Marches privés : six mois de droit de la construction
Par Laurent Karila
Avocat associé – Karila, Société d’avocats
Chargé d’enseignement à l’université de Paris I – Panthéon-Sorbonne
Jusqu’où s’étend la responsabilité du diagnostiqueur ? L’assureur doit-il vérifier les activités déclarées par son assuré ? Quelles sont les conditions pour obtenir une réception tacite ou judiciaire ? La Cour de cassation a répondu à toutes ces questions, et à bien d’autres, durant le second semestre 2017.
GARANTIES LEGALES
Eléments d’équipement ou quasi-ouvrage
La Cour de cassation réaffirme sa jurisprudence récente, énonçant que : « Les désordres affectant des éléments d’équipement, dissociables ou non, d’origine ou installés sur existant, relèvent de la responsabilité décennale lorsqu’ils rendent l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination. » L’insert de cheminée, élément d’équipement dissociable, posé sur l’immeuble existant et qui a causé un incendie, ne relève donc pas de la responsabilité contractuelle de droit commun mais de la garantie décennale (Cass. 3e civ., 14 septembre 2017, n° 16-17323, Bull. ; voir déjà Cass. 3e civ., 15 juin 2017, n° 16-19640, Bull., pour une pompe à chaleur).
En vertu de l’article L. 243-1-1, II du Code des assurances, l’obligation d’assurance des constructeurs n’est pas applicable aux « ouvrages existants avant l’ouverture du chantier, à l’exception de ceux qui, totalement incorporés dans l’ouvrage neuf, en deviennent techniquement indivisibles ». Cette dispense d’assurance, précise la Cour, ne joue pas pour les éléments d’équipement installés sur un existant. Ainsi, les désordres affectant ces éléments relèvent de la garantie décennale lorsqu’ils rendent l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination (en application des décisions précitées), et relèvent de l’assurance obligatoire de responsabilité civile décennale (RCD) du constructeur (Cass. 3e civ., 26 octobre 2017, n° 16-18120, Bull.).
Cette décision complète un arrêt rendu quelques semaines auparavant. La Cour y avait énoncé que, dès lors qu’il existait une liaison physique entre la ceinture en béton armé réalisée autour de la maison et la totalité des murs extérieurs de la villa, à tel point que l’expert mandaté évoquait un « monolithisme », d’une part, et que, d’autre part, cette ceinture était impliquée dans l’aggravation des fissures existantes et l’apparition de nouvelles fissures, l’assureur RCD devait garantir tous les préjudices matériels affectant l’ouvrage existant, en application de l’article L. 243-1-1, II précité visant les ouvrages existants « qui, totalement incorporés dans l’ouvrage neuf, en deviennent techniquement indivisibles » (Cass. 3e civ., 14 septembre 2017, n° 16-23020).
Réception tacite et judiciaire
La réception tacite ne se présume pas : il appartient à celui qui l’invoque de la démontrer. L’entrepreneur, qui n’établit ni la prise de possession ni le paiement du solde du marché, ne prouve pas la volonté non équivoque du maître d’ouvrage de recevoir l’ouvrage. Le juge ne saurait donc retenir la réception tacite (Cass. 3e civ., 13 juillet 2017, n° 16-19438, Bull. ; Cass. 3e civ., 14 décembre 2017, n° 16-24752, Bull.). A l’inverse, « en réglant l’intégralité du prix des travaux du gros oeuvre et en faisant intervenir sur l’ouvrage l’entreprise chargée de la réalisation des façades », le maître d’ouvrage a manifesté sa volonté non équivoque de recevoir le lot gros oeuvre (Cass. 3e civ., 12 octobre 2017, n° 16-18134).
En l’absence de réception expresse ou tacite, « la réception judiciaire peut être ordonnée si les travaux sont en état d’être reçus », énonce sobrement la Cour (Cass. 3e civ., 12 octobre 2017, n° 15-27802). Nul besoin de vérifier s’il y a eu refus abusif du maître d’ouvrage de prononcer une réception expresse sollicitée par le constructeur, comme l’avait exigé en l’espèce la cour d’appel.
