Dans la présente chronique parue 18 juillet 2014, Laurent Karila dresse un panorama des arrêts marquants des Cours d’appel du premier semestre 2014.
Le fichier pdf est disponible en cliquant sur le lien à droite de l’écran. Le contenu de l’article est reproduit ci-dessous.
COURS D’APPEL- PREMIER SEMESTRE 2014
Marches privés : six mois de droit de la construction
Par Laurent Karila
Avocat associé – Karila, Société d’avocats
Chargé d’enseignement à l’Université de Paris I Sorbonne
LA RECEPTION DE L’OUVRAGE
Le simple fait d’avoir emménagé dans l’immeuble et d’avoir fait procéder à des constats d’huissier visant à identifier les désordres ne permet toutefois pas au maître d’ouvrage de se prévaloir d’une volonté non équivoque de réceptionner les travaux et donc d’une réception tacite, dès lors qu’il a refusé de signer le procès-verbal de réception des travaux (Bordeaux, 1er avril 2014, RG n° 12/05317).
Divers inachèvements des travaux empêchent le juge de prononcer la réception judiciaire dès lors que celle-ci suppose que l’ouvrage ait été en état d’être reçu (Aix, 6 mars 2014, RG n° 12/02993). La réception ne peut être prononcée judiciairement qu’à la condition que les entrepreneurs aient été assignés à l’instance (Versailles, 17 février 2014, RG n° 12/04904).
Du fait du transfert de de la garde d’une partie de l’ouvrage dont avait pris possession le maître d’ouvrage et dans laquelle a pris naissance l’incendie, était inapplicable la présomption de responsabilité qui pèse sur les locateurs d’ouvrage en vertu de l’article 1789 du Code civilet dont ils ne peuvent se dégager qu’en démontrant une absence de faute (Paris, 13 mars 2014, RG n° 11/17935).
LES GARANTIES LEGALES
Ouvrage
Est un ouvrage au sens de l’article 1792 : une chaudière (Paris, 9 avril 2014, RG n° 11/12826) ; la construction d’un court de tennis mais pas de simples travaux de rénovation de ce court par changement du revêtement (Paris, 5 mars 2014, RG n° 10/10281) ; la fourniture et l’installation d’une pompe à chaleur et d’un ballon d’eau chaude en remplacement d’une chaudière à fuel en ce qu’ils impliquent en particulier le rattachement de ces différents éléments aux tuyauteries du bien immobilier (Rouen, 9 janvier 2014, RG n° 13/01319) ; la fourniture d’une éolienne à usage domestique et sa pose sur un socle de béton, le tout implanté sur le terrain d’une maison d’habitation afin d’alimenter cette dernière en électricité, étant relevée que l’ouvrage est soumis à l’obligation d’assurance puisque du fait de son usage domestique, il n’est pas qualifiable d’ouvrage de production d’énergie exonéré de l’obligation d’assurance (Limoge, 15 avril 2014, RG n° 12/01491).
Mais les travaux réalisés par l’entrepreneur de simple réhabilitation des surfaces et non de reconstitution des sols ne constituent pas un ouvrage au sens de l’article 1792 du Code civil (AIX, 23 janvier 2014, RG 2014/045).
Le réseau de canalisations d’un bâtiment industriel de distribution des gaz d’argon et d’azote participant d’un processus à fonction exclusivement et strictement industriel, son dysfonctionnement et/ou les désordres l’affectant ne sont pas susceptibles d’engager la responsabilité décennale des constructeurs ou la garantie biennale de bon fonctionnement (Paris, 28 mai 2014, RG n° 12/16119).
Imputabilité des dommages
L’absence -du fait du maître de l’ouvrage- de ramonage d’un conduit de fumée installé par l’entreprise en contrariété aux règles de l’art puisque d’une hauteur insuffisante pour assurer le bon tirage, a constitué une faute ayant contribué à l’ampleur de l’incendie qui a été jugée exonératoire de responsabilité de l’entreprise à hauteur de 50 pour cent (Paris, 25 mars 2014, RG n° 12/06230).
Gravité décennale
Une insuffisance de pente de la toiture qui favorise un défaut de hors d’eau entachant l’ouvrage d’humidité et de moisissures suffit à le rendre impropre à sa destination d’extension de maison d’habitation et c’est à juste titre qu’a été retenue la solution de démolition et de reconstruction proposée par l’expert (Toulouse, 10 mars 2014, RG n° 132, 12/06614).
La non-conformité de l’ouvrage aux règles parasismiques étant un facteur certain de risque de perte de l’ouvrage par séisme, il constitue un dommage compromettant la solidité de l’ouvrage suffisant à son caractère décennal (Aix, 13 mars 2014, RG n° 13/02317).
La désolidarisation des murets en pierre de doublage des murs de clôture avec un risque de basculement revêtent un caractère décennal puisque susceptible de porter atteinte à la sécurité des personnes mais pas les fissures généralisées sur les murs de clôture, dues à l’absence de joints de dilatation en partie courante et au niveau des joints singuliers puisque ne présentant aucun danger pour la sécurité des personnes et n’étant que des désordres purement esthétiques (Montpellier, 9 janvier 2014, RG n° 12/01895).
