COUR D’APPEL – SECOND SEMESTRE 2014
Marches privés : six mois de droit de la construction
Par Laurent Karila
Avocat associé – Karila, Société d’avocats
Spécialiste en Droit Immobilier
Chargé d’enseignement à l’Université de Paris I Sorbonne
L’OUVRAGE, l’ELEMENT D’EQUIPEMENT ET LA RECEPTION
Réception tacite et judiciaire, et ses effets
Suffisent à caractériser une réception tacite de l’ouvrage, le paiement du prix des travaux exécutés sans réserve d’une part, l’accord du maître de l’ouvrage et des entrepreneurs quant au stade d’avancement de l’ouvrage d’autre part, et enfin l’absence de toute réclamation relative à d’éventuelles malfaçons pendant les neuf années suivantes et ce même en l’absence de toute occupation des lieux (liée à une cause étrangère à l’état de la construction), la date de réception tacite retenue étant fixée à la date d’achèvement constatée d’un commun accord par les parties (Paris Pôle 4 Chambre 6, 4 juillet 2014, RG n° 13/10409).
LES GARANTIES LEGALES
Gravité décennale
Le défaut de stabilité des tuiles mal fixées de la toiture présentant un caractère de dangerosité et un défaut d’étanchéité, caractérise l’impropriété à la destination. En revanche ne satisfont pas à ce critère les nombreux plis et rigoles sous toiture susceptibles de conduire à l’accumulation et à la circulation de l’eau sous les tuiles dès lors que s’ils réduisent certes son efficacité et sa longévité, ils se limitent à diminuer les avantages qu’aurait présenté la pose d’un écran sous toiture (COLMAR, 17 novembre 2014, RG n°14/0860 et 13/05136).
La pénétration d’eau à la périphérie du bac à douche et le phénomène de stagnation de l’eau sur la dalle puis de remontée récurrente en pied des parois, aggravés même après l’intervention de l’entrepreneur défaillant, par le décollement du joint périphérique sur la quasi-totalité de sa longueur et l’apparition de nombreuses traces de moisissures entre les carreaux du revêtement mural et au pied de la face externe de la demi-cloison, rendent l’ouvrage impropre à sa destination, même en l’absence d’infiltrations à l’extérieur de la douche (BORDEAUX, 1e chambre Section A, 25 septembre 2014, RG n° 13/02714).
Acceptation des risques
Les locateurs d’ouvrage ne se voient pas exonérés de leur responsabilité décennale lorsque le maître de l’ouvrage, même professionnel de la promotion immobilière, n’a pas accepté en pleine connaissance de cause les risques induits par le système de fondations prescrit par le maître d’œuvre (DOUAI 1e Chambre Section 2, 6 août 2014, RG n° 13/01664)
RESPONSABILITE TOUS AZIMUTS
Responsabilité du syndic
L’ancien syndic, bien qu’obligé par l’article 18-2 de la loi du 10 juillet 1965de transmettre ses archives au syndic qui lui succède, n’est pas condamné à la remise sous astreinte des procès-verbaux de réception des travaux et des procès-verbaux de levée des réserves, plan de masse et plan de niveau de chaque bâtiments, les éléments versés aux débats ne démontrant pas que le promoteur avait effectivement transmis lesdits documents audit syndic (Lyon, 8e Chambre, 29 juillet 2014, RG n° 13/04740).
Dol
Sans tenir compte de ce qu’a encore récemment rappelé la Cour de cassation (Cass. 3e civ., 27 mars 2013, n° 12-13840, Bull. n°39), savoir que le constructeur est, nonobstant la forclusion décennale, contractuellement tenu à l’égard du maître de l’ouvrage de sa faute dolosive lorsque, de propos délibéré, même sans intention de nuire, il viole par dissimulation ou par fraude ses obligations contractuelles, la Cour de Paris –pour rejeter la demande de condamnation des constructeurs sur le fondement du dol- a relevé « aucune violation délibérée des règles élémentaires de leur art » au motif que s’il est établi que la poutre et le plancher étaient dégradés antérieurement leurs travaux, l’expertise avait révélé que la cause de la pourriture de la poutre ayant conduit à sa rupture était une humidification anormale et prolongée totalement extérieure aux travaux et tenant à la configuration d’origine du bâtiment. Malgré l’occasion qui lui en était donnée, la Cour n’a pas par ailleurs précisé clairement que le délai de prescription trentenaire de l’action fondée sur le dol applicable avant la loi du 17 juin 2008 était désormais réduit à 5 ans à compter de la survenance du sinistre (Paris, Pôle 4 Chambre 6, 4 juillet 2014, RG n° 13/10409).
