Ancien ID : 992
Assurance construction – Assurance de responsabilité. Expertise – Principe du contradictoire.
C’est sans méconnaître le principe du contradictoire énoncé par l’article 16 du Code de Procédure Civile qu’une Cour d’Appel s’est déterminée en considération seulement d’un rapport d’expertise dès lors que celui-ci avait été versé aux débats et soumis à la discussion contradictoire des parties (1re espèce).
Dès lors que l’assureur, bien que ni présent ni appelé aux opérations d’expertise, a pu contradictoirement débattre des conclusions de l’expert et, le cas échéant, solliciter une nouvelle mesure d’expertise, la Cour d’Appel a, à juste titre, déclaré le rapport d’expertise opposable à l’assureur et ainsi justifié sa décision (2e espèce).
1) Cour de cassation (2e Ch. civ.) 8 septembre 2011 Pourvoi no 10-19919
Publié au Bulletin (1re espèce)
« M. et Mme X c/ SDCP du…
La Cour,
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Versailles, 12 avril 2010), que M. et Mme X, propriétaires de lots dans un immeuble en copropriété, (…), se plaignant de désordres, ont assigné en référé la société ayant vendu l’immeuble ainsi que d’autres copropriétaires et ont obtenu l’institution d’une expertise, qui a ensuite été rendue commune à divers intervenants à la construction et à leurs assureurs ; qu’après le dépôt du rapport de l’expert, ils ont fait assigner devant un tribunal de grande instance plusieurs parties, parmi lesquelles le syndicat des copropriétaires en demandant la condamnation de ce dernier à réaliser les travaux préconisés par l’expert ;
Sur le deuxième moyen du pourvoi principal :
Attendu que le syndicat des copropriétaires fait grief à l’arrêt d’accueillir la demande, alors, selon le moyen, que le juge doit observer et faire observer en toutes circonstances le principe de la contradiction ; qu’il ne peut donc exclusivement fonder sa décision à l’encontre d’une partie sur les résultats d’une expertise judiciaire à laquelle celle-ci n’a été ni appelée ni représentée ; qu’en décidant le contraire, la cour d’appel a violé l’article 16 du Code de procédure civile ;
Mais attendu qu’ayant relevé que le rapport d’expertise avait été versé aux débats et soumis à la discussion contradictoire des parties, c’est sans méconnaître les dispositions de l’article 16 du Code de procédure civile, que la cour d’appel s’est déterminée en considération de ce seul rapport ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;
Et attendu que les autres moyens du pourvoi principal et le moyen unique du pourvoi incident ne sont pas de nature à permettre leur admission ;
Par ces motifs :
Déclare le pourvoi incident non admis ;
Rejette le pourvoi principal ;
Condamne le syndicat des copropriétaires du … aux dépens ; »
2) Cour de cassation (Ch. crim.) 13 décembre 2011 Pourvoi no 11-81174
Publié au Bulletin (deuxième espèce)
« Mutuelles des Transports Assurances (MTA) c/ Mme Muriel X
La Cour,
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 16 du Code de procédure civile, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
« en ce que l’arrêt attaqué a déclaré le rapport d’expertise opposable à la MTA et condamné celle-ci à garantir Mme X des condamnations civiles prononcées à son encontre au profit de M. Y ;
« aux motifs qu’il résulte des pièces versées et des débats que la compagnie d’assurance MTA, assureur de Mme X, n’était pas présente lors du jugement rendu le 8 juillet 2008 par le tribunal de police ; qu’à la suite de cette décision, l’affaire a été renvoyée sur les intérêts civils à l’audience du 25 novembre 2008 ; que l’expert a déposé son rapport le 3 février 2009 ; que, par lettre recommandée avec accusé de réception du 25 février 2009, le conseil de M. Y a appelé en la cause la société CEA, pensant qu’il s’agissait de la compagnie d’assurance de Mme X ; que la société CEA, qui, en sa qualité de courtier, n’est pas l’assureur de Mme X, a pris la peine d’informer la compagnie d’assurance MTA qui est intervenue volontairement à l’audience du 23 juin 2009 ; que la compagnie d’assurances MTA a déposé des conclusions le 28 juillet 2009 qui, au principal, visent l’inopposabilité du rapport d’expertise médicale et, à titre subsidiaire, formulent des offres d’indemnisation sur quatre postes de préjudices ; qu’il est ainsi établi que la compagnie d’assurance MTA a eu connaissance de l’expertise médicale de la victime et a discuté des indemnités sollicitées par