Assurance de responsabilité professionnelle de l’architecte : clause d’exclusion de solidarité et responsabilité in solidum – RGDA avril 2019, p. 24, note Jean-Pierre Karila
Contrat d’architecte « Responsabilité et assurance professionnelle de l’architecte » ; Exclusion de la solidarité en cas de pluralité de responsables ; Exclusion non limitée à la responsabilité solidaire, visée « en particulier » ; Exclusion applicable également à la responsabilité in solidum
Cass. 3e civ., 14 févr. 2019, no 17-26403, FS–PBI
Ayant retenu, par une interprétation souveraine, exclusive de dénaturation, que l’imprécision des termes de la clause G 6.3.1 des conditions générales du contrat d’architecte, intitulée « Responsabilité et assurance professionnelle de l’architecte », rendait nécessaire, que l’application de cette clause, qui excluait la solidarité en cas de pluralité de responsables, n’était pas limitée à la responsabilité solidaire, qu’elle ne visait « qu’en particulier », la cour d’appel en a déduit à bon droit qu’elle s’appliquait également à la responsabilité in solidum.
Extrait :
« Sur le moyen unique, pris en ses deux premières branches :
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 12 mai 2017), que la société civile de construction-vente Domaine du parc (la SCCV) a fait construire un immeuble en vue de le vendre par lots en l’état futur d’achèvement ; qu’une assurance dommages-ouvrage a été souscrite auprès de la société Albingia ; que sont intervenus à cette opération, l’Eurl B., assurée auprès de la société Mutuelle des architectes français (la MAF), chargée d’une mission complète de maîtrise d’œuvre, la société Anco, en qualité de contrôleur technique, la société D., assurée auprès de la société Axa France, en qualité d’entreprise générale, M. , assuré auprès de la société Axa France, en qualité de sous-traitant de la société D., chargé de l’exécution des travaux d’étanchéité, puis après le dépôt de bilan de la société D., d’entreprise chargée par le maître de l’ouvrage des travaux d’étanchéité, initialement compris dans le marché de l’entreprise générale, M. W., assuré auprès de la société MAAF, chargé des travaux de pose des baies vitrées, fournies par la société Menuiseries Grégoire ; qu’en cours de chantier, des infiltrations dans les logements en provenance des toitures-terrasses et des balcons ont été constatées ; que la SCCV a déclaré le sinistre à la société Albingia ; qu’après expertise, la société Albingia, subrogée dans les droits de la SCCV, a assigné les intervenants en remboursement des sommes versées au maître de l’ouvrage ;
Attendu que la société Albingia fait grief à l’arrêt d’infirmer le jugement en ce que les premiers juges ont, s’agissant du premier désordre, condamné in solidum l’Eurl B., la MAF et M. à payer à la société Albingia la somme de 214 716,56 euros, dit que dans les rapports entre coobligés, le partage de responsabilités s’effectuera de la manière suivante : M. : 80 %, l’Eurl Jean-Louis B. : 20 %, dit que dans leur recours entre eux, les parties déclarées responsables et la MAF seront garanties dans ces proportions, s’agissant du second désordre, condamné in solidum l’Eurl B., la MAF, la société Anco, M. W. et la société MAAF assurances à payer à la société Albingia la somme de 7 637,07 euros, dit que dans les rapports entre coobligés, le partage de responsabilité s’effectuera de la manière suivante : l’Eurl Jean-Louis B. : 45 %, la société Anco : 45 %, M. C. W., garanti par la société MAAF assurances : 10 %, dit que dans leurs recours entre eux, les parties déclarées responsables et leurs assureurs seront garantis dans ces proportions, puis, statuant à nouveau, et après avoir déclaré recevables les demandes formées par la société Albingia contre la MAF, d’avoir, s’agissant du premier désordre, condamné la MAF à payer à la société Albingia la somme de 42 943,31 euros, condamné M. à payer à la société Albingia la somme de 171 773,25 euros, s’agissant du second désordre, – condamné la MAF à payer à la société Albingia la somme de 2 291,12 euros, condamné in solidum la société Anco, M. W. et la société MAAF assurances en sa qualité d’assureur de M. W., à payer à la société Albingia la somme de 5 345,94 euros, dit que dans leurs recours entre eux, la somme de 5 345,94 euros se répartira à hauteur de 1/7 à la charge de la MAF, 4/7 à la charge de la société Anco et 2/7 à la charge de M. W. et de la MAAF puis de confirmer le jugement pour le surplus, alors, selon le moyen :
