Ancien ID : 816
Assurance dommages ouvrage – Contrat de construction de maison individuelle avec fourniture de plan. Article L. 231.1 du Code de la construction et de l’habitation. Recours du garant de livraison contre le prêteur. Déblocage des fonds avant connaissance de l’assurance dommages ouvrage,: faute (oui). Lien de causalité avec obligation du garant (non).
Une cour d’appel qui constate qu’à la date du déblocage des fonds les travaux étaient déjà commencés et qu’il ne ressortait d’aucune des pièces versées aux débats que les maîtres de l’ouvrage auraient eu l’intention de se prévaloir de la caducité du contrat, ou de sa nullité, ni qu’ils auraient souhaité en poursuivre la résiliation, peut en déduire que la faute du prêteur consistant à avoir débloqué les fonds avant d’avoir été en possession de l’attestation de garantie de livraison était sans influence sur l’obligation où le garant de livraison s’était trouvé de mettre en jeu sa garantie, laquelle trouvait ses causes dans le contrat qu’il avait signé et dans la liquidation judiciaire du constructeur de maison individuelle.
Cour de cassation (3e Ch. civ.) 31 mars 2010 Pourvoi no 09-66167, Bull. civ. III, n° 70
Société AIOI Motor and General Insurance Company of Europe Ltd c/ Caisse d’épargne Bretagne-Pays de la Loire
La Cour,
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Rennes, 29 janvier 2009), que, le 17 avril 1999, les époux X… et la société Maisons Anaïs ont conclu un contrat de construction de maison individuelle ; que l’attestation d’assurances dommages ouvrage, à effet du 1er septembre 1998, a été délivrée par la société Axa le 24 mars 2000 ; que, le 19 novembre 1999, la société Maisons Anaïs, ayant achevé les fondations de la maison, a adressé aux époux X… trois factures d’un montant total de 112 775 francs qu’ils ont réglées, le 27 novembre 1999, à hauteur de 103 275 francs au moyen de fonds provenant d’un prêt consenti par la Caisse d’épargne de Bretagne ; que, le 9 décembre 1999, la société AIOI Motor and General Insurance (société AIOI) a délivré une garantie de livraison à prix et délais convenus ; que la société Maisons Anaïs a été mise en liquidation judiciaire le 1er août 2000 ; que la société AIOI a fait achever l’ouvrage en payant la somme de 21 537,56 euros au titre du dépassement du prix convenu ; que la société AIOI a assigné la Caisse d’épargne de Bretagne en paiement de cette somme à titre de dommages-intérêts ;
Sur le second moyen :
Attendu que la société AIOI fait grief à l’arrêt de la débouter de sa demande alors, selon le moyen, que constitue une cause du dommage engageant la responsabilité de son auteur tout fait qui a été une condition nécessaire de la réalisation du dommage, c’est-à-dire sans laquelle celui-ci ne se serait pas produit ; qu’en l’espèce, si la banque n’avait pas débloqué les fonds avant d’avoir eu communication de l’attestation de garantie de livraison, le contrat de construction aurait été résilié, de sorte qu’il n’y aurait pas eu de défaillance du constructeur et donc pas de mise en jeu de la garantie de livraison ; qu’en considérant que la faute commise par le banquier n’avait pas eu de rôle causal dans le préjudice dont réparation était demandée, la cour d’appel a violé les articles 1382 et suivants du Code civil ;
Mais attendu qu’ayant constaté qu’à la date du déblocage des fonds les travaux étaient déjà commencés et qu’il ne ressortait d’aucune des pièces versées aux débats que les maîtres de l’ouvrage auraient eu l’intention de se prévaloir de la caducité du contrat, ou de sa nullité, ni qu’ils auraient souhaité en poursuivre la résiliation, la cour d’appel a pu en déduire que la faute de la Caisse d’épargne consistant à avoir débloqué les fonds avant d’avoir été en possession de l’attestation de garantie de livraison était sans influence sur l’obligation où la société AIOI s’était trouvée de mettre en jeu sa garantie, laquelle trouvait ses causes dans le contrat qu’elle avait signé et dans la liquidation judiciaire de la société Maisons Anaïs ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;
Et attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le premier moyen qui ne serait pas de nature à permettre l’admission du pourvoi ;
Par ces motifs :
Rejette le pourvoi…
Note
1. L’arrêt rapporté rendu quelques semaines après ceux rendus les 2, 15 et 16 décembre 2009, concernant le recours du garant de livraison à l’encontre du prêteur ayant financé la construction d’une maison individuelle, objet de notre commentaire dans la présente revue (RGDA 2010, p. 104, note J.-P. Karila et L. Karila) illustre encore ici la sévérité des juges à l’encontre du garant de livraison dans le cadre de l’appréciation du recours de celui-ci à l’encontre du prêteur de deniers.
