Dans la présente chronique parue le 16 janvier 2014, Laurent Karila dresse un panorama des arrêts marquants des Cours d’appel du second semestre 2013.
Marchés privés
Six mois de droit de la construction
Des températures excessives dans un immeuble de bureaux le rendent-elles impropre à sa destination? Une non-conformité sans désordre entraîne-t-elle la responsabilité du constructeur? Le refus d’un sous-traitant par le maître d’ouvrage est-il discrétionnaire ? Autant de questions auxquelles les cours d’appel ont répondu au second semestre 2013. Panorama des décisions pertinentes.
Par Laurent Karila
Avocat associé – Karila, Société d’avocats
Charge d’enseignement à l’université de Paris 1, Sorbonne
LES FONDAMENTAUX DES GARANTIES LEGALES
L’incontournable exigence d’un “ouvrage”
La fourniture et l’installation d’une pompe à chaleur air-eau, même implantée sur un système existant de chauffage incluant la chaudière au fioul, peut constituer un ouvrage et relever ainsi de la garantie décennale (Angers, 25 juin 2013, RG n°12/00943) ; une fosse septique constitue aussi un ouvrage au sens de l’article 1792 du Code civil (Aix-en Provence, 31 octobre2013, RG 2013/435). En revanche, une véranda constituant une construction légère non fondée au sol ni incorporée à l’ouvrage principal auquel elle est uniquement adossée ne constitue pas une « pièce habitable » et ne peut donc être qualifiée d’ouvrage (Rennes, 5 septembre 2013, n°10/06207). C’est également le cas de travaux de peinture de la cage d’escalier et du hall d’entrée d’un immeuble qui constituent de simples travaux de rénovation et d’embellissement (Paris, 5 septembre2013, n°11/13425) ; ou encore d’un traitement curatif insecticide des charpentes (Lyon, 10 octobre 2013, 11/08627).
Des radiateurs qui n’ont pas été spécialement conçus et fabriqués pour l’ouvrage mais simplement vendus sur catalogue, de sorte qu’ils ne présentent aucune spécificité les distinguant des autres éléments ayant la même finalité, ne sont pas des Epers (1) (Versailles, 16 septembre2013, n°11/08002).
Une réception caractérisée
Les juges l’ont maintes fois affirmé : la seule prise de possession de l’ouvrage est insuffisante à caractériser la volonté non équivoque de réceptionner l’ouvrage (voir encore Bordeaux, 6 novembre 2013, JD 2013-026287).
Quel que soit l’état d’achèvement des travaux, cette prise de possession ne peut constituer une réception tacite dès lors que le maitre d’ouvrage a exprimé à cette date de manière expresse son refus de réceptionner les travaux (Lyon, 11 juin 2013, RG 11/06588).
Le paiement intégral du prix ne suffit pas davantage à caractériser la réception tacite, dès lors notamment que le maitre d’ouvrage a clairement refusé l’accès de sa propriété au constructeur et décliné toute réception (Bordeaux, 14 août 2013, JD 2013-021777).
La contestation de l’achèvement et de la bonne exécution des travaux, l’absence de règlement du solde du prix et la demande d’ouverture d’une expertise judiciaire écartent toute possibilité de réception tacite (Douai, 29 octobre2013, RG n°12/06837). Il en va de même en cas d’abandon de la construction de la maison individuelle par l’entrepreneur bien avant son achèvement, les travaux réalisés étant entachés de multiples malfaçons et les lettres du maître d’ouvrage témoignant qu’il n’avait jamais entendu accepter l’ouvrage dans cet état (Caen, 24 septembre 2013, n°10/03818).
En revanche, la réception tacite se déduit de la prise de possession des lieux et du fait que le « bon de commande » comporte la mention « soldé » suivie de la date (Dijon, 19 novembre 2013, RG n°11/01176) ou encore de la prise de possession de l’ouvrage, de l’achèvement des travaux et du paiement de la facture (Aix-en-Provence, 12 septembre 2013, 12/15473 ; Paris, 13 septembre 2013, 11/01704).
Une prise de possession avant l’achèvement du chantier retardé en raison du règlement tardif de la facture de démarrage des travaux s’assimile à une voie de fait. Elle entraîne la résiliation de plein droit pour faute du maitre d’ouvrage et la réception sans réserve des travaux de l’entreprise devenue physiquement incapable de terminer le chantier ; et donc l’application de la clause du contrat prévoyant l’exigibilité de l’intégralité du prix lors d’une réception sans réserve, ce même si le chantier n’était achevé qu’à 90 % (Lyon, 3 septembre 2013, RG n°12/02425).