1°/ que le juge est tenu de ne pas dénaturer l’écrit qui lui est soumis ; qu’aux termes de la clause G 6.3.1 des conditions générales du contrat d’architecte intitulée « Responsabilité et assurance professionnelle de l’architecte », il était stipulé : « L’architecte assume sa responsabilité professionnelle telle qu’elle est définie par les lois et règlements en vigueur, notamment les articles 1792, 1792-2, 1792-3 et 2270 du Code civil, dans les limites de la mission qui lui est confiée. Il ne peut donc être tenu responsable, de quelque manière que ce soit, et en particulier solidairement, des dommages imputables aux actions ou omissions du maître d’ouvrage ou des autres intervenants dans l’opération faisant l’objet du présent contrat. L’architecte est assuré contre les conséquences pécuniaires de sa responsabilité professionnelle auprès de la compagnie et par le contrat désigné au CCP. Ce contrat est conforme aux obligations d’assurance prévues par les lois n° 77-2 du 3 janvier 1977 sur l’architecture et n° 78-12 du 4 janvier 1978 relative à la responsabilité et à l’assurance dans le domaine de la construction. L’attestation d’assurance professionnelle de l’architecte est jointe au présent contrat » ; qu’ainsi cette clause d’exclusion de solidarité était cantonnée aux seules hypothèses dans lesquelles l’architecte pouvait être tenu responsable « des dommages imputables aux actions ou omissions du maître d’ouvrage ou des autres intervenants dans l’opération faisant l’objet du présent contrat » sans viser la condamnation in solidum prononcée par le juge à l’encontre de l’architecte tenu lui-même pour responsable de l’entier dommage ; qu’en énonçant que « son application n’est pas limitée à la responsabilité solidaire, qu’elle ne vise « qu’en particulier » et qu’elle est donc applicable également à la responsabilité in solidum comme en l’espèce », la cour d’appel a dénaturé la clause G 6.3.1 des conditions générales du contrat d’architecte et a violé le principe susvisé ;
2°/ et, à titre subsidiaire, que la clause du contrat d’architecte excluant la solidarité ne saurait avoir pour effet d’empêcher une condamnation in solidum prononcée par le juge entre l’architecte et les entrepreneurs ; qu’en décidant du contraire, la cour d’appel a violé l’article 1147 ancien du Code civil, devenu l’article 1231-1 du Code civil ;
Mais attendu qu’ayant retenu, par une interprétation souveraine, exclusive de dénaturation, que l’imprécision des termes de la clause G 6.3.1 des conditions générales du contrat d’architecte, intitulée « Responsabilité et assurance professionnelle de l’architecte », rendait nécessaire, que l’application de cette clause, qui excluait la solidarité en cas de pluralité de responsables, n’était pas limitée à la responsabilité solidaire, qu’elle ne visait « qu’en particulier », la cour d’appel en a déduit à bon droit qu’elle s’appliquait également à la responsabilité in solidum ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;
Et attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen unique, pris en ses deux dernières branches, qui n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ; »
Cass. 3e civ., 14 févr. 2019, no 17-26403, FS–PBI
1. L’arrêt rapporté valide un arrêt de la cour d’appel de Paris du 12 mai 2017 qui avait jugé que la stipulation dans un contrat liant un architecte à un maître d’ouvrage, d’une clause d’exclusion de solidarité, en cas de pluralité de responsables, n’était pas limitée à la responsabilité solidaire, et qu’elle s’appliquait également à la responsabilité in solidum.
2. En ce sens, l’arrêt rapporté s’inscrit dans l’esprit :
– d’un certain nombre d’arrêts qui ont admis l’équivalence des termes « obligation solidaire » et « obligation in solidum », ou encore « responsabilité solidaire » et « responsabilité in solidum » ;
– d’un certain nombre d’arrêts qui ont retenu la licéité – au regard du droit commun de la responsabilité – de la clause d’exclusion de solidarité figurant dans un contrat d’architecte.
