Architectes intervenant en tant qu’agents publics ; Assurance RC obligatoire (art. 16, loi du 3 janvier 1977 sur l’architecture) ; Architectes en chef des monuments historiques ; Contrat de maîtrise d’œuvre ; Qualité de fonctionnaires (oui) ; Qualité d’agents publics (non) ; Absence d’obligation pour l’État de souscrire l’assurance obligatoire. RGDA mars 2019, p. 37, note Jean-Pierre Karila
1. La question qui était posée au Conseil d’État, statuant comme juge de cassation, était celle de savoir si le statut de fonctionnaire des architectes en chef des monuments historiques – lorsqu’ils interviennent à la demande de l’État, maître de l’ouvrage, pour assurer la maîtrise d’œuvre des travaux de restauration sur des immeubles classés au titre des monuments historiques – entraîne ou non leur responsabilité à raison de leurs actes professionnels ou de ceux de leurs préposés.
2. Le Conseil d’État répond par la négative en rejetant un pourvoi formé à l’encontre d’un arrêt de la cour administrative d’appel de Paris du 22 février 2017 qui avait débouté un architecte en chef des monuments historiques notamment de sa demande de remboursement des cotisations d’assurance qu’il avait dû acquitter depuis qu’il était lié à l’État, en raison de l’abstention fautive de celui-ci de ne lui avoir pas fourni les attestations d’assurance nécessaires à son activité professionnelle au service de l’État en sa qualité de fonctionnaire pour les missions de maîtrise d’œuvre portant sur la restauration d’immeubles classés au titre des monuments historiques.
Le statut « très particulier » des architectes en chef des monuments historiques
3. Le titre ci-dessus est emprunté à celui d’un article de référence en la matière de Pierre Delvolvé « Un statut très particulier : le statut des architectes en chef des monuments historiques », RFDA 2007 p. 1227.
Statut très particulier et très ancien défini d’abord par un décret du 12 avril 2007 conférant, pour assurer la protection du patrimoine, un monopole aux architectes en chef des monuments historiques pour les travaux de maîtrise d’œuvre de travaux de restauration des immeubles classés au titre des monuments historiques appartenant à l’État (ceux ne lui appartenant pas pouvant être confiés à un architecte titulaire d’un diplôme de spécialisation et d’approfondissement en architecture) lesdits architectes étant, pour l’exercice de ces missions, rétribués, non par un traitement indiciaire, mais par des honoraires, ainsi que le prévoit un décret du 22 mars 1908 relatif à l’organisation du service d’architecture des bâtiments civils et des palais nationaux, toujours en vigueur, et un décret n° 2007-1405 du 28 septembre 2007 modifié par un décret n° 2009-749 du 22 juin 2009.
C’est le Conseil d’État qui a reconnu aux architectes en chef des monuments historiques la qualité de fonctionnaires (CE ass., 11 juill. 2015, n° 83-09 : publié au Recueil Lebon), qualité qui leur a été, par la suite, reconnue par le pouvoir réglementaire, l’article 1er du décret précité du 28 septembre 2007 énonçant en son premier alinéa que :
« les architectes en chef des monuments historiques sont des architectes, fonctionnaires de l’État, recrutés sur concours pour exercer des missions de service public »,
et en son alinéa 2 que :
« les architectes en chef des monuments historiques sont autorisés à exercer en outre la profession d’architecte à titre privé. »
L’article 3 de ce décret, disposant au paragraphe III que :
« les architectes en chef des monuments historiques assurent la maîtrise d’œuvre des travaux de restauration sur les immeubles classés au titre des monuments historiques appartenant à l’État qu’il a remis en dotation à ses établissements publics, dont ils assurent la surveillance en application du II du présent article »,
étant souligné que le II ci-avant précité fait référence à la mission de surveillance et de conseil des architectes en chef des monuments historiques.
L’article 6 du décret précité énonçant, en son alinéa 1er, que :
« les architectes en chef des monuments historiques exercent leur profession d’architecte selon les modalités d’exercice prévues par la loi »,
tandis que le second alinéa dispose que :
« la responsabilité des architectes en chef assurant la maîtrise d’œuvre des travaux portant sur des immeubles classés au titre des monuments historiques s’exerce selon les dispositions du Code civil et de la loi du 3 janvier 1977… »
Or, la loi n° 77-2 du 3 janvier 1977 sur l’architecture énonce en son article 16, en ses trois premiers alinéas :
« Tout architecte, personne physique ou morale, dont la responsabilité peut être engagée en raison des actes qu’il accomplit à titre professionnel ou des actes de ses préposés, doit être couvert par une assurance [Mis en gras par le rédacteur de la présente note]. Chaque année, toute personne assujettie à cette obligation produit au conseil régional de l’ordre des architectes dont il relève une attestation d’assurance pour l’année en cours.
