Ancien ID : 216
Assurance de dommages obligatoiresGarantie avant réception. Nécessité d’une mise en demeure de l’entrepreneur. Garantie des dommages immatériels (non). Garantie du paiement du coût des ouvrages inexécutés (non).
Il résulte de l’article L 242-1 du Code des Assurances et de l’article A 243-1 du même Code et de son annexe II que l’assurance obligatoire « Dommages Ouvrage » a pour objet de mettre à la charge de l’assureur le coût afférent à la remise en état des ouvrages ou éléments d’équipement de l’opération endommagés à la suite d’un sinistre et que la garantie de l’assureur de dommages ne saurait s’étendre de plein droit au paiement des travaux qui ne répondent pas à la nécessité de réparer les conséquence d’un sinistre affectant des ouvrages ou éléments d’équipement déjà exécutés.
Cour de cassation, (1ère Ch. civ.) 27 avril 1994, n° 92-13276
Mutuelles du Mans c/Robert et autres
La Cour,
Attendu, selon les énonciations des juges du fond, que les époux Robert, qui avaient chargé, en 1987, M. FOUCAULT, entrepreneur, de la construction d’une maison, ont souscrit une assurance « Dommages Ouvrage » auprès de la compagnie Les Mutuelles du Mans, actuellement Les Mutuelles du Mans assurances IARD; que par lettre datée du 1er février 1988, adressée à M. FOUCAULT, ils ont déclaré résilier leur contrat; qu’aucune réception des travaux n’est intervenue; que, se plaignant de désordres et de l’inachèvement des travaux de construction, ils ont assigné M. FOUCAULT, M. PINAULT, architectes, ainsi que Les Mutuelles du Mans prises en leur double qualité d’assureur de responsabilité de
M. FOUCAULT et d’assureur « Dommages Ouvrage »; que l’arrêt attaqué a mis hors de cause M. PINAULT ainsi que la Compagnie Les Mutuelles du Mans, prise en sa qualité d’assureur de M. FOUCAULT, dit n’y avoir lieu à condamnation in solidum de M. FOUCAULT de la Compagnie Les Mutuelles du Mans à la réparation du dommage et condamné cette dernière « seule » au paiement d’une somme d’argent aux époux Robert.
Sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en ses deux branches :
Vu les articles 1139 du Code Civil et L 242-1 du Code des Assurances;
Attendu que, pour condamner à garantie Les Mutuelles du Mans, prises en leur qualité d’assureur des époux Robert, l’arrêt attaqué énonce qu’aucun texte ne prescrit que la mise en demeure, dont l’existence en la cause n’est pas contestée, soit formalisée par lettre recommandée avec demande d’avis de réception.
Attendu qu’en se déterminant ainsi, sans rechercher, ainsi qu’elle y était invitée, s’il ressortait des termes de la lettre du 1er février 1988 une interpellation suffisante valant mise en demeure d’achever les travaux, la Cour d’Appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés;
Sur le second moyen du même pourvoi, pris en sa première branche :
Vu l’article L 242-1 du Code des Assurances, ensemble l’article A 243-1 du même Code et son annexe II contenant les clauses types applicables aux contrats d’assurance dommages;
Attendu qu’il résulte de ces textes que l’assurance obligatoire de « Dommages Ouvrage » a pour seul objet de mettre à la charge de l’assureur le coût afférent à la remise en état des ouvrages ou éléments d’équipement de l’opération de construction endommagés à la suite d’un sinistre; qu’il en résulte que la garantie de l’assureur de dommages ne saurait s’étendre de plein droit au paiement de travaux qui ne répondent pas à la nécessité de réparer les conséquences d’un sinistre affectant des ouvrages ou éléments d’équipement déjà exécutés;
Attendu que pour condamner la Compagnie Les Mutuelles du Mans à payer une somme de 315.000 francs aux époux Robert, la Cour d’Appel a énoncé que le jugement entrepris devait être confirmé en ce qu’il a homologué le rapport d’expertise;
Attendu qu’en se déterminant ainsi, alors que l’expert avait calculé cette somme en prenant en considération des dommages immatériels, des pénalités de retard et la réalisation d’ouvrages ou d’éléments d’équipement qui, indépendamment de tout sinistre, n’ont pas été exécutés par l’entrepreneur défaillant, la Cour d’Appel a violé le texte susvisé;
Sur le moyen unique du pourvoi provoqué pris en sa première branche :
Vu l’article 4 du nouveau Code de procédure civile;
Attendu que, selon ce texte, l’objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties et que le juge ne peut se prononcer que sur ce qui lui est demandé;
Attendu que la Cour d’Appel a infirmé le jugement déféré en ce qu’il avait condamné in solidum M. FOUCAULT et la Compagnie Les Mutuelles du Mans à payer une somme d’argent aux époux Robert en réparation de leur dommage, et a condamné l’assureur seul au paiement de cette somme;
Attendu qu’en statuant ainsi, alors qu’elle n’était saisie d’aucune demande tendant à décharger M. FOUCAULT de la condamnation prononcée contre lui par le Tribunal, la Cour d’Appel a violé le texte susvisé;
Par ces motifs et sans qu’il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du second moyen du pourvoi principal ni sur la seconde branche du moyen unique du pourvoi incident,
Casse et annule mais seulement en ce qu’il a condamné la Compagnie Les Mutuelles du Mans à prendre en charge le dommage subi par les époux Robert et à leur payer une somme d’argent, et en ce qu’il a mis hors de cause M. FOUCAULT, l’arrêt rendu le 8 janvier 1992, entre les parties, par la Cour d’Appel de Basse-Terre…
Note. 1. La mise en œuvre de la garantie de l’assureur « Dommages Ouvrage » suppose au préalable que le maître de l’ouvrage ait mis en demeure l’entrepreneur d’exécuter ses obligations d’une part, et qu’ensuite du caractère infructueux de cette mise en demeure, le contrat de louage d’ouvrage conclu avec ledit entrepreneur ait été résilié pour inexécution par ce dernier de ses obligations, d’autre part (article L 242-2 al. 8 du Code des Assurances).