3. Le lecteur observera à la lecture de l’arrêt rapporté que la Cour de cassation a estimé n’y avoir lieu à statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen unique prisen ses deux dernières branches (moyen unique comportant quatre branches), au motif qu’il n’était pas manifestement de nature à entraîner la cassation, la Haute Juridiction ayant fait ici, sans le dire expressément, application de l’article 1014 du Code de procédure civile qui énonce que la Cour de cassation, après le dépôt des mémoires, « déclare non admissibles les pourvois irrecevables ou non fondés sur un moyen sérieux de cassation».
Or, l’argumentation du moyen unique pris en ses troisième et quatrième branches, n’était pas, a priori, vouée inéluctablement à l’échec, de sorte que la décision de n’y avoir lieu à statuer prise par la Cour de cassation se trouve être, sans doute, à raison de l’absence expresse de toute critique du chef de dispositif par lequel la cour d’appel de Paris « déboute la Société ALBINGIA de sa demande tendant à déclarer nulle la clause limitative de responsabilité G6.31 figurant dans le contrat d’architecte », de sorte que ledit chef du dispositif est définitif quant à ce, les critiques formées par les troisième et quatrième branches qui soutenaient que la clause était abusive et donc nulle ou qu’elle devait être réputée non écrite, ne pouvant en conséquence qu’être écartées.
Cette situation nous conduit à préciser l’argumentation venant au soutien de la troisième et de la quatrième branches, d’autant plus que moins d’un mois après l’arrêt rapporté, la Cour de cassation, par un arrêt du 7 mars 2019 (Cass. 3e civ., 7 mars 2019, n° 18-11995) que nous commentons dans ces mêmes colonnes, s’est prononcée quant à la pertinence de ladite argumentation, soutenue de façon identique dans les deux instances de cassation.
On précisera en conséquence ici :
– qu’aux termes de la troisième branche, il était soutenu, à titre subsidiaire, qu’en énonçant que la clause d’exclusion de solidarité s’applique également à la responsabilité in solidum, ne crée pas de déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, quand cette stipulation permettait à l’architecte de limiter les conséquences de sa responsabilité contractuelle, de sorte que cette clause était abusive et devait être réputée non écrite, la cour d’appel a violé l’article L. 132-1 du Code de la consommation ;
– qu’aux termes de la quatrième branche et encore à titre subsidiaire, il était soutenu que l’évolution du droit des obligations résultant de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, conduit à apprécier différemment la validité des clauses stipulées dans un contrat en ce qu’elle prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur ; qu’en énonçant que la clause d’exclusion de solidarité s’applique également à la responsabilité in solidum, ne crée pas de déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat et devait recevoir un plein effet quand cette stipulation contredisait la portée de l’obligation essentielle souscrite par l’architecte en lui permettant de limiter les conséquences de sa responsabilité contractuelle, de sorte qu’elle devait être réputée non écrite, la cour d’appel a violé l’article 1134 du Code civil.
La clause d’exclusion de solidarité
4. La clause litigieuse intitulée « Responsabilité et assurance professionnelle de l’architecte» figurant dans les conditions générales du contrat d’architecte passé avec le maître d’ouvrage, est ainsi rédigée :
« L’architecte assume sa responsabilité professionnelle, telle qu’elle est définie par les lois et règlements en vigueur, notamment les articles 1792, 1792-2, 1792-3 et 2270 du Code civil, dans les limites de la mission qui lui est confiée.
Il ne peut donc être tenu responsable de quelque manière que ce soit et en particulier solidairement, des dommages imputables aux actions ou omissions du maître d’ouvrage et des autres intervenants dans l’opération faisant l’objet du présent contrat.
L’architecte est assuré contre les conséquences pécuniaires de sa responsabilité professionnelle auprès de la compagnie et par un contrat désigné au CCP. Ce contrat est conforme aux obligations d’assurance prévues par les loi n° 77-2 du 3 janvier 1977 sur l’architecture et n° 78-12 du 4 janvier 1978 relative à la responsabilité et à l’assurance dans le domaine de la construction.
L’attestation d’assurance professionnelle de l’architecte est jointe au présent contrat. »
La clause considérée a donc une portée très générale en ce qu’elle envisage à l’évidence tant la responsabilité de droit commun que celle relevant des garanties dites légales régies par les articles 1792, 1792-2 et 1792-3 et 2270 (ancien) du Code civil, caractère général qui conduit à une certaine imprécision, étant observé que sa validité pourra être appréciée de façon différente selon la nature de la responsabilité encourue, comme on le verra ci-après.
