Revue générale du droit des assurances, 01 janvier 2016 n° 1, P. 38
ASSURANCE
Appréciation de l’étendue/intensité de l’obligation de conseil de l’assureur en fonction de la compétence de l’assuré
Police CNR ; Devoir d’information et de conseil; Assureur et agent général ; Risque garanti ; Garantie constructeur non réalisateur ; Intervention en tant que maître d’œuvre ; Absence d’information donnée à l’agent général ; Devoir d’information et de conseil envers un professionnel de la construction (non)
ASSURANCE
par Jean-Pierre Karila
avocat à la cour
docteur en droit
professeur à l’ICH
chargé d’enseignement à l’Institut des Assurances de Paris Dauphine
Cass. 2e civ., 10 déc. 2015, no 15-13305, F–PB
Il ne peut être reproché à l’assureur de ne pas avoir averti le professionnel de la construction, souscripteur d’une police CNR que le contrat d’assurance ne garantirait pas l’activité, non-révélée ni déclarée, de maîtrise d’œuvre d’exécution.
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Caen, 22 octobre 2013), que par acte notarié du 27 janvier 2004, la SCI du Colisée Beaulieu (la SCI) a vendu une maison individuelle en l’état futur d’achèvement à M. et Mme Y. ; que les travaux ont été réalisés sous la maîtrise d’œuvre de la SCI, le lot « gros œuvre » étant confié à la société CMCR et le lot « charpente » à la société Normbat ; que la SCI a souscrit, dans le cadre de cette opération de construction, un contrat d’assurance incluant diverses garanties auprès de la société Generali assurances IARD (la société Generali) ; que se plaignant de désordres apparus après la livraison de l’immeuble, M. et Mme Y. ont assigné en réparation de leurs préjudices la SCI, les sociétés CMCR et Normbat, placées depuis en liquidation judiciaire, ainsi que la société Generali, prise en sa qualité d’assureur de responsabilité décennale de la société CMCR et d’assureur dommages-ouvrage ; que la SCI a réclamé l’exécution des garanties souscrites auprès de la société Generali et invoqué subsidiairement un manquement du mandataire de l’assureur à son devoir de conseil ;
Attendu que la SCI fait grief à l’arrêt de rejeter son appel en garantie à l’encontre de la société Generali, alors, selon le moyen :
1°/ que l’assureur est tenu d’un devoir d’information et de conseil envers son assuré, même professionnel ; qu’à ce titre, l’assureur doit éclairer l’assuré sur l’adéquation du contrat souscrit à ses besoins ; que pour écarter la faute de l’assureur, les juges ont décidé qu’« il appartenait à la SCI, professionnelle de la construction, de vérifier que les contrats d’assurance souscrits par elle correspondaient effectivement à ses besoins » ; que ce faisant, les juges du fond ont violé, par refus d’application, l’article 1147 du Code civil ;
2°/ que l’assureur est tenu d’un devoir d’information et de conseil envers son assuré, même professionnel ; qu’à ce titre, l’assureur doit s’enquérir quant aux besoins de l’assuré aux fins de lui fournir une assurance adaptée ; que cette obligation s’impose de plus fort dès lors que l’assuré est tenu par la loi de souscrire une police d’assurance ; qu’en relevant que la SCI aurait dû informer l’assureur de ce qu’elle interviendrait sur le chantier, quand il appartenait à l’assureur de s’informer des besoins de l’assuré tenu de souscrire une police au titre de l’article L. 241-1 du Code des assurances, les juges du fond ont, à nouveau, violé, par refus d’application, l’article 1147 du Code civil ;
3°/ qu’en retenant qu’il n’était pas établi que la SCI ait informé l’assureur de ce qu’elle interviendrait sur le chantier, quand il appartenait à l’assureur d’établir qu’il s’était lui-même informé des besoins de l’assuré, les juges ont inversé la charge de la preuve et violé l’article 1315 du Code civil ;
Mais attendu qu’ayant constaté que la SCI était une professionnelle de la construction ; qu’elle avait souscrit une garantie constructeur non réalisateur dont la définition impliquait qu’elle ne participe pas directement à l’acte de construire et qu’il ne résultait d’aucun élément du dossier qu’elle ait informé l’agent d’assurance de ce qu’elle interviendrait sur le chantier en qualité de maître d’œuvre, la cour d’appel a pu en déduire, sans inverser la charge de la preuve, qu’il ne pouvait être reproché à l’assureur ou à son mandataire d’avoir manqué à son obligation de conseil en ne l’avertissant pas qu’elle ne serait pas garantie au titre d’une telle activité ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
1. L’arrêt rapporté renvoie à la question de savoir si l’assureur – ou encore l’intermédiaire d’assurance dont la situation est assimilable à celui-ci –, tenu, comme tout professionnel d’une obligation d’information et de conseil à l’égard de l’assuré, doit satisfaire à cette obligation alors que ce dernier est lui-même un professionnel de la matière ou encore du risque, objet de la couverture d’assurance.
