Le Moniteur – Panorama de droit de la construction – Cour de cassation – Premier semestre 2014 — Karila

Le Moniteur – Panorama de droit de la construction – Cour de cassation – Premier semestre 2014

Dans la présente chronique parue le 24 octobre 2014, Laurent Karila dresse un panorama des arrêts marquants de la Cour de cassion du premier semestre 2014.

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COURDE CASSATION – PREMIER SEMESTRE 2014

Marches privés : six mois de droit de la construction

Par Laurent Karila

Avocat associé – Karila, Société d’avocats

Chargé d’enseignement à l’Université de Paris I Sorbonne

L’OUVRAGE ET LA RECEPTION – ELEMENT D’EQUIPEMENT PROFESSIONNEL

Le variateur d’une installation destinée à l’évacuation des gaz, des fumées et des poussières de la fonderie, attachée au gros œuvre et participant au fonctionnement de l’ouvrage, n’est pas un équipement à vocation exclusivement professionnelle au sens de l’article 1792-7 du Code civil (Cass. 3e civ., 7 mai 2014, n° 12-23933).

Réception tacite et judiciaire

Le paiement du prix à l’entreprise d’origine et la poursuite des travaux par d’autres entreprises suite à la défaillance de la première ne suffisent pas à démontrer la volonté non équivoque du maître d’ouvrage de recevoir les travaux en l’état. Celui-ci n’avait par ailleurs effectué aucune diligence pour manifester son acceptation (Cass. 3e civ., 20 mai 2014, n° 13-21062).

La prise de possession des locaux commerciaux par le maître d’ouvrage uniquement motivée  par la nécessité de démarrer son activité pour des impératifs financiers empêche l’existence d’une réception tacite, d’autant plus que l’intégralité des travaux n’avait pas été payée (Cass. 3e civ., 8 avril 2014, n° 13-16250). La prise de possession de l’immeuble pour y habiter et l’interdiction d’accès à l’entrepreneur qui voulait procéder à ses métrés, ne suffisent pas non plus à établir la volonté non équivoque des maîtres de l’ouvrage de recevoir l’ouvrage (Cass. 3e civ., 26 mars 2014, n° 13-13437). Le paiement intégral des factures émises ne permet pas davantage de conclure à une réception tacite, du fait de l’émission de multiples réserves sur des dysfonctionnements constatés dès l’origine et des nombreuses sollicitations de reprise adressées à l’entreprise (Cass. 3e civ., 11 mars 2014, n°13-11819).

En revanche, le défaut de conformité de l’ouvrage au contrat et au permis de construire bloquant l’obtention du certificat d’urbanisme, n’empêche pas la construction d’être habitable et la réception judiciaire d’être prononcée (Cass. 3e civ., 6 mai 2014, n° 13-13624).

LES GARANTIES LEGALES

Imputablité

L’insuffisance des travaux de reprise peut engager la responsabilité civile décennale du premier locateur d’ouvrage (sans exclusion de la responsabilité civile contractuelle du second), sauf aggravation des dommages (Cass. 3e civ., 11 mars 2014, n° 13-14771). La Cour a ainsi jugé que la responsabilité décennale de l’entreprise ayant effectué des reprises en sous œuvre ne pouvait être retenue, même si ces travaux se sont avérés insuffisants , puisqu’ils n’ont occasionné aucun désordre, n’ont pas aggravé les désordres initiaux et ne constituent la cause des désordres actuels qui sont la suite directe du sinistre initial (Cass. 3e civ., 8 avril 2014, n° 13-16692).

Gravité décennale

L’impropriété à la destination de l’ouvrage est appréciée souverainement par les juges du fond et la Cour de cassation en donne des exemples régulièrement. Ainsi a-t-elle retenu que les désordres affectant les travaux d’isolation thermique et phonique qui n’ont pas été réalisés dans les règles de l’art n’entrent pas nécessairement dans le cadre de la garantie décennale (Cass. 3e civ., 8  juillet 2014, n° 13-18965). Et que les désordres esthétiques ne rendent pas les immeubles impropres à leur destination lorsque rien ne démontre que la copropriété en question relève du « grand standing » (Cass. 3e civ., 14 janvier 2014, n° 11-25074).