Le texte de la clause est cohérent et logique dans l’articulation de ses deux premières branches, en ce sens que c’est en raison de l’affirmation selon laquelle l’architecte assume sa responsabilité professionnelle « dans les limites de la mission qui lui est confiée », (premier alinéa) qu’il ne peut « doncêtre tenu responsable de quelque manière… » (deuxième alinéa).
Cohérence logique évidente, mais néanmoins maladresse rédactionnelle aussi, à l’évidence, car on voit mal – à appliquer à la lettre et complètement le second alinéa de la clause – comment il pourrait y avoir une responsabilité solidaire entre l’architecte et le maître d’ouvrage à raison des actes ou omissions de ce dernier ! …, la solidarité envisagée ne pouvant l’être qu’avec « les autres intervenants » à l’acte de construire !…
Sur les deux premières branches du moyen unique de cassation ayant trait à l’objet de la clause d’exclusion de solidarité
5. La première branche soutient qu’en énonçant que l’application de la clause considérée « n’est pas limitée à la responsabilité solidaire, qu’elle ne vise « qu’en particulier » et qu’elle est donc applicable également à la responsabilité in solidum comme en l’espèce », la cour d’appel a dénaturé la clause G. 6.3.1 des conditions générales du contrat d’architecte, puisqu’aussi bien ladite clause était cantonnée aux seules hypothèses dans lesquelles l’architecte pouvait être tenu responsable « des dommages imputables aux actions ou omissions du maître d’ouvrage ou des autres intervenants dans l’opération faisant l’objet du contrat. »
6. La deuxième branche soutient que la clause du contrat d’architecte excluant la solidité, ne saurait avoir pour effet d’empêcher une condamnation in solidum prononcée par le juge entre l’architecte et les entrepreneurs ; qu’en décidant le contraire, la cour d’appel a violé l’article 1147 du Code civil, devenu l’article 1231 dudit Code.
7. Sous couvert de dénaturation de la clause de solidarité, et/ou encore de la portée/étendue de celle-ci au regard de l’imperiumdu juge qui peut prononcer des condamnations in solidum, la question essentielle qui était posée était celle de savoir si l’objet de la clause d’exclusion de solidarité est seulement l’éviction de celle-ci, ou plus précisément de ses conséquences, ou s’il inclut la responsabilité in solidumou plus précisément les conséquences des obligations in solidum conduisant à des condamnations in solidum.
Le droit positif antérieur à l’arrêt rapporté sur la validité et l’opposabilité de la clause d’exclusion de solidarité
8. Avant un arrêt publié du 19 mars 2013 dont il sera parlé ci-après, la jurisprudence sur la question de la validité de la clause d’exclusion de solidarité, était fluctuante et contradictoire.
Mais avant d’aborder la solution retenue par le droit positif tant antérieurement que postérieurement audit arrêt du 19 mars 2013, il convient de rappeler liminairement :
– que la question de la validité et de l’opposabilité de la clause d’exclusion de solidarité ne se pose pas au regard des garanties légales des constructeurs édictées par les articles 1792, 1792-2, 1792-3 et 1792-6 du Code civil, dès lors qu’abstraction faite de son exacte qualification, elle est indubitablement réputée non écrite en application de l’article 1792-5 du Code civil qui énonce que : « Toute clause d’un contrat qui a pour objet, soit d’exclure ou de limiter la responsabilité prévue aux articles 1792, 1792-1 et 1792-2, soit d’exclure les garanties prévues aux articles 1792-3 et 1792-6 ou d’en limiter la portée, soit d’écarter ou de limiter la solidarité prévue à l’article 1792-4, est réputée non écrite. »
– que le droit positif résultant, après un arrêt annonciateur de la 1re chambre civile du 13 novembre 1967 (Cass. 1re civ., 13 nov. 1967 : Bull. civ. III, n° 327), d’un arrêt de la chambre mixte du 26 mars 1971 (Cass. ch. mixte, 26 mars 1971, n° 78-13407 : Bull. ch. mixte n° 6) posant la règle de l’équivalence des termes « solidaire » et « in solidum » en jugeant que les juges du fond qui, saisis d’une demande de condamnation in solidum condamnent solidairement le co-auteur d’un dommage « ont nécessairement, bien que par un emploi impropre du terme, entendu prononcer l’obligation in solidum qui pèse sur les co-auteurs d’un même dommage ».