Suffisent encore à caractériser l’impropriété à la destination de l’ouvrage : le défaut de maintien d’une température constante de 2° à 4° et d’une hygrométrie constante indispensables dans des locaux à usage de conditionnement d’alimentation industrielle (Paris, 21 mars 2014, RG n° 10/10101) ; l’inondation régulière du sous-sol et en particulier des fosses d’ascenseurs et d’hydrocarbures et des garages -lesquels n’ont pas pour vocation à être inondés de manière récurrente (Aix, 13 mars 2014, RG n° 12/19964) ; l’altération la surface de jeu du court de tennis qui ne rend plus aléatoire le rebond de la balle et présente un risque de chute pour le joueur (Versailles, 5 mars 2014, RG n° 13/04402) ; l’insuffisante isolation thermique affectant l’étanchéité à l’air de l’immeuble qui entraine une gêne certaine à l’origine d’une importante surconsommation d’électricité de chauffage (Versailles, 27 janvier 2014, 12/03991) ; le désordre affectant l’ensemble du caillebotis présentant un risque pour la sécurité des personnes (Paris, 8 janvier 2014, RG n° 12/01385) ; un problème d’adhérence des cloisons sur des murs extérieurs deux pièces d’une maison paroissiale (Amiens, 22 janvier 2014, RG n° 11/00142).
… Mais pas des désordres électriques ponctuels et isolés (spots encastrés dans des trous trop grands ; câbles trop courts dans le séjour ; absence d’un interrupteur dans un placard), de natures différentes et non généralisés (Aix, 20 février 2014, RG n° 13/00938) ou de simples défaut de pose des carreaux, faïences et mosaïques (finition grossière des joints, carreaux cassés et mal positionnés, défaut de planimétrie) ou de calepinage du faux plafond et de non-conformité de la trémie d’escalier (Nîmes, 16 janvier 2014, RG n° 12/05128).
Garantie de bon fonctionnement
L’installation de chauffage constituée d’un groupe extérieur fixé sur la façade arrière de la maison et de trois consoles posées dans le salon, le hall d’entrée et la cage d’escalier ainsi que dans une chambre, est considérée comme étant constituée d’éléments dissociables non incorporés à l’immeuble (Versailles, 17 février 2014, RG n° 14/0128, 12/05703).
La garantie biennale de bon fonctionnement des éléments d’équipement dissociables est inapplicable aux éléments simplement adjoints à un ouvrage déjà existant, comme ce fut le cas en l’espèce pour une pompe à chaleur (Caen, 4 février 2014, RG n° 12/00066 ; Caen, 29 avril 2014, RG n° 12/00357) ou encore pour une chaudière (Montpellier, 29 janvier 2014, RG n° 12/05077).
Epers
La responsabilité solidaire du fabricant de matériau ne peut être engagée que lorsque le produit a été mis en œuvre par un locateur d’ouvrage et non par le maître d’ouvrage et que les règles édictées par le fabricant ont été respectées (Aix, 16 janvier 2014, RG n° 12/19803).
Transmission des garanties légales
Les garanties légales sont attachées à la chose immobilière vendue en sorte que les acquéreurs successifs sont bénéficiaires des actions fondées sur la garantie de parfait achèvement (Versailles, 28 avril 2014, RG n° 12/04265) ou encore sur la garantie décennale (Montpellier, 9 janvier 2014, RG n° 11/08001).
Immixtion et acceptation des risques
La Cour de Paris a retenu l’immixtion fautive du maître d’ouvrage notoirement compétent du fait d’actes positifs ayant interféré dans le déroulement du chantier, par le biais de son gérant architecte et associé majoritaire, même sans s’être réservé de manière claire et non équivoque un domaine d’intervention lors de la phase d’exécution (Paris, 7 mai 2014, RG n° 13/03053).
Le maître d’ouvrage qui n’a pas retenu l’option cuvelage de toutes les parois des caves, ne peut être considéré –à raison de ce seul choix- comme ayant accepté délibérément le risque d’un défaut d’étanchéité des caves (Aix, 13 mars 2014, RG n° 13/08855).
RESPONSABILITE TOUS AZIMUTS
Avant réception
Avant réception, les entrepreneurs sont tenus d’une obligation de résultat alors que le maître d’œuvre assume une obligation de moyens qui impose la démonstration d’un manquement à ses obligations et d’un préjudice qui y soit directement lié (Versailles, 20 janvier 2014, RG n° 12/01353).
Purge
Le caractère apparent ou non du désordre qui purge la responsabilité des constructeurs s’apprécie par référence au maître de l’ouvrage qui en l’espèce ne pouvait au jour de la réception, apprécier l’étendue des causes et conséquences des désordres affectant les ouvrants alors que deux professionnels lui assuraient que les difficultés qu’il rencontrait dans leurs ouverture et fermeture n’était que passagère… (Paris, 24 janvier 2014, RG n° 12/10367).