La Cour suprême rappelle par ailleurs que la responsabilité décennale n’est pas engagée lorsque l’évolution des dommages n’a pas atteint le degré de gravité requis dans le délai d’épreuve de dix ans (Cass. 3e civ., 11 mars 2014, n° 13-10252).

Bénéficiaire

L’action en garantie décennale du vendeur n’est recevable qu’à la condition qu’il justifie d’un préjudice personnel lui conférant un intérêt direct et certain à agir après la vente de la maison (Cass. 3e civ., 4 mars 2014, n° 13-12468). Par exemple, en démontrant avoir réduit le prix de vente du montant nécessaire à la réparation des dommages concernés.

Immixtion fautive

La Cour de Cassation est revenue sur la notion de compétence notoire du maître d’ouvrage. Elle casse un arrêt d’appel en énonçant que pour rejeter l’action du maître d’ouvrage contre les constructeurs au motif de son immixtion fautive dans la réalisation de l’ouvrage, la Cour d’appel devait avoir constaté –outre les actes d’immixtion- la compétence notoire dudit maître d’ouvrage dans le domaine de construction concerné (Cass. 3e civ., 14 janvier 2014, n° 11-27723).

Acceptation des risques

Pour être exonératoire de responsabilité, l’acceptation des risques doit être en lien avec le dommage. La Cour d’appel ne pouvait donc pas débouter le maître d’ouvrage de son action introduite à l’encontre de l’entreprise et de l’architecte au motif qu’ils avaient réalisé avec son accord des travaux a minima pour la rénovation d’une verrière, alors que les désordres apparus peu de temps après les travaux n’étaient pas la conséquence du choix du maître d’ouvrage (Cass. 3e civ., 28 janvier 2014, n° 12-21112).

Garantie de parfait achèvement

Avant la levée des réserves, la responsabilité contractuelle de droit commun de l’entrepreneur subsiste concurremment avec la garantie de parfait achèvement, même si la mise en œuvre de ladite responsabilité n’est pas intervenue dans le délai de ladite garantie. Le maître d’ouvrage pouvait donc encore agir postérieurement au délai annal, en vue de la réparation de désordres réservés à la réception (Cass. 3e civ., 6 mai 2014, n° 13-14300).

Cause étrangère

Dès lors qu’est démontrée l’existence d’un cas de force majeure (répétition de phénomènes météorologiques imprévisibles et irresisitibles), comme cause déterminante des désordres, l’entreprise, en dépit de fautes dans l’exécution des travaux, est exonérée de toute responsabilité dans la survenance des dommages (Cass. 3e civ., 6 mai 2014, n° 13-15854).

La sécheresse présente tous les caractères de la force majeure et exonère les constructeurs de leur responsabilité lorsqu’il est établi : que la construction n’était affectée d’aucun vice des matériaux ou de conception ni d’aucune malfaçon ; que le constructeur avait respecté les normes applicables au moment des travaux pour les profondeurs d’assise des fondations ; et qu’aucune précaution quant au choix des semelles de l’immeuble n’aurait pu suffire à éviter les graves dommages survenus du seul fait de la sécheresse exceptionnelle (Cass. 3e civ., 26 mars 2014, n° 13-10202).

RESPONSABILITE TOUS AZIMUTS

Obligation de conseil

Il vaut mieux refuser d’exécuter des travaux que l’on sait vains… puisque la Cour de cassation énonce qu’il appartient au constructeur, en sa qualité de professionnel, de faire des travaux conformes aux règles de l’art et d’accomplir son travail avec sérieux, mais également de refuser d’exécuter les travaux qu’il savait inefficaces (Cass. 3e civ., 21 mai 2014, n° 13-16855, Bull. à venir).

Responsabilité du maître d’œuvre

Le maître d’ouvrage ne peut à la fois prétendre à une indemnité pour l’exécution défectueuse du contrat par l’architecte et au remboursement des honoraires qu’il lui a versés (Cass. 3e civ., 25 juin 2014, 11-26851).