Ce principe a été réaffirmé dans des termes identiques par deux arrêts de la 3e chambre civile rendus le même jour le 5 janvier 2013, publiés au Bulletin (Cass. 3e civ., 5 janv. 1973, n° 71-11264, n° 71-12131, n° 71-12974 : Bull. civ. III, n° 27 – Cass. 3e civ., 5 janv. 1973, n° 71-13998 : Bull. civ. III, n° 27), puis par la 1re chambre civile dans un arrêt du 30 octobre 2007 (Cass. 1re civ., 30 oct. 2007, n° 06-21475) qui valide un arrêt de la Cour de Paris du 1er juin 2006 qui avait condamné solidairement la Société CANAL +, M. E. …, son directeur de publication, M. P. X. … et M. Y. … Z. … à des dommages et intérêts envers la victime ; la Cour de cassation rejette le moyen qui soutenait que l’atteinte à la vie privée ne peut donner lieu à une condamnation solidaire à défaut de dispositions expresses de la loi ou d’une convention, ni à une condamnation in solidum, l’atteinte aux droits de la personnalité étant sanctionnée en dehors de toute responsabilité, et qu’en prononçant une condamnation solidaire sur le fondement de l’article 9 du Code civil, la cour d’appel a violé ce texte, ensemble les principes de la solidarité et de l’obligation in solidum, et juge « qu’en dépit d’une inexactitude terminologique, l’arrêt [de la Cour de Paris du 1er juin 2006] n’encourt pas la critique du moyen. » (Mis en gras par le rédacteur de la présente note).
Le Conseil d’État a, quant à lui, déjà dans un arrêt du 29 septembre 1982 (CE, 3e et 5e sect. réu., 29 nov. 1982, n° 30-560, n° 30-682 mentionné dans les tables du Recueil Lebon), jugé qu’un tribunal administratif, en condamnant un architecte et un entrepreneur à payer solidairement à un OPHLM une indemnité en réparation de désordres survenus dans un immeuble de l’Office, n’a pas établi entre ceux-ci une solidarité comportant tous les effets de la solidarité prévue à l’article 1202 du Code civil, mais s’est borné, en faisant droit aux conclusions dont il était saisi, à les condamner « in solidum ».
Droit positif avant l’arrêt du 19 mars 2013
9. Comme déjà évoqué ci-avant, la jurisprudence avant un arrêt publié du 19 mars 2013, était fluctuante et contradictoire.
C’est ainsi que si, par un arrêt publié au Bulletin du 18 juin 1980, la 3e chambre civile (Cass. 3e civ., 18 juin 1980, n° 78-16096 : Bull. civ. III, n° 121), a jugé que la clause du contrat d’architecte « excluant la solidarité ne saurait avoir pour effet d’empêcher une condamnation in solidum entre l’architecte et les entrepreneurs », en revanche, moins de quatre mois après, un arrêt également publié rendu par la 1rechambre civile le 1er octobre 1980 (Cass. 1re civ., 1er oct. 1980, n° 79-12215 : Bull. civ. III, n° 235), statuant, il est vrai, non pas à l’occasion d’une clause d’exclusion de solidarité stipulée dans un contrat d’architecte, mais relativement à une clause d’exclusion de solidarité stipulée dans un contrat d’assurance, a cassé un arrêt de la cour d’appel de Toulouse du 26 janvier 1979, qui, pour condamner l’assureur du constructeur (en la circonstance, il s’agissait d’un entrepreneur) in solidum avec d’autres constructeurs (l’assuré étant en liquidation judiciaire), avait jugé que la clause excluant de la garantie les conséquences de la responsabilité solidaire ou in solidum de l’assuré « ne pouvait déroger à la règle selon laquelle le partage de responsabilité entre plusieurs co-auteurs n’est pas opposable à la victime qui est fondée à demander à l’un quelconque de ses co-auteurs la réparation de la totalité du préjudice qu’elle a subi » ; la cassation ayant été prononcée pour violation de l’article L. 124-3 du Code des assurances relative à l’action directe de la victime à l’encontre de l’assureur de responsabilité, la Haute Juridiction ayant rappelé dans le « chapeau » de son arrêt que « le droit à la victime contre l’assureur de l’auteur du dommage puise sa source et trouve sa mesure dans le contrat d’assurance, et ne peut porter que sur l’indemnité d’assurance telle qu’elle a été stipulée, définie et limitée par ce contrat », de sorte qu’est opposable à la victime la clause de la police excluant de la garantie les conséquences de la responsabilité solidaire ou in solidum de l’assuré.