2. L’arrêt rapporté répond négativement à cette question, à raison, à juste titre, des circonstances de l’espèce.
L’assuré était une Société Civile Immobilière Professionnelle de la construction qui a souscrit auprès de l’assureur un contrat d’assurance dit « Constructeur Non Réalisateur » par abréviation « CNR », type de contrat habituellement souscrit par des professionnels n’intervenant pas directement au niveau de la conception ou de la réalisation des ouvrages immobiliers, qu’ils confient à d’autres professionnels dont les compétences, au contraire des leurs, sont d’abord et surtout d’ordre technique.
Le contrat d’assurance « CNR », classiquement souscrit par les professionnels tels que vendeurs d’immeuble à construire ou marchands de biens, n’a pas vocation en conséquence à assumer les risques techniques de la construction alors même qu’il couvre la responsabilité encourue également par les techniciens ci-avant évoqués, c’est-à-dire les constructeurs au sens de l’article 1792-1 du Code civil, comme notamment l’architecte, les entrepreneurs et autres techniciens liés au maître d’ouvrage par un contrat de louage d’ouvrage.
3. Or, dans les circonstances de l’espèce ayant donné lieu à l’arrêt rapporté, la Société Civile Immobilière avait, de facto, assumé la fonction de maître d’œuvre d’exécution de la réalisation d’un ensemble immobilier composé de 25 maisons individuelles avec garage d’une part, et d’un immeuble de logements d’autre part, ce qu’ignorait l’assureur, l’agent général n’ayant pas été informé par l’assuré souscripteur du contrat « CNR » quant à ce.
4. La Société Civile Immobilière prétendait devant le juge du fond que l’assureur lui devait garantie, l’importance de la prime d’assurance réglée prouvant que la garantie accordée « devait inclure la maîtrise d’œuvre ».
La cour de Caen, constatant que le seul document faisant état des relations contractuelles entre la Société Civile Immobilière et l’assureur était une note de couverture visant les garanties « dommages-ouvrage, garantie de bon fonctionnement, CNR, TRC, RC maître d’ouvrage », a jugé notamment « qu’un Constructeur Non-Réalisateur ne participe pas directement à l’acte de construire », tandis que l’assuré « ne conteste pas avoir assumé la maîtrise d’œuvre d’exécution de l’ensemble immobilier dont s’agit » d’une part, et que « l’importance de la prime – qui incluait l’assurance dommages-ouvrage – n’est pas en soi révélatrice d’une volonté des parties de garantir la maîtrise d’œuvre », d’autre part.
5. Le moyen unique de cassation comprenant trois branches prétendait à la violation par refus d’application de l’article 1147 du Code Civil d’une part et celle de l’article 1315 dudit Code pour inversion de la charge de la preuve d’autre part, ne pouvait être rejeté.
En effet, selon la doctrine la plus autorisée, « Le devoir d’information n’existe que lorsque les juges sont convaincus d’un déséquilibre de connaissances. Lorsqu’aucun texte ne l’impose, un contractant est en principe tenu de délivrer toute information pertinente, au regard de l’opération contractuelle, à l’autre, si ce dernier ne peut la connaître et la recueillir au moyen d’une diligence raisonnable, c’est-à-dire, lorsque son ignorance est non-fautive » (J. Ghestin, G. Loiseau, Y.-M. Serinet, La formation du contrat, t. 1, LGDJ, 4e éd. 2013, n° 1700).
Ou encore, comme l’indique la doctrine ci-avant évoquée dans une formule plus « ramassée » et significative : « Il n’est pas besoin d’informer celui qui sait déjà » ! (J. Ghestin, G. Loiseau, Y.-M. Serinet, ibid, n° 1730).