Obligation de conseil
L’entrepreneur est retenu responsable de n’avoir pas renseigné le maître d’ouvrage sur la faisabilité des travaux envisagés, en l’occurrence ceux utiles à résoudre un état d’humidité ancienne et récurrente, l’absence de maître d’œuvre et de souscription par les maîtres d’ouvrage d’une assurance dommages-ouvrage n’étant pas exonératoire de sa responsabilité (Versailles, 17 février 2014, RG n° 12/04741).
Responsabilité du maître d’œuvre
Engage sa responsabilité le maître d’œuvre pour notamment n’avoir émis aucune réserve sur le choix du maître d’ouvrage de faire appel à plusieurs intervenants contrairement aux préconisations du fournisseur d’énergie, et avoir participé à une réception sans réserve de l’installation sans s’assurer de la réalisation préalable d’essais et nettoyages de réseaux prévus au CCTP (Paris, 28 mai 2014, RG n° 12/16119).
L’erreur de conception de l’architecte ayant conduit à la disparition de trois chênes situés à proximité immédiate de l’implantation de la construction alors qu’ils auraient pu être conservés et permis de dissimuler davantage la construction moins bien insérée dans le site de ce fait, engage sa responsabilité à hauteur de 6.000 euros (Aix, 30 janvier 2014, RG n° 2014/053).
En définissant de manière sommaire des travaux, en s’abstenant d’exiger de l’entreprise la fourniture préalable du marché précisant les prestations convenues et en n’assurant pas une direction effective des travaux, l’architecte a commis des fautes engageant sa responsabilité dans l’exécution défectueuse des travaux et dans le non-respect des délais de réalisation (Versailles, 20 janvier 2014, RG n° 12/01353).
Trouble anormal de voisinage (TAV)
Le maître de l’ouvrage engage sa responsabilité lorsque les travaux réalisés ont entraîné des inondations et des fissures dans l’immeuble voisin (Paris, 28 mai 2014, RG n° 12/13936) ; une perte d’ensoleillement et de perte de vue ne constituant pas systématiquement un trouble anormal de voisinage en particulier lorsque la nouvelle construction se situe dans une zone destinée à l’habitat qui se densifie (Versailles, 20 février 2014, RG n° 12/02186).
LES ASSURANCES
Activités déclarées
Les activités déclarées et garanties au titre de la police d’assurance, savoir les travaux de maçonnerie béton armé, plâtrerie, charpente bois, couverture zinguerie, carrelage et revêtements matériaux durs, menuiserie bois ou pvc ou métallique, ne couvrent pas l’activité plus générale réellement exercée de constructeur de maison individuelle (Aix, 6 mars 2014, RG n° 12/02993).
Assurance Dommages ouvrage (DO)
La subrogation légale de l’assureur dommages ouvrage qui a indemnisé le maître d’ouvrage, accomplie en application de l’article L 121-12 du Code des assurances, n’est pas subordonnée à l’existence d’une quittance subrogatoire (Aix, 16 janvier 2014, RG n° 12/20353).
MARCHES DE TRAVAUX
Clause pénale
L’application de pénalités contractuelles s’impose comme loi des parties indépendamment de l’existence d’un préjudice distinct du retard à la livraison, peu important que le maître d’ouvrage ait exigé que la réception intervienne sans réserves, et même si des livraisons d’appartement ont pu intervenir avant (Paris, 7 mai 2014, RG n° 12/19541).
PROCEDURE
L’assignation en garantie décennale délivrée pour obtenir réparation de dommages affectant des parties communes a interrompu le délai décennal au profit de copropriétaires agissant à titre individuel pour la réparation de leur préjudice personnel dès lors que les dommages dont ils demandaient réparation affectaient les parties communes et privatives de manière indivisible (Versailles, 27 janvier 2014, 12/03991).
Si la cour d’Aix a jugé en mars que la loi n’exigeait pas que l’autorisation d’ester en justice données au syndic par l’assemblée générale précise l’identité des personnes devant être assignées et qu’à défaut de décision limitant les pouvoirs d’action du syndic, l’autorisation valait à l’égard de l’ensemble des personnes concernées par les désordres et des assureurs (Aix, 13 mars 2014, RG n° 12/19964), elle précisait en janvier (Aix, 16 janvier 2014,RG n° 2014/020 et 12/07813), que les assemblées générales ne contenant pas une habilitation expresse du syndic doivent entraîner l’annulation des actes introductifs de l’instance engagée sur leur fondement par le syndicat des copropriétaires, l’assemblée générale par laquelle le syndic a été habilité de manière rétroactive à agir dans le cadre des actions déjà engagées notamment au fond, n’ayant par ailleurs aucun effet sur l’irrégularité de ces actes dès lors qu’elle est intervenue après l’expiration du délai d’épreuve de dix ans.