Ancien ID : 817
Dès lors que l’assureur dommages ouvrage n’est tenu que du préfinancement du coût des seuls travaux nécessaires à la réparation des désordres portant atteinte à la solidité de l’ouvrage ou le rendant impropre à sa destination, son action tendant à la répétition de l’indemnité réglée en vertu d’une ordonnance de référé relativement à la réparation de désordres qui ne présentaient pas ces caractéristiques, est soumise à la prescription de droit commun, la condamnation de l’assureur en référé l’ayant été non pas en vertu du contrat d’assurances mais de son obligation légale de préfinancement.Cour de cassation (3e Ch. civ) 27 mai 2010 Pourvoi no 09-15412, Bull. civ. III, n° 105
Albingia c/ CAPI
La Cour,
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Grenoble, 28 avril 2009), que la société Albingia, condamnée, en sa qualité d’assureur dommages ouvrage, par une ordonnance de référé du 16 juillet 1996, à payer une certaine somme, qu’elle a payée au syndicat d’agglomération nouvelle de l’Isle d’Abeau, aux droits duquel vient l’établissement public de coopération intercommunale Communauté d’agglomération de l’Isère (CAPI), a formé un recours contre les constructeurs devant la juridiction administrative ; qu’une décision irrévocable de cette juridiction ayant, le 17 juin 2005, rejeté ses recours au motif que l’ouvrage assuré ne présentait aucun désordre portant atteinte à sa solidité ou de nature à le rendre impropre à sa destination, la société Albingia a, par acte du 26 juillet 2005, assigné la CAPI en restitution de la provision versée en 1996 ;
Sur les deux moyens, réunis :
Attendu que la CAPI fait grief à l’arrêt de la condamner à payer à la société Albingia la somme de 99 133,51 euros, en remboursement de la provision allouée par le juge des référés, alors, selon le moyen :
1o) que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction et ne peut relever d’office un moyen sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations sur ce point ; qu’en relevant d’office le moyen selon lequel la somme payée par la société Albingia était due en vertu d’une obligation légale de pré-financement indépendante du contrat d’assurance, sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations sur ce point, qu’aucune d’entre elles n’avait soulevé dans ses écritures, la cour d’appel a violé l’article 16 du Code de procédure civile ;
2o) que si la CAPI, en qualité de maître de l’ouvrage, avait certes l’obligation légale de souscrire une assurance dommages ouvrage, l’obligation de la société Algingia de payer une indemnité provisionnelle ne pouvait procéder, comme l’avait relevé le juge des référés par ordonnance du 16 juillet 1996, que de l’exécution du contrat d’assurance, indépendamment de toute déclaration de responsabilité ; qu’en décidant néanmoins que le paiement de l’indemnité provisionnelle à laquelle a été condamnée la société Albingia reposait sur une obligation légale, la cour d’appel a violé l’article 1134 du Code civil ;
3o) que la provision allouée par le juge des référés découle nécessairement du contrat d’assurance dommages ouvrage et ne peut constituer un indu ; qu’en retenant que l’obligation de la société Albingia dérivait « non de l’exécution du contrat d’assurance mais d’une décision de justice » cependant que cette dernière avait été condamnée par ordonnance de référé du 16 juillet 1996 à payer à la CAPI une provision de 600 000 francs en exécution du contrat d’assurance, indépendamment de toute recherche de responsabilité, la cour d’appel a violé l’article L. 114-1 du Code des assurances ;
4o) que la prescription de l’action au fond contre l’assureur, prévue par l’article L. 114-1 du Code des assurances s’applique à toute action de celui-ci tendant à remettre en cause les provisions allouées par des décisions du juge des référés non frappées de recours, de sorte que lesdites provisions ne peuvent constituer un paiement indu ; qu’en écartant cette prescription aux motifs impropres que le paiement provisionnel intervenu en exécution de l’ordonnance du 16 juillet 1996 était devenu sans cause et indu parce que la CAPI ne bénéficiait que d’une décision provisoire et qu’elle n’avait diligenté aucune action au fond contre la société Albingia dans le délai de deux ans ni même contre les constructeurs dont la responsabilité n’a pas été retenue dans le cadre des recours diligentés par la société Albingia, la cour d’appel a violé l’article L. 114-1 du Code des assurances ;