Lorsque l’architecte intervient en qualité d’agent public, en qualité de salarié d’une personne physique ou morale dans les cas prévus à l’article 14 ou en qualité d’associé d’une société d’architecture constituée sous la forme d’une société à responsabilité limitée ou d’une société anonyme conformément à l’article 12, la personne qui l’emploie ou la société dont il est l’associé est seule civilement responsable des actes professionnels accomplis pour son compte et souscrit l’assurance garantissant les conséquences de ceux-ci [Mis en gras par le rédacteur de la présente note].
Une attestation d’assurance est jointe, dans tous les cas, au contrat passé entre le maître de l’ouvrage et l’architecte ou, le cas échéant, son employeur. »
La motivation de l’arrêt du 22 février 2017 de la cour administrative d’appel de Paris
4. Pour rejeter la demande de Monsieur B., architecte en chef des monuments historiques, tendant à la condamnation de l’État, la cour administrative d’appel de Paris, dans son arrêt ci-avant évoqué du 22 février 2017 (CAA Paris, n° 15PA03330), avait jugé que dans le cadre des missions de maîtrise d’œuvre qui leur sont confiées par l’État, les architectes en chef des monuments historiques n’agissaient pas en qualité d’agents publics de l’État, mais se trouvaient dans une relation contractuelle d’architectes à maître d’ouvrage aux motifs :
– qu’ils bénéficiaient d’un mode de rémunération dérogatoire par rapport au régime général de la fonction publique ;
– qu’ils pouvaient exercer à titre privé et lucratif pour la maîtrise d’œuvre de travaux autres que ceux dont ils avaient la charge et que les commandes de l’État empruntaient une forme contractuelle ;
– que le second alinéa de l’article 16 de la loi du 3 janvier 1977, comme les dispositions de l’article L. 243-1 du Code des assurances, aux termes duquel « les obligations d’assurance ne s’appliquent pas à l’État lorsqu’il construit pour son compte » invoqué par l’architecte B., ne peuvent être interprétés comme dispensant les architectes en chef des monuments historiques de souscrire une assurance pour les conséquences des opérations qu’ils accomplissent, dans le cadre des missions que l’État leur confie par le biais d’actes qui ne constituent pas des ordres hiérarchiques donnés à des agents publics, mais s’analysent comme des actes contractuels par lesquels l’État, maître d‘ouvrage, leur commande, en leur qualité d’architectes, des prestations de maîtrise d’œuvre.
Analyse succincte du moyen unique de cassation : erreur de qualification des rapports entre l’État et les architectes en chef des monuments historiques
5. Aux termes de son moyen unique de cassation, l’architecte en chef des monuments historiques, Monsieur B., fait grief à l’arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Paris d’être entaché d’une erreur de qualification juridique en ce qui concerne les rapports entre l’architecte et l’État d’une part, etd’une erreur de droit, d’autre part, pour avoir écarté toute faute de l’État de nature à engager sa responsabilité, au motif que lorsqu’ils conduisent des missions de maîtrise d’œuvre qui leur sont confiées par l’État, les architectes en chef des monuments historiques n’agissent pas en qualité d’agents publics.
Plus précisément, Monsieur B., invoquait essentiellement le texte de l’article 1er du décret précité du 28 septembre 2007, aux termes duquel les architectes en chef des monuments historiques sont définis comme fonctionnaires de l’État, recrutés sur concours pour exercer des missions de service public, mais aussi :
– les dispositions de l’article 16 de la loi précitée du 3 janvier 1977 sur l’architecture, notamment le 2ealinéa dudit article énonçant que la personne qui emploie l’architecte intervient en qualité d’agent public et est « seule civilement responsable des actes professionnels accomplis pour son compte et souscrit l’assurance garantissant les conséquences de ceux-ci »,
– l’article L. 243-1 du Code des assurances qui dispose que « Les obligations d’assurance ne s’appliquent pas à l’État lorsqu’il construit pour son compte. »
Monsieur B. soutenait en conséquence qu’il résultait des principes et dispositions ci-dessus rappelés que s’il lui appartenait de s’assurer pour la part de son activité exercée à titre privé, comme le lui permet son statut, et de fournir l’attestation correspondante, en revanche, pour la part d’activité relevant des missions qui lui sont assignées en qualité d’agent public de l’État, qui est son propre assureur, c’est ce dernier qui doit lui délivrer directement un document attestant qu’il est couvert, soit rembourser les dépenses qu’il a pu ou s’est trouvé contraint d’effectuer pour s’assurer.
