L’OUVRAGE, l’ELEMENT D’EQUIPEMENT
ET LA RECEPTION
Qualification d’ouvrage ou d’élément
d’équipement
Une installation de panneaux photovoltaïques incorporés
dans un bâtiment existant qui a nécessité la dépose de l’ancienne toiture et
son remplacement, assurant ainsi une fonction de clos, de couvert et
d’étanchéité du bâtiment, doit recevoir la qualification d’ouvrage au sens de
l’article 1792 du Code civil (CA Montpellier, 1
e ch., Section AO1, 5
février 2015, RG n° 14/03241). En revanche, un « générateur photovoltaïque
», qualifié en la circonstance d’élément d’équipement dissociable, est jugé comme
ayant une destination professionnelle au sens de l’article 1792-7 du Code civil
en raison de sa finalité de revente d’énergie entre professionnels. Ce qui
exclut l’application des articles 1792 à 1792-3 du Code civil (CA Paris,
Pôle 4 Chambre 6, 24 février 2015, n° 13/16719).
Quid
de la pompe à chaleur installée à l’extérieur du pavillon existant couplée à un
pilote hydroélectrique posé à l’intérieur, le tout sans percement du sol ni
enterrement de câbles, les raccordements n’ayant nécessité que le percement des
murs pour faire passer les liaisons ? La cour d’appel d’Amiens relève que
le démontage de l’installation apparaît réalisable sans détérioration du
support, seul le colmatage des trous de passage des liaisons devant être alors
assuré. L’installation ne constitue donc ni un ouvrage au sens de l’article1792du
Code civil, ni un
élément indissociable au sens de l’article 1792-2 et relevant de la garantie de
l’article 1792-3, mais un élément relevant de la seule la responsabilité
contractuelle de droit commun de l’article 1147, puisqu’elle a été adjointe à
un ouvrage existant (CA Amiens, 1
e ch., 17 février 2015, n° 13/04474).
Une centrale électrogène de secours faisant partie
d’une unité complète composée d’ateliers en froid positif et en chambres froides, d’une chaîne de dosage et de conditionnement ainsi que d’un poste de
livraison électrique, n’est pas assimilée à un ouvrage, puisqu’elle est démontable
et ne fait pas corps avec le bâtiment (CA Toulouse, 2
e ch.,1
e Section, 14 janvier
2015, n° 12/01051).
L’installation d’une chaudière qui consiste en la mise en
place de tuyaux, leur raccordement, et la mise en œuvre d’une évacuation, ne
constitue pas davantage un ouvrage (CA Lyon, 1
e ch. A, 30 avril 2015, n°
13/09224).
Réceptions
tacite et judiciaire, et leurs effets
La seule prise de possession de l’immeuble apparaît insuffisante à
caractériser la réception tacite par une volonté non équivoque d’accepter avec
ou sans réserve les travaux, au regard, d’une part, des nombreux désordres et
non-conformités au document technique unifié (DTU) et aux règles de l’art
dénoncées par le maître d’ouvrage et, d’autre part, de l’absence de paiement
intégral du prix (CA Aix-en-Provence, 3
e ch. A, 15 janvier 2015, n°13/16286).
La
réception judiciaire des travaux de rénovation d’une maison d’habitation est
fixée à la date d’un constat d’huissier. Certains désordres apparents à cette
date, décrits dans le constat, ne purgent toutefois pas la responsabilité décennale
des constructeurs, puisqu’ils se sont révélés dans leur ampleur et leur gravité
décennale postérieurement à la réception judiciaire (CA Poitiers, 1
e ch., 23 janvier 2015, n°13/02922).
La réception
judiciaire d’une autre maison est fixée à la date d’achèvement des travaux et
de son habitabilité, c’est-à-dire en l’espèce à la date d’un protocole prenant
en compte les réserves formulées par les maîtres d’ouvrage, et ce, alors même
que la remise des clefs n’a été ordonnée judiciairement que sept mois plus tard
(CA Poitiers, 1
e ch., 6 février 2015, n°13/02966).
LES GARANTIES LEGALES
Droit à
agir
Les
vendeurs d’un bien immobilier ne sont pas recevables à agir sur le fondement de
la responsabilité décennale, même en réparation d’un dommage survenu avant la
cession et dont ils ont eux-même demandé réparation par l’introduction d’une
assignation délivrée avant la vente. En effet, à la date de leurs dernières
conclusions, ils n’étaient plus propriétaires du bien (CA Paris, Pôle 4, ch. 5, 21 janvier 2015, RG n° 12/23554).