Troubles anormaux de voisinage
Les propriétaires d’un appartement subissant des nuisances sonores provenant de l’installation sur le toit de l’immeuble d’un appareil de climatisation sont bien fondés à invoquer la théorie des troubles excédant les inconvénients normaux du voisinage, à raison de ce que les mesures acoustiques réalisées par l’expert judiciaire ont démontré que les niveaux sonores dans la chambre mitoyenne du mur contre lequel est appuyé un des climatiseurs dépassaient de 15 à 25 décibels les niveaux autorisés, occasionnant une gêne manifeste pendant la nuit en ne permettant pas de dormir, l’indemnisation du trouble subi depuis trois années ayant été fixé à 5 000 euros de dommages et intérêts et à la condamnation à effectuer les travaux préconisés par l’expert pour faire cesser le trouble sous astreinte de 100 euros par jour de retard (Grenoble, 1e Chambre, 14 octobre 2014, RG n° 11/01770)
LA SOUS TRAITANCE
Manquements
Le sous-traitant répond à l’égard de l’entrepreneur principal du dégât des eaux survenu lors du démontage d’une canalisation et ne peut s’exonérer de sa responsabilité en l’absence de preuve du fait du prestataire chargé de l’entretien de l’installation, qui aurait présenté pour lui un caractère imprévisible, insurmontable ou extérieur, dès lors notamment que préalablement à son intervention, il ne s’est nullement assuré que la canalisation qu’il devait découper avait été totalement purgée (Toulouse, 17 novembre 2014, 461, RG n° 13/03059).
MARCHES DE TRAVAUX
Obligation de l’entrepreneur
L’entrepreneur qui, sans motif légitime, a cessé progressivement l’exécution de ses obligations contractuelles de réalisation des travaux, entrainant par ailleurs des désordres et malfaçons, a engagé sa responsabilité à l’égard du maître de l’ouvrage (Aix-en-Provence, 3e Chambre, Section A, 3 juillet 2014, RG n° 13/02770).
Garantie de paiement
Le maître de l’ouvrage légalement tenu en vertu de l’article 1799-1 du Code civil à délivrer à l’entreprise une garantie de paiement, suppose l’existence d’une obligation principale valable, en sorte que la résiliation du marché –et les travaux confiés à un tiers- interdit à l’entreprise de solliciter la liquidation de l’astreinte allouée judiciairement par jour de retard à la délivrance de ladite garantie ; un tel cautionnement ne pouvant par ailleurs être exigé pour garantir une éventuelle créance de dommages et intérêts à raison de la résiliation abusive alléguée par le maître de l’ouvrage (Colmar, 17 novembre 2014, RG n° 14/0860, 13/05136).
ASSURANCES
Direction de la procédure
L’assureur « défense recours » qui a pris la direction du procès engagé contre son assuré sans soulever le fait qu’il ne venait pas aux droits de l’entrepreneur à qui était imputé à faute les dommages, lequel n’avait pas de surcroît réalisé les travaux… a engagé sa responsabilité l’obligeant à réparer le préjudice subi par son assuré à hauteur des sommes que ce dernier a été condamné à verser aux fins de la reprise de travaux (Colmar, 2e chambre Section A, 7 novembre 2014, RG n° 592/2014, 13/02158).
RCD
L’assureur d’un locateur d’ouvrage qui a indemnisé les maîtres d’ouvrage, ne peut exercer une action subrogatoire dans leurs droits sur le fondement de la garantie décennale, et est prescrit dans son action sur un autre fondement que celui-ci dès lors que les maîtres d’ouvrage bénéficiaires de la garantie décennale n’ont jamais introduit d’action interruptive de prescription (Douai, 1e Chambre 2e Section, 24 septembre 2014, RG n° 12/06990).
Dommages ouvrage
Le notaire rédacteur d’un acte de vente d’un appartement certes tenu à un devoir d’information d’informer les acquéreurs des conséquences de l’absence de souscription d’une police d’assurance dommage ouvrage par le vendeur-constructeur alors que le projet était annexé à l’acte et qu’il savait qu’il s’agissait d’une rénovation lourde, n’a pourtant pas engagé sa responsabilité en s’en abstenant, dès lors notamment que sa faute est sans lien de causalité avec le préjudice matériel et moral qu’ils ont subi, les acquéreur ne se prévalant pas même d’avoir vainement actionné les entreprises qui ont réalisé les travaux sur le fondement de la garantie décennale (Aix-en-Provence, 1e Chambre B, 18 septembre 2014, RG n° 13/15484).
PROCEDURE
Toute partie justifiant d’un intérêt légitime peut solliciter qu’une expertise précédemment ordonnée soit étendue à une autre partie, ledit intérêt légitime existant dès lors que la partie intéressée fait la preuve d’un litige potentiel, d’une prétention à l’égard de la partie appelée non manifestement vouée à l’échec et de l’utilité de la mesure sollicitée (Dijon 1e Chambre, 12 août 2014, RG n° 14/00185).