5o) que l’affectation à la reprise des désordres des sommes que l’assureur dommages ouvrage a versées spontanément ou sur décision du juge des référés fait obstacle à leur remboursement ; que la CAPI faisait valoir que, n’eût-elle pas été prescrite, l’action en répétition ne pouvait être accueillie car « l’indemnité d’assurance dommages ouvrage a été affectée à son objet » et que « cette indemnité qui a été affectée à la réparation des désordres ne peut être restituée » ; qu’en s’abstenant de répondre à ce moyen pertinent des conclusions d’appel, la cour d’appel a violé l’article 455 du Code de procédure civile ;
Mais attendu que l’assureur dommages ouvrage n’étant, en l’absence de dispositions contractuelles particulières, tenu que du préfinancement du coût des seuls travaux nécessaires à la réparation des désordres portant atteinte à la solidité de l’ouvrage ou le rendant impropre à sa destination, la cour d’appel qui a, par motifs propres et adoptés, relevé que la société Albingia avait été condamnée à payer une provision en vertu des obligations légales mises à la charge de l’assureur dommages ouvrage et qu’une décision irrévocable avait constaté l’inexistence de désordres entrant dans le cadre de cette garantie et qui n’était pas tenue de répondre à un moyen inopérant tiré de l’affectation de la somme reçue à l’exécution des travaux de reprise, a exactement retenu, sans violer le principe de la contradiction ni dénaturer le contrat d’assurance, que ne dérive pas du contrat d’assurance, mais de la loi, l’action de l’assureur tendant à la répétition de ce qui avait été payé en vertu de l’ordonnance de référé et que seule la prescription de droit commun était applicable à cette action ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;
Par ces motifs :
Rejette le pourvoi…
Note
1. La question de la prescription applicable :
– à l’action « en restitution » de l’indemnité réglée par l’assureur, ou encore ;
– à l’action « en répétition de l’indu » de l’indemnité réglée par ledit assureur ;
a été différemment appréciée selon les époques ou encore selon les chambres de la Cour de cassation, le commentaire de l’arrêt rapporté impliquant le rappel des diverses solutions retenues antérieurement.
On rappellera et on précisera à cet égard que s’il semble qu’avant 1994 la jurisprudence a estimé qu’une telle action dérivait du contrat d’assurance et était par voie de conséquence soumise à la prescription biennale de l’article L. 114-1 du Code des assurances (Cass. 1re civ., 8 juin 1994, no 91-11525, Bull. civ. I, no 202), en revanche à partir d’un arrêt du 27 février 1996 (Cass. 1re civ., 27 fév. 1996, no 94-12645, RGDA 1996, p. 309, note approbative J. Kullmann) la Haute Juridiction a estimé que le caractère indu du paiement opéré ne résultait pas d’une stipulation du contrat d’assurance, mais de l’article L. 113-1 du Code des assurances, qui prohibe la garantie des pertes et dommages provenant d’une faute intentionnelle (en la circonstance, il s’agissait d’un incendie volontaire de l’assuré), ce qui avait conduit le commentateur de l’arrêt précité du 27 février 1996, à dresser une liste des actions en répétition de l’indu qui resteraient soumises à la prescription de l’article L. 114-1 du Code des assurances, actions au nombre desquelles figurait dans ladite liste l’action de l’assureur tendant à récupérer la partie de l’indemnité versée au-delà du plafond contractuel.
Mais par arrêt du 28 janvier 1998 (Cass. 1re civ., 28 janv., 1998, no 96-11176, Bull. civ. I, no 18), la première chambre civile fondait la solution – à propos d’une assurance de responsabilité, mais la solution est transposable en assurance de choses – sur le fait que le caractère indu du paiement résultait du principe indemnitaire posé par l’article L. 121-1 du Code des assurances, applicable comme on le sait à toutes les assurances de dommages non maritimes, c’est-à-dire aux assurances de responsabilité et de choses.
C’est aussi sur le fondement du principe indemnitaire que la Cour de cassation par arrêt du 3 mars 2004 (Cass. 3e civ., 3 mars 2004, no 02-15411, Bull. civ. III, no 45 ; Resp. civ. et assur. 2004, comm. 204, note H. Groutel) a cassé un arrêt de la Cour de Bordeaux qui avait rejeté l’action en répétition de l’indu de l’assureur dommages ouvrage en raison de l’acquisition de la prescription biennale de l’article L. 114.1 du Code des assurances applicable seulement aux actions dérivant stricto sensu du contrat d’assurances.
En la circonstance, l’action de l’assureur tendait à la restitution d’une partie de l’indemnité qu’il avait réglée, le coût des réparations de l’ouvrage s’étant avéré moins élevé que le montant de ladite indemnité.