In solidum

Le constructeur tenu solidairement avec d’autres à une dette de responsabilité peut exercer un recours à l’encontre d’un de ses co-obligés. La Cour d’appel, saisie de cette demande, est tenue de statuer sur la contribution de chacun d’eux à la condamnation (Cass. 3e civ., 14 janvier 2014, n° 12-16440)

Dol

Le constructeur est, malgré la forclusion décennale, contractuellement tenu à l’égard du maître d’ouvrage de sa faute dolosive lorsque, de propos délibéré, même sans intention de nuire, il viole par dissimulation ou par fraude ses obligations contractuelles (Cass. 3e civ., 25 mars 2014, n° 13-11184). La Cour de cassation ne statue toutefois pas encore sur le délai de l’action fondée sur le dol.

Garantie des Vices Cachés

Pour faire droit à la demande indemnitaire de l’acheteur agissant sur le terrain de la garantie de vices cachés, introduite à titre subsidiaire, plutôt qu’à action en résolution de la vente introduite à titre principal, le juge retient le faible coût des travaux de reprise du vice par rapport au prix de vente ainsi que l’occupation de la maison sans réalisation desdits travaux (Cass. 3e civ., 25 juin 2014, n° 13-17254, Bull. à venir).

Le délai de deux ans substitué au « bref délai » de l’article 1648 du code civil par l’ordonnance n° 2005-136 du 17 février 2005 n’est pas applicable aux contrats conclus avant son entrée en vigueur (Cass. 3e civ., 20 mai 2014, n° 13-12685 ; Cass. 3e civ., 29 janvier 2014, n° 12-23863).

Diagnostiqueurs

Le contrôle auquel doit procéder le diagnostiqueur amiante n’est pas purement visuel, puisqu’il lui appartient d’effectuer toutes vérifications n’impliquant pas de travaux destructifs, comme par exemple tester « la résistance des plaques »  ou « accéder aux combles par la trappe en verre située dans le couloir » (Cass. 3e civ., 21 mai 2014, 13-14891, Bull. à venir).

Maisons individuelles

Lorsque l’absence de chiffrage et le chiffrage non explicite et réaliste des travaux dont les époux maîtres d’ouvrage se réservaient l’exécution ne permettent pas de les informer du coût réel restant à leur charge, le constructeur de maison individuel est tenu au paiement de ces travaux (Cass. 3e civ., 9 juillet 2014, n° 13-13931, Bull. à venir).


LA SOUS TRAITANCE

Délai de prescription

Dans les instances régulièrement introduites avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 8 juin 2005, le délai d’action à l’encontre des sous-traitants se prescrit par dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation (Cass. 3e civ., 8  juillet 2014, n° 11-22274) .

Caution

L’exigence de la fourniture d’une caution par l’entreprise principale au bénéfice du sous-traitant posée par l’article 14 de la loi du 31 décembre 1975 n’est pas contraire aux dispositions garantissant la liberté contractuelle et la liberté d’entreprendre, ainsi qu’au principe d’égalité entre les citoyens (Cass. 3e civ., 10 juin 2014, n° 14-40020, Bull. à venir.)


MARCHES DE TRAVAUX

Solde du marché

Le juge des référé est incompétent pour allouer à l’entreprise le solde de son marché lorsqu’elle a été vainement mise en demeure de procéder à la reprise de désordres dénoncés dans le délai de la garantie de parfait achèvement (Cass. 3e civ., 7 mai 2014, 13-12518) ; d’autant plus lorsqu’une expertise a été ordonnée pour déterminer l’existence et la nature des désordres et inachèvements (Cass. 3e civ., 9 avril 2014, 12-29271).