La motivation de l’arrêt de rejet du Conseil d’État
6. Conformément aux conclusions du Rapporteur Public, Madame S-J Lieber, la Haute Juridiction a rejeté le pourvoi à l’encontre de l’arrêt de la Cour Administrative d’Appel de Paris du 22 février 2017.
La Haute Juridiction, après avoir rappelé :
– les dispositions du jugement de première instance du 1er juillet 2014 du Tribunal Administratif de Paris (ledit jugement ayant été remplacé pour une question formelle, par un autre jugement dans les mêmes termes du 1er juillet 2015),
– les dispositions des trois alinéas de l’article 16 de la loi précitée du 3 janvier 1977 sur l’architecture,
– que les architectes en chef des monuments historiques sont, en vertu des dispositions statutaires les concernant, des architectes fonctionnaires de l’État ayant notamment pour mission d’assurer la maîtrise d’œuvre des travaux de restauration sur les immeubles classés au titre des monuments historiques dont ils assurent la surveillance ; qu’ils interviennent alors dans le cadre d’un contrat de maîtrise d’œuvre à propos duquel leur responsabilité peut être engagée à raison des actes qu’ils accomplissent à titre professionnel ou des actes de leurs préposés, lesdits architectes en chef des monuments historiques n’intervenant pas, nonobstant leur qualité de fonctionnaires, en qualité d’agents publics au sens des dispositions de la loi du 3 janvier 1977 sur l’architecture,
a estimé en conséquence que pour juger que l’État n’avait pas commis de faute de nature à engager sa responsabilité, la cour administrative d’appel de paris s’était notamment fondée sur le fait que Monsieur B. ne pouvait utilement invoquer les dispositions de l’article 16 de la loi du 3 janvier 1977 au motif qu’il n’était pas intervenu en qualité d’agent public au sens de ces dispositions, pour l’exécution des travaux litigieux, et que contrairement à ce que soutenait le requérant, elle avait, ce faisant, exactement qualifié les faits qui lui étaient soumis et n’avait pas commis d’erreur de droit.
Portée normative de l’arrêt du Conseil d’État
7. La portée normative de l’arrêt nous semble évidente.
On ajoutera à cet égard que selon Madame S-J Lieber, Rapporteur Public, le décret n° 2009-749 du 22 juin 2009 relatif à la maîtrise d’œuvre sur les immeubles classés au titre des monuments historiques, qui reprend l’essentiel d’un décret du 5 mars 1987 relatif aux honoraires et vacations alloués aux architectes en chef et aux vérificateurs, prévoyait déjà que la maîtrise d’œuvre confiée aux architectes en chef des monuments historiques l’est en vertu d’un « contrat de maîtrise d’œuvre » (de facto, le décret ne reproduit pas expressément les termes de « contrat de maîtrise d’œuvre ») quel que soit le maître d’ouvrage d’une part, tandis que dans le décret du 5 mai 1987 précité, la détermination des modalités de passation des « commandes » de l’État et des honoraires des architectes en chef des monuments historiques aboutissait déjà à reconnaître le caractère contractuel de la commande passée par l’État auprès des architectes en chef des monuments historiques, bien que les intéressés soient des fonctionnaires de l’État, agissant pour le compte de l’État, sur des immeubles lui appartenant (CE, 17 oct. 2016, n° 38-91131, Tinchant), rendu au sujet d’un vérificateur de monuments historiques dont le statut est très proche de celui des architectes en chef des monuments historiques. On peut également citer un arrêt de section du 5 mars 1982 du CE (CE, 5 mars 1982, n° 18296, 18359, 22099, 22462, Publié au Recueil Lebon) dont fait état le Rapporteur Public, Madame S-J Lieber, dans ses conclusions, arrêt qui paraît exclure l’engagement de la responsabilité de l’État à raison de la faute commise par un architecte en chef des monuments historiques lors des missions de maîtrise d’œuvre, puisque par cet arrêt, le Conseil d’État a validé un jugement du tribunal administratif de Nantes en ce qu’il avait admis que l’État, qui s’était chargé de la réparation d’un immeuble classé aux monuments historiques ne lui appartenant pas, peut appeler en garantie son architecte en chef des monuments historiques.