Imputabilité
des responsabilités
L’entrepreneur qui
réalise des travaux de reprise consistant en la pose de 34 picots sous dallage
pour stabiliser l’immeuble ne justifie d’aucune cause étrangère exonératoire de
responsabilité au motif de l’inadaptation des fondations mises en œuvre par le
constructeur d’origine, dès lors qu’il a été spécialement mandaté pour remédier
au vice de construction existant. Il est donc jugé responsable des
désordres constatés affectant les fondations et le gros œuvre qui compromettent
la solidité de l’ouvrage. (CA Bordeaux, 1
e ch. section A, 26 janvier
2015, RG n° 12/06964). On
relèvera que la Cour de cassation a rendu récemment deux arrêts en sens inverse
(
Cass. 3e civ., 8 avril 2014, n° 13-16692 ;
Cass. 3e civ., 17 décembre 2013, n° 12-29642).
Gravité
décennale
L’impropriété à destination d’un bâtiment à usage d’agence
bancaire à raison de désordres de nature esthétique affectant les panneaux de bois
de revêtement de façade n’est pas retenue par la Cour d’appel de Paris, faute
de circonstances particulières (immeuble classé ou de grand standing par
exemple). L’absence
d’élément susceptible de révéler que l’aspect prématurément vieilli des
panneaux de parement litigieux aurait eu un quelconque impact
sur l’activité de l’établissement bancaire a conduit à écarter l’impropriété à
destination alléguée (CA Paris, Pôle 4 ch. 6, 17 avril 2015, n° 13/20370).
Si les fissures affectant la façade et les enduits intérieurs d’un
autre bâtiment génèrent un préjudice esthétique important, elles n’ont
d’incidence ni sur la solidité, ni sur l’impropriété à destination des locaux ;
mais engagent la responsabilité contractuelle du constructeur qui n’a pas
attiré l’attention du maître d’ouvrage sur le manque de vérification de la nature
du sol et a poursuivi les des travaux d’affouillement sans alerter le maître de
l’ouvrage (CA Lyon, 20 janvier 2015, n° 13/06812).
Le défaut de planéité d’une cuisine et la non-conformité aux
règles de l’art de la mini-chape (son épaisseur étant inférieure aux
prescriptions du DTU applicable) ne suffisent pas à caractérisé l’impropriété à
la destination de l’ouvrage dès lors que les maîtres d’ouvrage, qui affirment
interdire l’accès de la cuisine à leurs enfants et craindre la chute d’une
chaise sur la pente créée, ne le démontrent pas (CA Paris, pôle 4 ch. 6, 20
février 2015, n° 12/09784).
Le fait que le carrelage d’un pavillon sonne creux sur une partie
de la salle à manger et ponctuellement dans d’autres pièces n’est pas considéré
comme une pathologie structurelle et ne porte atteinte à la destination de
l’immeuble, les occupants n’étant pas en danger (CA Douai, ch. A, 2e section, 4
février 2015, n° 14/01401).
En
revanche, le défaut de fermeture de la porte-fenêtre du séjouretle
défaut d’étanchéité à l’eau de la porte-fenêtre de la chambre peuvent relever
de la garantie décennale des constructeurs dès lors qu’ils entraînent une
impropriété de l’ouvrageà sa destination au sens del’article 1792 du Code civil
(CA Bordeaux, 1
e ch.,
section B, 22 janvier 2015, n°13/02372).
Prescription
La
prescription décennale est acquise dès lors que l’action judiciaire de
l’acquéreur a été exercée plus de dix ans après la réception des travaux de
reprise en sous-œuvre de l’entrepreneur. L’acquéreur ne peut se prévaloir
de l’effet interruptif des assignations en référé délivrées par l’assureur
dommage ouvrage avant l’expiration du délai de dix ans (CA Paris, Pôle 4, ch. 6, 23 janvier 2015, n° 13-13998).
La participation à une expertise amiable peut valoir renonciation tacite à
se prévaloir de la prescription/forclusion du délai décennal, dès lors que les
circonstances établissent sans équivoque la volonté d’y renoncer. En l’espèce,
de telles circonstances n’étaient pas démontrées. De plus, et surtout, à la date
de la participation à l’expertise, la prescription n’était pas acquise. Or, en
vertu de l’article 2250 du code civil, « seule une prescription acquise
est susceptible de renonciation » (CA Bordeaux, 5
ech., 14 janvier 2015, n° 13/00162).
MARCHES DE TRAVAUX
La
découverte de l’état de la structure au cours de la phase de démolition n’est
pas une circonstance imprévisible pouvant permettre la sortie du forfait défini
à l’article 1793 du Code civil. Les travaux en litige n’avaient pas une ampleur
de nature à bouleverser l’économie du marché. En conséquence, le contractant
général titulaire d’un marché à forfait n’est pas fondé à réclamer au maître
d’ouvrage le paiement de travaux supplémentaires (CA Lyon 8
e ch., 3 février 2015,
n°13-06831).
