Ancien ID : 1074
Ne donne pas, au regard de l’article L. 242-1 du Code des assurances de base légale à sa décision, la Cour d’Appel qui alloue une indemnité toutes taxes comprises sans rechercher comme il lui était demandé si le bénéficiaire de l’indemnité ne récupérait pas la taxe sur la valeur ajoutée.
Ne donne pas de base légale également au regard du texte précité, la Cour d’Appel qui retient que le point de départ des intérêts au double du taux légal est le jour où l’assureur n’a pas respecté son obligation de faire établir et communiquer le rapport préliminaire de l’expert avant de notifier sa décision sur la garantie.
Cour de cassation (3e Ch. civ.) 23 mai 2012 Pourvoi no 11-14091
Publié au Bulletin
SCCV c/ GAN
« La Cour,
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Montpellier, 4 janvier 2011), rendu en matière de référé, que la société civile de construction vente Lots 20 et 21 Malbosc (la SCCV), assurée en police dommages-ouvrage par la société GAN, a fait édifier et vendu en l’état futur d’achèvement deux immeubles d’habitation ; que des désordres affectant la solidité de la structure des bâtiments étant apparus en cours de chantier, la SCCV a adressé une déclaration de sinistre à son assureur et a, après expertise, demandé à celui-ci le remboursement des factures de location des étais posés en août 2006 à titre conservatoire sur les deux immeubles ;
Sur le premier moyen :
Vu l’article L. 242-1 du Code des assurances ;
Attendu que pour assortir les provisions allouées de la TVA, l’arrêt retient que l’obligation de la société GAN de supporter l’intégralité des mesures conservatoires qui ont dû être prolongées ne fait pas l’objet de contestation sérieuse ;
Qu’en statuant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si la SCCV ne récupérait pas la TVA, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ;
Et sur le second moyen :
Vu l’article L. 242-1 du Code des assurances, ensemble l’article 1153 du Code civil ;
Attendu que pour faire courir les intérêts au double du taux légal à compter du règlement des factures s’élevant à 406 873,97 euros et à compter de la présentation des factures par la société Lefevre pour la somme de 320 678,83 euros, l’arrêt retient que le point de départ des intérêts au double du taux légal s’appliquant de plein droit est le jour où l’assureur n’a pas respecté l’obligation légale d’établir et de communiquer le rapport préliminaire avant sa décision sur la garantie ;
Qu’en statuant ainsi, sans relever l’existence d’une mise en demeure antérieure, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ;
Par ces motifs :
Casse et annule, mais seulement en ce qu’il assortit les provisions allouées de la TVA et fait courir les intérêts au double du taux d’intérêt légal à compter du règlement des factures s’élevant à 406 873,97 euros et à compter de la présentation des factures par la société Lefevre… »
Note
1. L’arrêt rapporté qui vient après un arrêt de rejet du 16 décembre 2009 (Cass. 3e civ., 16 décembre 2009, no 09-65697, Bull. civ. III, no 278) à l’encontre d’un arrêt de la Cour de Montpellier qui avait dit que la garantie de l’assureur était automatiquement acquise à titre de sanction est intéressant à un double titre :
– d’abord en ce qu’il censure une cour d’appel qui avait accordé l’indemnité TTC sans rechercher, comme il était demandé, si le bénéficiaire de l’indemnité pouvait ou non récupérer la TVA,
– ensuite en raison de ce qu’il censure en outre la même cour d’appel d’avoir tenu compte, pour fixer le point de départ du taux de l’intérêt légal doublé (indemnité complémentaire constituée par une somme égale à l’intérêt au taux double de l’indemnité destinée à assurer la réparation des dommages matériels) du jour de la carence de l’assureur, sans rechercher si celui-ci avait été ou non mis en demeure de payer l’indemnité principale.
I. INDEMNITÉ D’ASSURANCE ET TVA
2. Le principe de la réparation intégrale conduit à l’octroi d’une indemnité TTC si le bénéficiaire de ladite indemnité n’est pas lui-même assujetti à la TVA et ne peut donc la récupérer.
Cette évidence ne s’est pas toujours imposée au juge, la jurisprudence ayant à cet égard été pendant plusieurs années contradictoire ou pour le moins fluctuante, tant en ce qui concerne l’application du principe ci-dessus évoqué qu’en ce qui concerne la charge de la preuve de la situation fiscale du bénéficiaire de l’indemnité.
La jurisprudence est néanmoins fixée depuis quelques années, le lecteur étant invité à se reporter à cet égard au commentaire par l’un des signataires de la présente note d’un arrêt rendu le 8 octobre 2008 (Cass. 3e civ., 8 octobre 2008, no 07-15939, RGDA 2009, P. 190, note J.-P. Karila).
3. On rappellera donc brièvement les règles ci-après :
1/ Lorsque le bénéficiaire de l’indemnité est assujetti à l’impôt sur les bénéfices industriels et commerciaux ou encore est une société commerciale, l’indemnité sera allouée hors TVA puisque les activités dudit bénéficiaire lui permettent de la récupérer (Cass. 3e civ., 6 décembre 2006, no 07-17553, Bull. civ. III, no 240).
2/ Consécutivement il appartient au bénéficiaire précité (société commerciale ou personne assujettie à l’impôt sur les bénéfices industriels et commerciaux) qui requiert une indemnité TTC de démontrer que ses activités ne bénéficient pas de l’exonération du paiement de la TVA, et que non assujetti à celle-ci il ne pourrait donc pas la récupérer (Cass. 3e civ., 6 novembre 2007, no 06-17275, Bull. civ. III, no 690 ; Cass. 3e civ., 8 octobre 2008, no 07-15939, RGDA 2009, p. 190, note J.-P. Karila ; Cass. 3e civ., 17 février 2010, no 09-11900).