RESPONSABILITE TOUS AZIMUTS
Responsabilité du maître d’œuvre
La Cour de cassation affirme qu’« il incombe à l’architecte chargé d’une opération de construction ou de réhabilitation de se renseigner sur la destination de l’immeuble au regard des normes d’accessibilité aux personnes handicapées » (Cass. 3e civ., 12 octobre 2017, n° 16-23982, Bull.).
Garantie des vices cachés
La simple indication, faite à l’acquéreur d’une maison, d’un sinistre antérieur à l’achat, sans communication du jugement admettant le principe de la déconstruction et reconstruction du bien ni explications complémentaires, prive celui-ci d’une information éclairée sur l’ampleur des désordres. La responsabilité de l’agent immobilier et du notaire pour vices cachés est engagée (Cass. 3e civ., 14 décembre 2017, n° 16-24170, Bull.).
Cet arrêt apporte aussi des précisions sur l’étendue de la réparation exigible, lorsque l’acheteur décide de garder la maison. Il énonce que la cour d’appel, qui a condamné le vendeur à indemniser l’acquéreur au titre de la restitution d’une partie du prix d’achat de la maison et du coût de démolition et de reconstruction, ainsi que de préjudices divers, viole le principe de la réparation intégrale du préjudice. En effet, « la restitution d’une partie du prix de vente et l’indemnité allouée pour la démolition et la reconstruction compensaient l’une et l’autre la perte de l’utilité de la chose », et ne pouvaient donc se cumuler. Les dommages-intérêts complémentaires à l’annulation de la vente ne peuvent que se rapporter à l’indemnisation de préjudices distincts, ou compenser un écart entre le coût de réparation des désordres et la partie du prix de vente restituée
Diagnostiqueurs
Le diagnostiqueur, qui recherche la présence d’amiante, ne peut limiter son intervention à un simple contrôle visuel, mais doit mettre en oeuvre les moyens nécessaires à la bonne exécution de sa mission. Dès lors que le professionnel s’est abstenu d’effectuer des sondages non destructifs, notamment sonores, et n’a effectué de repérage que dans les parties visibles, il engage sa responsabilité lorsqu’il conclut à l’absence d’amiante dans les autres parties sans émettre de réserve (Cass. 3e civ., 14 septembre 2017, n° 16-21942, Bull.).
Prescription
Le maître d’ouvrage, qui avait initié l’expertise à l’égard du seul assureur dommages-ouvrage (DO), ne bénéficie pas de l’interruption de l’action dudit assureur qui a assigné les constructeurs dans le cadre de l’expertise judiciaire (Cass. 3e civ., 16 novembre 2017, n° 16-11052).
In solidum
Lorsqu’un des constructeurs responsables n’est pas partie à la procédure (par exemple, parce qu’il a fait l’objet d’une liquidation judiciaire ou qu’aucun appel en garantie n’a été formulé, ou encore qu’il n’a pas été joint à l’instance principale), il appartient au juge saisi de répartir entre les coobligés in solidum leur contribution à la totalité de la dette (Cass. 3e civ., 21 décembre 2017, n° 17-10074, Bull.).
MARCHES DE TRAVAUX
Retard d’exécution
Dans le cadre d’un contrat de construction de maison individuelle, le point de départ du délai d’exécution dont le non-respect est sanctionné par des pénalités de retard (prévues à l’article L. 231-2, i) du Code de la construction et de l’habitation [CCH]) est la date indiquée au contrat pour l’ouverture du chantier ; et non pas le jour du démarrage effectif des travaux (Cass. 3e civ., 12 octobre 2017, n° 16-21238, Bull.).
Retard de paiement
Les pénalités pour retard de paiement fixées par l’article L. 441-6 du Code de commerce sont dues de plein droit, sans rappel et sans avoir à être indiquées dans les conditions générales des contrats (Cass. com., 22 novembre 2017, n° 16-19739).
Vefa
En matière de vente en l’état futur d’achèvement (Vefa), la clause prévoyant le recours à l’avis d’une personne qualifiée, à défaut d’accord des parties sur l’achèvement, ne fait pas obstacle à ce que le juge vérifie la conformité de cet avis aux critères d’achèvement définis par l’article R. 261-1 du CCH (Cass. 3e civ., 30 novembre 2017, n° 16-19073, Bull.)