Un dommage d’une certaine gravité…
Suffit à rendre l’ouvrage impropre à sa destination (et donc potentiellement à déclencher la responsabilité décennale), l’un des désordres suivants: le caractère excessif des températures d’un immeuble de bureaux (Versailles, 10 juin 2013, RG n°11/08226), le niveau sonore exagéré de la turbine de l’extracteur d’air (Paris, 11 septembre 2013, 11/05732), l’existence d’odeurs nauséabondes même si elles n’affectent que certains logements d’un immeuble d’habitation en copropriété (Paris, 25 septembre 2013, n°12/03797), le gonflement du plancher d’un restaurant et la disjonction de ses lames du fait de leur dangerosité pour ses usagers (Aix-En-Provence, 14 novembre 2013, RG n°2013/472 12/12445), l’arrachement et la chute à terre de deux cheminées (Aix-en-Provence, 12 septembre 2013, RG n°12/15473), des fuites importantes entraînant une surconsommation d’eau d’une piscine (Aix-en-Provence, 19 septembre 2013, RG n’ 2013/396), des infiltrations dans les parkings en sous-sol d’un immeuble (Paris, 20 septembre 2013, RG n°11/07787), des désordres affectant le carrelage dans un bâtiment de transformation et de stockage de produits alimentaires frais comportant un risque de compromission de la qualité sanitaire des denrées produites (Paris, 11 octobre. 2013, n°12/17120).
…et qui n’était pas apparent à la réception.
Le caractère apparent des désordres non réservés à la réception exonère la responsabilité des constructeurs.
Il s’apprécie au regard des seules compétences du maître d’ouvrage, quelle que soit l’assistance qui pu lui être apportée par un quelconque technicien, voire par un maître d’œuvre (Paris, 11 septembre 2013, RG n°11/00410). Le maitre d’ouvrage qui n’était pas un professionnel du bâtiment n’a pu déceler ni l’inversion de la pente qui pouvait ne pas être remarquée en l’absence de précipitations, ni le niveau trop élevé de la dalle, ce qui a conduit la Cour de Dijon à conclure au caractère caché des dommages à la réception (Dijon, 19 novembre 2013, RG n°11/01176).
Le jeu de la « cause étrangère »
Le phénomène de gonflement-retrait des argiles des sols objet de plusieurs arrêtés de catastrophe naturelle concernant des mouvements de terrain consécutifs à la sécheresse et à la réhydratation ne constitue pas une cause exonératoire de la responsabilité de l’entreprise (Paris, 4 septembre 2013, n°12/10320).
L’état de l’existant indécelable au moment de l’exécution des travaux qui rendait imprévisibles les désordres survenus, par ailleurs totalement étrangers aux travaux exécutés, est constitutif d’une cause étrangère de responsabilité des constructeurs au sens de l’article 1792 alinéa 2 du Code civil (Aix-en-Provence, 4 juillet 2013, RG n°2013/309).
L’acceptation des risques
Le maitre d’ouvrage qui, conscient que la meilleure solution était de procéder à une reprise totale, a opté en connaissance de cause pour une reprise partielle au coût moins élevé, a accepté les risques associés à son choix ; ce qui exonère les constructeurs de leur responsabilité décennale et de toute responsabilité contractuelle (Aix-en-Provence, 31 octobre 2013. RG n°2013/439).
L’imputabilité du désordre aux constructeurs
Le principe de la responsabilité de l’entreprise qui accepte le support de son intervention est réaffirmé (Paris, 5 juillet 2013, 12/00782). Voire élargi, puisque la cour de Versailles (Versailles, 9 septembre 2013, n°12/00151) a retenu l’obligation de réparation à la fois des dommages affectant des travaux de reprise de premiers désordres de sécheresse mais encore des désordres affectant la partie de l’ouvrage qui n’avait pas initialement souffert de la sécheresse et qui n’avait donc pas fait l’objet de reprise, au motif que les travaux se sont révélés insuffisants pour prévenir la survenance de nouveaux désordres.