6. L’arrêt rapporté s’inscrit donc dans l’esprit d’un certain nombre d’arrêts ayant adopté la même solution comme par exemple :
– un arrêt du 9 avril 2002 ((Cass. 1re civ., 9 avr. 2002, n° 99-12967)) qui valide un arrêt de la cour de Rennes qui avait débouté l’assuré de sa demande de dommages-intérêts pour manquement de l’assureur à son obligation d’information et de conseil, sur les conséquences d’une limitation de garantie à des embarcations à moteur d’une puissance maximale de 300 CV, avait relevé que : « […> le gérant de la société assurée était à la tête d’une entreprise importante et qu’en sa qualité de spécialiste de la réparation navale, il ne pouvait ignorer le sens de la limite de tonnage […] » ;
– un arrêt du 18 mars 1997 ((Cass. 1re civ., 18 mars 1997, n° 95-13464)) qui valide un arrêt de la cour de Nîmes qui avait débouté l’assuré de son recours à l’encontre de ses deux assureurs successifs – l’un au titre d’un contrat « multi-garantie » – le couvrant en sa qualité de médecin-conseil de tout accident corporel, le second, à raison de la cessation de ses fonctions de médecin-conseil au titre d’un contrat « Assurance Habitation et Famille » ne reprenant pas entièrement la couverture d’assurance des conséquences de tout accident corporel, la validation étant opérée au motif que ledit assuré « n’a pu ignorer, alors et surtout qu’il était expert de compagnie d’assurance, l’étendue du risque pour lequel il se garantissait […] ».
Ou encore :
– un arrêt du 24 octobre 2013 ((Cass. 2e civ., 24 oct. 2013, n° 12-27000) : Bull. civ. II, n° 207) énonçant : « qu’il ne saurait être reproché au courtier d’assurance d’avoir manqué de diligence en n’avisant pas son client de l’existence de la prescription biennale et des procédés à mettre en œuvre pour l’interrompre, dès lors que Mme X., mandataire judiciaire, dispose des compétences nécessaires pour connaître de cette prescription spéciale, rappelée expressément aux conditions générales du contrat d’assurances, et qu’elle était assistée d’un conseil professionnel du droit » ;
– un arrêt du 5 février 2015 ((Cass. 2e civ., 5 févr. 2015, n° 13-24856), 13-26789 : (RGDA mars 2015, p. 134, n° 111y9), note M. Asselain) qui valide un arrêt de la cour de Bordeaux qui avait débouté un assuré de sa demande de dommages-intérêts à l’encontre de son assureur qu’il avait pourtant avisé – semble-t-il – de la modification des conditions d’exploitation d’un tiers occupant le terrain voisin de l’ouvrage assuré.
La validation ayant été opérée par la Haute Juridiction au motif qu’il ne pouvait être reproché à l’assureur de s’être abstenu de procéder à une visite des locaux appartenant à un tiers et qu’il appartenait en revanche à l’assuré d’attirer l’attention de l’assureur sur la modification du risque éventuel causée par l’extension ou la modification des conditions d’exploitation de celui-ci.
7. Un arrêt du 29 octobre 2014 important à raison essentiellement du fait qu’il avait trait au principe du respect du corps humain, rendu à l’occasion de l’exposition « Our body / À corps ouvert » ((Cass. 1re civ., 29 oct. 2014, n° 13-19729) : Bull. civ. I, n° 178 ; (RGDA janv. 2015, p. 16, n° 111t2), note critique J. Kullmann) avait cependant cassé un arrêt de la Cour de Paris en ce qu’il avait débouté le souscripteur/assuré de sa demande de dommages-intérêts pour manquement des assureurs à leur devoir d’information et de conseil en n’attirant pas son attention sur le risque d’annulation de l’exposition litigieuse.
8. On ne peut pas dire pour autant que l’arrêt ci-avant évoqué constitue un revirement de jurisprudence par rapport aux arrêts ci-avant cités (supra. n° 6), ni que l’arrêt rapporté du 10 décembre 2015 qui sera publié au Bulletin, constitue un désaveu de celui du 29 octobre 2014.
Tout est une question en définitive d’espèces, étant néanmoins rappelé que le principe selon lequel l’étendue/l’intensité de l’obligation d’information et de conseil ou de mise en garde est, ou devrait, quant à lui, être intangible et guider la réflexion et la décision des juges.