Il résulte desdispositions des articles L. 242-1 et L. 121-12 du code des assurances que l’assurance de dommages souscrite pour son compte ou pour celui des propriétaires successifs par toute personne physique ou morale qui, agissant en qualité de propriétaire de l’ouvrage, de vendeur ou de mandataire du propriétaire de l’ouvrage, fait réaliser des travaux de bâtiment, est une assurance de choses bénéficiant au maître de l’ouvrage et aux propriétaires successifs ou à ceux qui sont subrogés dans leurs droits. L’assureur qui a pris en charge la réparation de dommages ayant affecté l’ouvrage de la nature de ceux dont sont responsables les constructeurs au sens de l’article 1792-1 du code civil se trouve subrogé dans les droits et actions du propriétaire à l’encontre des constructeurs.
Conseil d’Etat (5e et 4e ss-sections. réunies)
20 mars 2013
requête n°343434,
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
Smabtp c/ Bureau Veritas et Darras & Jouanin
« …
1. Considérant qu’il ressort des pièces du
dossier soumis aux juges du fond que la ville de Paris a confié la rénovation
d’une école élémentaire, située 50-54 rue Gutenberg, à la société d’économie
mixte d’équipement et d’aménagement du quinzième arrondissement de Paris (SEMEA
XV), qui a souscrit une assurance de dommages-ouvrage auprès de la société
mutuelle d’assurances du bâtiment et des travaux publics (SMABTP) ; que la
société » Darras et Jouanin » a été chargée, sous la maîtrise
d’oeuvre de M. B…A…, architecte, et le contrôle technique de la société
» Bureau Veritas « , de l’exécution des travaux, qui ont été
réceptionnés le 28 juillet 1992 ; qu’à la suite de l’apparition de désordres
sur les façades de l’école, la SEMEA XV a sollicité la garantie de la SMABTP,
qui lui a été accordée par décision du 2 mars 1998 ; qu’après avoir pris en
charge les frais engagés pour sécuriser les lieux et recherché la cause des
désordres, la SMABTP a saisi le tribunal administratif de Paris d’une demande
de condamnation de M. A…, de la société » Darras et Jouanin » et de
la société » Bureau Veritas » à lui rembourser la somme de 141 162,
24 euros ; que cette demande a été rejetée par un jugement du 26 février 2008,
confirmé par un arrêt du 2 juillet 2010 de la cour administrative d’appel de
Paris, contre lequel la SMABTP se pourvoit en cassation ;
2. Considérant, d’une part, qu’aux termes de
l’article L. 242-1 du code des assurances, l’assurance de dommages, souscrite
pour son compte ou pour celui des propriétaires successifs par toute personne
physique ou morale qui, agissant en qualité de propriétaire de l’ouvrage, de
vendeur ou de mandataire du propriétaire de l’ouvrage, fait réaliser des
travaux de bâtiment, garantit » (…) en dehors de toute recherche des
responsabilités, le paiement de la totalité des travaux de réparation des
dommages de la nature de ceux dont sont responsables les constructeurs au sens
de l’article 1792-1 du code civil » ; qu’aux termes de l’article L. 121-12
du code des assurances, » l’assureur qui a payé l’indemnité d’assurance
est subrogé, jusqu’à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions
de l’assuré contre les tiers qui, par leur fait, ont causé le dommage ayant
donné lieu à la responsabilité de l’assureur » ; qu’il résulte de ces
dispositions que l’assurance de dommages est une assurance de choses
bénéficiant au maître de l’ouvrage et aux propriétaires successifs ou à ceux
qui sont subrogés dans leurs droits et que l’assureur qui a pris en charge la
réparation de dommages ayant affecté l’ouvrage de la nature de ceux dont sont
responsables les constructeurs au sens de l’article 1792-1 du code civil se trouve
subrogé dans les droits et actions du propriétaire à l’encontre des
constructeurs ;
3. Considérant qu’en rejetant la demande de la
SMABTP, qui avait pris en charge, dans le cadre de la garantie
dommages-ouvrage, le coût des opérations nécessaires pour sécuriser les lieux
et rechercher la cause de désordres de la nature de ceux dont sont responsables
les constructeurs au sens de l’article 1792-1 du code civil, aux motifs que la
mission de la SEMEA XV s’était achevée le 28 juillet 1992 lors de la réception
des travaux litigieux et que seule la ville de Paris avait qualité pour mettre
en jeu la responsabilité décennale des constructeurs, alors que l’assurance de
dommages souscrite par la SEMEA XV bénéficiait à la ville de Paris et que la
SMABTP était subrogée dans les droits de cette dernière, la cour a commis une
erreur de droit ; que, par suite et sans qu’il soit besoin d’examiner les
autres moyens du pourvoi, la SMABTP est fondée à demander l’annulation de
l’arrêt du 2 juillet 2010 ;
(…)
D E C I D E :
————–
Article 1er : L’arrêt du 2 juillet 2010 de la
cour administrative d’appel de Paris est annulé.