La garantie biennale de bon fonctionnellement
Des dalles de moquette amovibles ne sont pas des éléments d’équipement et ne sont donc pas soumises à la garantie de bon fonctionnement mais à la seule responsabilité contractuelle des constructeurs (Versailles, 23 septembre 2013, RG n°11/08157) ; il en va différemment s’agissant de stores électriques (Versailles, 10 juin 2013, RG n°11/08226)
D’AUTRES RÉGIMES DE RESPONSABILITÉS
La responsabilité avant réception
Le locataire d’une SCI maître d’ouvrage est fondé à rechercher la responsabilité de l’entreprise générale de travaux à l’origine du dégât des eaux sur le fondement de l’article 1384 dis Code civil, dès lors que le sinistre est intervenu avant la réception â une époque où l’entrepreneur assumait la garde du chantier (Lyon, 25 juin 2013, n°12/05845).
La garantie des vices cachés
Les juges retiennent la garantie des vices cachés du vendeur d’une maison d’habitation objet de travaux de rénovation et de réaménagement, et non pas sa responsabilité décennale, au motif que l’ouvrage était inachevé lors de la vente (Metz, 10 octobre 2013, n°10/02933 et 13/00495).
Les dommages relevant d’une garantie légale spécialement prévue par les articles 1642-1 et 1648 du Code civil (régime de la garantie des vices cachés) ne peuvent donner lieu à uneaction en responsabilité sur le fondement contractuel de droit commun (Aix-en-Provence, 31 octobre 2013, RG 2013/436).
Les troubles anormaux de voisinage
Une grue de chantier cause des troubles anormaux du voisinage lorsqu’elle reste positionnée sans raison valable pendant cinq années, en particulier pendant les étés où la maison voisine avait vocation à être louée (Aix-en-Provence, 31 octobre 2013, RG n°2013/465, 12/16895).
Constituent également des troubles anormaux des infiltrations à répétition dans les parties privatives et provenant des terrasses surplombant le lot privatif, parties communes de l’immeuble (Paris, 13 novembre 2013, RG 11/04763).
Une non-conformité sans dommage n’entraîne pas de responsabilité
La mise en œuvre d’une technique de couverture en zinc « à joint debout », qui n’était pas contractuellement prévue entre les parties, caractérise une faute de l’entrepreneur.
Cependant le maître d’ouvrage ne justifie d’aucun préjudice, aucun désordre n’étant caractérisé dès lors que cette technique n’est pas d’une qualité ou d’une efficacité moindre que le procédé initialement prévu et qu’elle n’engendre pas de préjudice esthétique d’une part, que la remise en conformité contractuelle n’est possible que par une réfection totale de la toiture qui ne se justifie pas et serait tout à fait disproportionnée d’autre part ; et qu’enfin, la technique mise en œuvre présente des avantages en termes d’étanchéité et n’apparaît pas d’un entretien plus difficile et d’une longévité inférieure (Douai, 26 juin 2013, RG n°12/03160).
La responsabilité du maître d’œuvre
La responsabilité de l’architecte investi d’une mission complète est retenue en raison de l’inexactitude de l’implantation de l’immeuble qui a empiété sur le fonds voisin.
Il aurait dû vérifier que la construction respectait les limites de propriété retenues par le géomètre expert (Versailles, 28 octobre 2013, RG n°12/02083).
La responsabilité du maître d’œuvre est également engagée du fait de son défaut de surveillance des travaux: même si sa présence journalière sur le chantier ne pouvait être exigée, il se devait d’être là lors des étapes importantes et de vérifier la réalisation de la stabilisation du fond de fouille, la profondeur des fondations et leur conformité avec l’étude de béton (Aix-en-Provence, 12 septembre 2013, RG n°12/14370). Et ce, même si le maître d’ouvrage était un professionnel de la construction, le fait qu’il ait procédé au calcul du volume de béton employé pour les fondations ne permettant pas de déduire sa compétence en matière de sols et des risques pris en l’absence d’étude de sol.
La cour d’Amiens condamne l’architecte à réparer la perte de chance du maître d’ouvrage d’obtenir la reprise des malfaçons qui n’ont pas pu être imputées aux entrepreneurs.
Le maître d’œuvre a en effet failli à sa mission d’assistance dans les opérations de réception, en attestant que les réserves émises à la réception avaient été toutes levées (Amiens, 4 juin 2013, RG n°11-03584).
LA SOUS-TRAITANCE SOUS L’ŒIL DU JUGE
Le maître d’ouvrage est libre d’accepter ou de refuser un sous-traitant, et le droit d’agréer ou de refuser ses conditions de paiement est discrétionnaire et n’a pas à être motivé ; le seul fait d’accepter l’un et de refuser l’autre ne rend pas en lui-même l’ensemble des décisions abusives (Paris, 25 septembre 2013, RG n°11/18187).