Dans un arrêt du 11 mai 1988 (Cass. 3e civ., n° 86-19565), la Haute Juridiction a cassé un arrêt qui, pour déclarer des architectes tenus in solidum avec les entrepreneurs envers le maître d’ouvrage, pour des défauts de l’installation de chauffage, a retenu que les fautes de ces constructeurs avaient concouru à la réalisation de l’entier préjudice, sans répondre aux conclusions des architectes qui invoquaient une clause du contrat passé avec le maître de l’ouvrage limitant leur responsabilité professionnelle à « la seule mesure de leurs fautes personnelles et sans aucun engagement solidaire ni in solidum. »
La solution retenue par l’arrêt du 19 mars 2013
10. C’est dans ce contexte qu’a été rendu l’arrêt ci-avant évoqué du 19 mars 2013 (Cass. 3eciv., 19 mars 2013, n° 11-25266: RDI 2013, obs. Boubli B., p. 316), qui présente la particularité de casser un arrêt de la cour d’appel de Montpellier du 28 juin 2011 en ce qu’il avait écarté la clause d’exclusion de solidarité figurant dans un contrat d’architecte d’une part, et en ce qu’il avait jugé/admis, dans les rapports d’un contrôleur technique avec ses co-autres obligés in solidum, l’application d’une clause limitative de responsabilité, ou encore d’indemnisation forfaitaire stipulée dans le contrat liant ledit contrôleur technique au maître d’ouvrage, d’autre part.
Sur l’approbation du moyen de cassation prônant la validité de la clause d’exclusion de solidarité, la Cour de cassation casse l’arrêt de la cour d’appel de Montpellier qui, pour condamner l’architecte et l’assureur de celui-ci solidairement avec un entrepreneur et le contrôleur technique à garantir le maître d’ouvrage du montant des condamnations prononcées à son encontre, retient que la clause d’exclusion de solidarité figurant dans le contrat d’architecte ne peut pas « s’opposer à la condamnation de celui-ci à réparer les entiers dommages, dans la mesure où il ressort du rapport d’expertise que chacune des fautes respectives a également contribué à la réalisation des entiers dommages », la cassation ayant été prononcée en raison de ce qu’en statuant ainsi alors que « le juge est tenu de respecter les stipulations contractuelles excluant les conséquences de la responsabilité solidaire ou in solidum d’un constructeur à raison des dommages imputables à d’autres intervenants », la cour d’appel a violé les articles 1134, 1147 et 1150 du Code civil.