Article 2 : L’affaire est renvoyée à la cour
administrative d’appel de Paris.
(…). »
Note
Plus de cinq années après la réception d’une opération de rénovation d’une école élémentaire appartenant à la Ville de Paris, des fissures affectent la façade de l’établissement rénové, ce qui justifie que la Société d’économie mixte du quinzième arrondissement de Paris (SEMEA XV), maître d’ouvrage délégué à ladite opération, déclare le sinistre auprès de la Smabtp auprès de qui ladite Société d’économie mixte avait souscrit une police dommages ouvrage au bénéfice de la Ville de Paris.
L’assureur –sur la base d’un rapport d’expertise judiciaire- paiera une indemnité à la SEMEA XV d’un montant de 141.162,24 € représentant le coût des mesures provisoires et d’investigations.
La Smabtp exercera ensuite un recours subrogatoire devant le Tribunal administratif à l’encontre de l’entreprise, le maître d’œuvre et le bureau de contrôle.
Le tribunal administratif comme la Cour administrative d’appel (CAA Paris, 2 juillet 2012, n° 08PA02167) diront irrecevable l’action de l’assureur dommages ouvrage au motif qu’il ne justifiait pas de la qualité à agir à l’encontre des constructeurs de l’ouvrage sur le fondement de leur responsabilité civile décennale dès lors qu’il avait indemnisé le maître d’ouvrage délégué après que la mission de celui-ci se soit déjà achevée, puisque, énonce la Cour administrative d’appel, sauf clause contraire dans la convention de mandat, ladite mission s’achevait à la réception des travaux. Seule la Ville de Paris avait donc –selon ladite Cour administrative- qualité à agir, en sa qualité de propriétaire de l’ouvrage litigieux.
La Cour administrative d’appel de Paris ne contestait donc pas à l’assureur sa faculté d’exercer une action subrogatoire (et c’était heureux puisque la jurisprudence administrative ne le niait pas – voir notamment CAA Paris, Chambre 4, 24 septembre 1996, n° 93PA01390 ; CAA Paris, Chambre 2, 22 février 1996, n° 92LY00820) pas plus que la compétence de la juridiction administrative, conformément à la jurisprudence applicable (voir notamment CAA Bordeaux ,Chambre 6, 6 novembre 1990, n° 89BX00458, Rec. CE 1990, tables p. 638) ; mais déniait tout effet subrogatoire au paiement de l’indemnité sus évoquée par la Smabtp à la SEMEA XV au motif qu’à la date dudit paiement, son mandat de représentation de la Ville de Paris n’était plus valable.