Engage sa responsabilité le maître d’ouvrage qui n’a pas mis en demeure l’entreprise de lui présenter le sous-traitant dont il ne pouvait ignorer l’intervention, dès lors que ledit sous-traitant s’est vu confier une demande de devis et une étude avec réalisation de plans, ce qui lui donnait une visibilité certaine (Paris, 11 octobre 2013, RG n°12/02887).
Le défaut de réaction du maître d’ouvrage prive en effet le sous-traitant d’une délégation en paiement et de son droit à paiement (Aix-en-Provence, 7 novembre 2013, KG n° 2013/463).
Le sous-traitant n’est par ailleurs pas fautif d’être intervenu de manière occulte sur un chantier, dès lors d’une part qu’il justifie avoir demandé à l’entrepreneur principal de lui transmettre l’accord du maître d’ouvrage, et qu’en tout état de cause, le sous-traitant n’est pas tenu de se manifester auprès du maitre d’ouvrage ni d’exiger auprès de l’entreprise principale son agrément (Paris, 13 novembre 2013. RG n°12/12003).
Une telle responsabilité quasi délictuelle du maître d’ouvrage ne peut être engagée si ce dernier n’a eu connaissance de la présence du sous-traitant qu’après avoir réglé l’entrepreneur principal (Poitiers, 14 juin 2013, RG n°11/016957).
Les sous-traitants sont débiteurs d’une obligation de résultat à l’égard de l’entrepreneur principal qui dispense ce dernier de prouver une faute précise (Paris, 11 septembre 2013, RG n°11/05732).
Ce défaut de respect par le sous-traitant de ses obligations contractuelles (mise en œuvre d’un matériel dangereux pour la sécurité de personnes, en l’espèce) constitue par ailleurs une faute quasi délictuelle envers le maître d’ouvrage (Versailles, 10 juin 2013, RG n°11/08226).
L’EXÉCUTION DES MARCHÉS
L’entrepreneur s’oblige à la réalisation de ses travaux dans un délai raisonnable au regard de leur ampleur et de ses obligations contractuelles (Bordeaux, 27 juin 2013, Juris-Data n°2013-026299).
Doit être condamné à la restitution de la retenue de garantie, le maître d’ouvrage qui le retient au titre de désordres dénoncés postérieurement à la réception et non au titre de la levée des réserves faites lors de la réception, et qui n’a pas notifié son opposition au paiement de la retenue de garantie dans l’année de la réception des travaux (Besançon, 12 juin 2013, RG n°08/03430).
LA VEFA
La responsabilité du vendeur en l’état futur d’achèvement au titre de désordres, ne relevant pas de la garantie décennale, n’est engagée qu’en cas de faute prouvée (Aix-en-Provence, 14 novembre 2013, RG n°2013/501 et 12/02996). Il est par ailleurs toujours soumis à la présomption de responsabilité civile décennale au titre de désordres satisfaisant aux conditions de gravité requises (Paris, 27 septembre 2013, 10/23176, JD 2013-021695).
LES ASSURANCES
L’assurance dommages ouvrage
La participation de l’assureur dommages ouvrage aux opérations d’expertise ne constitue pas une renonciation à se prévaloir de l’absence de déclaration de sinistre préalable pour invoquer l’irrecevabilité de la future action au fond du maître d’ouvrage (Aix-en-Provence, 27 juin 2013, RG n°12/04524).
Pas plus qu’elle ne vaut renonciation tacite à se prévaloir du délai de prescription biennale (lorsqu’elle est effectuée sous toutes réserves de garantie) (Paris, 11 octobre 2013, RG n°12/04718).
Une nouvelle désignation d’un expert dommages ouvrage n’est pas une déclaration de sinistre (Paris, 11 octobre 2013, RG n°12/04718).
Les activités déclarées
Les activités « menuiseries intérieures et extérieures » et « ravalement » ne font pas partie des activités déclarées « artisans du bâtiment-risques professionnels », en conséquence de quoi la police d’assurance est inapplicable aux désordres affectant les menuiseries (Versailles, 17 juin 2013, RG n°11/08994).
Responsabilité de l’assureur dommages ouvrage
Lorsque les manquements de l’assureur à ses obligations nées du contrat d’assurance dommages ouvrage contribuent à la survenance d’un second sinistre… il engage sa responsabilité contractuelle (Aix-en-Provence, 19 septembre 2013, RG n°2013/354).