2. Si les conditions de mise en œuvre de la garantie sont réunies (mise en demeure et résiliation du contrat de louage d’ouvrage), l’assureur « Dommages Ouvrage » doit assurer le paiement des travaux de réparation de la nature physique de ceux qui relèvent, après la réception de l’ouvrage, de la garantie décennale des constructeurs par application de l’article 1792 ou encore de l’article 1792-2 dudit Code, c’est-à-dire des dommages d’une certaine gravité, ainsi que le paiement des travaux de démolition, déblaiement ou démontage nécessaires à ladite réparation.
En aucun cas, l’assureur « Dommages Ouvrage » ne doit garantir le paiement de la terminaison des travaux, car l’assurance « Dommages Ouvrage » n’est pas une assurance multirisques ni une garantie de bonne fin (Réponse ministérielle n°33-870, JOANQ, 11 avril 1988, p. 1557), le risque de non-achèvement de la construction relevant d’une garantie financière (Cas. Civ. 3ème), 14 février 1989, R.G.A.T. 1989.584, 2ème espèce, note J. Bigot, Cas. Civ. 3ème, 10 mai 1989, R.G.A.T. 1989.583, note J. Bigot).
3. L’assureur « Dommages Ouvrage » ne couvre que les dommages matériels affectant l’ouvrage ayant pour conséquence, par application des textes précités, soit de compromettre la solidité de celui-ci, ou qui, l’affectant dans l’un de ses éléments constitutifs ou de l’un de ses éléments d’équipement, le rendent impropre à sa destination (Article 1792 C. Civ.), ou encore qui affectent la solidité d’un élément d’équipement d’un bâtiment « indissociable » au sens de l’article 1792-2 du Code Civil.
L’assureur « Dommages Ouvrage » ne garantit pas le paiement des dommages immatériels, sauf bien évidemment en cas de souscription de la garantie facultative des dommages immatériels consécutifs à des dommages matériels garantis.
4. Dans la circonstance de l’espèce ayant donné lieu à l’arrêt rapporté, la Cour de Basse-Terre avait manifestement violé les principes ci-dessus rappelés (sur ces principes voir « l’assurance des dommages à l’ouvrage » par J.P. Karila et J. Kullmann in Lamy Assurances, n° 2188 et 2191).
C’est ainsi qu’au retard de l’exigence d’une mise en demeure avant résiliation du contrat d’entreprise – mise en demeure que l’article 1139 du Code Civil estime effective, notamment en cas de sommation ou d’un « acte équivalent » – la Cour de Basse-Terre s’était contentée de déclarer notamment qu’aucun texte ne prescrit qu’elle soit formalisée par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, sans rechercher, comme elle y était invitée, s’il ressortait des termes d’une lettre, qu’elle avait assimilée à une mise en demeure, une interpellation suffisante à cet égard.
C’est ainsi encore qu’alors que comme dit ci-dessus, l’assureur « Dommages Ouvrage » ne garantit pas – sauf stipulation particulière – les dommages immatériels d’une part, et en aucun cas le coût de certains ouvrages ou éléments d’équipements d’autre part, la Cour de Basse-Terre, pour condamner l’assureur « Dommages Ouvrage » s’était contentée d’homologuer un rapport d’expertise et plus particulièrement le montant total figurant dans ledit rapport des différents chefs de préjudice du maître de l’ouvrage, au nombre desquels figuraient notamment des dommages immatériels, des pénalités de retard, ainsi que le coût de l’achèvement de l’ouvrage ! … La cassation était donc certaine et ne peut qu’être approuvée.
La cassation était d’autant plus certaine au regard des principes et de la jurisprudence ci-dessus évoquée que quelques semaines auparavant, la Cour Suprême avait eu l’occasion de déclarer clairement, en cassant, pour violation de l’article L 242-1 du Code des Assurances et de l’article A 243-1 dudit Code et son annexe II contenant les clauses type applicables au contrat d’assurance « Dommages Ouvrage », un arrêt d’une Cour d’Appel qui avait condamné un assureur « Dommages Ouvrage » à supporter le coût d’ouvrages et d’éléments d’équipement non encore exécutés, et ce indépendamment de tout sinistre (Civ. 1, 2 février 1994, Bull. Civ. 1, n° 40, R.G.A.T. 1994.561, première espèce note H. Perient-Marquet).
Cette solution ne doit pas être confondue avec celle adoptée en matière de dommages consécutifs à une absence d’ouvrage, la jurisprudence admettant dans cette hypothèse la prise en charge par l’assureur du coût de l’exécution des ouvrages non prévus, lorsque cette exécution est nécessaire à la réparation de l’ouvrage (voir « l’assurance des dommages à l’ouvrage » par J.P. Karila et J. Kullmann in Lamy Assurances, n° 2194).
C’est pour bien marquer cette différence que la Cour Suprême dans l’arrêt rapporté indique que la garantie de l’assureur de dommages ne saurait s’étendre de plein droit au paiement des travaux qui ne répondent pas à la nécessité de réparer les conséquences d’un sinistre affectant des ouvrages ou éléments d’équipement déjà exécutés.
Jean-Pierre Karila – RGAT 1994-04, p. 1160