Norme NF P 03-001

Les arrêts sur la norme NF P 03-001 (CCAG applicable aux marchés privés de travaux qui s’y réfèrent) sont rares. Il faut savoir les apprécier. Celui-ci (Cass. 3e civ., 29 janvier 2014, 13-10833) est triplement intéressant. Il énonce que l’article 21.2 de la norme, en ce qu’il prévoit que « pour le règlement des contestations qui peuvent s’élever à l’occasion de l’exécution ou du règlement du marché, les parties doivent se consulter ou examiner l’opportunité de soumettre leur différend à un arbitrage ou pour refuser un arbitrage », n’institue pas une procédure obligatoire, préalable à la saisine du juge, dont le non-respect entraînerait l’irrecevabilité de la demande. Mais aussi que « la signature du procès-verbal de réception ne conditionnait pas l’exigibilité du solde du montant du marché car cela permettrait au maître de l’ouvrage en refusant de signer le procès-verbal, y compris sans motif légitime, de rendre sa propre dette non exigible « . Et enfin qu’ »en l’absence de maître d’œuvre ayant pu examiner le mémoire définitif, établir le décompte définitif des sommes dues en exécution du marché et le remettre au maître de l’ouvrage comme mentionné à l’article 19.6.1 du CCAG, les dispositions de l’article 19.6.3 [relatives à l’acceptation tacite du décompte définitif par l’entrepreneur faute de réaction dans le délai imparti] ne pouvaient recevoir application ».


ASSURANCES

Responsabilité civile décennale

L’assurance obligatoire de la responsabilité du constructeur qui garantit le paiement des travaux de réparation de l’ouvrage ne s’étend pas, sauf stipulations contraires, aux dommages immatériels (Cass. 3e civ., 11 février 2014, n° 12-35323).

Attestations d’assurance et déclaration de risque

Le maître d’ouvrage ne peut pas être condamné à communiquer sous astreinte l’attestation d’assurance d’un autre constructeur (Cass. 3e civ., 24 juin 2014, n° 13-20149). L’assureur ne peut se prévaloir de la réticence ou de la fausse déclaration intentionnelle de l’assuré que si celles-ci procèdent des réponses que ce dernier a apportées aux questions précises posées par l’assureur dans le formulaire de déclaration du risque par lequel celui-ci l’interroge, lors de la conclusion du contrat, sur les circonstances qui sont de nature à lui faire apprécier les risques (Cass. Ch Mixte., 7 février 2014, n° 12-85107 – Bull. à venir)

Dommages ouvrage (DO)

L’assureur DO est tenu de répondre dans le délai légal de soixante jours à toute déclaration de sinistre, rappelle la Cour (Cass. 3e civ., 20 mai 2014, n° 13-14803). Les dispositions d’ordre public des articles L. 242-1 et A 243-1 du Code des assurances interdisent à l’assuré de saisir une juridiction aux fins de désignation d’un expert avant d’avoir déclaré son sinistre à l’assureur DO (Cass. 3e civ., 8 avril 2014, n° 11-25342).

La construction de bâtiments provisoires ne peut être assimilée à des travaux de réfection réalisés sur l’ouvrage affecté de désordres ; son coût ne relève donc pas des garanties obligatoires stipulées dans les polices d’assurance DO ou les polices de responsabilité décennale, mais des garanties facultatives si elles ont été souscrites (Cass. 3e civ., 15 janvier 2014, n° 11-28781)

Les assureurs en responsabilité de l’architecte et de l’entrepreneur doivent prendre toutes les mesures utiles pour éviter l’aggravation du sinistre et ne peuvent pas se prévaloir des fautes de l’assureur DO ayant pu concourir à l’aggravation des désordres (cass. 3e civ., 9 avril 2014, n° 13-15555, Bull. à venir).

La faute du notaire, qui avait omis de vérifier l’existence d’une assurance DO, ne pouvait être à l’origine des préjudices subis par les acquéreurs et les copropriétaires au titre des désordres ne relevant pas de cette garantie (Cass. 1e civ., 9 avril 2014, n° 13-13772).

Direction du procès

L’assureur qui prend la direction du procès ne renonce pas à aux exceptions qui concernent la nature des risques souscrits et le montant de la garantie (Cass. 3e civ., 29 janvier 2014, n°12-27919 – Bull. à venir)


PROCEDURE

Le juge des référés est en droit de refuser d’ouvrir une expertise judiciaire lorsque le motif légitime fait défaut. C’est le cas lorsqu’il apparaît impossible d’établir les dommages causés par un incendie survenu depuis plusieurs années sur une maison qui présentait déjà un état de dégradation important (Cass. 2e civ, 20 mars 2014, n° 13-49985).


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