La Haute Juridiction pour casser l’arrêt de la Cour de Bordeaux énonce d’abord dans un chapeau intérieur, que « l’assurance relative aux biens est un contrat d’indemnité ; que l’indemnité due par l’assureur à l’assuré ne peut dépasser le montant de la valeur de la chose assurée au moment du sinistre », puis relevant que pour déclarer l’action prescrite, la Cour de Bordeaux avait retenu que cette action était soumise à la prescription biennale de l’article L. 114-1 du Code des assurances « puisque l’indemnité a été versée en raison d’un contrat d’assurances » censure l’arrêt de la Cour de Bordeaux au considérant ci-après rapporté :
« Qu’en statuant ainsi, alors que l’action de l’assureur tendant à la répétition d’un paiement dont le caractère indu ne résulte pas d’une stipulation de la police, mais de l’article L. 242-1 du Code des assurances, qui implique, en vertu du principe indemnitaire posé par l’article L. 121-1 en matière d’assurance de dommages, que l’indemnité due ne peut excéder le paiement de la totalité des travaux de réparation des dommages, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».
La solution était réitérée dans d’autres domaines notamment en matière d’assurance vie (Cass. 2e civ., 18 mars 2004, no 03-10620, Bull. civ. II, no 131) mais aussi à propos d’une assurance dommages ouvrage (Cass. 3e civ., 11 mars 2008, no 06-21284, non publié au Bulletin, Resp. civ. et assur. 2008, comm. no 209, H. Groutel ; RGDA 2008, p. 329, note J. Kullmann).
2. Néanmoins l’examen de la jurisprudence, notamment lorsque l’action de l’assureur devant le juge du fond fait suite à des paiements d’indemnités effectués en exécution d’ordonnances de référé, conduit à constater le caractère aléatoire de celle-ci puisque, selon les juridictions et dans des cas d’espèce identiques, il est fait application soit de la prescription de droit commun soit de la prescription biennale de l’article L. 114-1 du Code des assurances.
Lorsque les ordonnances de référé condamnant l’assureur dommages ouvrage au paiement de provisions ont un caractère irrévocable, il est en effet fait application de la prescription biennale édictée par ce texte et jugé que l’assureur est irrecevable à en demander le remboursement dans le cadre d’une procédure au fond, plus de deux ans après que les décisions de référé aient acquis leur caractère irrévocable.
C’est ce qu’a énoncé la Cour de cassation dans un arrêt du 26 avril 2000 (Cass. 1re civ., 26 avr. 2000, no 97-21554, Bull. civ. I, no 119, Gaz. Pal. 14 et 15 févr. 2001, jur., p. 9, concl. J. Sainte-Rose ; Resp. civ. et assur. 2001, comm. no 251, obs. H. Groutel, RD imm. 2000, p. 588, obs. G. Durry), en cassant pour violation de l’article L. 114-1 du Code des assurances, une décision d’une cour d’appel qui avait à la fois rejeté l’action d’un syndicat des copropriétaires, comme prescrite par application du texte précité, mais avait, en revanche, admis, eu égard à la prescription de l’action au fond dudit syndicat des copropriétaires, la demande reconventionnelle de l’assureur en restitution des sommes versées à titre de provision. La cassation partielle, c’est-à-dire seulement de ce dernier chef (action reconventionnelle de l’assureur suivant police « Maître d’ouvrage », mais la solution est transposable en matière d’assurances dommages ouvrage) est prononcée au considérant ci-après rapporté :
« Attendu que, pour condamner le Syndicat à rembourser à l’assureur les sommes que celui-ci lui avait versées à titre de provision, l’arrêt attaqué se fonde sur la prescription biennale de l’action exercée, au fond, par celui-ci contre l’assureur ;
Attendu cependant, que la prescription de l’action au fond contre l’assureur fait obstacle à toute action de celui-ci tendant à remettre en cause les provisions allouées par des décisions du juge des référés devenues inattaquables, de sorte que lesdites provisions ne peuvent constituer un paiement indu ; qu’en statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».
La cassation est d’autant plus importante qu’elle n’a pas donné lieu à un renvoi, la Cour de cassation pouvant mettre fin au litige en appliquant la règle de droit appropriée, conformément à l’article 627, alinéa 2 du Code de procédure civile.
L’assureur dommages ouvrage serait en conséquence avisé, sans attendre que le bénéficiaire assigne au fond – ce qu’il fait rarement – de saisir lui-même le juge du fond avant l’expiration du délai de deux ans qui suit la décision de référé, s’il entend bien sûr contester le fond de la décision du juge des référés.
La solution retenue par l’arrêt précité du 26 avril 2000 a été reprise :
– par un arrêt de la cour de Versailles du 19 mars 2007 (CA Versailles, 4e ch., 19 mars 2007, AXA Corporate solutions c/Hennig) qui a estimé que l’action introduite par l’assureur dommages ouvrage en restitution de la provision versée au maître de l’ouvrage en exécution d’une ordonnance de référé était prescrite dès lors qu’elle avait été intentée plus de deux ans après l’arrêt d’appel.