La cour
d’appel de Pau a par ailleurs rappelé que les dispositions de l’article 1793 du
Code civil ne sont pas applicables à une convention de sous-traitance entre
deux entreprises (CA Pau, 1
e Ch.,
12 janvier 2015, n° 13/02685).
RESPONSABILITE TOUS AZIMUTS
Garantie
des vices cachés
Le
syndicat des copropriétaires étant tiers au contrat de vente entre le promoteur
immobilier et chacun des copropriétaires acquéreurs, il n’est pas titulaire des
actions issues du contrat de vente que lesdits copropriétaires peuvent exercer
sur le fondement de la garantie des
vices cachés. (CA Paris, Pôle 4 ch. 6, 23 janvier 2015, RG n° 11/10206).
Un diagnostic annexé à l’acte de vente fait état de traces
d’humidité jusqu’à 37%, de champignons, de pourriture molle et de la
dégradation par pourriture au premier étage et fait mention de «
Mesures conservatoires
: danger grave et imminent sur les ouvrages ou certains éléments de l’immeuble
objet de la présente mission ».
S’il ne mentionne pas expressément le mot « mérule », le
diagnostic était suffisamment clair pour qu’un acquéreur profane prenne
conscience des infiltrations et de la dégradation consécutive aux champignons de
pourriture cubique ou molle. Le vice est donc jugé apparent, ce qui empêche
l’action fondée sur la garantie des vices cachés de prospérer (CA Rennes 4
e
ch., 4 février 2015, n° 11/06646).
Troubles
anormaux de voisinage
Une perte annuelle d’ensoleillement de moins d’une heure par jour,
essentiellement en hiver au soleil couchant, n’est pas suffisante pour exercer
une action judiciaire fondée sur la théorie des troubles anormaux de voisinage,
eu égard à la zone urbanisée, même de façon diffuse et aérée, dans laquelle
s’insère la construction qui respecte le plan d’occupation des sols et les
règles d’urbanisme (CA Bordeaux, 5e
Chambre, 5 février 2015, RG n° 13/21192).
La menace d’effondrement d’un terrain situé en
amont et objet de travaux, sur le terrain voisin, situé à l’aval, cause un
trouble anormal de voisinage, peu importe que la propriétaire du premier des
deux terrains ait obtenu un permis de construire. En effet, le respect des
dispositions légales ou administratives n’exclut pas
l’existence éventuelle de troubles excédant les inconvénients normaux de voisinage.
Le propriétaire du terrain situé en amont est seul condamné sous astreinte à
remédier à la situation, en construisant un mur de soutènement ou un talus-glacis suffisant pour retenir les terres
situées au-dessus (CA Caen, 1
e ch, 20 janvier 2015, RG n°
12/02867).
Des travaux occultant un jour au niveau du sol
qui, de par sa taille, est insuffisant à éclairer la cuisine, ne caractérisent
pas l’existence d’un trouble anormal de voisinage, l’expert
notant par ailleurs que l’insuffisance d’éclairement a été compensée par la
pose de vitres dans la cloison séparant la cuisine du salon qui, lui, ouvre sur
la rue (CA Paris, pôle 4 ch. 1, 15 janvier 2015, n°12/14360).
EXPERTISE
Le
défaut de la convocation à certaines réunions d’expertise à laquelle doit procéder
l’expert judiciaire en vertu de l’article 160 du Code de procédure civile
justifie le prononcé de la nullité du rapport, dès lors que les sociétés
défenderesses n’ont pas été en mesure de communiquer leurs dires en temps voulu
avec toutes les informations leur permettant de le faire. La cour d’appel de
Bordeaux énonce que si des investigations purement matérielles et techniques
peuvent se dérouler hors la présence des parties, comme le relevé de mesures
acoustiques pour lesquelles le caractère inopiné et non programmé peut se
révéler utile, il n’en reste pas moins que ces opérations ne doivent pas porter
atteinte aux droits de la défense (CA Bordeaux, 1
e
ch. section A, 26 janvier 2015, RG n° 13/3096).
ASSURANCES
Déclaration
de risques
Postérieurement aux désordres survenus sur le site, il est apparu
que l’architecte avait déclaré à son assureur une activité limitée au permis de
construire, alors que le contrat l’avait investi d’une mission complète. L’assureur
était donc fondé à solliciter l’application de la règle proportionnelle édictée
à l’article L.113-9 du Code des assurances, et à obtenir que l’architecte ne
soit garanti qu’à hauteur de 35 % des condamnations susceptibles d’être mises à
sa charge, puisqu’il n’avait payé une cotisation égale qu’à 35 % de celle qu’il
aurait dû régler en cas de déclaration exacte et complète (CA Bordeaux, 1
e
ch. section B, 16 février 2015, n° 13/02177).