ASSURANCES
Indemnité
Lorsqu’un immeuble détruit par un incendie ne peut être reconstruit à l’identique sur le terrain d’origine en raison de la dangerosité de sa situation et du refus du maire d’accorder un permis de construire, l’indemnité due aux propriétaires doit être égale à la valeur vénale de l’immeuble. Car leur « octroyer une valeur de reconstruction à neuf dans un autre lieu leur procurerait un avantage indu puisqu’ils bénéficieraient d’un bien équivalent mais mieux situé » (Cass. 3e civ., 7 septembre 2017, n° 16-15257, Bull.).
Exclusion
La clause d’exclusion des « modifications d’aspect, de caractère esthétique, relatives, notamment, à la couleur ou à la forme » contenue dans une police de responsabilité d’un fournisseur d’ardoises ne vide pas le contrat de sa substance, « dès lors que le vice d’une ardoise n’affecte pas inévitablement sa couleur ou sa forme » (Cass. 3e civ., 16 novembre 2017, n° 16-21278).
Fait dommageable
Le fait dommageable, au sens des articles L. 124-1-1 et L. 124-5 du Code des assurances, est celui qui constitue la cause génératrice du dommage ; à ne pas confondre avec le dommage lui-même. L’apparition des fissurations du mur de clôture dénoncées en octobre 2008 constituait le dommage et non pas le fait dommageable, lequel correspondait aux travaux de remblaiement entrepris en 2004. La police d’assurance, ayant pris effet en 2007, ne pouvait donc couvrir le sinistre (Cass. 3e civ., 12 octobre 2017, n° 16-19657, Bull.)
Prescription biennale
Le contrat d’assurance qui ne rappelle que partiellement les dispositions légales et réglementaires relatives au point de départ et aux causes d’interruption de la prescription biennale rend cette prescription inopposable à l’assuré (Cass. 2e civ., 23 novembre 2017, n° 16-26671).
Direction de procedure
Selon l’article L. 113-17 du Code des assurances, « l’assureur qui prend la direction d’un procès intenté à l’assuré est censé aussi renoncer à toutes les exceptions dont il avait connaissance lorsqu’il a pris la direction du procès ». Les exceptions ainsi visées, en ce qu’elles se rapportent aux garanties souscrites, ne concernent ni la nature des risques souscrits, ni le montant de la garantie, précise la Cour. Dès lors, l’assureur conserve la faculté de contester le caractère décennal des désordres, et de prétendre que ceux-ci affectaient les installations d’une salle de traite qualifiables d’éléments d’équipement à vocation uniquement professionnelle. Ce qui permet à l’assureur d’exclure sa garantie (Cass. 3e civ., 13 juillet 2017, n° 16-19821).
Responsabilité du gérant
Commet une faute séparable de ses fonctions, le gérant d’une société chargée de fournir et poser des panneaux photovoltaïques qui s’abstient intentionnellement de souscrire l’assurance de responsabilité civile décennale prévue par l’article L. 241-1 du Code des assurances. Sa responsabilité personnelle peut donc être engagée (Cass. 3e civ., 14 décembre 2017, n° 16-24492).
Catastrophes naturelles
Des acquéreurs assignent l’assureur multirisque habitation des vendeurs de leur maison pour des désordres affectant les travaux de reprise exécutés sous le contrôle exclusif dudit assureur, en réparation de désordres liés à des épisodes de sécheresse déclarés catastrophes naturelles. Ils sont déboutés par la Cour, en l’absence de faute susceptible d’être imputée à l’assureur. Les juges relèvent en effet que la cause principale des désordres était due à l’absence d’une longrine-chevalet passant sous la semelle existante et appuyée sur les têtes des micropieux, mais que l’insuffisance de ces prescriptions était alors inconnue de l’assureur qui avait fait réaliser l’étude géotechnique utilisée pour établir le confortement par micropieux (Cass. 3e civ., 14 septembre 2017, n° 16-19899, Bull.).
