« L’assurance de responsabilit obligatoire dont l’existence peut influer sur le choix d’un constructeur tant impose dans l’intérêt des maîtres d’ouvrage, il appartient l’assureur, tenu d’une obligation de renseignement à l’égard de son assuré à qui il délivre une attestation nécessairement destinée à l’information des éventuels bénéficiaires de cette garantie, de fournir dans ce document les informations précises sur le secteur d’activité professionnelle déclaré ».

Cette solution

– repose sur l’affirmation d’un principe voulant que l’assureur engage sa responsabilité délictuelle à l’égard du maître de l’ouvrage dès lors qu’il a mis une attestation d’assurance dont l’imprécision ne lui permet pas de connaître la véritable étendue de la garantie décennale souscrite

– se fonde sur le manquement de l’assureur décennal une obligation de renseignement contractuelle à l’égard de son assuré

– se justifie raison de la finalité de l’assurance obligatoire décennale tendant à ce que le maître de l’ouvrage soit garanti de la mise en cause de la responsabilité de toute personne physique ou morale, dont la responsabilité peut être engagée sur le fondement de la présomption établie par les articles 1792 et suivants du Code Civil.

Le principe de la solution ne saurait être critiqué. L’assureur est bien un tiers par rapport au maître de l’ouvrage ce qui justifie le fondement dlictuel de la responsabilité retenue à son gard.

Le maître de l’ouvrage subit un préjudice à raison de la non garantie résultant du fait que l’activité ayant conduit au dommage n’entre pas dans le champ d’application de la police.

Ce préjudice est bien dû à l’attitude de l’assureur qui, en mettant une attestation imprécise n’a pas permis au maître de l’ouvrage de connaître avec exactitude l’étendue de l’assurance dont bénéficiait l’entrepreneur.

La justification n’est pas davantage contestable au regard de la finalit de l’attestation d’assurance telle que nous l’avons rappele en introduction de ce propos.

Le fondement de cette responsabilité est en revanche partiellement critiquable dès lors que si on peut en effet qualifier l’émission d’une attestation imprécise comme un manquement à une obligation de renseignement, il est douteux de dire qu’il s’agit là d’un manquement à une obligation contractuelle de renseignement -~ auquel cas c’est une responsabilité contractuelle et non délictuelle que l’assureur engagerait – dès lors qu’il est acquis que l’assureur n’a pas à renseigner son cocontractant sur l’étendue de son activité.

Il aurait donc été plus opportun de retenir la violation d’une obligation de renseignement de l’assureuré à l’égard du maître d’ouvrage, sur l’étendue des garanties que ledit assureur a consenties à son assuré.

Cette solution initiée par l’arrêt du 17 dcembre 2003 est aujourd’hui confirmée par celui rendu par la même chambre le 22 septembre 2004 dans des termes identiques mais sous des visas distincts puisque le dernier en date se limite au seul visa de l’article 1382 du Code Civil tandis que le premier visait cette disposition ainsi que les articles L 24 1-1 et R 243-2 al.2 du Code des Assurances.

– II –

L’ASSUREUR DECENNAL QUI EMET UNE ATTESTATION D’ASSURANCE DESTINEE AU MAITRE DE L’OUVRAGE QUI NE MENTIONNE AUCUNE RESTRICTION QUANT AUX ACTIVITES DECLAREES N’EST PLUS RECEVABLE A OPPOSER AU TIERS LESE LES EXCEPTIONS OPPOSABLES A SON ASSURE.

Ces deux arrêts sont à rapprocher de l’arrêt ci-dessus évoqué également publié au bulletin des arrêts de la Cour de cassation rendu par la troisime chambre civile le 3 mars 2004 (Cass. civ. 3ème 3 mars 2004, Buil. civ. III n° 46, RGDA 2004, p.; 460, note JP.KARILA).

Il s’agissait en l’espce d’une attestation d’assurance mise par l’assureur et qui ne comportait aucune restriction quant au domaine d’activité couvert par le contrat d’assurance. Le maître de l’ouvrage avait obtenu en référé la condamnation de cet assureur décennal au paiement d’une provision sur la réparation du préjudice subi.

L’assureur contestait cette condamnation pour plusieurs motifs et essentiellement au motif que l’activité ayant généré le dommage n’était pas de celles couvertes par le contrat de sorte que l’obligation de l’assureur était sérieusement contestable.