Ces règles sont conformes tant au principe de la réparation intégrale du dommage voulant que la victime, en la circonstance le bénéficiaire de l’indemnité d’assurance – quelles que soit les raisons conduisant à l’allocation de ladite indemnité –, soit effectivement indemnisée de l’intégralité de son préjudice d’une part, qu’à celui commandant parallèlement et consécutivement que l’indemnisation ne soit pas supérieure au préjudice ou encore qu’elle ne procure un enrichissement quelconque d’autre part.
4. Dans les circonstances de l’espèce, le bénéficiaire de l’indemnité était une société civile de construction vente, de sorte qu’elle n’entrait pas de façon indubitable dans la catégorie des personnes ou sociétés assujetties au paiement de la TVA.
L’assureur avait demandé à la cour de Montpellier que le montant des condamnations « soit fixé hors taxe car la Société SCCV pouvait la récupérer » mais la cour de Montpellier prononçait une condamnation TTC sans s’expliquer sur ce point.
L’assureur, demandeur au pourvoi n’avait pas excipé d’un défaut de réponse aux conclusions, mais d’un défaut de base légale au regard de l’article L. 242-1 du Code des assurances en raison de l’absence d’explication de la cour d’appel sur l’application de la TVA.
La haute juridiction statuant dans les limites du moyen qui lui était présenté a censuré la cour de Montpellier pour n’avoir pas recherché « comme il lui était demandé » si le bénéficiaire ne récupérait pas la TVA.
Bien que ne s’inscrivant pas strictement dans le cadre des règles ci-dessus énoncées (no 4) la décision de la Cour de cassation est bien conforme à l’état du droit positif en la matière et emporte notre entière approbation.
II. POINT DE DÉPART DE LA MAJORATION DES INTÉRÊTS AU DOUBLE DU TAUX LÉGAL
5. La loi (L. 242-1 du Code des assurances) est muette sur le point de départ du calcul des intérêts constituant l’indemnité complémentaire constituée par une somme égale au double du taux légal d’intérêt sur l’indemnité principale destinée à la réparation des dommages matériels.
a. Engagement préalable des travaux de réparation (non)
On s’est d’abord posé la question de savoir si le bénéficiaire de l’indemnité pouvait requérir le paiement de l’intérêt au double du taux légal avant d’avoir engagé les dépenses nécessaires à la réparation des dommages.
La doctrine et la jurisprudence étaient incertaines à cet égard.
La jurisprudence est néanmoins fixée depuis un arrêt du 12 février 2002 qui énonce que la majoration de plein droit des intérêts produits par l’indemnité d’assurance sanctionnant un non-respect, par l’assureur de l’un des deux délais prévus aux alinéas 3 et 4 de l’article L. 242-1 du Code des assurances, en application du 5e alinéa de ce texte, n’est pas subordonnée à l’engagement préalable par l’assuré des dépenses nécessaires à la réparation des dommages (Cass. 1re civ., 12 février 2002, no 98-23000, Bull. civ. I, no 48, RDI 2002, p. 303, obs. G. Durry). Solution rappelée par un arrêt du 6 octobre 2004 (Cass. 3e civ., 6 octobre 2004, no 03-14566, Bull. civ. III, no 164, RGDA 2004, P. 1037, note J.-P. Karila) et depuis constante (Cass. 3e civ., 21 juin 2006, no 05-19281 ; Cass. 3e civ., 10 octobre 2006, no 05-210947 ; Cass. 3e civ., 25 mai 2011, no 10-18781, Constr. et urba. 2011, comm. 114, par M.-L. Pagés-de Varenne).
b. Mise en demeure de payer (oui)
6. Le paiement de l’indemnité complémentaire constituée par le doublement de l’intérêt légal est-il subordonné, conformément au droit commun, s’agissant d’intérêts moratoires, à la délivrance d’une mise en demeure
Sur ce point la jurisprudence est également fixée depuis l’arrêt précité du 25 mai 2011 de la haute juridiction.
L’arrêt rapporté est conforme au principe ci-dessus évoqué en ce qu’il a, à juste titre, censuré l’arrêt de référé de la cour de Montpellier pour défaut de base légale au regard de l’article L. 242-1 du Code des assurances et de l’article 1153 du Code civil pour avoir fixé le point de départ des intérêts au double du taux légal au jour de la carence de l’assureur.
Sur ce point également l’arrêt emporte notre entière approbation.
On rappellera ici que l’assureur dommages ouvrage ne peut prétendre recouvrer sur les constructeurs responsables et les assureurs de responsabilité l’indemnité compensatrice constituée par la majoration des intérêts au double du taux légal.
La Cour de cassation dans un arrêt du 8 juin 2005 a cassé un arrêt d’une cour d’appel qui avait condamné in solidum l’assureur dommages ouvrage avec l’architecte et l’assureur de responsabilité de celui-ci (Cass. 3e civ., 8 juin 2005, no 03-20922, Bull. civ. III, no 123) pour violation de l’article L. 242-1 du Code des assurances, et ce en raison de ce que « seul l’assureur Dommages-ouvrage doit être condamné à supporter cette majoration ».
J.-P. Karila et L. Karila – RGDA n° 2012-04, P. 1065