– par un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation (Cass. 2e civ., 28 juin 2007, no 06-14428, Bull. civ. II, no 172 ; Resp. civ et assur. 2007, comm. 295, H. Groutel) rendu dans une espèce rigoureusement identique à l’arrêt rapporté, la Haute Juridiction ayant cassé une décision de la Cour de Montpellier qui, pour déclarer recevable et bien fondée la demande en répétition de l’indu formée par un assureur dommages ouvrage et condamner un Syndicat des Copropriétaires à lui restituer la provision versée, avait relevé que ledit assureur « objectait à juste titre que sa demande en restitution n’était pas formée en exécution du contrat d’assurance dommages ouvrage, mais découlait d’une décision de justice, entraînant application de l’action en répétition autorisée par l’article 1376 du Code civil, à laquelle la prescription spéciale de l’article L. 114.1 du Code des assurances est inapplicable » ; la Cour de Montpellier adoptait à cet égard la décision du premier juge qui avait estimé que le Syndicat des Copropriétaires ne pouvait prétendre à la condamnation de l’assureur à l’indemniser, la provision allouée par l’ordonnance de référé l’ayant été « en vertu d’une obligation sur laquelle il n’est tranché que par le juge du fond… ; que le paiement effectué en raison de l’exécution provisoire de droit attaché à l’ordonnance de référé était sans cause et indu, et ne résulte pas d’une stipulation du contrat d’assurance ».
La cassation de l’arrêt de la Cour de Montpellier est prononcée au motif ci-après rapporté :
« qu’en statuant ainsi alors que la provision allouée par le Juge des Référés au Syndicat des Copropriétaires découlait du contrat dommages ouvrage, ce dont il résultait qu’elle ne constituait pas un indu, la cour d’appel a violé le texte susvisé » (article L. 114-1 du Code des assurances).
De sorte que c’est par le biais qu’une « disqualification », si l’on peut dire, de la nature de l’action de l’assureur que la Haute Juridiction a considéré que ne s’agissant pas d’une action en répétition de l’indu celle-ci dérivait nécessairement du contrat d’assurance.
3. Le caractère contradictoire ou incertain de la jurisprudence est aussi mis en relief dans d’autres arrêts rendus à l’occasion du paiement effectué en dehors de toute décision de référé.
C’est ainsi encore que dans deux décisions du 11 juin 2008 (Cass. 2e civ., 11 juin 2008, no 07-14527) et 19 juin 2008 (Cass. 2e civ., 19 juin 2008, no 07-15560) toutes deux commentées à la RGDA par J. Kullmann, la 2e chambre civile rendait des décisions contradictoires en matière d’assurance vie décidant dans un cas que la prescription biennale devait trouver application et dans l’autre que la prescription de droit commun devait l’être, alors que dans les deux hypothèses évoquées, la dette du payeur était inexistante, erreur dans le calcul du rachat d’un contrat d’assurance vie dans un cas et paiement de frais non dus dans l’autre…
4. L’arrêt rapporté rendu par la 3e chambre civile adopte donc une solution radicalement contraire à celle retenue dans une espèce rigoureusement identique près de 3 ans auparavant par la 2e chambre civile, dans le cadre de l’arrêt précité du 28 juin 2007, la Haute Juridiction validant ici un arrêt de la Cour de Grenoble qui avait estimé que l’action de l’assureur dérivait non de l’exécution du contrat d’assurance mais d’une décision de justice et n’était donc pas soumise à la prescription de l’article L. 114-1 du Code des assurances.
La Haute Juridiction valide l’arrêt de la Cour de Grenoble à raison de ce que celle-ci avait relevé que l’assureur avait été condamné à payer une provision « en vertu des obligations légales mises à la charge de l’assureur dommages ouvrage et qu’une décision irrévocable avait constaté l’inexistence de désordres entrant dans le cadre de cette garantie », la Haute Juridiction ajoutant que la Cour de Grenoble « n’était pas tenue de répondre à un moyen inopérant tiré de l’affectation de la somme reçue à l’exécution des travaux de reprise » et avait ainsi « exactement retenu que ne relevait pas du contrat d’assurance, mais de la loi, l’action de l’assureur tendant à la répétition de ce qui avait été payé en vertu de l’ordonnance de référé et que seule la prescription de droit commun était applicable à cette action ».
Ainsi l’affectation de la provision à la réparation de désordres n’entrant pas dans l’objet de la garantie de l’assureur dommages ouvrage est indifférente et la restitution s’imposait.
5. L’arrêt rapporté emporte donc notre entière approbation.
J.-P. Karila – RGDA n° 2010-03, P. 728