Les maîtres d’ouvrage à qui a été transmise une attestation
d’assurance de responsabilité civile de l’entreprise couvrant l’activité de « conditionnement
air ventilation » sont fondés à soutenir qu’une pompe à chaleur est un
dispositif permettant de transférer de la chaleur d’une source froide vers une
source chaude au moyen d’appareils utilisant les techniques de conditionnement
de l’air ou de l’eau. L’activité dommageable entrait donc bien dans le
champ d’application des activités pour lesquelles l’entreprise est assurée, et
ce peu importe que ladite entreprise n’ait pas déclaré l’activité
d’installation de pompe à chaleur (CA Orléans, 19 janvier 2015, n° 14/0025).
Règle proportionnelle
L’augmentation non déclarée à l’assureur de l’effectif de l’entreprise -qui
est passé de 8 à 11 salariés- modifie l’opinion qu’à l’assureur des risques
encourus par son assuré et a justifié l’application d’une réduction
proportionnelle de primes de 30 % (CA Orléans, 19 janvier 2015, n° 13/03828).
Clause formelle et limitée
La
formulation d’une clause de la police d’assurance excluant la garantie pour les
dommages résultant «
du fait intentionneloudu
dol de l’adhérent, définis dans le présent contrat comme les conséquences de la
violationoude
l’omission caractérisée d’une des obligations contractuellesourègles
professionnelles stipulées à l’annexe, accomplie même sans intention de
provoquer le dommage » est génératrice d’ambiguïté, source
d’interprétations et est susceptible de s’appliquer à des quantités incertaines
de situations.
En
effet, elle introduit de manière maladroite et confuse les conséquences de la
violationoude
l’omission caractérisée d’une des obligations contractuelles d’une part, et ne
satisfait pas à la définition de la faute intentionnelle de l’assuré qui
implique la volonté de créer le dommage et non pas seulement d’en créer le
risque d’autre part. Cette clause doit donc être considérée comme non
écrite, puisqu’en application de l’article L. 113-1 du Code des assurances, une clause d’exclusion de garantie
ne peut être qualifiée de « formelle et limitée » dès lors qu’elle
doit être interprétée (CA Toulouse, 1
e ch. section 1, 23 février
2015, n°13/02854).
Tous
Risques Chantier (TRC)
En
application de l’article L.121-12 du Code des assurances, l’assureur TRC
subrogé dans les droits du maître d’ouvrage n’a pas qualité à exercer son
action subrogatoire à l’encontre de ses propres assurés constructeurs et leurs
sous-traitants. Mais il est toutefois recevable à agir à l’encontre de leurs
assureurs de responsabilité, lesquels ne sont pas recevables à agir dans leurs
recours internes à l’encontre des autres assurés dès lors que cela reviendrait
à annuler pour eux le bénéfice de l’assuranceTRC (CA
Paris, pôle 4
e, ch. 6, 20 mai 2015, RG n°13/09122).
Dommages
ouvrage
La majoration de l’intérêt légal, due de plein droit à titre de
sanction aux termes de l’article L.242-1 du Code des assurances pour non-respect des
délais de 60 et 90 jours de la procédure amiable en dommages ouvrage,
s’applique à compter d’une sommation de payer ou de tout acte équivalent, en l’espèce, de
l’assignation de l’assureur (CA Rennes, 4e chambre, 5 février 2015, n°11/07648).
Erratum
La précédente chronique de
jurisprudence relative aux marchés privés, parue dans « Le Moniteur »
du 17 avril 2015, contient une erreur quant au sens de deux arrêts relatifs à
la sous-traitance (Cass. 3
e civ., 8 juillet 2014, n°13-20055 ;
Cass. 3
e civ., 8 juillet 2014, n°11-22274, 11-22742). ces arrêts
précisent que, par application de l’article 2270-1 du code civil, dans sa
rédaction alors applicable, les actions formées contre le sous-traitant,
se prescrivent par dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son
aggravation. Il faut donc retenir de ces arrêts que, lorsque l’action
judiciaire est introduite à l’encontre du sous-traitant avant l’entrée en
vigueur de l’ordonnance du 8 juin 2005 portant modification de diverses
dispositions relatives à l’obligation d’assurance dans le domaine de la
construction (soit le 10 juin 2005), il doit être fait application du régime
antérieur. Pour rappel, lorsque l’action est engagée postérieurement au 10 juin
2005, il est fait une application immédiate (et non rétroactive) de la loi, c’est-à-dire
que la prescription décennale des actions en responsabilité dirigées
contre un sous-traitant court à compter du 10 juin 2005. A noter que la
prescription est acquise si le délai prévu par la loi antérieure a expiré avant
le délai prévu par la législation nouvelle.