celle-ci ; que la Cour de cassation considère que la décision judiciaire qui condamne un assuré à raison de sa responsabilité constitue, pour l’assureur qui a garanti celle-ci, la réalisation tant dans son principe que dans son étendue du risque couvert ; qu’elle ajoute que l’assureur qui, en connaissance des résultats de l’expertise dont le but est d’établir la réalité et l’étendue de la responsabilité de son assuré qu’il garantit, a eu la possibilité d’en discuter les conclusions ne peut, sauf s’il y a eu fraude à son encontre, soutenir qu’elle ne lui est pas opposable ; qu’en l’espèce, il ne peut être sérieusement contesté que la compagnie d’assurance MTA, informée par son courtier, la société CEA, de l’existence d’une procédure mettant en cause son assurée, est intervenue volontairement à l’instance, qu’elle a été informée de la décision rendue sur l’action publique et sur l’action civile, qu’elle a conclu au vu des conclusions du rapport d’expertise médicale de la victime ; qu’il convient, en conséquence, d’infirmer le jugement entrepris sur ce point et de déclarer ladite expertise opposable à la compagnie d’assurance MTA avec toutes conséquences de droit ;
« alors que le principe du contradictoire s’oppose à ce qu’une compagnie d’assurance soit condamnée à garantir un assuré des condamnations civiles prononcées contre celui-ci sur la seule base d’un rapport d’expertise lorsque cette compagnie d’assurance n’a été ni présente ni appelée aux opérations d’expertise ; qu’en déclarant opposable à la compagnie d’assurance MTA, assureur de la prévenue, le rapport d’expertise médicale du 3 février 2009 sur la seule base duquel elle a fixé le montant des réparations allouées à la victime tout en constatant que cette compagnie d’assurance n’avait été ni présente ni appelée aux opérations d’expertise, peu important qu’elle ait pu discuter devant elle les conclusions de ce rapport, la cour d’appel a méconnu les textes et le principe ci-dessus mentionnés » ;
Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure que le tribunal de police a déclaré Mme X responsable d’un accident de la circulation dont M. Y a été victime le 10 janvier 2008 ; que le tribunal de police, statuant sur les intérêts civils, après dépôt du rapport d’expertise médicale de la victime, le 3 février 2009, a condamné Mme X à réparer seule le préjudice subi par M. Y ;
Attendu que, pour écarter l’argumentation de l’assureur de Mme X, qui prétendait que le rapport d’expertise ne lui était pas opposable, et le condamner à garantir son assurée des condamnations prononcées à l’encontre de celle-ci, l’arrêt infirmatif attaqué retient que la compagnie d’assurance, prévenue par son courtier de l’existence d’une procédure mettant en cause son assurée, est intervenue volontairement à l’instance le 28 juillet 2009, qu’elle a été informée de la décision rendue sur l’action publique et sur l’action civile et qu’elle a conclu à titre subsidiaire au vu des conclusions du rapport d’expertise médicale de la victime ;
Qu’en statuant ainsi et dès lors que l’assureur, bien que ni présent ni appelé aux opérations d’expertise, a pu contradictoirement débattre des conclusions de l’expert et, le cas échéant, solliciter une nouvelle mesure d’expertise, la cour d’appel a justifié sa décision ;
D’où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l’arrêt est régulier en forme ;
Rejette le pourvoi… »
Note
1. Commentant dans cette revue (RGDA 2010, p. 741) un arrêt rendu le 27 mai 2010 par la 3e chambre civile (Cass. 3e civ, no 09-12693, Bull. civ. III, no 104), nous avions écrit « la question de l’opposabilité des résultats d’une expertise judiciaire à des personnes qui n’étaient pas parties à la décision de justice ayant donné lieu à la désignation de l’expert, ne peut faire l’objet d’un avis/réponse tranché et définitif mais nécessairement nuancé ».
2. Les arrêts rapportés qui consacrent une solution contraire à celle de l’arrêt précité du 27 mai 2010, mais analogue à celle retenue le 19 novembre 1999 par la 2e chambre civile (Cass. 2e Civ., 19 nov. 2009, no 08-19824, Bull. civ. II, no 273) commenté par le Professeur Groutel (Responsabilité civile et assurance 2010, com. no 55) nous conduit à réitérer cette appréciation et à souhaiter, au regard du caractère fluctuant et contradictoire des décisions des différentes chambres de la haute juridiction, la tenue sinon d’une Assemblée plénière du moins d’une chambre mixte.