Cette décision des juges du fond était bien surprenante tant il est vrai qu’il parait plus que contestable de priver l’assureur dommages ouvrage du bénéfice de sa subrogation dès après la réception des travaux, alors précisément que l’assureur Dommages Ouvrage a normalement vocation à s’appliquer postérieurement à la réception de l’ouvrage d’une part tandis que quand bien même la mission de la SEMEA XV aurait expirée –ce que la lecture de l’arrêt d’appel et celui du Conseil d’Etat ne permet pas de remettre en cause, elle conservait la qualité de souscripteur du contrat d’assurance qui laissait présumer, jusqu’à preuve contraire, que l’indemnité qui lui avait été réglée l’avait bien été au bénéfice des intérêts de la Ville de Paris d’autre part.
Le Conseil d’Etat ne s’y est pas trompé puisqu’il a annulé l’arrêt d’appel pour erreur de droit au considérant que « l’assurance de dommages souscrite par la SEMEA XV bénéficiait à la ville de Paris et que la SMABTP était subrogée dans les droits de cette dernière ».
Le résumé de l’arrêt publié énonce : « Il résulte des dispositions des articles L. 242-1 et L. 121-12 du code des assurances que l’assurance de dommages souscrite pour son compte ou pour celui des propriétaires successifs par toute personne physique ou morale qui, agissant en qualité de propriétaire de l’ouvrage, de vendeur ou de mandataire du propriétaire de l’ouvrage, fait réaliser des travaux de bâtiment, est une assurance de choses bénéficiant au maître de l’ouvrage et aux propriétaires successifs ou à ceux qui sont subrogés dans leurs droits. L’assureur qui a pris en charge la réparation de dommages ayant affecté l’ouvrage de la nature de ceux dont sont responsables les constructeurs au sens de l’article 1792-1 du code civil se trouve subrogé dans les droits et actions du propriétaire à l’encontre des constructeurs.»
La qualité de souscripteur de l’assurance dommages ouvrage de la SEMEA XV d’une part et de bénéficiaire de ladite assurance de la Ville de Paris d’autre part apparait constituer la double motivation de l’annulation de l’arrêt d’appel ; le résumé de l’arrêt du Conseil d’Etat reproduit ci-dessus précisant :
- que la nature d’« assurance de choses bénéficiant au maître de l’ouvrage et aux propriétaires successifs ou à ceux qui sont subrogés dans leurs droits » n’est pas différente selon que le souscripteur est le propriétaire bénéficiaire ou son « mandataire » ; ce qui fait implicitement écho à la qualité de mandataire de la SEMEA XV prise en sa qualité de maître d’ouvrage délégué,
- et que seule la « [prise] en charge [par l’assureur de] la réparation de dommages ayant affecté l’ouvrage de la nature de ceux
dont sont responsables les constructeurs au sens de l’article 1792-1 du code
civil » suffit à la subrogation légale « dans les droits et actions du propriétaire à l’encontre des
constructeurs », ce qui
fait primer l’affectation de l’indemnité d’assurance à la réparation du
dommages sur l’identité de la personne qui l’a perçue ; situation inconnue
dans les circonstances de l’affaire considérée dès lors que le différent portait
non pas sur l’effet subrogatoire du paiement du montant utile à la réparation
mais sur ce même effet à raison du paiement du coût de mesures conservatoires
et d’investigations, mais qui doit à l’évidence recevoir le même traitement dès
lors que lesdites mesures sont engagées aux fins de la réduction des risques
d’aggravation et de l’établissement du meilleur mode réparatoire.
On relèvera que ce faisant, ledit résumé inclut implicitement mais nécessairement dans le coût de la réparation des dommages de la nature de ceux dont sont responsables les constructeurs au sens de l’article 1792-1 du Code Civil, le « coût des opérations nécessaires pour sécuriser les lieux et rechercher la cause de désordres »
Cette solution est conforme à celle déjà consacrée par la Cour de Cassation par un arrêt du 6 décembre 2006 (Cass. 3e Civ. 6 décembre 2006 n°05-17553, Bull. Civ. III n°240), et réitéré par un arrêt du 9 février 2010 (Cass.3e Civ. 9 février 2010 n°09-13283).
RGDA 2013 p.651