2. Pour apprécier la portée de l’arrêt rapporté, il est nécessaire de rappeler la chronologie des actes et faits ayant donné lieu à un arrêt rendu par la Cour de Rennes le 20 janvier 2009, objet d’un pourvoi du garant de livraison rejeté par la Cour de cassation aux termes de l’arrêt rapporté à savoir :
– 17 avril 1999 : contrat de construction de maison individuelle ;
– 19 novembre 1999 : les clients/maître d’ouvrage/partenaires contractuels du constructeur de maison individuelle règlent 3 factures dudit constructeur de maison individuelle au moyen de fonds provenant du prêteur de deniers ;
– 9 décembre 1999 : délivrance de la garantie de livraison à prix et délais convenus ;
– 24 mars 2000 : attestation d’assurance dommages ouvrage à effet du 1er septembre 1998 ;
– 1er août 2000 : mise en liquidation judiciaire du constructeur de maison individuelle.
Le garant de livraison ayant fait achever l’ouvrage, en payant une certaine somme au titre du dépassement du prix convenu, assigne ensuite le prêteur en paiement de ladite somme à titre de dommages et intérêts, le garant reprochant au prêteur de deniers deux fautes, à savoir :
– manquement à son obligation de contrôle de la régularité du contrat de construction de maison individuelle qui devait faire référence à l’existence d’un contrat d’assurance dommages ouvrage et à l’existence d’une garantie de livraison ;
– déblocage prématuré des fonds avant d’avoir été en possession de l’attestation de garantie de livraison ;
3. La Cour d’appel de Rennes déboute le garant de livraison de son action indemnitaire au motif que le déblocage anticipé des fonds avait été sans influence sur l’obligation dans laquelle le garant s’était trouvé de mettre en œuvre sa garantie.
4. Le garant de livraison reprochait à la Cour de Rennes :
– de n’avoir statué que sur la seconde faute ci-dessus évoquée, c’est-à-dire le déblocage des fonds sans être en possession de l’attestation de garantie de livraison (1er moyen) ;
– d’avoir violé l’article 1382 du Code civil pour avoir considéré que la faute du banquier ayant consisté à débloquer les fonds sans être en possession de l’attestation de garantie de livraison n’avait eu aucun rôle causal sur l’obligation du garant de livraison de mettre en œuvre sa garantie dont les causes exclusives résidaient dans le contrat signé avec le maître d’ouvrage et dans la liquidation judiciaire du constructeur de maison individuelle (2e moyen).
5. La Haute Juridiction valide l’arrêt de la Cour de Rennes et rejette en conséquence le pourvoi dans le cadre de l’examen du second moyen en énonçant que dès lors que la Cour de Rennes avait constaté qu’à la date du déblocage des fonds, les travaux étaient déjà commencés et qu’il ne ressortait d’aucune des pièces versées aux débats que les maîtres d’ouvrage auraient eu l’intention de se prévaloir de la caducité du contrat ou de sa nullité, ni qu’ils auraient souhaité en poursuivre la réalisation, ladite Cour de Rennes avait « pu en déduire que la faute de la Caisse d’épargne consistant à avoir débloqué les fonds avant d’avoir été en possession de l’attestation de garantie de livraison était sans influence sur l’obligation où la société AIOI s’était trouvée de mettre en jeu sa garantie, laquelle trouvait ses causes dans le contrat qu’elle avait signé et dans la liquidation judiciaire de la Société Maisons Anaïs ».
L’arrêt rapporté, bien que destiné à être publié au Bulletin civil, est, selon nous, un arrêt d’espèce, la validation de l’arrêt de la Cour de Rennes ayant été opérée au surplus dans le cadre d’un simple contrôle de motivation des juges du fond.
Il reste que cet arrêt d’espèce traduit ici encore la réticence de la Haute Juridiction à admettre le recours du garant de livraison contre le prêteur de deniers à l’inverse de ce qui est jugé quant au recours dudit garant de livraison à l’encontre de l’assureur dommages ouvrage comme nous l’avons déjà relevé dans notre commentaire précité des arrêts ci-dessus évoqués des 2 décembre, 15 décembre et 16 décembre 2009.
J.-P. Karila et L. Karila – RGDA n° 2010-03, P. 725