La Cour de cassation confirme cependant la décision de la cour d’AIX EN PROVENCE dans les termes suivants:

‘Mais attendu (…) que l’assureur qui fournit à son assuré, une attestation destinée à être présente au maître de l’ouvrage, ne mentionnant aucune restriction quant aux activités déclarées n’est plus recevable à opposer au tiers les les exceptions opposables à son assuré, qu’ayant constaté que l’attestation fournie par la Compagnie d’assurance M. Z… et présente au maître de l’ouvrage ne comportait aucune restriction quant aux activités professionnelles exercées par ce dernier, la Cour d’appel en a exactement déduit qu’il n’existait aucune contestation sérieuse relative à la garantie de l’assureur »

La problmatique ayant conduit à cet arrêt était de la même veine que celle ayant conduit aux arrêts du 17 dcembre 2003 et 22 septembre 2004 : il s’agissait d’une attestation d’assurance décennale imprécise ne permettant pas au maître de l’ouvrage de connaêtre avec précision l’étendue de la garantie due au titre du contrat.

La solution diffre cependant de beaucoup puisque la Cour de cassation estime que l’assureur décennal ne pouvait opposer au maître de l’ouvrage « l’exception » qu’il pouvait en revanche opposer à son assuré.

Sa porte est sensiblement identique à celle des deux arrêts tudis ci-dessus puisqu’aussi bien le maître de l’ouvrage sera indemnisé même s’il le sera sur des fondements diffrents – contractuel dans cet arrêt, délictuel dans les deux arrêts précédents.

Elle repose cependant sur une logique « curieuse ».

En effet, si le dommage n’est pas couvert ds lors que l’activité ayant conduit au dommage n’était pas déclarée, c’est que cette activité n’entre pas dans le champ de la police d’assurance décennale. Il s’agit donc d’une non garantie et non pas d’une exclusion. Cette non garantie devrait donc par essence, être opposable aux tiers.

Or, le présent arrêt qualifie l’argument tiré de la non déclaration de l’activité ayant conduit au dommage « d’exception » qui serait opposable au seul assuré. On ne peut adhreré à cette qualification.

Nanmoins, la solution, dont il n’est pas contesté qu’elle soit justifiée en équité, pourrait être rattachée à l’idée de sanction des « agissements de l’assureur ».

En ce sens, il ne serait pas indubitablement erroné de rattacher la solution à la logique de l’adage nemo auditur propriam turpitudinem allegans.

Certes, on ne peut parler de « turpitude » de l’assureur, mais seulement de carence ou imprudence, mais dès lors que l’on est ici hors de la solution rendue au visa de l’article 1382 du Code civil (arrêts précités des 17 décembre 2003 et 22 septembre 2004), force est d’expliquer / justifier l’extension titre de sanction du champ contractuel des garanties : c’est donc en raison de sa « turpitude » que l’assureur subira le préjudice résultant pour lui d’avoir à satisfaire ç l’action directe de la victime en dehors du strict champ contractuel des garanties, dont l’extension est alors opérée à titre de sanction.

On peut donc estimer, qu’en l’absence de limitation quant aux garanties couvertes, l’assureur est déchu, à titre de sanction, de toute possibilité d’invoquer, à l’gard des seuls tiers, la limitation du champ contractuel ce qui de facto entraîne une extension du champ d’application de la police d’assurance pour les seuls tiers.

Conclusion:

Cette dualité de solution soulve une question de comptabilité.

La premire solution repose en effet implicitement mais nécessairement sur le fait que seules les activités déclarées sont couvertes et que l’assureur décennal peut toujours opposer au maître de l’ouvrage la non garantie des dommages rsultant d’une activité non déclarée.

La seconde solution conduit à affirmer que l’assureur ne peut opposer au maitre de l’ouvrage la limitation des activités couvertes. Dès lors, le maître de l’ouvrage tant dans ce cas couvert par l’assurance, il ne souffrira d’aucun préjudice supplmentaire justifiant de la condamnation de l’assureur au titre d’une responsabilité délictuelle pour manquement à une obligation de renseignement.

La publication des trois arrêts au bulletin ne permet pas de départager les solutions.

Selon un critère chronologique, la réitration de la solution du 17 dcembre 2003 le 22 septembre 2004 pourrait laisser entendre un rejet de la solution affirmée le 3 mars 2004.

Rien n’est cependant certain, la Cour restant tenue par les arguments du pourvoi partait du postulat que la non garantie était opposable au tiers et se cantonnait donc contester le bien-fondé d’une demande de condamnation sur le fondement de la responsabilité délictuelle.

Il faudra donc attendre un prochain arrêt pour savoir si la Cour de Cassation confirme la logique de sa solution du 3 mars 2004 voulant que l’assureur ne peut opposer au matre de l’ouvrage sa non garantie à raison de la non couverture de l’activité ayant conduit au dommage dès lors qu’il a mis une attestation ne comportant aucune restriction quant aux activités couvertes.

Tribune de l’assurance 2005 n° 87, cahier de jurisprudence page 1

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