Activités déclarées
L’assureur n’est pas tenu de garantir la responsabilité décennale de son assuré intervenant en qualité de constructeur de maison individuelle (CMIste) pour les désordres constitués de la dégradation du mur de soutènement de la piscine, des infiltrations dans la maison et de l’absence de respect des normes parasismiques, dès lors que la police excluait l’activité CMI (Cass. 3e civ., 16 novembre 2017, n° 16-24528).
A réception du questionnaire de déclaration des activités de son assuré, l’assureur n’est pas tenu d’en vérifier l’exactitude. De ce fait, lorsque l’assuré déclare certaines activités relevant de la construction de maisons à ossature bois, à l’exception de l’activité « charpente et ossature bois », il n’est pas assuré pour la pose de fenêtres en PVC et celle du bardage qui n’entrent pas dans les activités « bois » déclarées (Cass. 3e civ., 14 septembre 2017, n° 16-19626). De même, aucune obligation générale de vérification d’une déclaration éventuellement inexacte ou incomplète ne pèse sur le courtier d’assurance (Cass. 3e civ., 21 décembre 2017, n° 16-26530).
Dommages-ouvrage
La demande en paiement de dommages-intérêts formée par des tiers au contrat d’assurance DO à l’encontre de l’assureur, présentée sur le fondement du non-respect du délai de soixante jours prévu par l’article L. 242-1 du Code des assurances, doit être rejetée dès lors que la sanction du non-respect de ce délai, qui autorise l’assuré à préfinancer les travaux à ses frais moyennant une majoration de sa créance indemnitaire, est limitative et ne se conjugue pas avec une cause de responsabilité (Cass. 3e civ., 14 septembre 2017, n° 16-21696, Bull.).
RCD
Le régime applicable aux situations antérieures à l’arrêté du 19 novembre 2009 (instituant de nouvelles clauses-types pour les polices RCD à l’article A. 243‑1 du Code des assurances) retient comme date d’ouverture du chantier celle du commencement effectif des travaux confiés à l’assuré ; et non pas – pour les travaux nécessitant la délivrance d’un permis de construire – la date de la déclaration réglementaire d’ouverture du chantier (Cass. 3e civ., 16 novembre 2017, n° 16-20211).
PROCEDURE
Saisine préalable
La clause attributive de juridiction visée au contrat unissant l’assureur et son assuré auteur du dommage est inopposable à la victime exerçant l’action directe contre ledit assureur (CJUE, 8e ch., 13 juill. 2017, aff. C-368/16, « Assens Havn »). En revanche, le non-respect de la clause qui institue une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge constitue une fin de non-recevoir et n’est pas susceptible d’être régularisée par la mise en oeuvre de la clause en cours d’instance (Cass. 3e civ., 16 novembre 2017, n° 16-24642, Bull.).
Opposabilité du rapport
Un rapport d’expertise judiciaire ordonné dans le cadre d’une instance est opposable dans le cadre d’une autre instance, dès lors qu’il est régulièrement versé aux débats, soumis à la discussion contradictoire des parties et corroboré par d’autres éléments de preuve (Cass. 2e civ., 7 septembre 2017, n° 16-15531, Bull.). Une cour d’appel ne peut se fonder exclusivement sur une expertise non judiciaire réalisée à la demande de l’une des parties pour lui allouer une indemnité (Cass. 2e civ., 14 décembre 2017, n° 16-24305).
Responsabilité de l’expert judiciaire
L’expert judiciaire qui n’a pas constaté le dysfonctionnement affectant le chauffage et la chaudière ne peut s’exonérer de sa responsabilité en arguant qu’il a suivi en cela l’avis de son sapiteur, plus compétent que lui. En effet, le sapiteur intervient toujours « sous le contrôle et la responsabilité de l’expert », ce qu’affirme sans ambiguïté l’article 278-1 du Code de procédure civile (Cass. 3e civ., 16 novembre 2017, n° 16-24718).
Lorsque l’expert judiciaire communique son chiffrage provisoire et réclame un dire récapitulatif des deux parties répondant à la méthode de calcul proposée et faisant valoir leurs observations, il n’y a pas de violation du principe du contradictoire, peu important que l’expert ait annoncé un prérapport sans le déposer, dès lors qu’il a permis autrement aux parties de présenter leurs observations (Cass. 3e civ., 30 novembre 2017, n° 16-17686, Bull.).