3. La question de l’opposabilité d’un rapport d’expertise judiciaire renvoie au gré des espèces à des situations de faits totalement différentes.
On peut ici schématiquement recenser certains des principaux cas de figure savoir :
Première hypothèse : l’assuré est partie aux opérations d’expertise mais l’assureur ne l’est pas, cette première hypothèse recoupant de fait elle-même, deux situations possibles savoir :
– l’assureur n’est pas partie aux opérations d’expertise mais il en a eu connaissance par la déclaration de sinistre de son assuré ou tout autre moyen, et s’abstient de toute initiative ;
– l’assureur informé de l’existence des opérations d’expertise y participe de fait sans pour autant procéduralement y intervenir volontairement (assignation en référé à cette fin).
Deuxième hypothèse : l’assureur est l’objet soit d’une action directe du tiers victime, soit d’une action en garantie de son assuré, les actions ci-avant évoquées étant fondées sur un rapport d’expertise auquel l’assureur ni l’assuré n’ont été parties.
Troisième hypothèse : L’assureur est l’objet d’une action directe du tiers victime après condamnation de l’assuré dont la responsabilité a été ainsi retenue sur le fondement d’un rapport d’expertise auquel il a été partie, l’assureur ne l’ayant pas été et n’ayant pas eu connaissance de l’existence des opérations d’expertise.
4. On peut comprendre que les différentes situations de fait ci-dessus évoquées puissent donner lieu à des solutions différentes au gré de circonstances particulières des espèces considérées.
Mais pour autant il n’est pas satisfaisant qu’aucune règle générale ne puisse être dégagée et servir de guide au praticien c’est-à-dire en définitive au justiciable.
5. Les décisions rendues en la matière le sont au visa express ou implicite de l’article 16 du Code de procédure civile dont les deux premiers alinéas énoncent que :
« Le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.
Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d’en débattre contradictoirement. »
À s’en tenir littéralement et à première vue au deuxième alinéa de ce texte, le principe de la contradiction serait respecté dès lors que le rapport d’expertise aurait été produit aux débats et que les parties auxquelles il aurait été opposé aient été à même d’en débattre, peu important que lesdites parties aient été ou non parties aux opérations d’expertise ayant donné lieu au dépôt du rapport d’expertise dont s’agit.
Néanmoins, il ne s’agit, à la vérité que d’une appréciation purement formelle, dès lors qu’il est a priori difficile que la partie au procès à laquelle le rapport d’expertise est opposé, et dont les opérations ne se sont pas déroulées à son contradictoire, puisse effectivement être « à même » d’en débattre efficacement, sauf bien évidemment à recueillir, à cette fin, l’avis d’un autre technicien que celui désigné par le juge dont l’avis, serait par définition, sinon toujours du moins dans la plupart des cas, supplanté par celui que le juge aura désigné.
Peut-on en conséquence, considérer que le principe de la contradiction ne serait respecté que si la partie à laquelle le rapport d’expertise est opposé a été partie aux opérations d’expertise dont le rapport n’est que le résultat, après bien évidemment des constatations contradictoires et un débat contradictoire porté devant le technicien lui-même avant que celui-ci ne dépose son rapport
Doit-on considérer comme de nombreuses décisions l’ont admis, y compris a contrario l’arrêt précité du 27 mai 2010 (voir note précitée et la jurisprudence citée à cet égard), que dès lors que le juge ne fondrait pas sa décision uniquement sur le rapport d’expertise mais aussi sur « d’autres éléments de preuve » le principe de la contradiction serait respecté
La jurisprudence n’apporte pas de réponse claire ou uniforme à ces questions.
6. Première espèce, la Cour de cassation rejette le second moyen du pourvoi principal (sans examen des autres moyens dudit pourvoi comme du moyen unique du pourvoi incident au motif qu’ils ne sont pas de nature à permettre leur admission) et valide ainsi une décision de la Cour de Versailles qui s’était fondée exclusivement sur les résultats d’une expertise judiciaire à laquelle un syndicat des copropriétaires n’avait pas été partie au motif « qu’ayant relevé que le rapport d’expertise avait été versé aux débats et soumis à la discussion contradictoire des parties, c’est sans méconnaître les dispositions de l’article 16 du Code de procédure civile, que la cour d’appel s’est déterminée en considération de ce seul rapport ».