Sur l’approbation du moyen de cassation prônant l’éviction dans les rapports du contrôleur technique avec ses co-obligés in solidum de la clause d’indemnisation forfaitaire stipulée dans la convention liant ledit contrôleur technique au maître d’ouvrage, la Cour de cassation relève qu’après avoir retenu la responsabilité in solidum de l’architecte, de l’entrepreneur et du contrôleur technique à réparer les dommages affectant les piscines, la cour d’appel retient que le contrôleur technique ne devait pas supporter une somme supérieure au montant prévu par la clause d’indemnisation forfaitaire de la convention qu’il avait signée avec la maître de l’ouvrage, la cassation ayant été prononcée en raison de ce qu’en statuant ainsi alors que la clause limitative de responsabilité prévue au contrat liant le maître d’ouvrage au contrôleur technique, condamné au titre d’une obligation in solidum, ne pouvait être opposée aux autres responsables condamnés avec lui à réparer l’entier préjudice, et que la cour d’appel avait déterminé les parts incombant à chacun des responsables, violant ainsi l’article 1382 du Code civil
11. La Cour de cassation ayant renvoyéla cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant l’arrêt de la cour de Montpellier du 28 juin 2011, devant la même cour de Montpellier, « autrement composée», cette dernière a rendu un arrêt du 23 octobre 2014 (CA Montpellier, 10e ch., 23 oct. 2014, n° 13-04143) :
– qui confirme la validité de la clause d’exclusion de solidarité stipulée dans le contrat d’architecte et déclare, par ailleurs, la clause considérée non abusive au sens de l’article L. 132-1 du Code de la consommation (la SCI ayant pu, puisque la cause et les parties avaient été renvoyées dans l’état où elles se trouvaient avant l’arrêt du 28 juin 2011, revendiquer le caractère abusif de la clause d’exclusion de solidarité) ;
– qui déclare que la clause limitative de responsabilité stipulée dans le contrat du contrôleur technique, s’analysant comme un plafonnement d’indemnisation « contredit la portée de l’obligation essentielle souscrite par le contrôleur technique en lui permettant de limiter les conséquences de sa responsabilité contractuelle quelles que soient les incidences de ses fautes » et qui déclare en conséquence que la clause est abusive en créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au détriment du non professionnel et la déclare en conséquence nulle et de nul effet (ici encore, le maître d’ouvrage a, pour la première fois, excipé du caractère abusif au sens du droit de la consommation de la clause de limitation de responsabilité, le précédent arrêt du 28 juin 2011 ayant déclaré la clause de limitation de responsabilité inopposable aux coobligés in solidum en application de l’article 1382 du Code civil)
12. L’arrêt du 23 octobre 2014 de la cour de Montpellier ayant été choqué d’un pourvoien cassation, la Cour de cassation l’a rejeté par un arrêt du 4 février 2016(Cass. 3e civ., 4 févr. 2016, n° 14-29347 : Bull. civ. III, n° 23 ; RGDA avr. 2016, n° 113f9, p. 176, note Dessuet P.), étant observé que ledit pourvoi ne critiquait d’ailleurs pas, semble-t-il, l’arrêt de la cour de Montpellier en ce qu’il avait déclaré non abusive la clause d’exclusion de solidarité stipulée dans le contrat d’architecte, l’arrêt de cassation n’ayant statué qu’au regard du second moyen du contrôleur technique portant spécifiquement sur le caractère prétendument non abusif de la clause de limitation de responsabilité et stipulée dans son contrat avec le maître d’ouvrage (voir notre commentaire sur ce point dans notre note, dans ces mêmes colonnes, sous Cass. 3e civ., 7 mars 2019, n° 18-11995).
13. On peut donc dire que la jurisprudence est désormais bien fixée quant à la validité de la clause d’exclusion de solidarité stipulée dans le contrat d’architecte le liant au maître d’ouvrage quand la responsabilité encourue par l’architecte relève du droit commun, et non des garanties légales édictées par les articles 1792 et suivants du Code civil.
C’est ainsi qu’encore récemment, un arrêt de la 3e chambre civile du 8 février 2018 (Cass. 3e civ., 8 févr. 2018, n° 17-13596) valide un arrêt de la cour d’appel de Montpellier du 22 décembre 2016 au motif « qu’ayant constaté que le contrat de maîtrise d’œuvre stipulait que le maître d’œuvre n’assumerait les responsabilités professionnelles que dans la mesure de ses fautes professionnelles, ne pouvant être tenu responsable, ni solidairement, ni in solidum, des fautes commises par d’autres intervenants, et retenu, par une interprétation souveraine, exclusive de dénaturation, que l’ambiguïté des termes de la clause litigieuse rendait nécessaire, que cette clause était licite au titre d’une responsabilité contractuelle pour défaut de respect par l’architecte de son obligation de moyens (mis en gras par le rédacteur de la présente note) », la cour d’appel, qui a relevé que l’architecte n’ayant pas délivré au titulaire du lot VRD l’ordre de service précisant les modalités d’exécution de sa prestation, il lui appartenait, au titre de sa mission de contrôle, de réagir en demandant à l’entreprise d’arrêter ses travaux prématurés, que l’architecte n’avait eu aucune réaction ainsi qu’en témoignaient les procès-verbaux de chantier, et n’avait adressé aucune mise en demeure dans ce sens à l’entreprise, « a pu en déduire que sa responsabilité contractuelle devait être retenue à hauteur de 20 % (mis en gras par le rédacteur de la présente note). »
Les motifs du rejet du pourvoi à l’encontre de l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 12 mai 2017
14. La Cour de cassation rejette le pourvoi au motif qu’« ayant retenu, par une interprétation souveraine, exclusive de dénaturation, que l’imprécision des termes de la clause G 6.3.1 des conditions générales du contrat d’architecte, intitulée “Responsabilité et assurance professionnelle de l’architecte”, rendait nécessaire, que l’application de cette clause, qui excluait la solidarité en cas de pluralité de responsables, n’était pas limitée à la responsabilité solidaire, qu’elle ne visait “qu’en particulier”, lacour d’appel en a déduit à bon droit qu’elle s’appliquait également à la responsabilité in solidum».