Le rejet du second moyen du pourvoi principal est donc fondé sur une application littérale du deuxième alinéa de l’article 16 du Code de procédure civile, ce qui, à notre avis, n’est pas satisfaisant, aucun débat n’ayant été de facto instauré au regard de la qualité du rapport d’expertise, la lecture du second moyen permettant de constater que la Cour de Versailles, dont l’arrêt a été validé, avait fondé sa décision d’opposabilité d’un rapport d’expertise à un Syndicat des copropriétaires au motif que ledit syndicat n’avait présenté « un quelconque argument critique en se bornant à demander qu’il lui soit donné acte qu’il se réserve la possibilité de produire un devis correspondant aux travaux litigieux en vue de contester le montant fixé par l’expert ».
La Cour de Versailles avait en conséquence, semble-t-il, voulu sanctionner ce qu’elle a considéré, à tort ou à raison, comme étant un comportement désinvolte, du Syndicat des copropriétaires.
Pour autant la formule générale retenue par la Haute Juridiction pour valider la décision de la Cour de Versailles ne nous semble pas satisfaisante.
7. Deuxième espèce, la Cour de cassation valide un arrêt de la Cour de Nouméa statuant en matière correctionnelle, qui avait retenu la garantie de l’assureur de responsabilité sur le fondement d’un rapport d’expertise médical rendu au contradictoire de l’assuré, conducteur d’un véhicule automobile ayant causé un accident corporel.
La validation de l’arrêt de la Cour de Nouméa est opérée au motif que « (…) dès lors que l’assureur bien que ni présent ni appelé aux opérations d’expertise a pu contradictoirement débattre des conclusions de l’expert et, le cas échéant, solliciter une nouvelle mesure d’expertise, la cour d’appel a justifié sa décision ».
On observera que la Cour de Nouméa avait relevé que l’assureur avait été prévenu par le courtier d’assurance de l’existence d’une procédure mettant en cause son assuré et qu’« il est intervenu volontairement à l’instance » postérieurement au dépôt du rapport d’expertise et qu’informé « de la décision rendue sur l’action publique et sur l’action civile » il a « conclu à titre subsidiaire au vu des conclusions du rapport d’expertise médical de la victime ».
Ici encore la cour d’appel dont l’arrêt a été validé par la Cour de cassation avait tenu compte du comportement de l’assureur auquel le rapport d’expertise était opposé.
8. La variété des situations de fait ci-dessus évoquées ou encore résultant des arrêts rapportés eux-mêmes ne peut constituer pour autant un obstacle à ce que la Haute Juridiction, après la réunion pour le moins d’une Chambre mixte, détermine de façon claire et non équivoque la ou les conditions dans lesquelles un rapport d’expertise judiciaire peut être opposé à une partie au procès et/ou encore retenu à ce titre par un juge.
Étant observé que ce n’est qu’artificiellement qu’il a pu être jugé que le caractère contradictoire a été respecté en raison de ce que le rapport d’expertise a été soumis à la discussion des parties dans le cadre du procès ou encore que le contradictoire aurait été respecté en raison de ce que le juge n’aurait pas fondé sa décision uniquement sur le rapport d’expertise considéré.
En effet, un rapport d’expertise est un document technique aux termes duquel un technicien donne au juge – qui n’a pas compétence quant à ce et qui a désigné justement à cet effet le technicien – un avis sur les causes et origines d’un sinistre ou encore sur les conséquences notamment corporelles (comme dans la seconde espèce rapportée) d’un accident.
Il s’ensuit que le juge aura la tendance naturelle de trancher le litige en fonction de l’avis technique du technicien qu’il aura désigné, nonobstant toutes les contestations qui pourraient être opposées à l’avis de ce dernier, les contestations étant pour l’essentiel des contestations d’ordre technique alimentées par des documents de techniciens des parties dont l’avis sera la plupart du temps, sinon toujours supplanté par celui de l’expert que le juge aura commis.
En d’autres termes, conférer ou admettre le caractère contradictoire d’un rapport d’expertise qui a été rendu sans que l’avis de la personne à laquelle il est opposé ait été recueilli par l’expert lui-même au prétexte que ledit rapport a été soumis à la discussion des parties ou encore à la contestation de la partie à laquelle il est opposé procède d’un raisonnement biaisé ou encore inopérant dès lors que la discussion ou la contestation n’aura pas été apportée au technicien expert lui-même avant le dépôt de son rapport d’expertise.
Jean-Pierre et Laurent Karila – RGDA 2012 -03, P. 718