Notre avis
15. En la circonstance, la Haute Juridiction n’a pas exercé un contrôle léger de cohérence de motivation à la faveur du renvoi à « l’interprétation souveraine» des juges du fond, mais un véritable contrôle de légalitépuisqu’elle énonce que la cour d’appel a « déduit à bon droit » de son interprétation souveraine que la clause d’exclusion s’appliquait également à la responsabilité in solidum.
16. L’emploi des termes « responsabilité in solidum», peu significatifs, nous répugne alors même que l’obligation in solidum, création purement prétorienne, sur le fondement de laquelle on peut s’interroger : lien de causalité entre les actes, omissions ou négligences des co-auteurs du dommage unique (lien à l’occasion artificiel), ou encore plus simplement nécessité de palier le risque d’insolvabilité d’un ou de plusieurs co-auteurs du dommage, la victime devant être à l’écart de ce risque ?, justifie que le juge prononce des condamnations in solidum.
17. Si l’on fait abstraction de ce dernier propos d’humeur, l’arrêt rapporté ne peut qu’être approuvé, la solution étant justifiée, car, à l’inverse d’une clause qui aurait strictement limité la responsabilité encourue par l’architecte à raison de ses propres fautes, la clause exclusive de solidarité, qui n’a de sens qu’en cas de pluralité de responsables, tend de factoet de jureà seulement voir écarter toute garantie de l’architecte au titre d’actes qui ne lui sont pas personnellement imputables, ce qui est parfaitement licite dans le cadre de l’application de la responsabilité contractuelle de droit commun et ne contredit pas des règles d’ordre public.
18. Mais la question du caractère abusif ou non de la clause d’exclusion de solidarité stipulée dans un contrat d’architecte, comme celle des clauses limitatives de responsabilité, pourrait, à l’avenir, être tranchée différemment pour les contrats conclus après le 1er octobre 2016, l’article 1171 nouveau du Code civil créé par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 énonçant en son article 1er que :
« Dans un contrat d’adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite ».
Ce qui renvoie à la question de savoir si le contrat d’architecte peut être qualifié de contrat d’adhésion, ce qui serait, a priori, le cas, l’article 1110 du Code civil créé par l’ordonnance précitée du 10 février 2016 énonçant en son deuxième alinéa que le contrat d’adhésion est « celui dont les Conditions Générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l’avance par l’une des parties », s’agissant de facto d’un contrat type établi par l’Ordre National des Architectes ; étant observé qu’en ce qui concerne la clause de limitation de responsabilité stipulée dans les contrats de contrôleurs techniques, ce serait encore plus à l’évidence le cas, s’agissant ici aussi d’un contrat établi dont les conditions générales sont déjà préétablies et soustraites à la négociation.
Enfin, on observera que le second alinéa de l’article 1171 du Code civil énonce que :
« L’appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix à la prestation ».
S’agissant ici de la reproduction du septième alinéa de l’article L. 132-1 du Code de la consommation dont l’application n’a pas donné lieu à de nombreux débats à notre connaissance, sauf qu’on peut le confronter avec la solution retenue par la Cour de cassation dans son arrêt Faurecia (Cass. com., 29 juin 2010, n° 09-11841 : Bull. civ. IV, n° 115) lequel ne statue d’ailleurs pas au regard du texte précité, mais au visa des articles 1131, 1134 et 1147 du Code civil, jugeant qu’une clause limitative de réparation ne vidait pas de sa substance l’obligation essentielle à raison notamment du fait qu’elle n’était pas dérisoire.